La soirée avançait et avec elle montaient les lumières et les bruits de la ville. Les grandes artères se disputaient les étudiants et fêtards, leurs enseignes clinquant de milles couleurs comme des grandes fleurs criardes souhaitant attirer les insectes. En deça, vivait un autre monde de brumes et de petites ruelles, des petites alcôves camouflées dans la ville.

Sur les prunelles noires du samouraï errant vivait l'image du monde flottant. Et alors qu'il traversait de la lumière à l'ombre, il emportait dans le royaume de ténèbres un peu du panache de ce monde de fêtes. Giyu aimait le calme, pesant moins sur ses méninges et fuyait la folle foule. Il connaissait son chemin, car son pas était décidé. Sans hésitation aucune, il pénétra dans un petit restaurant dont l'enseigne défraichie ne payait pas de mine.

Le Ryugu-jo est un restaurant qui tenait à Bloombury  grâce à l'afflux important des élèves venus du pays du Soleil Levant. L'intérieur évoquait un restaurant traditionnel, un sol de tatami,des portes coulissantes en papier, tout y était propre. On en voyait rien de l'extérieur, les vitres étant totalement opaques. Sur les murs dansaient, enfermés sur leurs estampes, des dragons marins. Giyu fut accueilli par une femme en kimono qui le guida a une table isolée des autres par ces fameuses portes de papier.

Cet endroit avait été un refuge pour lui, plus d'une fois il s'était ressourcé en solitaire au coeur de cette forteresse de papier et de tatamis. Il connaissait toutes les aspérités de l'endroit et chaque employé était passé a l'analyse de son regard. On savait ici qui était le guerrier au bokuto, le vestige de l'ère Taisho. Il n'avait plus besoin de commander. Mais avant que le dragon des eaux ne gagne sa retraite il devina une silhouette à ses arrières.

Encore dans le vestibule, il arreta ses pas. Puis il se tourna, dans un mouvement de tissu ample coloré et de cheveux en bataille.  Contrairement a Kyojuro il ne surplombait pas, mais son regard pouvait percer, ou semblait percer les défenses de n'importe quel interlocuteur. Peut être était-ce un savant mélange de prestance et de sourcils froncés. Il n'était en fait que comme ces oiseaux faisant gonfler leurs plumes pour paraître impressionnants. Au fond, il ne voulait que maintenir la distance nécessaire, sans aucune envie de dominer sur son entourage. Le verbe rare, son expression économisait tout superflu ainsi il se contenta d'un :

"Quelle surprise. Tsuyuri"