Si Niccoló aimerait que le samedi avant la rentrée ait des airs de grasse matinée, il n’en était rien. L’heure était aux nettoyages ! Nettoyer ! Balayer ! Astiquer ! Jusqu’à ce que tout soit pimpant ! Il avait passé une bonne partie de la matinée et son début d’après-midi à nettoyer leur chambre pour qu’elle soit nickel pour les prochains qui y vivraient pour une année. Il avait déjà croisé deux de ses nouveaux de camarades de chambre : l’un portait l’uniforme féminin, ce qu’il trouvait beaucoup trop classe sans pour autant le dire, et l’autre était muet, il s’était donc senti très con de ne pas connaître ne serait-ce même qu’un mot en langue des signes. L’année s’annonçait intéressante.

Tous ces nettoyages avaient détourné son attention pendant quelques heures. Ils s’étaient donné rendez-vous dans l’après-midi, Sindibad et lui, et cette idée avait accaparé toute la place disponible dans son cerveau durant la semaine. L’Italien se surprenait parfois plusieurs fois par jour à penser à l’Iranien et à se réjouir de leur sortie prévue à Two Player Game, la salle d’arcades de Bloombury.

Une fois installé dans sa nouvelle chambre pour l’année, il avait passé plus de temps que d’ordinaire au choix de sa tenue. Tout ça pour au final mettre une tenue on ne peut plus classique : un pantalon gris et un t-shirt noir, tout deux oversized. C’était Bianca qui lui avait offert cette tenue. “Histoire que tu ressembles moins à un gosse et de plus en plus à un beau jeune homme” qu’elle lui avait dit avec un clin d’œil taquin. Son aînée serait sûrement très contente de savoir que c’était l’une de ses tenues favorites, avec ses converses noires. Il s’était attaché la moitié supérieure des cheveux en une petite queue de cheval, il avait décidé de laisser ses cheveux pousser. Par flemme. Le reste de ses bouclettes dissimulaient sa nuque.

Il avait envoyé une photo à sa sœur qui lui avait répondu avec un selfie de sa tête mal cadré faisant un pouce en l’air, accompagné de la caption “T’es trop beau frérot ”. Mais malgré ce compliment, il était très stressé quant à son apparence. Et il ne savait pas vraiment pourquoi. Ce qui avait le don d’autant plus le stresser.

C’est donc vers le milieu de l’après-midi, après qu’ils se soient confirmés par message qu’ils avaient fini de ranger leur ancienne chambre et de s’installer dans leur nouvelle chacun de leur côté, que l’Italien était parti pour Bloombury. Il était passé près de la fontaine où ils avaient discuté une semaine plus tôt, et il s’était senti rougir en repensant à son honnêteté dûe à la fatigue ce soir-là.

Il mentirait s’il disait qu’il ne se rendait pas compte de l’effet que l’Iranien avait parfois sur lui. Et en même temps … Il avait seulement l’impression de s’être fait un ami. Ils avaient rapidement eu des atomes crochus. Et pour une fois, comme ça avait pu l’être avec les blagues de Genji par exemple, Nico ne trouvait pas les moments d’ambiguïté avec Sindibad désagréables. Certes, il était parfois gêné ou mal à l’aise, mais il n’avait pas envie de prendre la fuite et de déguerpir sans demander son reste.

Bref. Nico venait d’arriver devant la salle d’arcades et attendait à présent son ami en trépignant. Il jetait des regards réguliers vers le rue par laquelle il était arrivé, mais tentait de faire attention à ne pas la fixer trop longtemps pour ne pas apparaître comme un chiot qui attend impatiemment que son maître rentre à la maison.

Le garçon se balançait d’un pied à l’autre avec anticipation avant de voir l’Iranien arriver au loin. Son corps se détendit et cessa son mouvement de balancier.

– Ciao, Sin ! lui répondit le plus jeune avec un long sourire.

Lui aussi aimait passer du temps avec son camarade. Les deux Strixyst semblaient avoir une influence positive l’un sur l’autre.
Et Nico aimait aussi beaucoup la salle d’arcade, dans laquelle il avait passé de nombreux week-end seul, quand l’école n’était pas encore un lieu où il se sentait chez lui à l’aise, à cause de fauteurs de trouble. Il avait poncé certaines bornes mais n’était jamais parvenu à battre le record de la personne qui les détenait tous. C’était un peu son havre de paix, avec pleins de bruits parasites et de musiques qui te rentrent dans la tête, des néons et une déco has been.

Le noiraud ouvrit la porte en grand et la maintint en place avec son pied.

– Après toi, dit-il avec un geste de la main vers l’intérieur, penchant légèrement le buste en avant comme s’il se prosternait. T’es vraiment jamais venu ?! s’étonna-t-il une fois de plus. Pour la peine c’est toi qui choisit le premier jeu !

Le jeune homme était surexcité à l’idée de lui faire découvrir tous ses jeux préférés. Et en même temps, il était extrêmement stressé. Il ne savait pas quoi dire, ou mettre ses mains, dans ses poches ou le long de son corps ? Est-ce que ses cheveux étaient bien attachés ? Est-ce que Sin appréciait sa tenue ? Tant de choses qui le stressaient pour rien du tout !

Nico prétendit ne pas entendre le sous-entendu sexuel que venait de faire son camarade Stryxist, même si ses oreilles se teintaient légèrement de rouge alors qu’il suivait celui de violet chevelu jusqu’à une borne de Pacman. Il aimait beaucoup ce jeu. Il faisait partie de ceux où il était vraiment énervé de ne pas réussir à en battre le meilleur score. Et pourtant le jeune gamer en avait passé des heures à dodge les fantômes et à gloutonner des cerises dans ce labyrinthe bleu. Mais rien n’y faisait : c’était toujours un pseudo dont il ignorait totalement la véritable identité qui détenait le record. Qui détenait la plupart des records de la salle d’arcade d’ailleurs. Si un jour il le découvrait, le jeune homme n’était pas certain de savoir s’il comptait lui briser les rotules ou s’incliner devant lui.

Le noiraud s’imprégnait déjà de l’ambiance des lieux. Les lumières colorées lui donnaient l’impression d’utiliser un filtre Pentagram dans la vraie vie. Les moquettes colorées et kitsch qui donnaient la sensation de laisser une couche de poussière sur vous lorsque vous entriez en contact avec le faisait sourire avec un air presque morose. Les bruits des machines, comme si elles se battaient pour que leur musique attire plus de monde, plus de pièces donc, que les autres emplissait la pièce. Petit, Niccoló était persuadé qu’elles faisaient un concours de celle qui récolterait le plus de pièces, et que la malheureuse perdante serait la prochaine à être remplacée par une toute nouvelle machine.

– Ne t’inquiète pas, on y jouera aussi, le rassura l’Italien avec un sourire, avant de lui tendre une pièce faite exprès pour les machines. Tiens, t’en auras besoin pour la mettre en marche ! Je t’offre, no stress, conclut-il avec un clin d’œil.

A force de revenir en ces lieux, le plus jeune avait une réserve quasi permanente de jetons de jeu. Le cadet devait souvent dépanner sa grande sœur, Bianca, qui voulait sortir à la salle d’arcades avec des amies à elle de manière impromptue. Ça arrivait tellement souvent qu’elle le remboursait à présent en lui offrant un chocolat chaud ou un coca, tout dépendait de la saison, à chaque fois qu’ils se faisaient une sortie entre frère et sœur.

Symboliquement, on pouvait dire que Nico donnait à Sindibad le ticket d’entrée pour l’un de ses univers. L’Iranien était la toute première personne à qui le cinquième année faisait découvrir cette passion. Ok, il jouait en ligne avec Genji régulièrement, mais ce n’était pas du tout la même chose que de jouer sur des bornes d’arcades. L’ambiance était beaucoup moins intimiste que d’avoir un casque vissé sur la tête et sa manette dans les mains en rageant dans sa chaise de bureau. Là les défaites étaient plutôt accompagnées de rire et d’encouragements pour la prochaine partie que par des insultes et des soupirs.

Le plus jeune des deux prit place à côté de son camarade, perpendiculairement à la borne, de manière à pouvoir observer ce qu’il se passerait sur l’écran de celle-ci tout en pouvant observer les expressions de Sindibad, ses mouvements de mains, ses magnifiques yeux dorés …

Leurs doigts se frôlèrent quand l’Iranien récupéra la pièce que le plus jeune lui tendit. Tout était encore si neuf pour Nico. La moindre blague, le moindre compliment, le moindre contact, le moindre clin d’œil faisait s’exciter l’essaim de papillons qui avaient choisi d’habiter dans le creux de son estomac. Sur pleins d’aspects, Nico découvrait la vie. Il marchait sur des chemins que Sindibad avait déjà foulé depuis longtemps. Cette perspective lui donnait quelque peu le vertige, tout en étant rassurant. Le noiraud ne pouvait qu’imaginer toutes les connaissances que le plus âgé avait déjà amassées. Et de l’autre côté, c’était rassurant que de savoir que la personne en face était dans une situation familière, qu’elle avait déjà des repères.

“Malheureusement pas à ce jeu-là,” répondit l’italien avec un regard triste, même si la moitié inférieure de son visage était bloquée sur l’option “sourire comme un con”.

Ça l’aurait énervé lui-même, autrement, de ne pas parvenir à s’empêcher de sourire. Mais vraiment les muscles de ses joues ne voulaient pas se détendre. D’ici quelques minutes, il ressentirait déjà les prémisses de la douleur musculaire qui le hanterait toute la nuit après ce premier date sans pouvoir s’empêcher de sourire.

Il hausse les épaules à la proposition de celui de violet chevelu. “Oh tu sais, j’ai bien assez pour y passer la soirée !” s’exclame-t-il en sortant une poignée de pièces de jeu de sa poche, histoire de montrer que Sin n’avait pas à se préoccuper de calculer les parties pour aujourd’hui.

Sin ne semblait pas trop mal se débrouiller, mais l’Italien ne pouvait s’empêcher de lui donner des conseils. “Essaie de passer par là,” accompagné d'un doigt pointé vers l'un des couloirs du labyrinthe de néons bleus. “Garde les petites boules blanches pour quand un fantôme s’approche de toi.” C’était son côté très compétitif, un peu try harder, qui prenait le dessus à cet instant. Son regard était rivé sur l’écran de la borne, dans lequel la map du jeu avait brûlé certains pixels. On la voyait toujours en transparence même lorsqu’elle était en veille ou affichait les paramètres.

Mais malgré tous les conseils de Nico, la partie doit bien finir par se terminer à un moment où à un autre. Le noiraud lui lâche un regard en coin, affichant toujours son sourire. “Hé mais pas trop mal !” s’exclame-t-il, se voulant encourageant, et non pas hautain.

“Ça te dit un baby foot ? Ou en tout cas un jeu qui se joue à deux ?” proposa Nico en plissant légèrement les yeux, affichant de légers airs de défi. Il n’était pas particulièrement friand des jeux en compétition, mais les jeux où l’on pouvait jouer à deux les plus intéressants n’étaient pas vraiment les jeux collaboratifs. C'était à Sin d'en décider de toutes façons.