Je vais vous raconter mon histoire, ce sera plus simple pour tout le monde. Je suis né en 1979 près de Metz, en France. Ma grand-mère côté paternel était japonaise, ainsi que ma grand-mère côté maternel, mais je ne parle pas un mot de cette langue et je ne souhaite pas l'apprendre. Si je précise cela c'est parce que, durant mes jeunes années, avoir un visage d'asiatique a été une source de moqueries, de harcèlement, de souffrance. C'est donc peut-être un défaut, mais j'ai fait le choix de ne jamais vouloir me relier à mes racines japonaises. J'ai aussi vécu dans la pauvreté. Le nord-est de la France, dans les années 80, était une région très pauvre, désindustrialisée, abandonnée et cela accentuait la monotonie de l'existence. Mes parents, autrefois dans l'automobile, ont fini par faire des besognes difficiles qui ont fragilisé leur santé. Je les ai donc perdus relativement tôt dans ma vie, durant ma vingtaine.

C'est à onze ans que j'ai appris mon destin de sorcier. Ce fut une période étrange de ma vie. Voyez-vous, j'ai toujours été un amateur de science-fiction, donc des univers avec de la magie, du surnaturel, j'en connaissais et j'en aimais, mais jamais j'aurai pensé que cela pouvait exister. J'étais déjà un peu trop rationnel, enfant. Toujours est-il que j'ai été inscrit à l'académie de Beauxbâtons et que j'ai découvert le monde des sorciers. Je ne cacherai que ce fut parfois difficile. Les nés-moldus sont mal considérés dans notre monde et si on ajoutait mes traits asiatiques j'étais souvent victime de brimades. Mais je ne repense pas à cette époque avec du dégoût ou de la souffrance, j'en retire le positif. J'ai rencontré des gens formidables, qui me défendaient et que je défendais aussi et nous avons taillé notre route. J'ai notamment rencontré « Eyes », c'est un surnom. On l'a appelé comme ça parce que j'avais une si mauvaise vue, à l'époque, qu'il devait tout le temps me montrer des choses que je n'avais pas vu sur le chemin, ou des détails chez les gens.

J'ai été plutôt bon durant mes études. J'ai fini par choisir le cursus pour devenir Auror, car c'est ce que moi et Eyes on voulait devenir. On était épris de justice, pas vraiment d'aventure. J'avais des bonnes notes en duel et en défense contre les forces du mal, d'excellentes notes en droit, en métamorphose, en sortilège et en potions. Je n'ai pas fini major de ma promo, mais suffisamment bien classé pour que l'on intègre la formation des Aurors. Trois années infernales, mais je m'étais accroché parce que le jeu en valait la chandelle. Être Auror c'était une distinction prestigieuse, et que je voulais mériter par mon travail. Je tenais le coup avec Eyes à mes côtés, et on a fini par être nommés Aurors en 1996.

La vie d'un Auror est à la fois plus contraignante et plus calme que ce que nous avions imaginé. En effet, nous étions perpétuellement sur la route, ou sous couverture, mais le métier était surtout constitué d'enquêtes longues, fastidieuses et de paperasse. Mais j'aimais ce métier et j'aimais le faire avec Eyes. On voyait du pays, on rencontrait la population sorcière, parfois moldue, et la paye me permettait d'entretenir ma Fiat 500 achetée neuve en 2008. Depuis je l'ai améliorée façon sleeper (ndlr : type de tuning où on augmente les performances en conservant une apparence de voiture ordinaire) en modifiant le moteur. Je la connais par cœur et elle atteint les 100km/h en seulement 13,5 secondes, autant que le modèle de Fiat 500X sorti dix ans plus tard, mais je m'égare.

Être Auror était, malgré tout, un métier dangereux. Je n'ai jamais été un amateur de danger, je n'ai pas choisi cette carrière pour l'adrénaline. Alors à chaque fois que l'on opérait une arrestation de mage noir, je couvrais souvent les arrières de mes collègues, ou bien je m'occupais d'inspecter les lieux pour trouver des complices ou des preuves. Mais une fois il a fallut que je fasse le sale boulot. Vous savez, depuis trente ans le ministère de la magie est beaucoup moins tolérant avec les mages noirs. Nous avons le droit, nous sommes même encouragés, à tuer les plus dangereux pour réduire leur capacité de nuisance à néant. Et ce jour-là, au fin fond d'une caverne des Alpes savoyardes, c'était ce genre de mage qu'il nous fallait combattre. Sauf que tout était obscur et mes lunettes s'embuaient régulièrement. Je m'étais assuré que nous n'étions pas en danger, avec Eyes, avant de les nettoyer une énième fois, puis il retentit, le « Avada Kedavra ». Je fus projeté contre le sol, hébété, terrifié, ne sachant pas ce qu'il s'était passé. Je me suis tourné vers mon acolyte qui se trouvait étendu sur le sol rocailleux de la grotte avec, se dirigeant vers moi, le mage noir qui venait de l'exécuter. Eyes était mort pour me protéger.

Son sacrifice m'a dévasté à l'époque, et encore aujourd'hui je l'admets. Le mage noir ? Je l'ai neutralisé, bien sûr, puis j'ai appelé des renforts pour sécuriser l'endroit et transporter le corps de mon ami en lieu sûr. Il s'était sacrifié pour moi et cette idée me répugnait profondément. Je ne voulais plus que cela se reproduise alors j'ai demandé à ma hiérarchie un long arrêt, prétextant une dépression à cause des événements de Savoie et, pour être honnête, je pense aujourd'hui que ce n'était pas un mensonge. Toujours est-il que je devais chercher une nouvelle activité, je ne pouvais plus être Auror, je ne le souhaitais plus.

Au bout de quelques mois j'ai quitté le bureau des Aurors et j'ai commencé à enseigner, donnant des cours particuliers en droit, en histoire et en défense contre les forces du mal aux jeunes sorciers. Je suis vite tombé amoureux de la profession, transmettant mon savoir et réceptionnant les remerciements des élèves et des parents, renforçant mon estime de moi-même après la mort de Eyes. Et c'est en 2022 que j'ai entendu parler d'Ilukaan, de l'affaire autour du directeur et de son geste d'aller en prison pour protéger ses élèves, refusant le recensement imposé par le gouvernement canadien. A cet instant, pour faire court, mon cerveau me força à renouer avec mes idéaux de justice abandonnés quatre ans plus tôt, mais la bonne nouvelle c'est que je pouvais reprendre le combat en restant enseignant.

Alors j'ai postulé à Ilukaan pour la rentrée 2022, entre-temps le directeur Leroy avait été libéré et son geste salué par de nombreuses personnes, moi y compris. Et j'ai été accepté au poste de professeur d'histoire de la magie, mon passé d'Auror ayant été un bonus, gage de ma fiabilité et de mes compétences compte-tenu de la formation intellectuelle que j'avais dû subir pour intégrer ce groupe prestigieux. S'ils savaient que j'estimais bien plus la carrière de professeur que celle d'Auror...

Me voilà donc à Bloombury, au Canada, accompagné de ma fidèle Fiat 500, dispensant mon savoir sur l'histoire de notre monde à de merveilleux élèves. Mais je n'oublie pas que, parmi eux, certains attendent les prochains conflits entre Vincent Leroy et le gouvernement pour stigmatiser ceux qui ne sont pas des sangs-purs, et j'ai déjà informé le directeur que je serais de son côté si de nouvelles décisions devraient être prises pour défendre les élèves. Je l'admire, pour dire toute la vérité, et je suis heureux de travailler sous sa direction.

Je suis Kim Kitsuragi, ancien Auror au Bureau de Paris, désormais professeur d'histoire de la magie à Ilukaan, au Canada, et à désormais quarantre-trois ans j'ai l'impression de commencer une nouvelle vie et c'est étrange.  

(c) Ilukaan