Assise sur son lit, Anqiu laissait défiler ses messages en silence.
Elle s'était enfermée dans une sorte de routine qui était certes confortable mais insupportable.

Se lever (aux alentours de sept heures, au son de son réveil), se laver (au milieu de tous les produits de sa salle de bains), se maquiller (avec soin, hors de question qu'elle sorte sans s'être apprêtée), aller en cours (parce qu'elle était là pour ça), grignoter (en faisant très attention, il ne faudrait pas qu'elle se laisse aller), travailler de son côté (tout de même, elle n'allait pas se tourner les pouces), vaquer aux activités des différents clubs (pour se changer les idées), retourner au dortoir et se reposer pour se préparer à la journée qui suivait.

Et c'était ça tous les jours.

Si en octobre, il y avait eu un peu d'activité de son côté, parce qu'au pays il y avait les élections pour désigner la nouvelle tête du Bureau des Affaires Occultes, que convoitait Chunlan pour un nouveau mandat, novembre l'enlisait.

Oh c'était une campagne intéressante. Sa tante avait été réélue de loin. Ses détracteurs avaient déclaré que c'était parce que sa politique d'éradication de la corruption des immortels, dont les familles étaient bien installées depuis des siècles aux mêmes sièges, avait pour but d'éliminer ses opposants de sang-pur pour les remplacer par des sang-mêlés ou pire, des nés-moldus.


Et elle avait vu, en retournant en Chine pour les vacances et en accompagnant Chunlan à une conférence de presse, les mines déconfites des immortels siégeant à la Mer Céleste, cela ne lui avait donné que plus envie de poursuivre ses ambitions et siéger à son tour à la tête de l'autorité magique de l'Empire du Milieu.

Mais pour l'heure... Elle devait poursuivre ses études et exceller dans ses cours. La Hangzhounaise devait se montrer à la hauteur des espoirs qui reposaient sur ses épaules minces.

Cela l'empêchait de trop réfléchir, de penser à ses échecs, bien trop nombreux à son goût.
De songer à Alexei alors qu'elle avait encore cette édition russe de Guerre et Paix de Tolstoï qu'il lui avait offerte sur son chevet, de sa défaite aux élections du Conseil des Elèves, alors qu'elle était si proche de la victoire, à une voix près...

Non, elle ne devait pas songer à tout ça, mais les pensées intrusives du genre la hantaient, la dévoraient, raréfiaient son appétit, déjà bien petit.
Si Anqiu était souvent toute de blanc vêtue, il lui semblait qu'une masse noire la suivait au quotidien, assombrissait son portrait qui paraissait pourtant lumineux aux yeux des autres.

Pour beaucoup, Anqiu n'avait pas de quoi être plainte. Elle était jolie, intelligente, avait de très bons résultats scolaires, était issue d'une bonne famille - dans le monde moldu -, avait un grand confort matériel... Qu'est-ce qui pouvait ne pas aller ?


Oh c'était sans doute ça, d'avoir un excès de Yin.
Ressembler à un esprit et attirer ceux plus malveillants.
Il faut dire que son allure ne donnait pas l'impression qu'elle pouvait résister à une ombre capable de la dévorer. La fille Zheng était si menue... Elle ferait une bien piètre pitance aux démons tapis dans l'obscurité...
Mais un met de choix, gastronomique, délicat, dont on se délecte plus par l'amour du goût que par volonté de se rassasier.

Ses amis avaient raison de s'inquiéter pour elle.


Une notification la tira de ses pensées et elle avisa le large écran de son téléphone portable.
Son colis était arrivé et l'attendait à l'entrée du dortoir de sa maison.
La princesse rouge se leva immédiatement, ses vêtements amples flottaient autour d'elle alors qu'elle descendit les escaliers pour réceptionner sa commande. Anqiu était vêtue comme quelqu'un qui resterait dans sa chambre mais gardait quand même un maquillage léger sur le visage.
Quelque chose de discret, qui lui donnait bonne mine, afin que personne ne s'enhardisse à poser des questions sur son état.

En tant que présidente du club des Amateurs de Thé, elle devait bien proposer à ses membres et aux intrigués des crus de la meilleure qualité possible...
Et cela impliquait le propre commerce de sa famille. Il n'y avait aucun mal à ça, non ? Ils étaient bien reconnus dans le monde entier.

Bien entendu, elle ne pensa pas à prendre sa baguette, contrairement à son téléphone portable. Il fallait dire que quand on était né, comme elle, dans un environnement non-magique, on manquait de certains réflexes du genre.


Elle marchait dans les couloirs d'un pas vif et traversa la salle commune comme un courant d'air, laissant derrière elle son parfum vaporeux mêlant thé, fleurs de pêcher et soie.


La jeune femme ouvrit la porte et observa le paquet bien large, portant son nom et le sceau de l'entreprise familiale, et le mogui qui le livrait.
Elle signa prestement le document qu'il lui tendit avant de disparaître dès que le stylo se releva du papier.

Anqiu chercha sa baguette dans ses cheveux ou à sa taille avant de pester.

En effet, elle l'avait oubliée dans sa chambre.

Et hors de question de laisser le colis sans surveillance. La marchandise était bien trop précieuse et elle ne pouvait pas la monter jusqu'à sa chambre sans avoir vérifié que tout était à sa place.

Une paume délicatement posée sur la boîte, Anqiu avisa les environs.

Evidemment, c'était désert...

... Ou presque.

Il lui sembla discerner une tête blonde assise à une table.

« Le blondinet assis ! Excuse-moi ! »

Sa voix était douce, claire, portant les accents du Jiangnan. N'importe quelle aide était la bienvenue et elle n'allait pas attendre longtemps pour qu'un grand gaillard musclé court à son secours.

« Un peu d'aide pour une demoiselle en détresse ? »

Hasarda-t-elle, non sans une pointe d'ironie.

En voulant se faire mieux voir et garantir une réponse positive du blondinet qu’elle avait hélé, Anqiu esquissa son plus beau sourire, ses fossettes creusant immédiatement ses joues, formant deux points bien caractéristiques sur les surfaces blanches et lisses.

La cadette Zheng était jolie.
Elle était jolie et elle le savait. On le lui répétait depuis tant d’années que cela était entré dans son esprit et qu’elle en avait bien pris conscience.
Plus encore, elle faisait bien exprès de jouer dessus pour s’attirer des faveurs quand les circonstances étaient propices, et ça fonctionnait. Elle avait hérité de la beauté piquante des femmes du pays de Shu, dans les montagnes embrumées de l’Ouest de la Chine, et de la douceur apparente qui caractérisait celles originaires du Jiangnan, vivant leur vie au gré du Lac de l’Ouest et de ses affluents.

Bien qu’elle passait inaperçue quand on la croisait, après tout, les goûts et les couleurs ne se discutaient pas, il arrivait que l’on se retourne pour mieux l’observer.
Après tout, elle correspondait aux critères de beauté de son pays, et jouait de ça, pourquoi s’en priver ?
De longs cheveux sombres qui mettaient en valeur un visage aux traits doux en théorie, vite contrebalancés par un regard malicieux, difficile à cerner et qui déstabilisait par ses iris sombres, deux puits noirs, profonds, et un sourire froid, distant.

Elle n’était pas si différente du serpent duquel on la rapprochait pour la critiquer. Loin de s’en offusquer, elle embrassait cette métaphore. N’avait-on pas peur d’un tel animal pour son venin ? Si cela pouvait empêcher qu’on l’approche et que l’on arrive à la cerner…

C’était sans doute le mieux.



Et bingo, Anqiu avait réussi son coup. La Chinoise avait déjà entendu parler de lui.
Agatsuma Zenitsu, cinquième année, de la même maison qu’elle. Connu pour être un pleutre pleurnichard pour beaucoup, mais serviable et poli malgré tout, surtout auprès de la gente féminine.

Elle avait donc fait la bonne pioche.

Ses lèvres rouges s’étirèrent davantage en un sourire le plus agréable qui soit.

« J’ai malheureusement oublié ma baguette dans ma chambre par étourderie, est-ce que tu pourrais m’aider à rentrer ce carton, au moins vers les canapés ? »

Sa voix claire énonça les faits sans la moindre hésitation, agrémentée d’un léger rire cristallin, amusé qu’elle cacha par fausse gêne, comme si elle était embarrassée à l’idée de demander l’assistance d’autrui pour un service.


Il n’en était rien. Elle n’hésitait pas à le faire quand l’occasion se présentait. Fort heureusement pour elle, elle avait un joli minois et dans beaucoup de situations, il suffisait de battre des cils et de minauder pour que ses désirs soient des ordres.

Après, la princesse rouge était loin d’abuser de ce pouvoir que lui conférait ses atouts physiques. Il s’agissait de faire preuve de parcimonie et d’être redevable, dans la mesure du possible.

Souvent, il suffisait juste d’un clin d'œil et d’une déclaration de reconnaissance éternelle - simplement montrer qu’elle reconnaissait la personne en face, ou qu’elle avait entendu parler de celle-ci suffisait amplement -, parfois, d’un échange de bons procédés, un petit service rendu en retour, une aide quelconque, aux devoirs par exemple - une chance que la Hangzhounaise était bonne élève ! -, ou un ballotin de thé.

Ce n’était pas grand chose, un rien qu’elle pouvait bien donner en retour.


Quand la tâche était plus importante, elle songeait à donner un peu plus de sa personne. Mais ces cas étaient rares et elle faisait en sorte de les éviter le plus possible.

« Bien entendu, je saurais te rendre la pareille, Zenitsu ! »

Anqiu ferma les yeux d’un air jovial, ses mains jointes derrière son dos, et la tête penchée sur le côté. Cela faisait toujours quelque chose quand le prénom de l’autre était évoqué, ça permettait de personnaliser la demande, comme si celle-ci n’était pas adressée à n’importe qui (alors qu’elle aurait demandé à n’importe quel étudiant plus grand et fort qu’elle présent à ce moment).
Elle paraissait presque ingénue de la sorte.

Presque.


Toutefois, malgré tous les torts qu’on lui attribuait… Anqiu était loin d’être une mauvaise personne.
Certes, elle profitait des qualités des autres qu’elle n’avait pas, néanmoins, ce n’était pas sans retour. Tout travail méritait juste paiement, quelle qu’en soit la nature, et étant fille de commerçants, la Chinoise le savait très bien et appliquait tout de même cette maxime au quotidien, l’Univers en était témoin.
N’avait-elle pas été élevée correctement par sa famille ? Eux-mêmes n’étaient pas intrinsèquement de mauvaises personnes. Son gege était si bon avec autrui, affable et doux…
Alors qu’elle était remplie de venin.

Et pourtant, elle ne s’attaquait pas de manière gratuite aux autres, elle ne faisait pas preuve de pure méchanceté pour le fait d’être méchante ou par volonté de se défouler.
Elle avait bien remarqué que Zenitsu semblait si prompt à vouloir l’aider, elle se souviendrait de ça.

Sans doute à l’avenir sera-t-il fourré dans un pétrin quelconque, alors là elle pourra lui venir en aide. C’était la moindre des choses, et un juste retour, comme l’exigeait le karma bouddhique.
Guan Yin pouvait être fière d’elle.


Anqiu n’était pas parfaite, son cœur était bien sombre, en témoignait la réputation qu’elle avait auprès de bon nombre d’élèves et les actions qu’elle entreprenait. La course à la présidence du Conseil n’avait rien arrangé. Après tout, ne pensait-elle pas que la fin justifiait les moyens ? La vipère n’avait aucune pitié pour ses ennemis, usait de son venin alors qu’ils avaient le dos tourné.

Et la demoiselle en était bien consciente, voilà le pire pour beaucoup.
À ses yeux, elle se rapprochait davantage d’un démon que d’une bénévolente déesse.

« Hm, hm ! C'est ça oui ! »

Répondit-elle, sans se départir de son sourire et joignant ses mains blanches, fines et parfaitement manucurées dans un geste enthousiaste pendant qu'elle ferma les yeux dans une expression plus que ravie.

Elle avait ouï dire que ce blondinet était proche de Shinobu Kochô, avec qui elle avait discuté à quelques reprises et avec qui elle partageait quelques similarités indéniables... Tant par leur physique menu, bien qu'Anqiu avait des formes moins avantageuses que la potionniste, et semblant constamment illuné, comme si toutes deux étaient des fées venues de l'astre de la nuit, que mentalement.
Les deux demoiselles étaient sans nul doute bien difficiles à cerner derrière un sourire affable...
Mais beaucoup plus d'individus étaient effrayés par des serpents que des papillons... Alors qu'il existait des couleuvres dotées d'aucun venin et des lépidoptères dont le poison pouvait s'avérer fatal.
Laquelle des deux étudiantes était la plus dangereuse ? C'était difficile à dire.

« Je t'en suis très reconnaissante, mon petit Zenitsu ! »

Cela ne demandait pas beaucoup d'efforts pour un adolescent de sa carrure, alors que pour une demoiselle telle qu'Anqiu, c'était sans doute mission impossible. La nature était impitoyable à distribuer les qualités physiques de manière si aléatoire à chacun.


Oh Anqiu enviait parfois les physiques des autres, sans tomber dans la jalousie extrême et tout en restant assez assurée de ses propres prouesses.
Néanmoins...
Il arrivait qu'en observant Aynur par exemple, une de ses meilleures amies au pays, elle se perde dans ses pensées en l'écoutant parler de tout et de rien si les deux jeunes filles étaient amenées à se retrouver face à face au restaurant.
Anqiu pensait sans mal que les traits eurasiens de la demoiselle en faisaient une réelle beauté, peut-être exotique même, ce qui n'était pas compliqué du point de vue d'une Han, issue d'une famille de Han, qui avait vécu dans des lieux où il n'y avait pas une grande diversité culturelle.
Elle admirait ses grands yeux noisette et constamment anoblis d'un éclat rieur, clairs, d'un brun ambré moucheté de vert, alors que les siens étaient si sombres...
Son corps tonique, musclé, plus grand que le sien, capable de soulever de grandes charges grâce au renfort constant qu'elle apportait au restaurant familial.
Sa bouche souriante, candide, sincère, qui inspirait la confiance à quiconque se trouvait en face...

Le physique d'Aynur attirait la sympathie, et c'était le cas de plusieurs autres personnes au sein de l'école.
Et la Hangzhounaise admirait ce simple fait, de savoir mettre les autres en confiance sans effort et grâce à ses traits.


Anqiu ne rougissait pas d'être assimilée à un serpent, après tout, c'était un animal noble, quoique décrié dans la plupart des cultures du monde, à cause de son venin, redoutable parfois, mortel.

Néanmoins, elle savait son apparence froide, suscitant malaise et maladresse auprès de ses interlocuteurs, sans que ces derniers ne sachent pourquoi...
Alors elle enrobait ses paroles de sucre et de mièvreries, dans l'espoir que cela arrange les choses, sans toutefois chercher à arranger les choses en rendant les relations plus profondes et en y mettant de sa personne.

L'Ursirre n'était pas foncièrement une personne malveillante, bien au contraire. Ses proches la qualifiaient sans mal de "adorable"...
Mais la superficialité des rapports avec les autres lui convenait parfaitement. Elle avait eu bien assez de mauvaises expériences pour se méfier d'autrui, qu'il s'agisse au niveau amical qu'amoureux.

Les enfants d'Immortels briguant les hautes-sphères du système politique du Pays du Milieu lui avaient donné une leçon douloureuse mais qui resterait gravée en elle, comme si cela avait été fait au fer rouge.

Jeune, il avait été facile de l'approcher et de profiter de sa naïveté et de sa méconnaissance du monde magique pour lui faire avaler bien des couleuvres. Après tout, elle n'était à l'époque qu'une petite grenouille au fond d'un puit, que connaissait-elle du monde ? Sa conception avait bien été chamboulée quand ses pouvoirs se sont révélés au grand jour. À cette époque, Anqiu portait un sourire lumineux, sincère, doux, quoique timide, et était bien prompte à accepter tout ce que l'on lui demandait, fût-ce même des tâches ingrates, voire dangereuses. Elle se disait même que sa tante devait exagérer dans ses politiques, il n'y avait pas de quoi se méfier de ces grands noms établis depuis des siècles dans le paysage magique chinois.


Comment pouvait-elle savoir qu'elle se retrouverait acculée, dans une impasse ? Elle se pensait entre deux mondes. Celui des moldus semblait se méfier d'elle par ses pouvoirs, ou être indifférent par sa condition de fille cadette, bien que de bonne famille, et celui sorcier au sein duquel on la ramenait constamment à la condition de son sang et de son héritage inconnu au bataillon.
Le nom de sa tante, Huang Chunlan, était bien trop récent pour compter alors que les autres familles avaient des millénaires d'histoire derrière elles et des personnages illustres dans leur arbre généalogique, dont elles pouvaient se vanter.


Dans l'espoir de s'être fait des amis, dans ce monde nouveau et que ce dernier l'accepte, elle avait sauté à pieds joints dans les pièges qui avaient été tendus, sans les voir à cause de sa grande naïveté...


Pour finalement se retrouver empêtrée dans ceux-ci, à demander de l'aide sans que quelconque réponde à son appel.

Alors, en larmes, amère d'avoir été trahie aussi grossièrement, Anqiu se jura que jamais plus on ne se jouerait d'elle de la sorte, qu'elle rendrait la pareille à chacun de ces individus dont elle a retenu les visages, les noms, les sagas familiales.


L'enfant qu'elle était embrassa la cause défendue avec ardeur par la soeur de sa mère. Un jour, chacune de ces personnes, et leur famille, paieraient pour le mal qu'elles avaient fait.
Et l'Univers devait bien être au fait de ces exactions.
Une lutte passive-agressive s'installa au sein de la jeunesse dorée ambitionnant le Bureau des Affaires Occulte. La princesse rouge luttait contre les héritiers de cette oligarchie plurimillénaire, qui avait su rester stable malgré les changements qu'avait connu le Pays du Milieu dans le monde non magique. Ses guerres, ses révolutions et ses luttes pour le pouvoir... La sphère magique chinoise semblait en avoir été préservée pendant tout ce temps, restant un peu à l'écart du régime socialiste depuis son accession au pouvoir.
Mais l'héritière Zheng avait appris de l'histoire moldue. Elle ferait en sorte de bousculer ces fondations bien établies depuis des siècles... Lesquelles étaient bien vieilles et pourries malgré leur aspect attrayant.


La douce et hésitante Anqiu était devenue vindicative et fourbe. Elle avait adopté les mêmes armes que ses ennemis, et il était bien malavisé de se la mettre à dos, chaque personne l'ayant croisée avait un discours la concernant qui partait dans ce sens...

Et la course à la présidence du Conseil des Elèves avait été pour elle une pillule extrêmement difficile à avaler, alors qu'elle s'était efforcée de jouer dans les règles alors qu'en face...
Entre les condamnations publiques, impertinentes et insensées d'une partie de son programme aux yeux de tous sur les groupes de discussion en ligne, le non-respect du règlement en faisant preuve de violence envers un étudiant au cours des vacances d'été et d'autres actions qui lui semblaient fort répréhensibles... Anqiu avait encore un goût amer en bouche et regrettait d'avoir assoupli sa prise dans un semblant de fair-play au lieu de prendre les mesures nécessaires pour retourner la situation.

Elle avait retenu la leçon et pour briguer le Bureau des Affaires Occultes, elle serait violente et véhémente... Comme elle ne l'avait jamais été jusque-là.
Comme un boa, elle ne lâcherait rien sitôt qu'elle aurait une prise, même infime.
Anqiu continuerait de la garder jusqu'à ce qu'elle soit assurée qu'il n'y avait aucune marche arrière possible.


Les yeux noir d'encre de la demoiselle scrutèrent chaque mouvement du blondinet alors qu'il s'attelait à ce qu'elle lui avait gracieusement demandé avant de déclarer, toujours de son ton clair et enjoué :

« Tu es une bonne personne ! »

Aussi mauvaise pouvait-elle être, selon les circonstances, Anqiu ne faisait rien gratuitement.
Ses ennemis l'avaient cherchée, avec les autres, elle faisait preuve de sincérité malgré une retenue indéniable.

Et c'était le cas avec Zenitsu à cet instant précis.


Néanmoins, sans doute ne devait-elle pas trop l'encourager alors qu'il portait sa précieuse marchandise dans ses bras... De ce qu'elle avait entendu, il s'enflammait bien vite quand une représentante du beau sexe l'encourageait ou lui parlait...

Oh, il serait regrettable qu'il trébuche sur quelque obstacle parce qu'il manquait d'attention à cause des paroles d'Anqiu...

Déjà que le jeune homme ne pouvait pas voir grand chose sur son chemin.

Elle ne demandait pas la lune non plus... Simplement de l'aide parce qu'elle était petite et frêle, encore plus sous le coup de son excès de Yin…


Les plus observateurs auront pu remarquer qu’Anqiu était devenue plus pâle au fil des jours, bien qu’elle réussisse à masquer sa blancheur avec bien de l'habileté, elle s’y connaissait bien en maquillage après tout. Ce n’est pas sorcier de se donner un peu plus de vie avec des pigments et de manière naturelle.

Elle souriait comme si de rien n’était et faisait sa vie sans que l’on se soucie de son état.
En revanche, quand le soir venait et qu’elle retirait les artifices, elle se retrouvait face à son reflet blafard, duquel ne faisait que ressortir davantage le noir de ses grands yeux.

Son visage triangulaire, ses traits fins et inacessibles… Plus les jours passaient, plus elle se disait qu’elle ressemblait à une vipère. Elle donnerait presque raison à ses détracteurs.

Ce jour-là, parce qu’elle restait dans sa chambre, elle s’était résolue à porter moins de maquillage qu’elle ne le faisait quand elle sortait. Elle avait simplement mis le minimum, qui pouvait donner un peu de lumière dans son minois.


À cette apparence de plus en plus ophidienne s’ajoutèrent une fraîcheur corporelle plus accentuée, comme si son sang était froid, une plus grande sensibilité à la magie (et la sienne était certes devenue un peu plus puissante qu’autrefois, mais aussi plus instable), à l’humidité et aux basses températures.
La Hangzhounaise s’était donc tournée vers la médecine traditionnelle chinoise pour soulager ses maux.


Mais ça, il n’y avait que ses proches qui pouvaient voir une différence, que la demoiselle n’était pas en grande forme. Zenitsu, face à elle, ne la connaissait pas assez pour se dire qu’il y avait quelque chose qui clochait, alors ça lui convenait parfaitement. Rares étaient ceux qui avaient percé la carapace de pierre derrière laquelle se réfugiait le serpent, petit, fin et vulnérable malgré son venin qu’il lui arrivait de cracher.

Anqiu souriait, imperturbable.

« Oh tu es si fort malgré ton jeune âge ! Quelle chance ! »

Ses paumes s’entrechoquèrent avec délicatesse et en rythme, composant un applaudissement délicat. En bon mélomane, Zenitsu ne pouvait qu’apprécier les sonorités qui émanaient de la Chinoise…


Tout en elle n’était qu’élégance et souplesse. C’était ainsi qu’on la voyait, au-delà de sa réputation contrastée.
Comme une créature éthérée des légendes chinoises.

La manière dont elle s’habillait parfois renforçait ce sentiment, tout comme ses mouvements au club de danse qu’elle affectionnait.

Concentrée dans ces moments, les voiles blancs flottaient autour d’elle comme la brume matinale du Lac de l’Ouest qui l’avait vue grandir, rendant le moindre de ses gestes difficile à cerner, mais fascinant par la grâce et la beauté.

Le serpent, quand il dansait, devenait aigrette, nuage ou nymphe.

« C’est gentil, merci ! »

Anqiu se rapproche du plus jeune quand il finit de déposer ses cartons, le pas léger et lui sourit, énigmatique.

« Je te suis redevable. Apprécies-tu le thé ? J’en ai de bonne facture, je peux te faire don d’un sachet pour te remercier. Ton moineau est très mignon, quelle est sa nourriture préférée ? »

Ses yeux se ferment dans une expression joviale tandis que ses commissures restent relevées.

« C’est une faveur que je ne fais pas à tout le monde, tu as de la chance ! »

Elle laisse échapper un gloussement doux.