Le soir tombe peu à peu sur la province de Nouvelle-Ecosse. Voilà l’une des périodes que Colton affectionne le plus, là où la lumière solaire et les vacarmes disparaissent pour laisser place aux lueurs plus douces de la lune et de sa valse étoilée, dansant sur une toile dont le rythme n’est guidé que par la lente vie nocturne et son habituel silence. Le Coréen ne fait pas partie de ces personnes nyctophobes, s’épanouissant uniquement en plein jour, telles des fleurs estivales. Au contraire, le taciturne Violet s’accommode bien de la présence du noir. Pour être exact, il dirait que le noir complet n’existe pas la nuit, puisque la lune et les étoiles le guident. Il n’existe pas du tout même, il suffit de chercher la lumière.
 
Celle qui guide les pas du Strixyst est celle de sa baguette, alors que les livres flottant derrière lui semblent rejoindre l’obscurité à chacune de ses foulées en direction de la bibliothèque. Si Ilukaan devenait un peu comme sa deuxième maison, ce lieu devenait d’autant plus son bureau principal. Compte tenu de l’agitation perpétuelle qui règne dans les dortoirs, notamment à cette heure tardive, le sorcier préfère amplement se trouver dans un espace où les ouvrages et les étagères sont ses uniques compagnons. Au moins, eux resteront silencieux. Même les plus bavards d’entre eux resteront tranquilles, les âmes les plus curieuses pouvant les déranger étant d’ores et déjà occupées à d’autres passe-temps tout aussi divertissant. En somme, cet endroit constitue le meilleur de tous pour s’attaquer à la tâche que le brun s’est mise en tête : une séance de révisions nocturnes.




Ce genre d’occupations est assez habituel chez le Wang, véritable workaholic de sa classe. Cela dure depuis des années maintenant. Il est un véritable bourreau de travail, s’exerçant dur pour exceller dans toutes les matières qu’il suit. Colton Wang est le digne héritier de la famille Wang, le fleuron de la cosmétique sorcière. Ce n’est pas seulement son propre égo qui est en jeu à chaque examen, c’est aussi l’image de ses ancêtres qu’il renvoie aux autres. Il n’a que peu le droit à l’échec. Aussi, les périodes d’étude sont nombreuses pour lui, d’autant plus que cette année est différente des précédentes, puisqu’il s’agit de sa première année dans le cycle universitaire. Toutefois, il a réussi à vite s’accommoder aux nouvelles exigences de ses professeurs. C’est là l’une des grandes qualités de Colton lorsqu’il s’agit d’apprentissage, savoir s’adapter rapidement.
 
 
 
Aussi, si les livres et les ouvrages ont été décrits comme ses seuls compagnons le soir, cette information est quelque peu erronée. En effet, il arrive que certaines personnes rejoignent ce cercle d’élèves studieux du soir. Le plus généralement, le Strixyst connait chacune des têtes constituant ce groupe informel et secret. Il faut dire que la plupart sont des habitués des lieux. L’une d’entre elles, avec qui il a échangé fut un temps, avait disparu, il y a de cela quelques semaines. Enfin, disparue, il sait qu’elle n’avait pas quitté réellement le campus. Seulement, elle ne passait plus le soir à la bibliothèque comme elle le faisait habituellement jusqu’à lors. Au vu du funeste événement qui venait de chambouler son avenir comme des boites de conserve, le Violet n’avait pas été surpris de constater qu’elle ne venait plus à leurs rendez-vous informels.
 
 
Toutefois, il est ravi d’apercevoir sa chevelure d’ébène à sa place habituelle. Ses pupilles d’émeraude semblent être posées sur l’un des livres déposés sur la table. Rien ne semble avoir changé. Pourtant, le cadet sent que quelque chose est différent désormais. Quelque chose s’est désormais terni dans le cœur de la canadienne, rien que son charme de Vélane ne puisse dissimuler aux yeux de charbon de Colton. La vie est ainsi faite, si le Violet est une personne dont les sentiments sont faciles à lire, il est également un très bon lecteur, quelqu’un empathique comme diraient certains.
 
Il s’approche alors de sa confidente nocturne, avant de s’asseoir silencieusement à ses côtés, ne voulant initier la conversation.

Oh, la voilà qui s’excuse d’avoir rompu à leurs habituelles entrevues nocturnes le temps de sa convalescence. Quelle délicate attention de sa part… Le coréen ne lui veut pas du tout, bien entendu. Leurs rendez-vous n’ont rien d’officiels. Ils ne s’en sont jamais donnés d’ailleurs. Le destin a voulu que leurs présences en ce lieu soient le plus souvent synchronisées, notamment de nuit.
 
 
Diana ne lui a pas manqué non plus. Du moins, pas dans le sens que sa présence lui était nécessaire ces derniers jours. Certes, le retour à la solitude lui avait été étrange les premiers jours, puis il s’était réhabitué. Non qu’il n’apprécie pas plus que cela la sorcière ! Au contraire, un certain lien de confiance s’est établi entre les deux rats de bibliothèque au fil des années à avancer côte à côte dans la noirceur de la nuit. Seulement, il se doutait que ce qui retenait la Bleue durant tout ce temps devait relever d’une importance plus importante qu’un passage à la bibliothèque le soir, au vu de l’assiduité que l’Everton s’était efforcé d’entretenir au fil des jours.
 
 
Au contraire, plutôt que de lui en vouloir, il s’était inquiété pour la jeune femme. Cette inquiétude ne l’a toujours pas quitté en cette soirée, bien qu’il soit soulagé de la voir arpenter de nouveau ces allées. La nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre. Colton n’aurait su comment réagir à un tel évènement. Sans doute aurait-il lui aussi disparu un temps pour faire son deuil. Combien de temps ? Oh, il ne saurait le dire, tel est le problème. La mort d’un être cher est toujours un moment délicat, il en est bien conscient. Néanmoins, il n’a jamais été confronté à ce malheur directement. Il se sent plutôt bienheureux à ce propos, puisque sa famille proche n’a pas encore été confronté à ce que les occidentaux apparente à une grande faucheuse. Pour ce qui concerne ses amours, il suppose que ses fiançailles et son devoir le protègent de cette éventualité. Contrôler ses émotions, taire ses sentiments jusqu’à ce soit eux qui meurent, voilà où il en est sur les relations amoureuses.
 
 
Tout ce qu’il connait de la mort sont les expériences rapportées par d’autres. A dire vrai, ce qui lui avait été dit le terrifie profondément. « Un monde qui s’effondre », « On a l’impression que plus rien n’a de saveur », « C’est comme si on était vide à l’intérieur, tu vois ? », et la liste s’étend encore … Si le Violet craint toujours les sentiments et des phénomènes qu’ils peuvent produire, la peur de perdre un être grandement chéri ne fait que renforcer ses craintes. Comment les relations avec les autres peuvent autant nous affecter ? Sommes-nous tous si dépendants les uns aux autres ?  Oh, il connait bien la réponse, bien qu’elle ne lui convient guère. Pour un hypersensible de sa trempe, il n’y a rien de pire que de voir à quel point nos émotions nous guident et peuvent s’imposer à nous, triomphant de la raison et de l’esprit rationnel.
 
 
Savoir que son amie a été frappée par un tel sort le chagrine beaucoup. Ce sentiment en la voyant essayer de prendre sur elle pour ne pas se laisser submerger par ses émotions. Pourtant, il n’y a rien de grave à s’être s’absenter quelques jours. Peut être que tout ce qu’elle ressent se trouve décuplé depuis l’incident ?  Il se doit de vite la rassurer, elle ne devrait pas se préoccuper de quelqu’un d’aussi invisible que le Wang. Il reprend donc d’une voix basse mais sur un ton qui se veut rassurant et chaleureux, malgré l’étrangeté de la situation pour le cadet.
 
 
 « Oh, ne vous excusez pas, Diana. Je me doute bien que vous aviez des impératifs bien plus importants que celui de me retrouver à la bibliothèque la nuit. Par ailleurs, je vous présente toutes mes sincères condoléances. Vous savez que vous pouvez vous tourner vers moi pour quoique ce soit. »
 
 
 
 

« Se sentir seul »… Il ne sait pas vraiment comment interpréter cette affirmation non fondée de la part de sa camarade. Que sous-entend par-là ? Qu’il n’a pas d’autres personnes à qui parler ? Non, elle ne se saurait pas permis d’affirmer que son introversion soit si importante au point qu’il n’ait pas d’autres amis. Au contraire, le coréen estime même qu’il est bien entouré, bien qu’il en soit lui-même le premier surpris.
 
Si Diana évoque le fait de sentir seul comme le sentiment de solitude en lui-même, alors oui, il l’a ressenti. Assis sans autre compagnie que celle des livres, le silence l’a plongé dans une profonde solitude. Ce n’était pas nécessairement pour lui déplaire à dire vrai. Non qu’il n’appréciait pas la présence de la jeune femme à ses côtés. Seulement, ces émotions-là ne l’avaient réellement dérangées. Il s’y était même accoutumé depuis sa plus tendre enfance. Se retrouver face à lui-même ne le terrifie pas. Au contraire, en tête à tête avec sa conscience, cela lui permet de mettre de l’ordre dans ses idées et dans ce qu’il peut ressentir. Une sorte de méditation de pleine conscience en quelque sorte, sauf qu’il s’occupe de ses révisions dans le même temps.
 
 
Cela lui arrive de méditer, uniquement dans son dortoir ou bien dans le jardin des quatre saisons. Avec toute l’agitation perpétuelle qui règne au sein du campus, Colton en a bien besoin. Cela lui permet de se reconnecter avec lui-même, mais également avec les esprits de ses ancêtres qui l’accompagnent durant sa scolarité au sein de l’école de sorcellerie canadienne.
 
 
« Il est vrai que je me suis senti seul durant quelques soirées. Néanmoins, cela ne m’a gêné le moins du monde. Tu n’as donc pas à t’excuser ni à être désolée de quoique ce soit. Tu sais, je fais parti de ces personnes qui apprécient la solitude de temps à autres. Rien de personnel, tu te doutes bien. Je suis sincèrement content que tu sois revenue. Je me suis fait du souci. Toutefois, tu as l’air de bien te porter et c’est un soulagement. Mais n’hésite pas si tu as des moments de rechute, j’insiste. »
 
 
Même si le Violet n’a jamais encore été confronté à ce genre de pertes, il a bien vu que la convalescence pouvait s’avérer être longue. Diana est une femme forte, il n’en doute pas. Cependant, il craint qu’elle n’affiche cette bonne mine que pour mieux cacher sa peine. Il n’a aucune certitude que cela soit le cas, mais il préfère être prudent et prévenir malgré tout. Le cadet est une personne discrète, assez pour prendre soin des plus célèbres sans éveiller le moindre soupçon. Encore faut-il que l’égo soit mis de côté…
 
 
Devant la déclaration de la Bleue, il reste soudainement sans voix. Elle avait hâte de le revoir ? Leurs entrevues lui avaient manqué ? Le Wang sent toute la sincérité dans sa voix et pourtant, il peine à y croire. Le sorcier ne s’est jamais considéré comme quelqu’un d’important, qu’importe le statut qui lui revient de droit par sa naissance au sein de la famille Wang. Il s’est toujours fait tout petit à Ilukaan, au milieu de cette grande foule humaine beaucoup trop vaste pour l’agoraphobe qu’il est. Même lorsqu’il parle avec d’autres personnes, il n’a jamais estimé que ce qu’il pouvait leur raconter était intéressant ou passionnant, seulement instructif. Ainsi est Colton Wang : une personne introvertie et altruiste qui considère qu’il est de son devoir d’aider autrui et que rien en lui n’est exceptionnel en comparaison avec ces personnalités plus extravagantes. Il n’estime rien aux yeux des autres, seulement un fantôme. Du moins, c’est ce qu’il aimerait être parfois, pour être sûr de ne blesser personne. Pourtant, Diana n’est pas la première personne qui témoigne de la sympathie envers sa compagnie, mais il ne s’y fera jamais.
 
 
« Oh vraiment ? Je ne pensais pas que ma compagnie t’apportait autant de réconfort. J’en suis ravi néanmoins, sois en sûre.»
 
 
 

Si l’honnêteté du Coréen peut être parfois déroutante, elle est pour d’autres l’une de ses qualités. Aussi crues que peuvent être ses paroles, la vérité constitue pour certains une preuve indéniable de fidélité, mais surtout de confiance. Après tout, il n’est pas toujours tâche aisée de mettre quelqu’un face à la réalité des faits, Colton le fait sans rechigner. Le plus souvent, il y met les formes, usant de son riche vocabulaire pour arrondir les angles.
 
Parfois, il aimerait être capable de mentir, ne serait-ce qu’omettre la vérité. Bien qu’il énonce ce qui est vrai aux personnes à qui il fait confiance, cela ne lui est pourtant pas aussi simple que d’affronter les réactions de ses camarades à la suite de ses propos. Il a bien conscience que cela peut se révéler parfois blessant, qu’ils préfèreraient entendre autre chose. Ce qui explique pourquoi il ne lui arrive de rien dire du tout, laissant le silence s’imposer à eux alors que tous deux sont conscients de la situation. Il n’est pas capable de mentir, ce serait un acte de trahison que de retenir la vérité pour la garder en son for intérieur.
 
 
Fort heureusement, la canadienne ne prend pas cas de tout cela. Peut-être qu’elle apprécie même la franchise de Colton, ce ne saurait pas la première fois. Au contraire, elle semble même plutôt satisfaite qu’il ne prenne pas trop de pincettes avec elle, témoignant du respect qu’il a envers sa force mentale.
Même, elle lui confie qu’elle n’hésitera pas à venir le voir pour soulager ses chagrins et extérioriser si elle en ressent le besoin. Si ce n’est pas la première fois que cette situation se produit, elle n’en possède pas moins une saveur particulière. Le Violet n’est plus un amateur, il est même reconnu par ses amis par ses qualités d’oreille attentive et de bons conseils quand les temps leur sont durs. Néanmoins, l’amitié qui lie les deux étudiants est d’autant plus unique qu’elle est digne d’un roman d’un autre temps. Ni épistolaire ni interdite, contrairement à ce que leurs entrevues pourraient laisser penser, elle garde tout de même un certain goût de secret, qui amplifie tout l’honneur du Strixyst en se voyant confident de l’Everton. Bien qu’il se contente de hocher la tête, il ressent tout de même une certaine fierté :
 

Quelqu’un comme lui pour l’aider… Il ne sait pas s’il est la personne la mieux placée pour se montrer utile face à ce genre de maux et de tourments, puisqu’il ne les a jamais expérimentés directement.
 
 
Si beaucoup le pensent comme un médecin de l’âme, lui se perçoit comme un médecin du corps. Il trouve que cela est bien plus simple à soigner, il suffit de lui fournir les molécules adaptées pour permettre son rétablissement. L’esprit, lui, est moins prévisible bien que plus malléable. Il n’est pas aisé de discerner ce qui est bon pour le mental et ce que nous pensons être le meilleur pour accélérer la cicatrisation de toutes ces plaies que la vie grave en chacun de nous. Cela est d’autant plus vrai pour le Coréen, dont les émotions sont accentuées par son besoin profond d’aider les autres.
 
 
Colton n’a jamais vraiment su pourquoi il agissait ainsi. Pour un introverti de la sorte, cela représente un défi plutôt important pour lui. Pourtant, c’est peut-être bien cela qui lui a permis de passer au-dessus de sa bulle de silence pour avoir un cercle social. Ou bien est ce sa nature humaine qui le rend grégaire, le poussant à se mêler aux autres moutons pour ne pas dépérir et ainsi survivre ? Il n’a jamais vraiment réfléchi à tout cela.
 
Non, il agit seulement instinctivement. Le Violet réfléchit rarement sur le choix des mots qu’il prononce à ses camarades en peine, ils franchissent ses lèvres par eux-mêmes, comme s’ils attendaient d’être libérés de leur prison dorée. Cela ne répond à une aucune logique rationnelle à laquelle le sorcier est coutumiers, seulement à son cœur et à sa compassion. Cela peut surprendre, étant donné la froideur et le pragmatisme dont il fait preuve aux yeux de tout le monde. Pourtant, ses rares amis savent qu’au fond de lui se trouve une âme chaleureuse qui n’attend que le moment opportun pour métamorphoser le jeune homme.
 
 
« Je ferais de mon mieux pour t’aider, tu le sais. Je ne suis pas passé par le chemin que la vie te fait suivre, mais je ferai en sorte qu’il soit pavé de lanternes chaudes qui seront te réconforter. »
 
 
Il espère sincèrement qu’il parviendra à le faire. Ce n’est, certes, guère une chose aisée d’aider une personne à avancer après un deuil, mais cela ne l’effraie pas. Tant qu’il n’est pas trahi et qu’il garde la confiance de sa confidente, il peut tout faire pour l’aider à aller mieux.
 
 
« Si tu te trouves ici, je suppose que c’est parce que tu as fait le choix d’avancer. Parce que la vie continue et que cela te permet de saluer sa mémoire. Cela est très courageux, je trouve. Je serai ta béquille émotionnelle et la main qui te relève et te guide au besoin.»
 
 
Comment tout cela s’est passé pour lui depuis leur dernière entrevue ? Il n’est pas certain que ce sot le meilleur sujet de conversation à avoir. Il préférerait plutôt l’écouter, elle, et lui apporter son soutien. Cela étant, peut-être que sa demande répond à un besoin précis pour soulager un peu ses blessures ? Après tout, se voir raconter la vie des autres, voir ce que le destin leur a réservé et comment ils y font face, cela doit changer les idées. Du moins, au bout d’un moment …
 
 
 
« Eh bien … Je ne sais pas si cela est très intéressant mais je peux te raconter mes deux derniers mois. Comme je te l’ai dit cet été, je suis rentré en cursus universitaire de Botanique approfondie et horticulture. Je ne vais pas nier que j’étais assez anxieux avec tout un nouvel univers qui s’ouvrait à moi. Toutefois, je me plains assez dans ma voie, beaucoup plus que les autres années. Certes, le tronc commun reste assez général mais bien plus axé sur ce qui me plait. Ma chambrée aussi est assez agréable, hormis une personnalité extravagante. Et encore, il traîne peu au dortoir.»
 
 

A écouter son amie canadienne, les figures de style qu’il emploie font leurs effets. Peut-être un peu trop ? Non, elle doit avoir besoin d’autant de lumière pour remonter la pente. Colton ne veut pas lui promettre des espoirs qui peuvent s’avérer être vains. Pourtant, il a pris un tel risque. S’il n’arrive pas à l’aider dans sa rémission, il ne vivra pas avec le regret de ne pas avoir essayer. Le coréen n’a rien d’ambitieux le plus généralement.  Néanmoins, en ce qui concerne son maigre d’amis, toute limite se voit gommée par un altruisme triomphant de tous les doutes qui peuvent agiter l’esprit du sorcier.
 
« Oh, je ne pense pas que je serai le seul à te tendre la main. Tu es toujours aussi bien entourée malgré ton absence. »
 
Le Violet ne doute pas qu’une personnalité comme celle de Diana doit aisément s’entendre avec un grand nombre de personnes. La Bleue est plus sociable que lui et a du recevoir bon nombre de condoléances et messages de soutien. Certaines ont bien dû lui dire de les contacter si jamais elle avait besoin de quoique ce soit. Rien de plus logique après tout. Si Colton a des amis sur qui compter, alors il est impossible que ce ne soit pas le cas pour l’Everton. Il lui semble même avoir eu échos sur le sujet, évoquant le fait que la sorcière passe beaucoup de temps avec des personnes aux caractères plutôt solaires. Là encore, il n’est pas surpris. Le drame faisant déjà jaser de lui-même, toutes les personnes qui gravitaient autour étaient mises en lumière. Il est juste plus discret que le reste des autres amis de la demoiselle, ce qui lui permet d’éviter de voir son nom relier à cette affaire.
 
Colton est ainsi : bien que faisant preuve d’un altruisme sans égal lorsqu’une personne parvient à se glisser sous son masque de fer, il reste dissimulé dans l’ombre. Il laisse les autres briller le jour comme des soleils, tandis qu’il éclaire la nuit tel la lune et les étoiles, dont la lumière est plus discrète et plus douce.
 
En parlant de nuit, la voici qui se met à aborder le sujet du sommeil, ou plutôt de l’insomnie. Il soupire légèrement. Malheureusement, ce sujet revient souvent, probablement sur tout le campus. Cela concerne même d’ores et déjà certaines personnes de son entourage, ce qui lui a permis de voir à quel point ce problème peut se transformer en fléau. Fort heureusement, il semble le plus souvent temporaire, rarement perpétuel.  Diana n’est pas la première, hypothétiquement ni la dernière, à venir s’enquérir de ses conseils phytothérapiques dans ce domaine. Aussi, il répond avec aise :
 
«Je possède bien quelques décoctions à faire infuser et à consommer lorsque la nuit tombe. Bien entendu, cela n’assomme pas autant qu’un somnifère, cela calme le corps seulement un certain temps. Si tu préfères travailler avec l’odorat et que cela ne dérange pas tes camarades de chambre, j’ai aussi des bâtons d’encens qui peuvent avoir les mêmes propriétés.»
 
 
«Cela étant, je pense que tu devrais consulter un médecin agrée pour ton cas. Comme je ne suis pas docteur, il vaut mieux avoir un avis d’expert. Je ne sais pas si mes recommandations seront suffisantes pour t’aider autant que tu pourrais en avoir besoin. D’ailleurs, à ce propos, est ce que tu suis une thérapie ? »
 
 
La voilà qui est « trop » contente pour lui. Peut-être que chacune de ses émotions se voient exacerbées depuis la perte de sa fiancée. Ou peut-être simplement que le fait que son année se déroule normalement la rend aussi véritablement heureuse, dans le sens où il n’a pas eu de drame. Les sentiments et les émotions sont des choses tout aussi mystérieuses que puissantes aux yeux charbon du sang-pur.
 
 
«Je ne sais pas si tu les connais, ils sont plutôt discrets à mon grand bonheur. Je suis dans la chambre de Tyli Fytero, Hajime Hinata et Kokichi Oma. Si Kokichi a des airs de clowns occidentaux, je connaissais Tyli de mon groupe officieux d’élèves médicomages, formé l’année dernière. Je t’en ai déjà parlé.»
 

Il sait bien que d’autres personnes sont venues lui apporter du soutien. Néanmoins, il n’est pas certain que l’aide qui lui fournit soit aussi précieuse que le dit la canadienne. Du moins, il ne le ressent pas de cette façon. Ce qu’il fait en tant qu’ami n’a absolument rien de brillant. Pour lui, il n’excelle que dans les sphères scolaires et professionnelles, pas la relationnelle. Il fait seulement ce qu’il estime être son devoir, rien de plus. Bien qu’il soit considéré par ses proches comme un bon ami, il n’en est pas convaincu pour autant. Ce qui lui vaut parfois quelques réprimandes de leur part, l’incitant à avoir confiance sur ses capacités à mettre les gens en confiance, dans une bulle de réconfort.  Non, il trouve qu’il existe des personnes bien plus qualifiées en la matière.
 
 
 
A commencer par le personnel de l’école dédié à la psychologie. Souvent sous-estimés, il considère pourtant leurs connaissances et leurs capacités d’écoute supérieures et bien plus efficaces à celles des autres, y compris les siennes. Pas qu’il dénigre les comportements amicaux de ses camarades, loin de là, il en admire même certains. Seulement, les relations que chacun entretient avec les autres influent les comportements et les conseils qui peuvent être énoncés. Si A a fait pleurer B et que C ne n’apprécie pas A de base, il est sûr que le ressenti de C envers A va avoir son influence lorsque C devra consoler B. Ce sont des biais cognitifs que le Coréen prend un peu trop à cœur, lui qui cherche à se laisser guider uniquement par la logique, la raison et l’objectivité. De ce fait, il est difficile, en tant qu’élève du campus, de pouvoir guider sur la bonne voie un autre élève. Si Colton fait de son mieux pour suivre ses principes, il considère que les psychologues et autres professionnels sont capables, même s’ils ont certains aprioris, de prendre des distances sur la situation et l’aborder sereinement.
 
 
Aussi, lorsque son amie lui indique qu’elle ne préfère ne pas suivre de thérapie pour le moment suite à une mauvaise expérience, il se voit un peu chagriné.
 
 
« Oh… Sans vouloir paraître insistant, je pense que tu devrais réessayer de suivre une thérapie. Peut-être avec un autre professionnel ? Parfois, ce n’est qu’une question d’alchimie entre deux personnes. Je peux te conseiller quelqu’un, si tu veux.»
 
 
« Je crains seulement que les problèmes et les phases par lesquelles tu peux passer ne se règlent pas correctement et qu’ils s’intériorisent. Si cela arrive, cela pourrait se transformer en un boulet de prisonnier du deuil que tu devrais traîner une bonne partie de ta vie, jusqu’à ce qu’ils refassent surface sans prévenir. Cela ne reste cependant que mon avis. »
 
 
Après tout, qui est-il pour lui faire la morale ? Il n’est jamais passé par l’étape de la perte d’un être cher pour le moment. Si cela se trouve, lui-même ne suivrait pas ses propres conseils. Cela lui semble si violent qu’il imagine aisément que cela peut transformer à jamais une personne, de manière plus permanente que n’importe quelle magie. D’ailleurs, devrait-il lui conseiller de mettre certains de ses souvenirs avec sa fiancée dans une fiole pour ensuite pouvoir les consulter lorsqu’elle se sent prête dans une Pensine ? Est-ce que cela la soulagerait ? La magie doit bien pouvoir agir sur le mental des sorciers et des sorcières afin de les soulager de tous leurs tracas. Peut-être est ce une spécialisation du cursus de Médicomagie d’Ilukaan ? Il en touchera deux mots à Jelila et à Chandara. Quoiqu’à bien y réfléchir, il demandera aussi son avis à Simeon, lui qui est en cursus de psychomagie.
 
 
« Oui, je n’ai pas à me plaindre de grand-chose. Et de ton côté, avec qui partages-tu ta chambre ? Est-ce que la cohabitation se passe bien avec tous ces évènements ? Te plais-tu toujours dans ta voie universitaire ? »
 
 
Après tout, peut-être que des soirées cocooings avec ses colocataires peuvent lui faire du bien et lui changer les idées.

 
Le soulagement franchit ses lèvres. Elle accepte de retenter l’expérience. Il a craint que, l’espace d’un instant, la Bleue allait refuser sa proposition. Cela aurait été une réaction totalement compréhensible : si la première thérapie s’est mal déroulée, alors il y a tout à craindre d’une seconde. Il aurait été aisé de se braquer, surtout compte tenu de l’intensité des sentiments qui peuvent nous habiter dans ce genre de périodes.
 
Mais non, Colton a su se montrer convaincant, suffisamment pour que son amie accepte son aide Accepter et assumer que nous n’allons pas bien est la première étape vers la guérison du cœur. Beaucoup de personnes renient ce fait, prétendant que « tout va bien », que « ce n’est qu’un coup de fatigue », que « c’est passager » ou bien encore qu’« il faut se ressaisir ». Le déni, comme si le fait de ne pas toujours être au top de sa forme est une honte, quelque chose qu’il ne faut surtout pas révéler à d’autres car cela serait leur révéler ses faiblesses. Si le Coréen trouve cela d’une certaine façon ridicule, il reste toutefois hypocrite là-dessus, puisqu’il ne préfère inquiéter personne lorsque son moral est en berne. Il ne confie son mal-être alors qu’à un individu de confiance, celui qu’il vient de recommander à Diana.
 
 
Le Violet connait les méthodes de sa thérapeute pour avoir travaillé avec lui sur quelques points de vie, notamment sociaux. Il le sait très souple et inspirant la bienveillance, ce qui a sauvé le Sang-Pur de quelques dérives. Il espère ainsi qu’il arrivera à en faire autant avec l’Ursirre.
 
« Ne t’en fais pas, tu n’as rien à me promettre. Je trouve cela déjà très courageux d’essayer de nouveau. Je connais quelqu’un dans le domaine de psychomagie qui pourrait t’aider. Du moins, j’espère qu’il y arrivera autant qu’il ait parvenu avec moi. »
 
A la lumière des lampes luttant contre la présence de plus en plus persistante de l’obscurité, le sorcier observe avec plus d’attention le visage de la canadienne. Sur celui-ci se dessinent des traces d’amertume et de fatigue. Il imagine que la moindre interaction, la moindre action doit sembler lui demander des efforts insurmontables, du moins  au début. Néanmoins, son aînée a bien parcouru du chemin, sa présence ici et maintenant en atteste. Toutefois, la route est encore longue, compte tenu de ses propos concernant ses relations avec ses camarades de chambre. Fort heureusement, celles-ci ne semblent pas lui avoir causé plus de troubles. Au contraire, elles ont même l’air de s’être montrées patientes et compréhensives. C’est un bon point pour commencer à se construire un petit cocon réconfortant rien qu’à elle, dans lequel elle pourra s’endormir plus rapidement.
 
 
« Cela viendra avec le temps, je ne suis pas inquiet. Elles pourront t’aider à mon avis, dans tous les sens du terme. Que ce soit pour des soirées cocooing ou bien pour t’aider à rejoindre les bras de Morphée.»
 
Aussi atypiques que soient ses rapports avec ses propres camarades de chambrée, ceux-ci ont toujours réussi à l’accompagner dans ses mauvaises passes, notamment lorsque la nuit envahit l’espace de toute part. Oh, ce n’est pas forcément toujours très convivial, seulement des présences solennelles qui partagent avec lui le stade d’éveil jusqu’à ce que le soleil vienne les saluer à travers les rideaux de leur chambre. Cela semble peu, mais cela convient parfaitement au cadet. Il espère cependant que les camarades de Diana seront plus réconfortantes, pour son propre bien.
 
 
« Au moins, ton cursus va t’aider à prendre pied de nouveau. As-tu des collègues qui peuvent t’accompagner dans ton rattrapage ? N’oublie pas de te ménager tout de même de temps à autre, pour ne pas finir éreintée en plein milieu d’un cours.»
 
Un coup d’œil à sa montre aux reflets verts semblables à ceux que la pierre de jade procure à la lumière de l’astre lunaire lui rappelle que ce dernier est déjà bien haut dans le ciel étoilé du campus de sorcellerie. Il allait devoir bientôt devoir rejoindre son dortoir, sous peine de commettre une infraction au règlement. Aussi, il commence à ranger ses affaires.
 
« Il se fait tard. Je ne vais pas tarder à y aller. Je pense que tu devrais faire de même. Je t’enverrai mon contact psychomagique par sms, je n’ai pas oublié.»