Je vais au bar avec une copine ce soir, dsl ^w^

Je travaille !! Je vous accompagnerai au karaoké la prochaine fois, promis <3

pas possible de vous rejoindre à l'Another Round, je suis au casino avec des potes :( tu serais dispo vendredi prochain ?

Ramuda Amemura était un menteur. Derrière son attitude amicale, ses habits colorés et sa démarche énergique se cachaient des secrets, de la honte, des peurs. Aucun de ses potes (connaissances ET véritables amis inclus) n'avait le droit de savoir où il irait véritablement en ce chaud samedi de mai. Non, il n'avait pas de rendez-vous au bar, il ne travaillait pas et était encore moins au casino : on l'attendait à l'hôpital pour lui donner un traitement médical. Ce sujet devait bien être le plus sensible aux yeux du Cervirald : dans un monde idéal, personne n'apprendrait jamais qu'il était malade. Cette merde hantait sa vie depuis si longtemps (16 ans cette année !) que c'était presque miraculeux que seule une personne à Ilukaan soit au courant. L'idée d'être traité comme une petite chose fragile par son entourage le dégoûtait tant qu'il trouvait que de mentir à tous en valait réellement la peine, même quand il devait sortir des excuses bidon qui tenaient avec de la ficelle et du scotch pour justifier ses absences impromptues. S'il allait tousser du sang toute sa courte vie parce que ses gènes en avaient décidé ainsi, soit, mais il le ferait sans être regardé avec pitié.

Il y a deux ans, ses anciens médicaments avaient commencé à perdre en efficacité et le Japonais avait eu un épisode grave, lors duquel ses poumons avaient subi tant de dommages qu'il avait dû être hospitalisé. Cette hospitalisation, qui s'était au final étendue sur plusieurs mois, l'avait mené aux États-Unis, auprès de spécialistes qui lui avaient offert un traitement expérimental. Génial, pas besoin de payer ! La meilleure nouvelle qui soit pour un garçon aux études dont les parents ne voulaient plus entendre parler. Par contre, même une fois de retour à l'école, il était attendu de lui qu'il participe aux recherches. Ainsi, non seulement avait-il des pilules pour calmer ses épisodes quotidiens, il devait à chaque mois se présenter à l'hôpital pour être examiné et recevoir une médication intraveineuse. Ces rendez-vous prenaient des plombes et le faisaient chier, mais, dans sa situation, pouvait-il jouer aux fines bouches ?

Y aller un week-end, par contre, ça n'avait jamais été dans ses plans. Problème étant, mercredi, l'infirmière qui devait s'occuper de lui avait dû s'absenter parce qu'elle était malade. Alors, il avait dû annuler ses VRAIS plans en prétextant avoir un devoir à rendre de toute urgence (encore une excuse différente, une chance que ses connaissances étaient rarement amies entre elles) et accepter que son samedi serait dévoué à la science. Ah, et à sa santé, aussi.

Ne tenant pas à être reconnu lors de son trajet, Ramuda ne s'était pas habillé avec autant de peps qu'à son habitude. Il s'était contenté de mettre sa veste turquoise préférée par-dessus un t-shirt blanc et des pantalons noirs. Une précaution qui n'avait au final pas servi parce que, bien sûr, il n'avait croisé aucun visage connu ni dans les rues de Bloombury, ni à l'accueil.

Il avait attendu quarante minutes dans une première salle d'attente avant de voir son pneumologue. Le médecin commença par prendre ses signes vitaux avant d'écouter sa respiration à l'aide d'un stéthoscope, que Ramuda trouva désagréablement froid (une motivation comme une autre pour bien obéir aux ordres et en finir au plus vite). Une fois ceci fait et le rapport mensuel de son état de santé rédigé, davantage en abréviations qu'en prose vu qu'un docteur l'a écrit, le jeune homme quitta la pièce et partit vers l'étage d'en haut, là où se trouvait le département des maladies d'origine magique.

Arrivé dans cette nouvelle pièce, il se laissa tomber une des nombreuses chaises en plastique vides et ouvrit immédiatement Hooter. Qu'avait-il de mieux à faire ? Pas ses devoirs, pas parler à des amis, ils le croyaient tout occupé. Il ne pouvait qu'attendre que l'infirmière surgisse et appelle son nom. Il serait transféré dans une autre salle, le tube serait attaché à son bras, et il passerait ENCORE une éternité à regarder les mouches voler. Puis, il retournerait à nouveau voir le pneumologue qui reprendrait ses signes vitaux, et on le laisserait finalement rentrer.

À chaque fois, c'était pareil. Une journée perdue, monotone, ennuyeuse.

Il ne se doutait pas qu'aujourd'hui lui réservait quelque chose de différent. De très différent.

Une interpellation. Sans faire un geste pour éteindre son téléphone, le Cervirald leva les yeux et tourna la tête pour voir son tout nouveau voisin de chaise, un jeune blond un peu plus grand que lui, aux iris bleus dénués de quelconque malice. Deux béquilles se trouvaient près de lui.

Bill Mill. Ramuda ne l'avait pas reconnu pas par sa voix, car ils n'avaient jamais eu l'occasion de discuter auparavant, mais par son visage. Pendant de nombreuses années, ils avaient été dans la même cohorte, après tout - jusqu'à temps que plusieurs mois cloué au lit d'un hôpital ne forcent le jeune Japonais à redoubler sa neuvième année. Qui plus est, les deux fréquentaient les fêtes, et les fêtards avaient tendance à connaître le nom de leurs compères.

En temps normal, Ramuda aurait remarqué l'aspect innocent, presque mignon de Bill, et lui aurait rendu la pareille. Sa tactique sociale était la même : jouer sur sa petite taille, ses joues rondes et roses, pour attiser la sympathie et paraître mignon. Pourtant, il ne fut pas attendri ni exaspéré par le sourire angélique de son tout nouveau camarade de salle d'attente, mais horrifié.  Son coeur se mis à battre fort dans sa poitrine, ses pupilles se dilatant. Au cours de sa scolarité entière, il n'avait jamais croisé qui que ce soit qu'il connaissait à l'hôpital, que ce soit à Shibuya, la préfecture où il a grandi et reçu son diagnostic, ou même à Bloombury. Après lui avoir échappé une enclume à la tête en lui donnant une maladie horrible qui lui assurait une existence pénible, le destin avait appliqué quelques cubes de glace sur l'hématome en s'assurant que cette information resterait un secret comme Ramuda le voulait depuis toujours. (Ou un presque-secret, mais personne ne peut cacher quoi que ce soit à Baset Velvet.)

En tout cas, jusqu'à aujourd'hui.

Ça prit une longue seconde avant que l'épouvante ne disparaisse des traits du Cervirald. Une fois son visage neutre et ses épaules à nouveau mobiles, il rangea son téléphone dans sa poche et revêtit son propre masque, celui d'une bonne humeur bien peu caractéristique d'un malade. Trop tard pour se cacher, et impossible de nier son identité - quelle idée de se balader avec une tête rose quand on voulait rester incognito ! - alors, pas le choix, Ramuda jouerait le jeu et converserait avec ce quasi-inconnu.

— Ramuda Amemura ! Il ponctua sa présentation rapide d'un clin d'oeil. Et toi, c'est Bill ! J'ai beaaaaaucoup entendu parler de toi. ~

Un innuendo, une phrase intentionnellement mystérieuse ou un peu des deux ? La dernière réponse. Bien sûr que, même au milieu de grand-mères tousseuses et de bambins qui avaient bouffé des champignons magiques (dans plusieurs sens du terme), une personne attachée aux apparences comme lui chercherait à maintenir son image de gars sympathique et aguicheur. Ramuda n'avait pas à simuler grand chose de toute manière, ce gars était plutôt beau gosse. Il fit exprès d'ignorer le regard désapprobateur d'une infirmière qui passait par-là.

— Yup ! J'en ai pour deux-trois heures au moins. Rendez-vous de routine, heureusement. Pas de légumes mous et de patates fades pour moi ce soir ! Ses yeux se posèrent sur les béquilles à côté de Bill et se plissèrent, presque félins. J'assume que toi aussi tu vas devoir  attendre un moment, et que c'est pour cette raison que tu as approché l'ami de ton ami de ton ami ? ~ Aujourd'hui est ton jour de chance ! Je m'ennuyais à en crever. Parlons, camarade.

Maintenant que la discussion était entamée, il n'y avait plus qu'une solution : la poursuivre. Il aviserait ce qu'il ferait à propos de Bill plus tard, selon ce qui se dirait dans les minutes suivantes. Pas que l'autre pouvait fuir, de toute manière, ce qui lui ouvrait moultes possibilités originales pour protéger un de ses plus grands secrets.