Nagito avait été plutôt surpris d’apprendre qu’il avait un projet à rendre pour son cours de psychomagie. Il aurait pu se débrouiller seul avec, vraiment, mais on lui avait aussi précisé qu’il s’agissait d’un projet interdisciplinaire, et qu’on l’avait mis en groupe avec une certaine Diana Everton, en treizième année de cursus de droit. Il se demandait sincèrement ce que lui, un élève de dixième année débutant et misérable pourrait apporter au travail d’une telle personne. Il aurait surement pu poser la question à son professeur s’il n’avait pas séché ce jour-là. S’il avait été présent, il aurait aussi pu éviter la surprise du devoir. Hors de question d’admettre quoi que ce soit à voix haute cependant : la dernière chose dont il avait besoin était qu’Hajime lui tire les oreilles et le force à aller en cours.

Ce n’était pas comme si Nagito séchait régulièrement les cours. Une fois, de temps à autres. Il dirait peut-être une fois par mois. Il ne considérait pas ceci comme un absentéisme fréquent, bien que ses professeurs ne semblassent pas avoir la même opinion que lui. Tant pis. Ce n’est pas comme s’il cherchait à leur prouver quoi que ce soit de toutes façons. Quand on part du principe qu’on est un minable déchet, on ne travaille pas pour se montrer à la hauteur. Il préférait laisser ses résultats à la chance : ça, il en était parfaitement capable.

Mais c’est différent quand il s’agit de travailler avec quelqu’un d’autre. Ses résultats allaient influencer ceux d’une personne qui, peut-être, allait bosser dur pour y arriver. Dans cette situation, il fallait que ses résultats, à lui aussi, soient impeccables. Nagito n’avait pas de problème à se tirer des balles dans le pied, mais était parfaitement incapable de tirer des balles dans le pied d’un autre… Surtout si cet autre montrait courage et motivation. Il allait juger cette Diana Everton avec beaucoup d’intention. Sa détermination lui dirait si oui ou non il mettrait un effort à l’ouvrage.

Il était allé à la bibliothèque de l’école, là où ils avaient rendez-vous. Pas de chance : tout le monde avait rendez-vous ici, puisque les ateliers étaient décidés par les professeurs, et il n’y avait plus aucune place aux tables de la pièce. Les enseignants n’avaient clairement pas pensé à l’effectif augmenté. Pourtant, mélanger plusieurs cursus allaient forcément mener à un problème d’espace de travail… Tant pis. Ils trouveraient un autre endroit où aller, une fois Diana rencontrée.

La première impression était bonne. Diana semblait souriante et agréable, et malgré tout sérieuse. Elle avait directement remarqué le manque de place dans la bibliothèque et avait déduit immédiatement que Nagito avait dû avoir le temps de réfléchir à une option de secours. Malheureusement pour elle, il n'avait aucune idée de où aller. L'index posé sur le menton, il décida après un moment de réflexion que rester ici n'allait rien changer. Il la regarda dans les yeux, un air serein au visage, accompagné d'un simple sourire poli.

- Nous devrions nous promener dans les couloirs, répondit-il d'un ton calme. Peut-être que nous aurons la chance de croiser une salle libre.

Il pouvait parler de chance comme bon lui chantait, lui. Il la connaissait par coeur, et il savait que si la bibliothèque s'était remplie en un rien de temps, c'est que cette malchance mènerait à quelque chose de bien meilleure. Peut-être une pièce remplie d'informations importantes pour leur travail ? Peut-être une salle recluse où ils seraient au calme, loin du léger brouhaha des groupes en brainstorming. Il faisait confiance à sa magie, qui pourtant lui offrait autant de mal que de bien. Elle saurait le guider à la meilleure des solutions... Pour un certain prix.

Il entame le pas, faisant à Diana un petit signe lui demanda de la suivre. Pas le choix de toutes façons. S'ils ne pouvaient pas s'installer là, il faudrait trouver ailleurs. Heureusement, les couloirs vides sont plutôt agréables à cette heure de la journée. La lumière passe par les fenêtres, les affiches aux murs s'animent sans un bruit. Toutes les salles devant lesquelles le duo passent semblent occupées : tout le monde profite du chauffage intérieur pour faire ses devoirs durant ce temps de travail.

Ca discute entre deux cours. Un groupe de fille passe : "Tu penses tenir un stand, lors du marché ?", "Non, je préfère avoir le temps de faire mes achats !" Deux premières années courent, manquant de les bousculer : "Le dernier arriver est un troll plein de pustules !", "Woah, trop dégueu !". Un garçon au téléphone parle avec sa petite amie : "Tu verras. Je t'y emmènerai ce soir. C'est une salle de classe un peu oubliée proche des serres... Les professeurs préfèrent utiliser la plus récente, et celle là est toujours vide. On pourra s'y embrasser sans qu'on nous embête."

Le voila, le coup de chance qu'il attendait. Il lève l'index, comme pour faire signe à Diana d'écouter attentivement. Ce petit signe du destin est pile ce qu'il fallait.

- ... Devrions-nous tenter cette fameuse salle ? Si elle est toujours vide, c'est peut-être l'endroit dont nous avons besoin.

La remarque l'amusa grandement. Il s'avança dans la pièce pour y déposer son sac tout en observant les environs. La classe n'était pas complètement abandonnée. Pas de poussière, quelques manuels placés sur des étagères qui auraient été vides sans leur présence. Le plus important, c'était qu'il n'y avait pas d'élève à part eux. Seulement le bruit de leurs pas et du vent à l'extérieur.

- Un super pouvoir... Nous en avons tous, n'est-ce pas ? Répondit-il, pensif. Nous sommes des sorciers, après tout. Mais si tu parles de la chance que nous avons eu en entendant la bonne conversation au bon moment, alors je suppose que oui. J'ai un... Certain type de magie.

Il ne souhaitait cependant pas continuer la conversation. Parler de sa chance le menait souvent aux mêmes situations. On le prenait parfois pour un fou, ou bien on voulait expérimenter ce fameux don étrange qu'il possédait. Dans le pire des cas, on essayait de le rassurer quand il mentionnait le revers de la pièce, sa malchance qui le plaçait souvent dans des situations délicates. Il détestait ces moments-là. Peu de gens arrivaient à comprendre comment fonctionnait ce cycle étrange, et on lui reprochait toujours d'aimer le chaos. Comment ne pas aimer le chaos quand on sait pertinemment qu'après la tempête vient le beau temps ?

C'était d'ailleurs trop beau, cette situation. La salle au calme, trouvée in extremis... Nagito commençait à devenir suspicieux. Voilà pourquoi il avait sale réputation : il n'était jamais heureux lors de moments calmes et joyeux, et avait toujours un grand sourire durant les pires des malheurs. Aujourd'hui, c'était pareil. Impossible de se satisfaire de la situation. Bien trop parfaite. Ceci cachait quelque chose. Un problème prêt à pointer le bout de son nez.

... Ou de son bec.

Un bruit soudain retentit à l'une des fenêtres de la salle de classe. En tournant sa tête, Nagito put rapidement remarquer la créature qui frappait la vitre avec force. Un oiseau bleu, immense et très long, au plumage soyeux, reflets violets chatoyant à la lumière du soleil. Quel était son nom, déjà ?... Ah, oui : un occamy. Une bête qui cherchait à rentrer dans des lieux clos pour pouvoir en occuper entièrement l'espace. Si la bête réussissait à entrer dans la salle de classe, elle allait sans aucun doute les écraser.

Il fallait agir vite, et fuir. La porte extérieure était bloquée par la bête, et les serres étaient la seule issue restante. Nagito ne réussit pas à arrêter un sourire. Car avec un tel soucis sur leur dos, quelque chose de très bien allait surement leur arriver par la suite ! Il se mit à rire.

- Ahah !... Quelle malchance ! Il va vite falloir qu'on trouve la clef pour fuir dans les serres !

C'est à peine rentrés dans la serre, porte désormais fermée à nouveau, que l'occamy arrive à ouvrir la fenêtre et s'introduire dans la salle de classe. Il ne lui faut que peu de temps pour prendre tout l'espace de la pièce, devenant assez grand pour y écraser les tables, les chaises et les étagères. Nagito pousse un petit soupire de soulagement. Ils ont eu de la... Chance, au final, d'y arriver à temps. Sa baguette était au fond de son sac, et si Diana n'avait pas prise la sienne, ça aurait été un problème.

Plus chanceux encore était le fait que le sort ait fonctionné. Ilukaan est une école bien protégée, remplie de sorcier. En temps normal, un simple Alohomora n'aurait pas dû être efficace, ou bien ceci voudrait dire que les élèves peuvent entrer où ils le souhaitent, quand ils le souhaitent. Nagito savait que ce n'était pas le cas : il suffisait de voir le système de sécurité des dortoirs pour réaliser ceci. Peut-être la présence de l'occamy avait-elle déréglé un sortilège ? Ou bien... Peut-être qu'aujourd'hui, le système de sécurité du secteur avait faibli. Ceci aurait expliqué comment l'occamy avait put s'échapper de son enclos.

Ils étaient désormais enfermés dans les serres. Par la baie vitrée, Nagito pouvait voir les plumes bleues et violettes de l'animal qui leur bloquait le passage. Eux qui avaient réussi à trouver l'endroit parfait, c'était raté. Au moins, il y avait quelques tables d'atelier dans les serres, mais elles étaient réservées pour le travail manuel, et étaient couvertes de terreau, de feuille et de matériel divers comme des ciseaux, des arrosoirs, des râteaux Tout un panel de jardinage qui prenait de la place et n'en laissait pas beaucoup pour des cahiers ou des ordinateurs.

Plus inquiétant encore était l'odeur. Ca faisait quelques années que Nagito n'était pas revenu aux serres. Depuis qu'il était en cursus, à vrai dire. Il n'avait plus de cours de botanique, alors il n'était pas nécessaire d'y remettre les pieds. Une chose était certaine cependant : il n'avait aucun souvenir d'une odeur si appuyée, si opprimante. Elle remplissait toute la pièce de son parfum, quelque chose de doux, presque sucré, mais qui était si puissant qu'il n'en avait rien d'agréable.

- ... Quelque chose ne va pas.

Tout près d'eux, alignées dans des pots, sous des cloches transparentes et protectrices, se trouvaient une rangée de belladonas taillées par des troisièmes années. Sur le sol, au milieu de plusieurs morceaux de verre brisés, une de ces mêmes plantes agonisaient, tombée brusquement lorsque Nagito et Diana avaient ouvert la porte et l'avaient renversée. Vengeresse, elle répandait son parfum hallucinogène dans toutes les serres pour se défendre.

Une solution... Il était presque déçu qu'elle lui en demande une. Lui, le bon à rien, avoir une solution ?... Mais visiblement, Diana n'était pas meilleure que lui, et n'avait rien de bien spécial. Pas d'initiative. Juste de la panique. Il ne pouvait pas la blâmer : lui non plus n'avait aucune idée de comment se sortir de la situation.

- ... Je crois bien que non.

L'odeur était de plus en plus forte. Nagito ferma les yeux, prêt à affronter ce qui allait leur arriver. Il avait quelques souvenirs de ses premières années à étudier la botanique. La plante était une Belladonna, une fleur extrêmement hallucinogène, qui avait été découverte quand certains sorciers disaient pouvoir voler sans l'aide de balai en la consommant. Bien évidemment, il fut découvert quelques temps après que "voler" ne voulait pas dire "léviter". Les pauvres explorateurs avaient juste été en proie à de terribles visions irréalistes. C'est ce qui allait leurs arriver désormais.

- Je pense que nous devrions appeler à l'aide avant de subir les effets, déclara-t-il en sortant son portable. De toutes façons, il faut bien que l'on prévienne d'autres personnes qu'un occamy s'est échappé.

Il décida d'envoyer son message aux deux seules personnes qu'il connaissait vraiment : Hajime et Yumeko. Un sms bref et concis, retenant toutes les informations nécessaires. "Enfermé dans la serre avec Diana. Un occamy bloque la sortie. Une belladonna"... Pas de suite. Il appuya sur "envoyer" quand il vit ses doigts devenir longs, bien trop long, et quand il sentit le sol sous ses pieds devenir mou. Tout tournait autour de lui, et voila que Diana se mit à flotter à deux mètres du sol dans sa vision déjanté. Les rayons du soleil devinrent vivants et commencèrent à danser en rond autour de la rangée de cloches.

Il se mit à rire. Quand Nagito avait peur, il riait. C'était nerveux. Il décida de s'asseoir avant que ce tournis ne deviennent trop important.

- Plus qu'à attendre... Ahah ! Plus qu'à attendre ! J'espère qu'on nous trouvera rapidement !...

Il s'était réveillé bien avant elle et était rassuré de la voir enfin ouvrir les yeux. Nagito s'était demandé si elle avait inspirer plus d'hallucinogènes que lui. Elle s'était évanouie bien avant lui, presque comme si le gaz avait eu un effet soporifique sur elle, et il avait dû rester seul de longues minutes avant de s'évanouir à son tour, de peur plus que d'épuisement.

- Je me suis réveillé il y a à peu près une heure, et tu t'es endormie avant moi, lui répondit-il. Mais je ne sais pas combien de temps nous avons fait la sieste. Je suis heureux de voir que nous sommes à l'infirmerie, cela-dit. Ca veut surement dire que le problème d'occamy et de plante a été réglé.

Il restait cependant un problème. Un qui n'avait rien à voir avec l'école, mais quelque chose qui les concernait tous les deux. Ils n'avaient toujours pas commencé leur devoir. Il était impossible qu'ils aient dormi moins d'une demi-heure : le temps de venir jusqu'aux serres, gérer l'occamy, rentrer à l'intérieur et les transporter jusqu'à l'infirmerie avait dû prendre au moins une heure, minimum. S'ils s'étaient réveillé juste après, alors sûrement avaient-ils encore un peu moins d'une heure pour terminer leur devoir interdisciplinaire. Mais encore fallait-il que ce soit le cas. Peut-être dormaient-ils depuis au moins trois ou quatre heures, peut-être même plus. Impossible de la savoir... A moins que ?

Nagito se pencha pour pouvoir fouiller dans sa poche. Bingo : son téléphone y était encore. Il le saisit dans son recoin d'uniforme pour l'allumer d'un appui sur le bouton. Ils avaient dormi au moins trois heures et demi. Le temps de rendu des devoirs était déjà passé. Il soupira en réalisant qu'il venait de causer du tord à Diana.

- Je suis désolé. On dirait bien que tu n'as pas eu beaucoup de chance en étant mise en groupe avec moi.

Il lui offrit un petit sourire triste. C'était ça, de vivre avec une telle magie. On ne savait jamais si on était capable de rendre un travail ou non. On ne savait jamais où la vie allait nous mener. C'était la raison pour laquelle Nagito séchait certains cours. A quoi bon, après tout ? Avec un tel destin, le surprenant à chaque détour, ruinant ses plans et ses projets, il trouvait qu'il serait impossible de conserver un emploi une fois adulte.

Au moins, Diana était en bonne santé, vivante, même. Aucune égratignure, rien. La situation aurait pu être bien pire.

- Je suis heureux que de voir que tu vas bien.