Tchak.
Un premier coup sur le sac de frappe résonna entre les murs du gymnase, désaffecté en cette fin d'après-midi.
Les beaux jours étaient partis pour de bon, puisque jusque-là, les entraînements étaient exécutés dans le parc, sous le Soleil, jusqu'à ce que la Nuit étende son manteau nocturne sur Ilukaan et Bloombury.

Le son était sec, quelque peu étouffé. C'était le plat du shinai qui avait frappé sur le revêtement synthétique rembourré.

Celui-ci sonna comme un signal de départ puisque d'autres suivirent très vite, de manière régulière et fluide, sans la moindre interruption ou hésitation.
Tchak. Tchak. Tchak.

Comme d'habitude, ses mains tenant fermement la garde de l'arme avaient été bandées avec soin au préalable, ceci réduire au maximum les dégâts dus à un entraînement trop intensif, comme le jeune homme en avait le secret.
Le faciès fermé dans la concentration, il poursuivait ses mouvements, comme il l'avait appris, sans la moindre erreur.

Il avait commencé à s'entraîner dans le jardin de sa demeure à Moerukawa, au pied du cerisier qui trônait au centre de la cour dès qu'il apprit à se tenir sur ses pieds, son père n'avait pas attendu une minute de plus.
Fût-ce au milieu des pétales rosés au printemps, à l'abri du Soleil sous les feuilles d'émeraude l'été, dans les feuilles écarlates de l'automne ou les pieds crissant sur la neige l'hiver, il avait fait ses mouvements en toutes saisons. Les premières années, il était supporté par le regard sévère mais bienveillant de ses parents et celui, admiratif, de Senjurô. Par la suite, il ne resta que son frère et le souvenir de sa mère. Pour autant, cela n'amoindrit en aucun cas la flamme dans son coeur et l'acharnement qu'il mettait dans son entraînement.


Ses appuis étaient solidement ancrés sur le sol à moins qu'il ait décidé d'avancer. Auquel cas, le bruit étouffé de ses pieds nus sur le parquet se transformait en un léger fracas et était accompagné du bruissement de son uniforme.
Habituellement, lors de ces sessions d'entraînement, il se contentait du strict minimum. Il était plus aisé de transporter son keikoji et son hakama plutôt que l'ensemble de l'uniforme. Il était donc rare de le voir revêtu de la tenue entière. Or, ce jour-là, étant donné que la journée était dénuée de cours pour Kyojurô, il avait pris soin d'emporter l'ensemble de son bogu.
Ainsi, quiconque aurait poussé son errance jusqu'au gymnase, par ennui ou dans le but de s'entraîner, se serait retrouvé face à une silhouette masquée, toute vêtue d'indigo, ne proférant mot sinon des cris à chacun de ses assauts.
Il y avait à ce moment deux moyens de reconnaître l'Ursirre à ce moment.
La première, accessible à tous, était d'observer son dos. Le casque recouvrant son crâne laissait échapper à l'arrière quelques épaisses mèches blond et roux, caractéristiques du clan Rengoku.
La seconde demandait une connaissance des écritures japonaises. L'oeil habile et averti pouvait percevoir sur le zekken les caractères composant le nom de famille du jeune homme, qui ailleurs pouvait être traduit par "Purgatoire".


Seul spectateur de cette séance d'endurcissement, Kaname était posé sur un banc, au bord du terrain, gardant les effets personnels de son maître, dont sa baguette et sa bague sertie de la pierre bleue d'Ursirre, alors que le jeune homme mettait toutes ses forces sur sa cible qui lévitait sous l'effet d'un sortilège.


Certains utilisaient le sport pour se défouler, déversant sueur et frustration, cette dernière accumulée au cours d'une semaine de cours et de devoirs.
Kyojurô aurait toutes les raisons du monde de s'acharner sur le sac de frappe, de laisser aller toute sa rage. Après tout, la vie ne l'avait pas réellement épargné, contrairement à d'autres personnes, et il mettait tant de zèle dans ses études qu'il lui fallait relâcher la pression.
Il n'en était rien.

L'Ursirre était maître de ses mouvements, de ses émotions, fût-ce au cours de ses entraînements ou dans son quotidien, gardant une humeur égale et les commissures relevées en un grand sourire sympathique.
D'ordinaire, il était complexe de savoir quelles étaient les pensées du futur Auror. Son visage était impénétrable et, s'il était d'un naturel jovial, il était loin d'être quelqu'un de très expressif, comme s'il gardait une certaine pudeur quant à ses sentiments.
Et cela était le cas. Bien qu'il fut honnête et droit, il ne succombait pas à ses émotions autres que la joie et l'enthousiasme.
Vivre en voyant le verre à moitié plein. C'était la décision que Kyojurô avait prise.
Optimiste, peu de choses semblaient réussir à l'ébranler, et force était de constater que c'était le cas.

Le jeune homme s'arrêta après un long enchaînement de coups et, d'une main, retira son men, dévoilant son visage fin, perlé de gouttes de sueur, dues à l'effort physique qu'il ne tarda pas à essuyer du revers de la main.
Il fit tourner son poignet, et son shinai avec, en se dirigeant vers le banc où trônait son corbeau afin de prendre sa bouteille d'eau et se désaltérer.



L'oiseau répondit par un croassement tout aussi enjoué que son propriétaire avant de tourner la tête vers l'entrée du bâtiment, alertant son maître de la venue de quelqu'un par ce geste.
Chose qui arrivait souvent étant donné le défaut d'audition du Japonais.
Le visage de ce dernier pivota alors vers l'endroit que le corvidé fixait et scruta à son tour celui-ci de ses iris flamboyants en buvant deux grandes lampées d'eau dans sa gourde.

Kyojurô reconnut le nouveau venu.
L’Ursirre était doté d’une assez bonne mémoire et il allait sans dire que la figure du plus jeune lui était bien familière, d’autant qu’ils s’étaient adressé la parole quelques semaines auparavant.
Les deux Japonais se retrouvaient donc dans le gymnase par un coup du sort.
Cela était prévisible néanmoins, le campus était fermé et le nombre de personnes pouvant être rencontrées était limité. Toutefois, quelles étaient les chances pour que ce soit Ichigo qui se retrouve en face de lui, compte tenu de l’importante population fréquentant Ilukaan ?



Cela incommodait peu l’aîné des fils Rengoku que des personnes puissent l’observer s’entraîner ou pratiquer son art. Il avait l’habitude des compétitions après tout. Même, le regard des autres ne l’importait pas.
Après tout, quand l’on possédait un physique atypique tel que le sien, l’on devait se préparer à subir les paires d’yeux curieux ou les remarques de toutes sortes.
La raison invoquée avait elle aussi le mérite d’interloquer les interlocuteurs. Un ancêtre qui avait tant mangé de tempura que sa descendance était condamnée à porter une chevelure de feu et un regard flamboyant, c’était invraisemblable. Les Rengoku étaient-ils des flamants roses ? Leur alimentation avait-elle un rôle sur leur physique ?
Cela était pour le moins improbable, mais cette explication avait pour mérite de rabattre le caquet des esprits trop curieux et de s’assurer un peu de tranquillité, sinon de détourner l’attention de certaines personnes n’ayant pas les meilleures intentions du monde, s’en prenant à plus faible ou à plus fragile.

Kyojurô enchaîna immédiatement.



C’était vraiment peu dire. D’aussi loin qu’il se souvienne, il avait toujours admiré son père qui, en dehors de son métier, pratiquait la voie du sabre, comme son père avant lui, et ainsi de suite. Cette activité mettait au défi force, patience, discipline, détermination, stratégie et précision.
Des qualités que l’on devait absolument retrouver chez un Auror, c’est ce qu’il avait toujours entendu.

Pour Kyojurô, la pratique du kendo était aussi nécessaire que le fait de suivre la voie de la défense magique, il en allait de la tradition familiale et de son héritage. Un héritage pluricentenaire, qui remontait jusqu’à l’ère Sengoku selon les annales de ses ancêtres et qu’il se devait de perpétuer, en tant que descendant de ces personnes illustres qui agissaient dans l’ombre pour préserver une forme de stabilité et la sécurité dans une période connue pour son chaos.

Ainsi, dès qu’il fut en état de le faire, Shinjurô avait mis un sabre entre les mains de son fils, à l’époque elles étaient minuscules et ses gestes étaient maladroits. Bien souvent, le garçonnet se retrouvait au sol, déstabilisé par un équilibre mal réparti dans l’ensemble de son petit corps. Outre le manque d’expérience, le fait de devoir tenir une arme plus grande que lui jouait très certainement en sa défaveur.
Les années passèrent néanmoins. Les mouvements imprévisibles disparurent très vite grâce à la rigueur de la pratique quotidienne pour laisser place à des coups puissants et adroits et le garçon monta les grades pour parvenir, depuis l’été passé, au quatrième dan, soit à mi-parcours avant l’excellence du premier dan.

Au début, la silhouette bienveillante de son père assurait ses arrières. Kyojurô se souvenait sans mal de son sourire, de sa voix tranquille qui faisait remarquer ses erreurs et qui l’encourageait pendant que Senjurô tentait de l’imiter.
Une silhouette qui finit par s’évanouir et qui s’était enfermée dans la chambre parentale, reposant sur une couche qu’elle ne prenait pas la peine de ranger, même quand elle se levait et qui puait l’alcool.

Alors l’enfant poursuivit ses entraînements seul, avant d’assurer à son tour les arrières de son frère cadet, puis de la pupille de son père qu’il adopta à son tour, comme son propre frère, bien que leurs physiques et caractères respectifs différaient en tous points.
Malgré cela, il ne put s’empêcher de regretter la retraite de Shinjurô dans sa propre vie, de manière égoïste, et plus largement de son rôle de père.


Enfin, Kyojurô chassa ces funestes pensées, restant imperturbable face à son interlocuteur, le faciès toujours aussi bienveillant et sympathique.
Lui et le Lupy avaient échangé de manière brève mais le plus âgé avait assuré son soutien auprès de ce dernier, si celui-ci en avait le besoin.



Si ses souvenirs étaient bons, le roux était à la recherche de son chat au moment où ils s’étaient tous deux rencontrés. L’avait-il trouvé entre-temps ? Il fallait espérer que oui. Dans le cas contraire, quelle situation fâcheuse cela aurait été.



Ses grands yeux scrutaient le visage du plus jeune, de la même manière que d’habitude, sans timidité ou quelque honte que ce soit. Ce qui pouvait s’avérer fort déstabilisant pour quiconque n’était pas habitué au regard de Rengoku qui était assimilé par de nombreuses personnes à celui d’un strigidé.

Franc, honnête, enthousiaste…
Brûlant.

Il était sincèrement curieux des occupations de son cadet. Tout comme pour lui et le kendo, l’on pouvait en apprendre beaucoup sur une personne quant aux passions de cette dernière.
Et c’était ce que Kyojurô cherchait à percer.

Kyojurô n'y pouvait pas grand chose à la manière dont il scrutait les gens.
À dire vrai, il ne se posait même pas la question de si son regard était inconfortable ou non, celui-ci avait toujours été de la sorte et transmettait la passion qui l'animait à ses interlocuteurs.
Rares étaient les personnes qui lui avaient fait la remarque et, malgré lui, il continuait, parce qu'il ne pouvait pas faire autrement.



Il ne lui en voulait pas. Pour une histoire de prénoms ? Cela n'en valait pas la peine. Surtout que l'Ursirre ne tenait jamais grief à qui que ce soit, malgré les faits de ce dernier.
À condition qu'ils ne soient pas répréhensibles de quelque manière que ce soit bien entendu.
Voir un tiers lever la main ou le ton sur un ou une autre en position de faiblesse avait pour effet direct de le tendre et de s'interposer entre les deux pour cesser toute interaction. Après tout, il n'y avait pas plus grande honte que d'utiliser sa force pour faire du tort aux autres.

S'il fallait qu'il y ait conflit, soit, mais que cela soit fait de manière à ce que chaque côté dispose de moyens équitables pour se défendre correctement aux offenses faites par l'autre.
Rares étaient les personnes pouvant se targuer de s'être fait l'aîné des fils Rengoku comme ennemi et pour cause, il semblait inébranlable, à toujours fixer devant lui, à garder un rictus sympathique qu'importent les circonstances, il ne répondait pas aux insultes ou ne s'énervait pas face à celles-ci, les encaissant, on ne sait comment sans sourciller. De même, les rares altercations physiques dans lesquelles il avait été engagé et qui avaient débouché sur une rixe avaient des raisons qui ne le concernaient pas directement.
Quant à celles pour lesquelles c'était le cas... Il n'entrait pas dans le jeu de l'adversaire, faisant simplement des mouvements pour bloquer ce dernier et l'empêcher de continuer ses mouvements.
Après tout, à quoi bon se battre pour des futilités ? C'était là une perte de temps et d'énergie et ceux-ci étaient trop précieux pour être gâchés, même en l'espace de quelques secondes.

C'était là une mentalité digne de personnages héroïques de légendes, ou plus pragmatiquement, de quelqu'un qui, à l'instar du futur Auror, avait grandi dans un univers strict, dans une famille où les choix d'orientation autres que ceux au service de la justice étaient rares.
Outre ses valeurs, sa manière de s'exprimer et de se présenter au monde ne manquaient pas de passer pour "surannées" auprès de ses contemporains. Après tout, son village natal semblait être un cocon hors du temps, bien différent des modernités de Tokyo auquel il était administrativement rattaché.
Cela se remarquait particulièrement quand il était question pour le jeune homme d'utiliser des moyens technologiques récents, ce qui ne manquait pas de donner lieu à des situations cocasses, provoquant même l'hilarité ou l'interrogation de ses pairs. Toutefois là encore, les moqueries, quelles qu'elles fussent, ne semblaient pas l'atteindre et lui-même avouait, avec beaucoup d'honnêteté ne pas être doué dans ce domaine.
Réaliste, le blond ne mentait pas sur ses lacunes, étant prêt à les travailler ou à demander de l'aide aux autres pour s'améliorer avec, bien entendu encore, force enthousiasme et fracas ; après tout, rien de mieux que de demander directement conseil aux experts.
À l'inverse, il était bien conscient de ses qualités. Loin d'être hâbleur, il n'avait pas pour but de minimiser ses capacités, preuve étant que grâce à celles-ci, il en était à ce point-là, actuellement. La situation aurait-elle été la même s'il ne disposait pas de telles forces ? Le doute, voire le scepticisme, était permis.


Il ajouta, imperturbable et toujours aussi souriant :



Quelle que fût l'activité de son interlocuteur, Kyojurô aurait trouvé moyen d'en faire les éloges. Il avait toujours été ainsi, une personne positive, trouvant toujours le bon côté d'une situation ou un moyen de remonter ou de booster l'estime de n'importe qui.
D'aucuns ne pouvaient qu'être circonspects face à une avalanche de compliments, d'autant que ceux-ci pouvaient être énoncés au cours d'une conversation houleuse et antagonisante, ce qui, dans une telle situation, ne manquait pas de déstabiliser l'adversaire.


Posant son shinai contre le banc où se tenait Kaname, le jeune homme rattacha ses cheveux après avoir senti son élastique glisser sur ses mèches. Peut-être commençait-il à montrer des signes d'usure depuis le temps et qu'il était temps d'en changer.
Il posa ensuite ses mains puissantes et nervurées contre ses hanches, ne détachant pas son regard de son cadet et gardant ses commissures relevées. Il répondit avec force :



Il avait bien en souvenir leur premier et dernier échange. Ichigo était à cet instant précis au coeur de l'année charnière, rythmée par les ASPIC, avant de passer en cursus universitaire et lui avait fait part de ses doutes et hésitations quant à son futur.

Sans complexe, l'Ursirre s'approcha du Lupy et demanda d'une voix plus posée.



Il n'était pas question de se moquer, bien au contraire. Par cette interrogation, Kyojurô réitérait sa proposition de l'aider et de répondre aux demandes éventuelles de son interlocuteur, comme il l'avait énoncé clairement la première fois.

Il ne connaissait pas la situation du rouquin, n'y ayant jamais été confronté. Après tout, sa décision avait été prise il y avait longtemps et ses ambitions étaient aussi claires que la lumière émise d'un âtre qui faisait feu de tout bois.

Dès le berceau, Kyojurô avait été destiné à devenir Auror. D'aussi loin qu'il se souvenait, il avait toujours ouï dire qu'il reprendrait le flambeau de son père, étant l'aîné et ayant le devoir de protéger autrui, par la force dont il avait été doté à la naissance.
Comme cela le lui était rappelé à de nombreuses reprises, il portait le nom de "Rengoku" sur son zekken et depuis sa naissance.

Il revoyait clairement, son père se préparant à partir en mission, couvrant ses épaules du haori qui trônait désormais dans sa propre garde-robe pour les grandes occasions. Ses cheveux, comme les siens, rassemblés en une queue de cheval courte et pratique, le visage fermé, pourtant avenant quand il se tournait vers lui, son fils.

Du moins, il en était ainsi avant la disparition de sa mère, du fait d'une maladie qui l'avait affaiblie à mesure avant de l'emporter pour ne plus jamais la rendre au foyer Rengoku.
Les paroles de Ruka ne cesseraient jamais de résonner dans l'esprit du fils aîné. Il irait au bout de ses ambitions.
Pour elle qui continuait de veiller sur lui de là où elle se trouvait actuellement, il en était certain.
Pour Senjurô, afin qu'il n'ait pas à s'en faire et choisisse lui-même le chemin qui lui plaisait et qu'il n'ait plus à s'inquiéter ou à ressentir quelque pression que ce soit pour le reste de son existence.
Pour son père, dans le but de le délester des responsabilités qui pesaient sur ses épaules et de s'occuper de lui.
Pour ses ancêtres, qui avaient montré la voie depuis l'époque Sengoku et auxquels il devait faire honneur, parce que partageant le même nom de famille que ces illustres personnes, grâce à qui ce patronyme était reconnu dans le milieu sorcier japonais.
Pour ses valeurs, construites au fil des années.

En tant que premier fils de la dernière génération du clan Rengoku, les responsabilités pesaient lourd sur ses épaules depuis sa naissance. Néanmoins, Kyojurô supportait celles-ci avec aisance, n'ayant jamais daigné regarder ailleurs ou en arrière.
Il gardait la tête haute, serrait les dents...
Et avançait, malgré les adversités et le ciel savait à quel point celles-ci étaient nombreuses.
Toutefois, il pouvait compter sur le soutien de bon nombre de personnes, ces dernières avaient pleinement confiance en lui...
Et il ne pouvait décemment pas leur faire défaut en choisissant les mauvaises options.


Pour autant, son cas était exceptionnel.
Rare.
L'Ursirre en était parfaitement conscient. Les échanges poursuivis avec ses camarades d'école, dont celui impliquant Ichigo actuellement, ne manquaient pas de lui rappeler ce fait.





Parce que oui, sa situation était différente. Sans doute parlerait-il au Lupy de la même manière qu'à Senjurô.
Il n'était absolument pas question de grossir les effectifs du cursus qu'il suivait.
Certaines personnes prêchaient en leur paroisse, tirant une fierté certaine de la voie qu'ils avaient choisie, au point de chercher à convaincre à tout prix de rejoindre celle-ci.
Si Kyojurô était fier d'assister aux cours qui lui permettaient de devenir Auror et de se mettre au service du camp de la justice, il n'était pas raisonnable de chercher à recruter n'importe qui. Tout simplement parce que chaque individu avait ses propres expériences, ses singularités, ses intérêts...

Or, le fait de choisir une route qui ne correspondait pas de quelque manière que ce soit avait pour conséquence d'amenuiser la passion qui animait l'humain et quoi de pire que de passer son existence déjà éphémère à être une coquille vide qui répondait aux ordres, sans tirer le moindre bénéfice, sinon pécunier, de son activité ?

La vie devait être faite de frissons, d'exaltations, de joies et de peines. Autant en tirer le maximum à tous les niveaux.

Kyojurô avait vu ces deux aspects avec son père. Autrefois, Shinjurô Rengoku était un homme passionné, enflammé, heureux sur tous les plans.
Il avait suffi d'un déclic. La disparition prématurée de son épouse, pour qu'il se transforme du tout au tout.

Pour que sa flamme s'éteigne.


Afin d'éviter ce genre de transformation radicale, du moins à son niveau, l'Ursirre s'était porté volontaire pour donner conseil dans le domaine des études à ses camarades.


Le blond s'assit sur le ban et croisa les bras sur son torse, il demeurait le dos droit. Sa posture était noble, rigide, quasiment militaire, comme à son habitude. Son visage prit une expression plus rassurante.
Similaire à celle d'un grand-frère.



Il marqua un silence, histoire que son interlocuteur prenne bien conscience des paroles qu'il avait énoncées.



C'étaient là des questions simples.
Basiques.
Un peu bateau même.
Néanmoins, Kyojurô les considérait nécessaires pour prendre une décision rapide sur ce sujet.
Il ajouta enfin.



Ce que voulait dire le plus âgé des deux étudiants, c'était de ne pas s'en faire.
Qu'Ichigo finirait par trouver sa voie, quoi qu'il en soit.

Regrettait-il le fait de ne pas avoir eu le choix ?

Il avait eu l'occasion d'y réfléchir, l'année de ses BUSE. L'adolescent qu'il était alors s'était plongé dans une profonde introspection quoique brève puisque la réponse s'était imposée d'elle-même.

Pas le moins du monde.

La question ne se posait même pas et cela n'avait jamais été le cas comme Kyojurô était persuadé qu'elle ne se poserait jamais. Au-delà de ce que l'on lui avait répété depuis sa naissance, il ne se voyait pas vouer sa vie autrement qu'au service d'autrui, de la protection des civils, quitte à se sacrifier pour eux, afin qu'ils puissent vivre sans jamais ressentir la crainte d'être en danger.

Kyojurô ne niait pas qu'il y avait une part de sacrifice également dans ce choix, bien que celui-ci n'était pas particulièrement difficile, cela en restait un.
Il ressentait le devoir de perpétuer la tradition familiale également pour que Senjurô soit libre de choisir la voie qui lui convenait, c'était là sa responsabilité en tant qu'aîné.


Il lui avait suffi d'entendre les récits de son père, quand tout allait pour le mieux, ceux du reste de sa famille, de parcourir les annales des Rengoku qui remontaient à plus de cinq siècles en arrière, de voir l'armure ancestrale ornée de flammes, rutilante, ainsi que le katana dont la garde enflammée rappelait ce motif qui traînait dans la famille depuis des générations trôner dans la demeure de Moerukawa.
Ou encore en touchant le haori blanc dont les bords viraient vers des couleurs chatoyantes, qu'il avait eu l'honneur d'hériter et qu'il partageait avec ses ancêtres depuis le premier de leur nom.

L'Ursirre tenait d'ailleurs son prénom d'un arrière-arrière grand-oncle, ayant vécu lors de l'ère Taisho et qui s'était illustré dans la traque des mages noirs qui sévissaient au Japon à l'époque, notamment dans les alentours de Tokyo. Il était mort de manière très prématurée, les temps desquels il était contemporain étant particulièrement dangereux, mais ses valeurs avaient su perdurer au fil du temps et son sacrifice n'avait pas été oublié par sa famille.
Au point qu'il partageait son patronyme avec l'aîné de la dernière génération de ces guerriers de Moerukawa.




C'était ce que lui-même avait fait.
Il allait sans dire que son dossier était excellent et que les notes qu'il obtenait aux examens l'étaient tout autant.
Après tout, Kyojurô était un élève travailleur, zélé, perfectionniste... Acharné.
Ses professeurs ne pouvaient décemment objecter ces faits. Depuis le début de sa scolarité, le blond avait obtenu des notes plus que satisfaisantes dans toutes les matières, au détriment peut-être de sa vie sociale et de beaucoup de loisirs. S'il s'entendait avec quasiment toutes les personnes qu'il croisait par son bon caractère, il n'avait lié que peu de réelles amitiés.
Cela ne le dérangeait pas outre mesure. Si Kyojurô était venu étudier à Ilukaan, si loin de son foyer, de sa famille, de ses attaches, ce n'était pas dans le but d'être populaire.
Pour les matières dans lesquelles il se jugeait faible (toutes proportions gardées, étant donné le personnage), il n'avait pas hésité à solliciter l'aide de camarades qu'il savait particulièrement doués dans celles-ci.
Pour ses BUSE et ASPIC, n'avait-il pas demandé à Shinobu Kochô de l'assister dans ses révisions, alors qu'elle était plus jeune que lui de deux ans ?
"La valeur n'attend pas le nombre des années" disait l'adage et l'aîné Rengoku en était parfatement conscient. Preuve en était que, cadet ou non, il ne fallait pas être réticent à quérir le soutien de passionnés.

Les yeux rougeoyants de l'Ursirre scrutaient toujours le visage du Lupy, ses commissures ne s'étant pas abaissées depuis le début.
Il l'écoutait toujours, avec attention bien qu'il n'en donnait pas l'impression.



Sa tirade pouvait semer le doute tant elle semblait contradictoire. La première moitié étant faite d'encouragements, parce que le futur Auror était ainsi, plein de phrases supportrices, alors que la deuxième était d'un autre ton qui semblait sorti de nulle part et qui dissonait avec l'autre.

Toutefois, il ne fallait pas se leurrer. Il fallait dire que l'ensemble du corps professoral avait accès au dossier d'un élève, le moindre détail sur le parcours étudiant ne pouvait pas leur échapper.
Voir qu'il y avait eu un changement de cursus pouvait prendre une tournure épiphanique très positive tout comme pouvait témoigner d'une hésitation qui pouvait s'avérer fatale, surtout si l'on ne se retrouvait pas dans celui antérieur et dans celui choisi.
La situation pouvait rapidement devenir gênante et si Ichigo se retrouvait dans celle-ci in fine, ce serait fort délicat.

Les iris flamboyants du plus âgé semblèrent crépiter comme un feu quand il fut mention de sa propre vie.



Un discours idéaliste, qui ne manquait pas de s'attirer les moqueries des plus esprits les plus cyniques.
Toutefois, Kyojurô en avait cure.

Des problèmes de puissance ?
Pouvait-on parler de "problème" dans le cas de Kyojurô ?

À la question de son cadet, il répondit de manière simple et pourtant précise, ne s'étendant pas davantage sur le sujet.



L'aîné des Rengoku avait toujours eu une puissance magique assez remarquable, au point que cela avait amplifié sa prédestination. Quant aux éventuels soucis qui pouvaient survenir... Ceux-ci avaient souvent été avortés par la rigueur quasiment militaire de l'éducation à laquelle il avait eu droit depuis sa plus tendre enfance.
Depuis près de six siècles, les Rengoku enfantaient des Aurors. Des flammes vertueuses au service de la défense magique, immolant les ennemis, guidant les démunis.

« Pour sauver les faibles. Les gens comme toi qui sont nés avec de meilleures aptitudes que leurs pairs doivent user le pouvoir dont ils disposent pour les autres, pour le monde. Blesser les autres avec le pouvoir qui t'a été accordé par les cieux et souiller ainsi tes mains serait impardonnable », lui avait intimé sa mère avant que sa présence ne s'évanouisse définitivement, ne laissant qu'une froideur et un vide à peine atténués par la présence des deux fils dans le domaine Rengoku, malgré toute leur bonne volonté à chacun.
Conformément à cette ultime volonté maternelle et au chemin qu'il avait choisi d'entreprendre, l'Ursirre préférait se faire du mal à lui-même plutôt que de toucher ne serait-ce qu'à un seul cheveu de ses pairs.

Kyojurô s'exclama en réponse à son interlocuteur, presque immédiatement après que celui-ci ait fini de parler :



Le plus âgé laissa quelques secondes s'écouler avant d'ajouter :



Cela était bien entendu une simple supposition. Il était naturel que la décision finale revenait à Ichigo.
Néanmoins, s'il y avait une leçon à retenir absolument dans la pratique de la magie, c'était justement de ne pas avoir peur de celle-ci. La peur amenait son lot d'émotions, les émotions perturbaient l'esprit et en ce sens, l'esprit n'était plus en mesure de juger et de se concentrer correctement, ce qui menait à des situations fort peu favorables à de nombreux niveaux, tant face à l'adversaire qu'à soi-même.

Puis, qu'on le voulait ou non, ils étaient tous à un point où ils ne pouvaient pas ignorer la magie, celle-ci faisait entièrement partie de leur existence.

C'est d'ailleurs ce que Kyojurô avait en tête. Il se leva tranquillement et tenait toujours le regard de son interlocuteur. En revanche, il arbora soudainement une expression plus sérieuse et moins légère. Son sourire s'était estompé.

Le blond croisa les bras sur son torse.



Perdre sa baguette et devoir en acquérir une nouvelle n'était jamais agréable pour un sorcière, c'était à ne point en douter, en dehors de l'aspect financier de la chose. C'était comme perdre un vieil ami, qui accompagne même dans les pires moments.
Après venait l'instant où il faut se familiariser avec une nouvelle et cela n'était pas chose aisée.
Comme les individus, ces instruments possédaient une personnalité qui leur était propre et il était certainement plus facile de se lier en étant jeune et sorcier novice que plus âgé et plus expérimenté.

Toutefois, en tant que futur Auror, Kyojurô devait se préparer à l'éventualité de perdre un jour sa baguette et de devoir la remplacer.



Il posa cette question de but en blanc, après un petit silence.
Derrière la tête, il comptait aider son cadet à sortir de ces conceptions aliénantes évoquées précédemment.

N'était-ce pas son devoir en tant que plus vieux ? Assister les plus jeunes dans leurs problèmes, et les aider à sortir de ceux-ci sans pour autant le faire à leur place et les déresponsabiliser.

Kyojurô prenait ce rôle très au sérieux, en témoignait la manière dont il agissait envers les plus jeunes. En début d'année, il se portait volontaire depuis longtemps pour guider les Première Année dans le campus, les tirer du sentiment de perdition et éviter les errances inutiles.
Avec les autres, plus âgés et expérimentés, il conservait ce rôle de protecteur, limite de grand-frère, agissant envers eux avec une infinie bienveillance, offrant moults mots de réconfort et sourires éblouissants qui le caractérisaient sans mal.

Kyojurô Rengoku était un être solaire.
C'était de notoriété publique.
Chaleureux, dont la présence pouvait se montrer apaisante malgré son énergie débordante.



Bien entendu, Ichigo pouvait refuser cette proposition. Après tout, d'autres étudiants s'étaient montrés réticents à ce genre d'offres de l'Ursirre.
Toutefois, ce dernier avait des problèmes d'audition, c'était de notoriété publique, sa voix couvrant sans mal celles de ses interlocuteurs la plupart du temps.
Il pouvait également sembler qu'il n'écoutait jamais ce que les autres disaient, étant assuré, si ce n'était buté dans ses idées et ses convictions.

L'on pouvait dire qu'il y avait une illusion de choix donnée par Kyojurô. S'il avait décidé d'aider un de ses pairs, en plus un plus jeune que lui et qu'il avait jugé être dans le besoin, il y avait fort à parier, si ce n'était tout, que la décision avait été prise unilatéralement par le blond.


L'enfer, ou plutôt le purgatoire, était pavé de bonnes intentions.

L'Ursirre avait sa propre compréhension des choses, assimilant parfois de travers.
Jusque-là, l'on pouvait ne pas trouver le moindre problème, l'erreur était humaine, cela arrivait à tout le monde de se tromper et personne n'était parfait.

Ce qui était en revanche hasardeux, c'était le comportement de Kyojurô vis-à-vis de ses erreurs.
Il ne pensait pas à mal. Loin de là, il était une personne foncièrement bienveillante et qui ne possédait aucune ambivalence.
Toutefois, l'on pouvait supposer, à raison, qu'il possédait une personnalité enflammée, tout en lui transpirait la passion et la détermination.

Pour autant... Le jeune homme avait les défauts de ses qualités. Celles-ci pouvaient se manifester en premier lieu sous la forme d'une grande impatience.
Celle-ci ne se ressentait pas en toutes circonstances, Kyojurô savait se tenir dans bien des situations et demeurait tranquille et respectueux quand la bienséance l'exigeait. Toutefois, quand il avait l'impression de perdre du temps, il n'était pas aussi longanime et faisait signifier, à très haute voix, son avis sur la question ; même si ce dernier n'était pas demandé.
Ensuite, sa détermination. Si le futur Auror se sentait d'une motivation à déplacer des montagnes et à faire feu de tout bois, il faut dire qu'il n'écoutait pas forcément jusqu'au bout les autres. Non pas qu'il en avait cure, bien au contraire, mais parce qu'il était buté afin de mener à bien ses projets ou pour faire entendre son avis, au point d'occulter les points de vue de ses pairs.


C'était le cas à ce moment avec Ichigo.
Le plus âgé du duo avait eu le sentiment que ce dernier avait besoin de son aide et s'était enfermé dans cette conception.
Coûte que coûte, il apporterait son soutien jusqu'au bout, jusqu'à ce que le roux se dépêtre de ses problèmes ; ou de ce que Kyojurô avait jugé comme tel.

Le blond était-il un cas d'école du syndrome du sauveur ?
Sans nul doute, il n'y avait pas à se poser la moindre question.

Il était ainsi, l'avait toujours été et le demeurerait jusqu'à la fin de ses jours.
Il était si prompt à apporter son aide, encore plus non-sollicitée, auprès de tous, ce qui le rendait particulièrement admirable...
Ou extrêmement agaçant, cela dépendait des personnes.

En revanche, l'aîné Rengoku faisait preuve d'assez d'ouverture d'esprit pour remettre en cause ses convictions et ses choix qui l'avaient dirigé tantôt et pour reconnaître ses torts sans se crisper.




Honnête, il approuvait réellement cette proposition quant aux options. Cela permettait de concilier toutes les éventualités.
Néanmoins, il ne fallait pas éclipser le fait qu'une telle possibilité impliquait de travailler encore davantage pour des matières qui n'étaient pas forcément des plus utiles pour le projet professionnel de tout à chacun.
Lui-même avait suivi en plus de son cursus des cours facultatifs en Histoire de la Magie. Etant depuis son enfance un passionné des événements du passé et sincèrement curieux des faits des illustres sorciers et sorcières d'antan, ainsi que de tous les événements ayant contribué à faire le monde tel qu'il était aujourd'hui, ce choix avait été tout naturel pour lui.

Il avait cessé cette option pour cette année mais cela ne l'empêchait pas de s'intéresser encore à cette discipline, parmi d'autres.
Plutôt que d'alourdir davantage son emploi du temps, il échangeait avec des étudiants s'étant spécialisés dans les filières qui l'intriguaient, n'hésitant pas à poser toutes les questions lui venant à l'esprit, empruntait des livres à la bibliothèque pour les feuilleter dans son temps libre, apprenait de manière moins soutenue, en autodidacte.
Après tout, il était très travailleur et apprenait vite, même par le biais de contenus limités.
Tout ceci finirait par lui servir et lui être extrêmement bénéfique.


L'Ursirre déposa son men sur le banc, cette protection ne lui étant d'aucune utilité dans le cadre d'un duel magique.
Il opina derechef, sans prendre compte le côté rhétorique de la question du plus jeune, étant comme à l'accoutumée, très premier degré.



Il avait également retiré ses gants, utiles quand ils enserraient la garde d'une épée, mais particulièrement gênants quand il s'agissait de tenir une baguette magique, plus fine.



C'était là un bon moyen de s'exercer aux lancers de sort. Kyojurô avait pris l'habitude de le faire de temps à autres avec Senjurô, afin que ce dernier prenne confiance en lui.
En ses capacités, quelles qu'elles fussent.


Il se tenait droit, le corps rigide mais digne. Ses pieds nus étaient solidement ancrés sur le sol du gymnase, dans leur posture habituelle. Sous la pulpe de ses doigts, il tenait fermement mais sans crispation le bois de cerisier, d'un brun chaud qui n'était pas sans rappeler l'intérieur de ses iris. Son menton était quelque peu relevé, mais ne communiquait pas le moindre signe de mépris ou d'arrogance de la part du futur Auror, de même, il ne souriait pas.
Kurosaki était un adversaire comme un autre.
Il le respectait.

Kyojurô Rengoku était un roc.
Un pilier.
Solide et imperturbable, malgré les assauts divers et variés auxquels il avait eu droit au fil des années.

Ses yeux flammoyants étaient rivés sur celui de son adversaire de circonstances, cette fois illuminés par un éclat de défi, amusé.




Il se sentait largement capable de faire face aux sorts de son cadet, aussi puissants étaient-ils.
Il en était capable.

Le blond se sentirait quelque peu insulté si Ichigo se contenait et il lui faisait bien signifier cet état de fait.

Kyojurô faisait face à celui qui serait son adversaire pendant quelques minutes, le temps d'un moment éphémère, pour le bien de celui-ci. Il ne détournait pas le regard, se concentrait entièrement pour assurer sa défense, prêt à évaluer l'étendue de la puissance magique du plus jeune dont il avait été longuement question précédemment.
Il ajouta sur un ton ferme et confiant, à un haut volume, comme d'accoutumée :



Comptait-il provoquer Ichigo par ces termes ? Non, pas le moins du monde. Cela était clair comme de l'eau de roche.
Etaient-ce des encouragements ? Bien évidemment.
Il fallait inciter le plus jeune à donner le meilleur de lui-même.

Dans sa paume puissante, il y avait le bois sans imperfections de sa baguette, lisse. Etait-ce le fait de sa propre température corporelle ou de la plume de Hoo-hoo qui était enfermée dans la branche, quoi qu'il en fut le creux de sa main était chaud et cela le galvanisait, il n'y avait pas d'autre terme.
Face aux défis, aux efforts, il s'était toujours enflammé, ce qui lui permettait de "dépasser ses limites", à l'entendre. Cette montée d'adrénaline lui réussissait plutôt bien.
Il fallait dire que le blond était une personne pleine d'énergie, en toutes circonstances. Il n'y avait pas un moment où il pouvait sembler éreinté et amorphe. Qu'importe si ses traits étaient marqués par le manque de sommeil dû à de longues heures passées à travailler, de même pour la longueur de ses cernes, de temps à autres.
S'il faisait des nuits blanches afin de boucler ses travaux demandés pour les cours, il attendait de les finir avant de se poser sur une chaise pour rattraper quelques précieuses minutes de sommeil, bras croisés sur le torse, le dos droit et le menton légèrement baissé, comme un guerrier assoupi pendant sa garde.

De garçonnet à jeune homme, il demeurait une personne enflammée, passionnée. Cela se percevait notamment pendant ses combats. Duels de kendo ou démonstrations magiques, il se donnait entièrement et ne ménageait pas ses efforts.


Dans le feu de l'action, Kyojurô n'avait pas réellement pensé aux répercussions de ce que lui et Kurosaki s'apprêtaient à entreprendre. Après tout, il faisait ça dans le but d'aider son cadet, ce n'était en rien un règlement de comptes. Il serait parfaitement honnête si jamais un membre du personnel ou un préfet, soit quiconque qui serait détenteur de l'autorité au sein du campus, venait à les surprendre.
L'Ursirre étant connu pour appliquer les règles avec zèle depuis le début de sa scolarité, cela pourrait amoindrir les conséquences, voire faire en sorte qu'il n'y en ait pas. En revanche, il fallait admettre qu'il ignorait la manière dont était perçu son cadet, ne le connaissant pas vraiment et étant peu au fait des bruits de couloir.
Les cancans ne l'intéressaient pas le moins du monde et il poursuivait sa route plutôt que de tendre l'oreille pour être au courant des dernières nouvelles de l'établissement.

Le travail, rien que le travail, d'aucuns diraient.
Et c'était le cas.


Nul besoin de décompte, ils se mettaient tous deux en condition pour un duel comme l'on pourrait en trouver dans le quotidien d'Auror. Les deux jeunes hommes s'assurèrent juste rapidement que l'autre était bien prêt pour éviter toute blessure inutile et ils se retrouvèrent vite dans le feu de l'action.

Le roux commença par tenter de perturber les sens du plus âgé, provoquant ainsi une détonation qui fit reculer l'Ursirre.
Ce n'était pas là un geste particulièrement orthodoxe, dans les codes traditionnels des duels sorciers, surtout pour un premier sortilège. Néanmoins, les deux adversaires n'avaient pas convenu de la manière dont devaient se dérouler leurs échanges de sorts sinon "tu attaques, je me défends". Le Tokyoïte n'avait donc rien à dire.
Il ne comptait pas le faire bien évidemment.

Kyojurô, alerte, regarda autour de lui, ses iris chauds bougeaient rapidement, analysant rapidement l'environnement à la suite du sort du Lupy, comme un tigre qui se retrouverait face à un antagoniste.

Ichigo n'avait pas menti, il avait une bonne puissance magique en lui et cela présageait un duel plus qu'intéressant entre les deux élèves.
Le futur Auror ne se laissa pas distraire pour autant, repérant très vite l'action de son assaillant.
En immédiate à ce dernier, son mouvement fut rapide, précis et efficace, incantant un champ de force autour de lui qui désintégra le sort du plus jeune à la manière d'un parapluie qui prémunissait de la gerbe d'eau lancée d'un seau. Il n'y avait pas de grâce dans son geste, Kyojurô ne cherchait pas l'esthétique dans ses déplacements.
Il y avait simplement de la force et de la vitesse brutes mais bien dosées, qualités dont le jeune homme était paré.
Ses vêtements flottaient autour de lui dans maints bruissements de tissus. Il pouvait faire penser à un guerrier mimé dans une pièce de théâtre Kabuki, avec son expression fermée et ses traits particuliers.

Son visage se détendit toutefois un instant, se permettant un sourire, pendant que de la main gauche, il recoinça une folle mèche rouge et or dans son chignon.



L'autre sorcier avait-il besoin d'entendre ses louanges ? En voulait-il ?
Sans doute pas.
Mais il était dans le naturel de l'aîné Rengoku de le faire. D'autant qu'il voulait montrer son admiration, de manière franche, comme à son habitude.
Il était à la fois si transparent et si opaque.

Son honnêteté n'était pas à démontrer.
Pour autant...
Kyojurô n'était pas des plus faciles à cerner, surtout pour ceux pour qui il était étranger.

Son adversaire était doué et avait beaucoup de ressources. Cela promettait beaucoup de choses, dont le fait que le plus jeune pouvait être promis à un avenir ambitieux ou, de manière plus pragmatique, que le duel qu'ils avaient tous deux prévu, en bonnes et dues formes, allait être plus qu'intéressant.

En poursuivant ses gestes défensifs, le blond n'avait de cesse de complimenter l'attitude du Lupy.



Nombreux étaient ceux qui exagéraient leur puissance magique. Après tout, cela pouvait être tentant. Attirer l'attention des autres, se targuer d'avoir des capacités admirables, d'autant qu'ils étaient jeunes, commençant leur cursus au sortir de l'enfance et jusqu'à l'âge adulte. Ilukaan voyait nombre d'étudiants évoluer en son sein, devenir plus responsables, plus mesurés, plus matures... ou pas du tout.
Néanmoins, cela était un mensonge envers soi-même. Au-delà de vouloir attiser la curiosité, c'était là une manoeuvre illusoire, on construisait un château dans des mirages et ces derniers finiraient détruits d'une manière ou d'une autre.

Pour autant, il ne fallait pas dénigrer ses propres qualités, il était nécessaire d'en prendre conscience afin que celles-ci deviennent des forces indiscutables, pouvant guider même dans les moments les plus sombres et permettant de se relever immédiatement après une chute, aussi violente était-elle.
Et cela passait par l'opinion que les pairs avaient de chaque individu. Des louanges étaient toujours plaisantes à entendre et galvanisantes, alors pourquoi se priver d'en faire ?


Des capacités indéniables, c'était cela. Le blond le pensait sincèrement en évitant le panier de basketball et le sort de son adversaire avec habileté.

En revanche, peu de soin et d'attention étaient portés par le jeune loup à son environnement en témoignaient les dégats qui se faisaient un peu trop nombreux.
Kyojurô s'était-il enflammé en évoquant un duel et en lui proposant son aide ? Pas forcément. Néanmoins, en tant que plus âgé de leur duo temporaire, il prendrait sans hésitation la responsabilité de ses actions et s'occuperait de réparer tout incident à l'encontre du matériel qui serait survenu.
Voyant le gymnase prendre pour son grade, l'Ursirre se dit que peut-être il serait raisonnable de ne pas entamer le duel entre ces murs, d'autant qu'ils risquaient de se faire prendre.

L'aîné s'apprêta à marquer un répit dans leurs échanges quand un croassement venant de Kaname résonna dans le bâtiment, suivi d'un léger écho.

Une personne s'était approchée. La tête aux lourdes boucles blond et roux se tourna vivement, les mèches dansant lentement dans les airs. Les yeux perçants et flammoyants scrutèrent l'entrée du gymnase, aussi concentrés que ceux d'un rapace à la recherche de sa proie.

Une douleur vive se fit ressentir à son bras droit.
C'était prévisible. Kyojurô n'avait pas marqué de temps mort et avait concentré toute son attention vers le nouveau venu.
Enfin, la nouvelle venue en l'occurrence.
Très jeune, portant l'uniforme de Stryxist et les cheveux rassemblés en deux nattes brunes, elle devait être en Première Année.
Son manque d'expérience au sein d'Ilukaan et la volonté de bien faire, sans doute, elle recula vivement et se tourna, très certainement pour prévenir un membre du personnel.



Cet ordre avait beau ne pas être d'une grande véhémence, cela suffit pour que la petite s'arrête net dans sa course à peine entamée. Personne ne voudrait se mettre à dos d'autres élèves, d'autant que les deux jeunes hommes pouvaient paraître quelque peu intimidants face à une frêle demoiselle qui avait eu le malheur de passer par là.

D'un signe de son bras intact, l'aîné Rengoku demanda à Ichigo un temps mort, oubliant pour un moment les picotements à son bras dus au sort jeté, une mauvaise habitude qu'il possédait, le fait d'occulter des souffrances et de ne pas les traiter le plus tôt possible.

Se dirigeant vers la nouvelle venue, il arbora son sourire le plus sympathique et sans montrer le moindre signe d'agacement à cause de son bras touché, de son activité interrompue.

Les négociations entre la plus jeune et le futur Auror ne durèrent pas longtemps et permit de trouver un consensus entre les deux parties.
Fort heureusement, les professeurs ne seraient pas alertés de cette activité et il n'y aurait a priori pas d'empirement.
Toutefois, pour ce fait, il faudrait que les deux duellistes cessent de détruire le gymnase dès maintenant et pour le reste de la journée. Cela voulait dire qu'ils n'auraient pas le temps de se mesurer pour un duel digne de ce nom.

La Première Année finit par s'éloigner. Un tel zèle dans l'application des règles, Kyojurô ne put s'empêcher de penser qu'il avait devant lui une future préfète, très certainement.
L'Ursirre retourna donc du côté d'Ichigo, le visage neutre mais les commissures relevées néanmoins.



Et à présent, il était nécessaire que les deux Japonais réparent et nettoient toutes les preuves de leurs actions.

Ce que Kyojurô commença à faire sans émettre la moindre protestation.