Retour au Canada.

Malgré sa propension à ne pas rester en place, Ming avait apprécié les derniers temps passés au pays. Il y avait quelque chose d’indescriptible dans le fait de reprendre ses repères culturels, sa langue maternelle ou des paysages familiers.

Les reliefs du Hubei ressemblaient beaucoup à ceux du Dongbei dont il était originaire, même s’il préférait les plaines interminables sur lesquelles il pouvait galoper pendant des heures, face au vent, libre.
Il s’était tout de même trouvé à sa place dans les monts Wudang.


Alors le retour au Canada marquait la fin des vacances, du repos et annonçait une nouvelle année de cours et de travail au sein des archives pour son alternance. Il arrivait bientôt à la fin de ses études, et c’était la réflexion qu’il avait, ce matin-là, dans son lit.

Il fixait le plafond, seul ce jour-là sur le matelas qui avait accueilli nombre de ses conquêtes. Xuan Ji était venue se blottir contre lui en ronronnant, laissant bon nombre de poils blancs sur la couverture d’un rouge vif alors il passait une main distraite dans son pelage blanc et soyeux.

Le réveil sonnait sept heures et il décida de se lever à ce moment, bien entendu suivi de son familier qui ne lui laissait pas un instant de répit (elle portait décidément bien son nom. Ce maudit nom).
Il devait retrouver Ying dans la matinée, enfin, ce dernier devait sonner à son appartement.

Connaissant le phénomène, Ming avait largement le temps de faire du sport, un brin de toilette, se raser les quelques poils qu’il avait sur la mâchoire, prendre son petit-déjeuner, regarder une saison d’une série et même déjeuner avant que le Strixyst arrive, dans le meilleur des cas.


Sa main droite empoigna son téléphone. Wen et Wudu avaient un peu échangé, des memes notamment, sur leur groupe commun. Il suffisait au Pei de répondre par des emojis amusés pour faire sa part du marché et de vaquer à ses occupations. Le nordiste eut le temps de faire ses exercices de renforcement musculaire quand on frappa à la porte.

Serviette autour du cou, il se redressa pour ouvrir la porte et ses yeux bruns s’écarquillèrent quand il trouva son invité dans l’embrasure. Par précaution, il relève son poignet pour regarder l’heure.



Bien entendu, il ne manqua pas une occasion de railler son cadet dans un ricanement. Il s’écarta toutefois pour le laisser entrer avant de fermer la porte derrière eux.

Son appartement, contre toute attente, était correctement rangé et portrait quelques éléments de décoration. Une statuette de dragon en cuivre sur une étagère, un porte-encens qui brûle, imitant un autel assez sommaire pour poursuivre le culte des ancêtres y compris au Canada, bon nombre de miroirs au point de recouvrir tout un pan de mur (devant lequel Ming appréciait s'entraîner pour s'admirer), des bibliothèques bien fournies de livres en tous genres, mais surtout des chroniques de guerre et des ouvrages d’histoire magique. Il y avait également beaucoup de photos.

De lui et ses connaissances proches essentiellement, les Trois Tumeurs, d’autres de ses amis d’Ilukaan, quelques-unes de sa famille… Et bien entendu, il figurait sur toutes ces photographies.



Savait-on jamais.



Ming va au moins dans l'espace cuisine prendre des fruits qu'il garde au frais, des sachima faits par sa mère et ramenés du pays en grandes quantités et servir de l'eau, c'est à ça qu'elle sert essentiellement, le jeune homme ne cuisinant pas.

Il pose tout sur la table basse pour que Ying se serve à loisir.


Il ne manque pas de remarquer la boisson que son ami lui a prise.




Il ricane, le coeur semblant léger et observe son invité en sirotant son café.

Ying semble bien plus en forme, c'était une bonne chose, mais il fallait rester sur ses gardes.

Annonça Ming en se redressant avant de disparaître dans la salle d’eau. Il faisait suffisamment confiance en son ami pour le laisser quelques instants. Il avait de quoi grignoter et s’il voulait, il pouvait sortir son téléphone, alors tout irait bien pour quelques minutes.

Le Lupy se poste face au vaste miroir de la salle de bains et sort son rasoir après s’être attaché les cheveux en queue de cheval haute. Il avait une barbe de trois jours dont il devait se débarrasser et être le plus propre possible… Son apparence était d’une importance capitale, après tout, s’il existait bien un élève qui faisait tourner les têtes des jeunes femmes à Ilukaan (si tant est qu’elles étaient attirées par les hommes), c’était bien lui.

Après tout, grand, athlétique, des épaules larges et des mains délicates, un nez long et droit, des yeux en amande et vifs, des sourcils épais mais bien dessinés, une bouche aux lèvres pleines… C’était le parangon de la beauté, un Apollon de Chine du nord… Et il le savait lui-même.

Il se doutait qu’il était irrésistible, de bons gènes comme ceux qu’il portait ne pouvaient qu’avoir créé le plus bel être humain que la terre ait connu… C’était ce que disaient les membres de sa famille et de la région depuis son enfance et les louanges depuis sa naissance ne cessaient pas… Il s’y était accoutumé.


Et face aux autres, il se montre fier, hâbleur… Reconnaissant aisément ses capacités et ses qualités et ses défauts moins. Ming en fait l’étalage quand il est en société, son charme rendant la tâche plus facile, y compris et surtout auprès de la gent féminine qui éveillait tout son intérêt et l’intégralité de son désir.


Une personne toutefois échappait à ce traitement, face à laquelle il faisait preuve d’une rare réserve, qu’on lui connaissait peu… En présence de cette élève, le Lupy semblait être une toute autre personne… Il paraissait gêné et même embarrassé, se refermant dans un silence troublant… Et pour cause.

Si la peau fine du cou gracile de la jeune femme portait une cicatrice comme un collier indélébile, c’était bien de la faute de Ming qui portait le poids de cette culpabilité comme un boulet. Sans s’affliger plus que de mesure, il assumait ses torts avec maturité même s’il en parlait peu… Non pas par égo, mais il s’agit d’un souvenir douloureux pour chaque partie, qu’il est inutile de ressasser. Seuls ses camarades de promotion sont au courant de cet incident dont ses meilleurs amis qui ont été les uniques confidents du “Général Ming Guang” au cours de cette période et qui connaissent les états d’esprit de l’intéressé à ce sujet… Et à quel point cela le pèse.

Pour les autres, l’embarras que Ming ressent en présence de Yu Shi Huang s’explique par plusieurs rumeurs qui courent au sein de l’établissement : un béguin pour la demoiselle qui l’aurait éconduit, un refus de reconnaître une femme capable de se débrouiller seule sans l’aide d’un homme ou encore le fait qu’il lui ait préféré l’une de ses soeurs, et d’autres justifications aussi fantasques les unes que les autres… Mais que Ming n’avait pas réfuté pour garder le mystère sur cet événement.


Chaque jour, il pensait à cet événement… L’un des deux temps forts de ses études dont il se serait bien passé…

Ming laissa échapper un soupir rauque quand il repensa malgré lui à cet incident dans sa douche et secoua la tête avant d’en sortir, de se sécher et d’enfiler ses vêtements pour rejoindre Ying.




Son visage blémit instantanément en découvrant son cadet comme en transe. Ses yeux bruns s'écarquillent et ses sourcils se froncent en remarquant la main de Ying sur les reliquats de baguette avant qu’il ne s’agenouille, dans une flaque de chocolat chaud.

« Merde. »

Il doit bouger… Faire quelque chose… alors il s’exclame en tendant la main pour la poser sur l’épaule du Strixyst :




L’intéressé lui répondit… Par une phrase qu’il reconnut immédiatement… Il se figea à nouveau et sa paume se crispa sur l’omoplate de son ami.

Ming observe son cadet sans savoir quoi faire, impuissant.

Il haïssait ce sentiment qu’il associait à la faiblesse, à l’inutilité, de voir l’un de ses proches souffrir.

Il n’allait pas le secouer… Et s’il lui ôtait la baguette des mains ? Avec précaution cela devrait aller, non ?


Ce fichu don était imprévisible hélas, il ne voulait pas que Ying ait une mauvaise réaction et que son état empire, ses mains avaient déjà commis tant de méfaits au cours de ses années d’études… Il était hors de question que l’un de ses amis en pâtisse à son tour, il ne se le pardonnerait jamais.

Alors le Lupy s’approche, pour chuchoter à voix basse, gardant son calme au maximum, la paume posée sur l’épaule du plus jeune. Assurer une présence, légère, qui ne soit pas oppressante, c’était ce qu’il fallait faire…





Son timbre était rauque, murmurant… Il fallait éviter les mauvaises réactions de quelque nature que ce soit en face. Pendant plusieurs minutes, il réitère l’opération, sans agressivité ou peur apparente, juste montrer qu’il est là, où que fût la conscience de Wei Ying.


L’aîné remarqua ses traits tirés, marqués par l’épuisement. Etait-ce le fait de ses nuits agitées ? Ou à cause des visions qu’il avait eues ?

Ming éviterait de lui poser trop de questions quand Ying reviendrait à lui… Si cela arrive.


Non, il ne devait pas avoir de telles pensées. Bien entendu qu’il reviendra à sa conscience à un moment.


L’expression de son camarade finit toutefois par se décrisper et le plus âgé exhala un soupir léger de soulagement… Même s’il n’était pas revenu à lui-même, vraisemblablement, c’était encourageant de le voir ainsi.


La baguette brisée finit par tomber au sol mais le Lupy ne détourne pas son regard du visage de Ying, soucieux. Que sont les biens matériels, dont les baguettes, par rapport à un ami ?


Ce ne fut que lorsque les yeux du Strixyst reprirent un peu de vie et que celui-ci se mit à parler, autrement que par des paroles cryptiques, que Ming se décrispa et s’écarta, soupirant à nouveau, rassuré.

Malgré lui, il ricana. Nerveusement, la paume sur ses yeux. Ah, que d’émotions, il ne contrôle pas ses réactions.




Mais cette hilarité fut de courte durée quand il entendit les paroles du plus jeune qui décrivait ce qu’il avait vu… Et sans être legilimens, il n’y avait pas besoin, Ming avait les images claires qui revenaient à son esprit. Ses commissures se baissèrent, son sourire, même nerveux, mourut sur ses lèvres.





Ce n’était pas faute de l’avoir prévenu la fois dernière… Mais il n’allait pas s’étendre en réprimandes.



Déclare-t-il, sobrement, laconique, malgré les excuses du plus jeune.

Il se redresse pour aller chercher de quoi nettoyer les tâches de chocolat. Ming avait récupéré sa baguette au sol et incanta un sort pour ce faire, celui-ci était aussi bien exécuté que si le catalyseur était intact.

Il n’avait pas envie de poursuivre sur ce sujet, et ça se voyait.