It hurts so bad that I can't breathe

Les vacances touchaient à leur fin. Dans deux jours seulement, il serait l’heure de rentrer à Ilukaan et de reprendre un rythme de travail plus régulier. Ema avait clairement délaissé ses cours pendant cet été, chose qu’elle se reprochait beaucoup. Mais entre la course à la présidence, les différentes activités proposées, sa rencontre avec l’épouvantard qui l’avait complètement retournée, et sa mise en couple avec Yūta, elle n’avait pas eu le temps et ni la concentration pour avancer dans le programme de septième année. Mais ce n’était pas la fin du monde, elle redoublerait juste d’effort à la rentrée, espérant qu’il n’y aurait pas trop de diversions pour l’empêcher de faire son travail. Elle espérait juste que son nouveau poste de préfète ne lui prendrait pas tout son temps. Ce qui l’inquiétait le plus, c’était la réaction de son père s’il découvrait son manque d’investissement pendant l’été. Elle avait tout intérêt à ne rien laisser paraître, ni dans ces résultats, ni dans ces propos, la prochaine fois qu’elle aurait une conversation avec lui.

Perdue dans ces tristes pensées, Ema était assise sur le rebord de la fenêtre de sa chambre. Elle regardait le ciel dont les teintes changeaient à mesure que le soleil se couchait. C’était l’une des dernières fois qu’elle pourrait profiter de ce décor. Elle observait le paysage, afin de se rappeler du moindre petit détail. C’était un été qu’elle ne souhaitait pas oublier. Un été dont elle avait profité pleinement, pour la première fois depuis longtemps. Et même si les conséquences allaient se faire sentir, elle préférait graver cette vision dans son esprit. Il était rare que la jeune femme ne pensent pas à l’avenir. Cela faisait plusieurs années qu’on lui faisait comprendre que c’était le plus important, et qu’il fallait tout donner aujourd’hui, pour être heureuse plus tard. A force d’écouter son paternel, elle en avait oublié la vision de sa mère. Carpe Diem. C’était aussi parfois une bonne chose, de vivre au jour le jour.

Alors que son regard mélancolique scrutait les lieux, un détail, à première vue anodin, attira son attention. Assise au bord de l’étang, une jeune fille à la longue chevelure couleur ébène semblait, elle aussi, à la dérive, confrontée à ses propres démons. Ema reconnut immédiatement la nouvelle vice-présidente du conseil des élèves. Yumeko vivait une période difficile, et elle le savait pertinemment. Rien d’étonnant à la trouver à l’écart, la jeune Lupy avait sûrement besoin de calme et de solitude. Le tableau qu’elle observait était magnifique : le soleil se couchait, couvrant le ciel de nuances orangées. Celles-ci se reflétaient dans l’eau qui ondulait légèrement sous le vent. Au milieu de cette scène, un seul personnage, assis, contemplant la beauté qui se trouvait face à elle. Un tableau magnifique, certes, mais duquel émanait une certaine tristesse et une sombre morosité.

Ema hésita un instant. Devait-elle aller la rejoindre ? Son amie désirait sûrement ne pas être dérangée, rester seule. Yumeko était comme elle, elle n’aimait pas montrer ses faiblesses. Mais elle ne pouvait pas rester simple spectatrice, et observer de loin, alors qu’elle connaissait la peine qu’elle ressentait. Elle ne savait pas trop ce qu’elle comptait faire. Elle ignorait totalement comment la soutenir. Mais elle serait là aussi longtemps qu’on aurait besoin d’elle.

Elle réprima un douloureux soupir, se relevant du rebord de la fenêtre où elle était perchée. Ema se mit en route vers l’étendue d’eau. Elle n’était pas particulièrement pressée d’affronter ce qui l’attendait. Chaque fois que le sujet était évoqué, elle revivait sa propre histoire. Et elle finissait totalement bouleversée. Mais une voix en elle lui criait de ne pas laisser son amie affronter la mort de sa mère seule. Serait-elle capable de contenir sa propre peine pour le bien-être de Yumeko ?

Alors qu’elle arrivait à hauteur de son aînée, la jeune femme l’entendit. Yumeko pleurait. Doucement. Imperceptiblement. Se retrouvant confronté à la tristesse de son amie, le cœur d’Ema se serra. Elle s’approcha, d’un pas tout de même hésitant. Peut-être aurait-elle mieux fait de rester dans sa chambre, l’air de rien, à ruminer ses propres pensées. Si elle n’était pas la bienvenue, elle repartirait sans demander son reste. Au fond d’elle, elle aurait aimé ne pas être la bienvenue, elle aurait aimé se protéger de tout ce qui allait arriver. Mais puisqu’aucune contestation ne vint, Ema s’installa dans l’herbe, sans dire un mot. Après tout, que pouvait-elle bien dire ? Rien n’était suffisant à ses yeux. Aucun mot ne pourrait soulager la Lupy de sa peine. Ema n’aimait pas les condoléances. Elles lui paraissaient toujours un peu fausses, trop conventionnelles, même lorsqu’elles étaient sincères, honnêtes. Ça ne lui avait jamais apporté de réconfort, et elle ne voyait pas en quoi cela pouvait consoler quiconque.  

La rousse resta donc un instant assise, sans bouger, sans rien dire. Elle joua nerveusement avec ses doigts nerveusement pendant quelques secondes. Puis, elle vint délicatement passer un bras autour des épaules de Yumeko, et la serra contre elle. Son regard se perdit sur l’eau paisible, qui frémissait sous la brise légère. C’était presque apaisant malgré l’ambiance pesante qui régnait autour des deux jeunes femmes. Elles restèrent dans cette position quelques secondes, qui semblaient durer une éternité. Même si ce n’était pas grand chose, ce court moment lui sembla bien plus réconfortant que tous les mots du monde.

- Je suis là si tu as besoin de parler.

Elle avait dit cela à demi-mots, d’un ton qui se voulait sécurisant, et sa voix était d’une douceur inattendue malgré l’atmosphère maussade. C’était peut-être bête. C’était tellement banal qu’elle se demandait même pourquoi elle l’avait dit. Mais ces paroles étaient sincères, et Ema voulait réellement faire quelque chose pour aider Yumeko.

- Je sais qu’il n’y a pas grand chose que je puisse faire. Mais si en discuter te soulage, je suis prête à t’écouter.

Ema fouillait au fond de son cœur, pour trouver ce qu’elle pourrait bien ajouter. Mais la mort était généralement un sujet de conversation qu’elle évitait. Son amie était confrontée à la plus grande peur d’Ema. Que pouvait-elle donc bien faire face à ça ? Elle attendit donc en silence que Yumeko lui réponde.

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