Blossom vivait dans l'enthousiasme le plus complet durant ces vacances. Elle était absolument assommée par les nouveautés de sa vie et le programme des vacances qui changeait toutes les deux semaines. A peine avait-elle eu le temps de se tailler un rythme de vie au Mexique qu'il fallait repartir vers une nouvelle destination plus aride : l'Egypte. On ne peut pas dire que Blossom soit la plus assoiffée de tourisme au monde, mais elle appréciait ce que l'école leur offrait si gracieusement et explora avec enthousiasme cet hôtel pour trouver sa nouvelle maison et sa chambre où, surprise, on avait aussi placé Bubbles. Des retrouvailles presque tragiques tant, même en mélangeant tous les élèves de l'école, les deux sœurs finissaient réunies, mais sans leur troisième jumelle qui occupait une maison différente. Encore une fois, elles feraient leur possible pour se réunir au maximum les deux prochaines semaines. Leur père avait organisé un dîner au restaurant le soir-même dans cette optique, d'ailleurs ! Le professeur avait déjà reçu les cadeaux préparés par ses filles lorsque tout le monde était au Mexique, mais Blossom avait presque envie de lui en faire d'autres, de bombarder son père d'attentions et de bibelots pour le remercier d'être aussi merveilleux. Rien qu'à y penser, ça la rendait émotive.

Mais l'heure n'était pas aux pleurnicheries ! Déjà, il fallait enfiler l'uniforme de sa nouvelle maison, les Thueban, sur le thème du serpent. Autant dire que ça ne lui plaisait pas vraiment comme ambiance et qu'elle préférait de loin les uniformes des scarabées ou des chacals. Mais elle s'en accommoderait, comme toujours. Seulement on ne pouvait lui reprocher un petit frisson d'appréhension en enfilant les multiples couches de tissus et s'imaginant déambuler avec tout cet attirail en plein soleil dans le bassin Levantin. Après, des différents documentaires qu'elle avait pu voir, c'était une habitude de la région de se vêtir à ce point et ça devait avoir son utilité. Elle demanderait à un professeur à l'occasion, mais pour le moment elle avait une invitation à laquelle se rendre.

Nathan provoquait chez Blossom un mélange d'intimidation, d'enthousiasme et de curiosité. Intimidation car, plus âgé, très grand, fort et excessivement sérieux dans sa manière de parler et d'agir, il semblait déjà prêt à enfiler les bottes du monde des adultes tandis que la jeune femme se complaisait à garder quelques attitudes -et surtout un entourage- résolument adolescentes. Le problème d'avoir comme obsession de devenir une parfaite petite fille c'est quand la vie fait que nous ne sommes plus une petite fille et qu'il fallait s'adapter. Et devenir une parfaite adulte requérait tout un tas de compétences qui terrifiaient Blossom alors même qu'elle n'avait pas encore l'obligation de les maîtriser. Voilà pourquoi Nathan l'intimidait, à côté de lui elle avait tout l'air d'une enfant, du moins de son point de vue. L'enthousiasme, ensuite, parce que bien qu'apeurée par la vie d'adulte approchant à grands pas, Blossom n'en demeurait pas moins une personne brave et positive qui souhaitait embrasser ces nouveaux défis avec panache et Nathan était un des tous meilleurs alliés à avoir pour accomplir son but. Ça et,  en plus, voilà qu'il lui proposait le poste de vice-présidente de son conseil des élèves, alors qu'elle avait à peine seize ans à l'époque. Il y avait de quoi la motiver et flatter son ego. Et enfin la curiosité...

Nathan n'était pas bien bavard sur lui-même. Sentencieux, prolifique en conseils de toutes sortes, il était un ami précieux, mais mystérieux pour beaucoup de gens, sauf pour... et non, pas Blossom, sauf pour Buttercup. Et la jeune cervirald aimait certes d'un amour sincère, inconditionnel et profond sa sororie, souhaitait leur plus complet bonheur et ferait tout son possible pour qu'elles atteignent ce but, autant lorsqu'elle vit quelqu'un comme Nathan se lier davantage à sa sœur qu'à elle... Elle mit un moment à l'avaler. Un instant bref de jalousie qui céda bien vite place -surtout parce que Blossom traquait avec une terrible efficacité la moindre aspérité de sa personnalité pour la détruire, en tout cas se convaincre de l'avoir fait- à cette fameuse curiosité. Plutôt que d'envier Buttercup, elle voulait comprendre ce qui intéressait autant Nathan chez elle, ne serait-ce que pour repérer un danger si jamais leur aîné développait des comportements problématiques. Mais jusqu'ici, rien, et Blossom poursuivait ses observations distraites, tentant vainement de percer un secret qu'elle était la seule à concevoir comme tel.

C'est donc avec une appréhension toute logique, compte tenu de cette relation complexe, que Blossom entra dans la salle à manger de l'hôtel où devait déjà l'attendre Nathan. En passant devant un miroir, une vague d'agacement l'envahit alors qu'elle constatait que ses cheveux n'allaient pas du tout avec cet uniforme sinistre. Elle soupira, balayant à nouveau la vaste salle du regard pour trouver le grand blond qu'il lui fallait rejoindre. Elle tomba finalement sur lui, dans un uniforme encore plus sombre que le sien, mais lui avec ses cheveux presque blanc et son teint blafard ça lui allait parfaitement. Allant à sa rencontre, elle se signala discrètement, une fois dans son dos.

- Bonjour Nathan, j'espère ne pas t'avoir fait trop attendre.

Mains nouées dans le dos, visage décoré d'un sourire mince, presque malicieux, les yeux surmontés par un fard à paupière qui tentait tant bien que mal d'harmoniser le visage et la tenue, elle inclina poliment la tête pour le saluer. Blossom Utonium, Vice-Présidente du Conseil des Elèves... C'est vrai que ça claquait, et que c'était grâce à lui qu'elle pourrait peut-être se parer de cette titulature ronflante. Elle le remercierait sans doute à de multiples reprises jusqu'à l'élection et au-delà, si jamais ils étaient élus.  

Nathan avait ce côté exigeant qui, à la fois, rassurait Blossom sur sa capacité à diriger le Conseil, mais lui mettait forcément une certaine pression qu'elle n'avait pas l'habitude de porter sur ses épaules. Depuis sa naissance la seule pression que n'avait jamais eu Blossom c'était la sienne, celle qu'elle-même s'imposait, c'était peut-être une de seules fois où elle sentait que quelqu'un attendait beaucoup d'elle. Une sensation étrange, mais qui la motivait à donner le meilleur. Enfin quelqu'un serait là pour exiger, juger et apprécier ses efforts ! Elle acquiesça donc simplement lorsque Nathan expliqua qu'il appréciait sa ponctualité et lui emboîta le pas vers une table qu'il semblait avoir déjà choisi.

Et le voilà qui tire la chaise pour que Blossom s'installe, un geste galant, qu'elle remercia d'un nouveau hochement de tête assorti d'un sourire alors qu'elle tentait tant bien que mal d'arranger les multiples tissus qui composaient sa tenue pour pouvoir se poser correctement. Sans connaissance du don de Nathan, elle laissa libre cours à son cerveau pour commenter autant que désiré l'homme qu'elle avait sous les yeux. Au milieu des multiples questionnements d'usage : « Pourquoi m'a-t-il choisi ? Pourquoi à un si haut poste ? » se confondaient son appréhension et son enthousiasme en une sorte de mélange visqueux et polychrome qui n'alimentait qu'encore plus la curiosité de Blossom. Mais chaque chose en son temps, d'abord un serveur vint leur proposer la carte qu'elle examina avec le même intérêt que si elle avait été écrite dans la langue maternelle du garçon de café, surtout que le compliment de Nathan n'aidait pas plus à se concentrer. Elle leva vers lui ses fameux yeux maquillés complétant un visage d'un imperturbable charme sage.

- C'est faux, il cache la misère de cette tenue, mais je ne suis pas Bubbles, je ne saurais faire plus que ça avec ma trousse à maquillage.

En d'autres lieux elle aurait volontiers accepté ce mot gentil qui n'appelait pas une réponse aussi longue, mais s'il y avait bien un moment où Blossom pouvait étaler toute sa force de caractère c'était bien devant son futur président du conseil. Sans ça, à quoi bon occuper une charge aussi importante que celle qu'on lui proposait ? C'était risquer de se faire marcher dessus et, par la même, de renvoyer l'image d'un Conseil mou et malléable. Tout en écoutant attentivement Nathan, qui exprimait de judicieux doutes, elle servit à tous les deux un verre d'eau et jeta un nouvel œil sur la carte. Elle n'avait pas très faim, surtout soif par cette chaleur. Elle se déciderait donc sûrement pour une grande théière accompagnée de sucreries. Élaborer sa commande l'aidait également à rassembler dans sa tête de quoi répondre à son aîné de façon pertinente ce qui, vu l'heure matinale et les derniers jours relativement épuisants, serait loin de se faire tout seul. Finalement, elle balaya la salle pour voir où en était le serveur et, voyant qu'il n'arriverait pas tout de suite, répondit.

- Septembre sera bien trop tard. Notre campagne aura une tête étrange si on ne se connaît pas. Non, autant profiter du fait que tout le monde soit ici, en Égypte, pour faire cette réunion, ne serait-ce que pour aborder des points essentiels à la campagne. Je ne sais pas si nous aurons des absents en août, lesquels et pendant combien de temps, mais ce serait également intéressant de savoir tout ça pour s'organiser.

Elle avait envie de sourire. Dieu que ça lui faisait plaisir, que ça la stimulait, d'avoir des responsabilités, d'apporter des idées, de clarifier des situations. Une sensation grisante qui rendit son regard plus intense, presque brillant d'une étincelle énigmatique.

- Quant à Buttercup et Cléonos, ne t'en fais pas. J'irais parler à ce dernier, voir s'il est prêt à faire cette réunion avec ma sœur présente, ce dont je n'ai aucun doute -c'est un adulte- et j'aborderai aussi le sujet avec Buttercup. Même si, idem, je suis certaine qu'elle a bien compris ce qu'elle a dit de travers ce soir-là. Après, elle avait bu donc peut-être qu'elle ne s'en souvient pas, à voir donc.

Blossom avait étalé tout ceci avec un sérieux presque académique, comme si elle avait décrit un événement historique alors qu'on parlait ici de leur mouvementée soirée d'anniversaire. Dans son dos, elle entendit qu'on approcha et vint alors le serveur pour prendre leur commande. Elle demanda la fameuse théière et un assortiment de viennoiseries et biscuits pour aller avec, avant d'attendre que Nathan passe sa propre commande. Elle s'occupait l'esprit en visualisant la future discussion avec ses deux collègues. Elle ne connaissait pas Cléonos, mais il lui avait gentiment serré la main quelques instants seulement après le funeste échange avec sa sœur, donc il semblait propice au dialogue et pas aux amalgames, rassemblant ceux qui lui avaient fait du tort et leurs proches dans un grand sac bon à finir au fond du Nil. Ça se passerait bien.

Effectivement, peut-être que Nathan suranalysait un peu trop les choses. Ce devait être utile dans sa vie de tous les jours, dans son cursus, ou bien c'était un mauvais réflexe acquis dans une autre vie, mais de toute façon Blossom ne comptait pas s'en formaliser. Pas tout de suite en tout cas. Probablement que, si période de crise il y a, elle supporterait moins longtemps les grandes envolées descriptives de son président, surtout si cela prenait la place d'actions concrètes, mais sur ce point elle lui faisait confiance. C'était un grand et large sportif, aucun doute à avoir sur sa potentielle réactivité. Après tout, c'était lui et lui seul qui avait réuni tout ce beau monde à ses côtés. Il avait déjà la fibre commerciale, en quelque sorte. Dans tous les cas, Blossom ne voulait pas passer plus de temps à parler de sa tenue qu'elle trouvait plus hideuse chaque seconde passée à l'évoquer.

- Si tu le dis, Nathan, répondit-elle simplement pour clore cette partie de la conversation.

Du reste, définitivement cette réunion improvisée allait être bien plus garnie d'informations que ce qu'elle avait imaginé. Blossom dégaina donc du petit sac qu'elle portait avec elle un carnet et un stylo pour noter les informations importantes. Certes, les plumes à papote existaient, mais évitons de couper l'interlocuteur toutes les trente secondes pour demander à la plume de retenir telle ou telle bribe d'information, ce serait malpoli et un peu délétère pour l'ambiance de ce qui se voulait, à la base, être un simple brunch.

- Tu me permets ? Demande-t-elle en commençant déjà sa prise de note.

L'évènement de campagne à planifier en août, le fait d'évoquer en amont les activités présentées durant l'année, demander les idées de tout le monde, demander à tout un chacun leurs disponibilités pour ladite réunion préparatoire, trouver un endroit sympathique où la faire parce qu'une bonne ambiance est toujours plus propice au bon travail et, effectivement, ne pas y servir d'alcool ce qui, en Egypte, ne devrait pas être trop compliqué à faire.

- J'hésite même à déconseiller les boissons chaudes, s'il y a un nouveau coup de sang on finira avec un ébouillanté sur les bras.

C'était une blague, mais vu que son sourire ne bougea pas d'un millimètre, toujours concentrée sur son carnet, on aurait vraiment pu en douter. Surtout que Buttercup ne serait pas étrangère à ce genre de « surprises ».

- Si tu veux déjà me parler de ces activités en amont, histoire qu'à la réunion tu ne sois pas tout seul à tout présenter aux autres, n'hésite pas. On a une année complète à montrer à nos camarades, autant se partager les tâches.

Entendre parler des errements de sa sœur aurait, dans d'autres circonstances, arraché un soupir frustré à la jeune femme. Car, pour dire vrai, elle aussi redoutait que Buttercup ne fasse trop des siennes. Mais l'avantage de ce Conseil en particulier c'était Nathan, justement. Il faisait un bien meilleur babysitter pour sa sœur qu'elle ne le serait jamais, éternelle maudite à voir ses remontrances balayées d'un revers de la main précisément parce qu'elle en était l'autrice. Nathan, au moins, était écouté ce qui à défaut d'être tout à fait compris par Blossom avait le mérite de la soulager. De toute façon la conversation dévia vers les autres membres du Conseil sur lesquels Blossom avait moins de choses négatives à dire, parce que sur la plupart elle n'avait presque rien à dire.

- Hmm... Dans l'ordre, puisque ça aussi elle l'avait noté, Cléonos m'a fait bonne impression, c'est l'un des plus âgés et matures donc je ne me fais aucun souci pour la trésorerie du Conseil ; Finnegan est consciencieux et sérieux, donc pour être secrétaire c'est idéal ; Bubbles a une communauté dix fois plus nombreuse que la totalité des élèves de l'école qu'elle gère admirablement, donc là aussi très bon choix ; les Lupy sont notoirement connus pour leur tempérament agité et je pense que Buttercup, responsabilisée, fera un parfait garde-fou à-même de gérer les éléments les plus agités de cette Maison ; Felix je ne lui ai jamais parlé, il a un l'air un peu sinistre, mais je te fais confiance ; Ema est déjà dans le Conseil de cette année donc c'est un excellent choix, même si je ne la connais pas plus que ça, il faudra surtout faire attention à ce qu'elle ne se mette pas trop de pression sur les épaules en tant que vétérane, lui montrer qu'on sait ce qu'on fait et qu'elle peut se cantonner à son déjà complexe travail de préfète ; enfin Aedan je l'aime bien, peut-être un peu effacé pour un préfet, mais on ne pourra pas juger avant de le voir à l'oeuvre, en plus je suis dans sa Maison donc en cas de problèmes il pourra compter sur mon appui.

Elle était plus que prête pour cette responsabilité.

- Et toi, Nathan, j'ai vu que tu émettais quelques réserves, notamment parce qu'une partie du Conseil possède, dira-t-on, un fort tempérament. Si jamais tu as des interrogations sur certains de nos camarades, mais que tu n'as pas envie de les confronter pour ne pas les intimider ou leur donner l'impression d'être au pied du mur, demande-moi. Je pense que si je vais leur parler ils pourront se livrer plus facilement. Non pas que tu fasses peur, mais tu es celui qui a invité tout le monde, les gens n'oseront peut-être pas risquer de te montrer d'éventuels doutes ou faiblesses.

Pour ne pas dire qu'avec sa stature, son phrasé et son caractère analytique... ce n'était pas le meilleur confident possible, en tout cas d'apparence. Avant qu'il puisse répondre, le serveur arriva avec leur commande et Blossom se servit avec plaisir une tasse de thé brûlant qui diffusa une forte odeur mentholée jusqu'aux autres tables les entourant.

- Ils ont peut-être chargé un peu, sur la menthe poivrée, plaisanta Blossom en examinant, amusée, le large panier d'osier à fond plat où avaient été disposées toutes les pâtisseries commandées par Nathan.

Voir Nathan sourire était plutôt rare, mais ça le rendait encore plus... attendu, disons. Les personnes peu souriantes faisaient cet effet-là, on avait envie d'obtenir ce sourire et, lorsqu'il apparaissait enfin, c'était une récompense à lui tout seul. Blossom s'imaginait déjà, tout au long de l'année, à faire de son mieux pour les obtenir, ces sourires, autant de petites victoires à ajouter à son tableau de chasse. La jeune femme fit tourner son crayon entre ces doigts en affichant un sourire amusé.

- Je ne prends que les notes qui m'intéressent, le pauvre Finnegan, lui, devra consigner presque tout, même quand on s'écharpera comme des chiffonniers sur des détails. Je le plains d'avance, il va doubler sa consommation de café. Mieux vaut l'autoriser quand même aux réunions, tu as raison.

Et puis au pire Finnegan venait d'une famille de médicomage, il réparerait ses bêtises lui-même en cas de problème. Ensuite, Nathan se permit de rétorquer sur le fait que les idées ne viendraient probablement pas de lui, mais de l'équipe, qu'il portait la base, la vision d'ensemble, superviserait, donnerait son aval, mais que ce serait d'eux qu'émaneraient les différentes idées d'activités et d'animations. Blossom consigna cette façon de voir bien précieusement dans son carnet, elle estimait ça important après tout. Et puis, ça ne la dérangeait pas car les Utonium avaient un atout de poids.

- Oh t'en fais pas, je pense que si on peut être sûrs d'une chose c'est qu'on est entourés par des gens débordants d'idées. Bubbles va se déchaîner, haha.

Le candidat à la présidentielle ne s'attarda ensuite que sur une des descriptions de Blossom, allez savoir s'il validait le reste ou non, mais il précisa que Aedan ferait un préfet tout à fait honorable et que l'aider à outrance ne serait ni formateur pour lui ni productif au long terme. C'était prêcher une convertie. En année d'ASPICS et de vice-présidence, même en le voulant très fort la jeune femme ne comptait pas accorder beaucoup plus de temps que nécessaire à chacune de ces activités, chronométrant sa vie avec minutie les douze prochains mois pour concilier vie étudiante, vie sociale et vie « associative » avec le Conseil. Il faudrait en passer par là et c'était aussi une épreuve que s'imposait Blossom pour savoir si elle serait capable d'une telle auto-discipline une fois dans le monde du travail. Elle continua d'avaler tranquillement son petit déjeuner en répondant avec calme et légèreté.

- Sois tranquille, je ne mettrai pas plus de casquettes que j'en ai déjà ! En plus c'est notre septième année avec les filles, au bout les ASPICS, je ne vais pas parler pour les frangines, mais moi je compte m'en sortir avec les meilleures notes possible donc juste faire les tâches de Vice-Présidente ça me va tout à fait.

La remarque sur son thé lui arracha un rire poli, de ceux qui conviendraient très bien pour la relation qu'elle entretiendrait avec Nathan. Oh elle pensait ce qu'elle disait, elle choisissait juste soigneusement ses réactions pour se conformer au personnage qu'elle souhaitait incarner.

- Je sais quoi prendre si jamais un jour je suis malade en tout cas.

A chaque gorgée le thé devenait plus supportable, de toute façon, même si elle avait la désagréable impression d'avaler du dentifrice chaud. De toute façon, elle n'eut pas vraiment le temps de se préoccuper plus de ça puisque Nathan dégaina pour elle une question des plus étonnantes, qui fit poser sa tasse à Blossom et dévisager son confrère avec circonspection. Comment ça « méchant » ? Elle n'avait jamais dit ça, ne le pensait pas un instant et escomptait que ce soit la même chose des autres conseillers puisque, comme il le précisait si bien, ils avaient acceptés son invitation.

- T'en poses des questions, dis donc. Hm... Je pense pas que tu fais peur, c'est quand même un grand mot, mais oui tu peux être intimidant. Tu es plus âgé que pas mal des membres du Conseil, t'es grand, t'es sportif, t'es pas très exubérant et démonstratif, disons. Donc t'en fais pas, tu fais pas peur aux gens, sinon ils seraient pas venus comme tu dis, mais peut-être que oui une petite dame de un mètre soixante pourrait les aider à être plus sincère que si c'est leur grand président, boxeur et protecteur.

Elle était honnête jusqu'au bout, qu'est-ce qu'elle craignait de toute façon ? De le vexer ? Ce grand dadet là ?

On ne peut pas dire que ce petit-déjeuner fut, disons, conventionnel. Clairement, Blossom ne s’attendait pas à devoir discute de la perception profonde et supposée des futurs membres du Conseil de leur président. Puis, surtout, elle doutait de l’utilité d’une telle conversation, à part pour que Nathan puisse connaître l’opinion propre de Blossom sur lui. Evidemment, elle le trouvait intimidant. Il y avait une nuance importante à saisir : elle le trouvait intimidant, mais elle n’était pas spécialement intimidée. C’est juste que, objectivement, le garçon à la haute taille et au verbe maigre ce n’était pas exactement son type lorsqu’il s’agissait de confier ses problèmes et elle estimait ça primordial au sein d’un Conseil. Car, que Nathan arrive à pousser ses conseillers à la confession c’était une chose, mais les élèves qui rencontraient des difficultés, du harcèlement, des menaces, auraient-ils le courage de faire face à cette montagne pour tout déballer ? S’agissant de jeunes garçons, parviendraient-ils à mettre suffisamment leur fierté de côté pour confier à un autre homme, athlétique de surcroît, qu’ils en venaient aux larmes tellement on les tourmentait ? C’est aussi sur ce point que Blossom s’estimait plus à-même de représenter l’oreille du Conseil, celle, entre autre, vers qui on se tourne.

Après, de là à dire que Nathan prit cette réflexion personnellement, ne serait-ce qu’un peu, il n’y avait qu’un pas. Il précisa avoir « une longueur d’avance » sur Blossom, ce qui évidemment titilla sa fibre compétitrice. Nathan aurait même pu repérer un léger froncement de sourcil, comme si ce basculement la rendait tout autant curieuse que contrariée. Un basculement qu’elle était seule à se figurer, bien entendu, mais on dit toujours que dire quelque chose c’est produire deux messages : celui qu’on veut faire passer et celui que la personne comprend. Finissant de grignoter son petit-déjeuner, Blossom avala un grand verre de jus de fruits avant de rétorquer.

- Hm, je te souhaite qu’ils n’aient aucun mal à se confier, bien entendu, je dis juste que au cas où, on verra bien, peut-être que je pourrais capter des choses qui t’échappent, ce qui ne sera pas plus mal pour nous tous.

Voilà, comme ça c’était spécifié, elle aurait la conscience plus tranquille d’avoir établi que, non, son but n’était pas de gagner de l’avance, elle. Un peu mesquine, la jeune femme. L’esprit tranquillisé, elle put aborder avec plus de sérénité la nouvelle question posée par Nathan. Elle aurait aimé l’interrompre, en s’excusant, mais ça faisait vraiment interrogatoire ! Et il estimait que les gens n’auraient aucun mal à se confier à l’œil de Moscou, pardon, de Sofia ? Certes, elle restait focus sur cette assertion, quand bien même elle se convainquait du contraire, mais c’était vexant aussi ! Mais bref, elle écouta quand même la question de Nathan, prête à y répondre avec toute la sincérité qui était la sienne. Elle joignit les mains sur la table, comme si elle menait d’âpres négociations pour son entreprise, et afficha un sourire confiant, lumineux.

- Hm, je dirais que j’attendais encore un peu avant de me lancer dans la présidence. L’année prochaine sera celle des ASPICS, donc jamais je n’aurai imaginé me lancer dans cette aventure, et puis peut-être attendre d’être plus âgée aussi. Je ne pense pas que les élèves accorderaient leur confiance à une gamine à peine majeure pour présider le Conseil, peu importe sa compétence, ou alors il faudrait qu’elle ait déjà fait ses preuves et c’est pour ça que j’ai accepté, entre autre.

Encore une fois elle était terriblement factuelle, assumant sans chichis ses ambitions, ses opinions sur leurs camarades, sa stratégie « électorale » future, en bref qui elle était et ses méthodes.

- Le jour où je ferais ma propre liste, les gens me connaîtront déjà de celle-ci, m’auront déjà vu occuper une haute responsabilité et sauront que je suis fiable, à l’écoute, compétente, etc. Son sourire était presque… inquiétant, tant il émanait d’elle une confiance absolue en elle-même. Et sinon, pour quelles autres raisons j’ai accepté… Je pense que ça me plaira bien, ça me challengera aussi, vu que j’aurai les ASPICS en parallèle comme je t’ai dit, et puis j’aurai mes sœurs avec moi, ce sera sympa. Et les autres que tu as trouvé sont tous charmants et très motivés ! Non, franchement, ça s’annonce très bien !

Elle comptait bien démontrer, cette année, tout ce dont elle était capable. Elle co-présiderait ce Conseil avec brio, répondrait à toutes les difficultés, rassurerait ses conseillers autant qu’il le faudrait et obtiendrait, par-dessus le marché, une mention à ses ASPICS. Elle ne tolérerait pas moins que ça.

Même sans connaître son don, Blossom aurait pu décrire Nathan comme empathique, dans le premier sens du terme. Il avait une vision de ce qui l'entourait très clairvoyante, le monde lui était ouvert pas seulement à cause de sa condition, mais bel et bien aussi par certains mécanismes de sa pensée et certaines de ses valeurs morales. Des choses que Blossom ne pouvait soupçonner derrière cette apparence un peu brute, en tout cas froide comme de la pierre, mais qu'elle se plaisait à découvrir, en même temps que ça complexifiait le portrait qu'elle se faisait de Nathan et les personnes complexes donnaient souvent du fil à retordre.

On ne pouvait pas dire qu'elle, de son côté, n'avait aucune empathie, mais elle se déployait bien plus volontiers pour les personnes qui lui étaient proches. Au fur et à mesure qu'elle avait côtoyé Percy, par exemple, elle avait découvert ses particularités qui nécessitaient qu'elle agisse d'une certaine manière, ou qui expliquaient certaines réactions de son petit-ami, mais ça ne s'était pas fait tout de suite et, en attendant qu'elle en sache suffisamment, beaucoup de choses importantes pouvaient lui passer au-dessus de la tête et, parfois, tuer dans l'oeuf certaines relations ou même lui causer des ennuis. Elle aimerait travailler là-dessus, ne serait-ce que pour s'éviter des problèmes, et sûrement que fréquenter Nathan pourrait grandement l'y aider.

Dans tous les cas, le voir ainsi aborder les problèmes du premier cycle, souhaiter inclure à ce point ces élèves dans le Conseil, c'était plus que louable et Blossom salua cette initiative d'un sincère hochement de tête alors qu'elle sirotait la dernière tasse de thé qui lui était disponible. Il était rendu froid, à ce stade, mais ce n'était pas désagréable non plus. Au moins elle n'avait plus cette étrange sensation provoquée par le goût à la fois mentholé et chaud, parfois des plus perturbants.

- Franchement, là j'avoue être sincèrement impressionnée. Tu le dis toi-même, peu d'élèves des cycles supérieurs se préoccupent des problèmes du premier cycle alors que, ne nous mentons pas, l'adolescence qu'on traverse tous à cette période rend les rapports humains... compliqués. Je pense qu'avoir des jeunes dans le Conseil les feront se sentir représentés, surtout si on parle des émotions, tout ça, non vraiment le projet est d'une infinie cohérence, ça m'épate. Ça m'émeut aussi.

C'était une sorte de blague. Elle n'allait pas verser une larme, mais sûrement que si elle avait eu ce Conseil lorsqu'elle était dans les premières années, avec ses sœurs, certains chagrins, certaines angoisses, certaines crises seraient passées bien plus facilement. Elle qui ne faisait que parler de ses ambitions depuis le début du repas, la voilà prise d'un sentiment d'accomplissement anticipé, s'imaginant aider de pauvres jeunes camarades à braver les mille ennuis traversés durant les premières années à Ilukaan.

- Je ne me fais aucun souci là-dessus, et puis ça va je ne vais pas bâtir ma vie autour de ma réputation à l'école, j'ai un avenir une fois diplômée d'ici, enfin... je l'espère.

Blossom gloussa, n'ayant aucun véritable doute à ce sujet, à part les éternels qui étreignent même les plus motivés au creux de nuits d'insomnie, mais ça ne lui arrivait pratiquement pas. Toujours est-il qu'elle terminait bon an mal an les viennoiseries commandées, bien trop nombreuses, et qu'elle ne désirait plus que se jeter dans la piscine pour se rafraîchir et faire de bonnes brasses vivifiantes. De toute façon, ce n'était là qu'un rendez-vous informel n'ayant pas pour but d'en tirer une quelconque directive, plutôt de savoir si le futur président et sa future vice-présidente étaient sur la même longueur d'onde ce qui semblait être le cas. Nathan ne semblait pas méchant, juste sûr de lui et Blossom serait la dernière à pouvoir lui jeter la pierre à ce sujet. Ils étaient faits du même bois, Nathan avait juste reçu... plus de bois à la naissance, vu sa carrure.

- Je vais te laisser, mon cher président, je meurs d'envie de me rafraîchir. Après, si tu veux qu'on poursuive la conversation dans la piscine, ne te gêne pas pour m'accompagner. Percy me fera sûrement de gros yeux, mais bon, ce n'est pas mon problème.

La jalousie de Percy était... agaçante, dans le pire des cas. Blossom n'avait pas la moindre envie de guider son petit-ami vers la voie de l'apaisement et de la paix intérieure, de la confiance en l'être humain, en sa moitié et en soi-même. Ce chemin, il devrait le trouver seul, mais ce n'était qu'une question de temps. De toute manière, elle le recadrait volontiers en cas d'excès et il n'osait jamais franchir la ligne, c'était donc véritablement plus agaçant qu'un réel problème. La jeune femme se leva de son siège et arrangea son sac pour y trouver de quoi se payer ce royal petit-déjeuner.

- En tout cas, selon ce que tu voudras faire, je te dis à plus tard ! Merci pour ce rendez-vous, c'était sympa, et j'ai hâte qu'on remporte cette campagne. Je n'aimerai pas passer à côté de l'opportunité de travailler avec toi pendant un an !

Une flatterie accompagnée d'un sourire désarmant alors qu'elle accrochait la hanse de son sac à son épaule et qu'elle prenait la direction de la caisse tenue par une jeune femme voilée au regard clair. Le pas de Blossom était léger, comme si on lui avait retiré un poids des épaules, ce qui était un peu le cas. Vu le portrait de Nathan dessiné par Mateus, elle anticipait un peu de faire face à une sorte de golgoth sans peur et bourré de reproches, mais ce ne fut pas le cas, ce qui la rassurait au dernier degré.