Il n’était pas très difficile de savoir d’où venait Feliciano, ses origines étaient inscrites sur son visage. La peau hâlée naturellement, un peu plus brunie par le soleil chaque été, perdant de sa mélanine l’hiver. Les grands yeux en amande, le nez en trompette et son petit accent lorsqu’il conversait en anglais, n’était qu’indice de plus. Il était méditerranéen. Sa langue maternelle, celle dans laquelle il retombait souvent sans le désirer, était le signe de plus. Un italien, descendant de l’empire romain, jadis une si grande nation.

Évidemment, sans qu’il ne parle, il n’était pas possible de lui attribuer une origine précise. Feliciano ne s’offusquait pas, lui non plus ne pouvait pas savoir pour tout le monde au premier coup d’œil. Il lui arrivait même de confondre car la géographie ce n’était pas son truc, et il préférait ne jamais tomber dans le cliché. Lui-même aurait pu appartenir à une toute autre origine pour ce qu’il en savait.

Le fait était là : il est italien de naissance et de sang. Ses deux familles y vivaient depuis toujours.

Il ne se cachait pas non plus, prévenait souvent ses interlocuteurs à l’époque car il lui arrivait de mélanger des mots, ou de laisser traîner certains dans sa première langue. A présent il faisait d’innombrables efforts pour que cela n’arrive plus, qu’il soit compris de tous et que son accent ne ressortir pas autant – ce point-là, il ne s’en débarrasserait jamais, et il l’avait appris avec le temps.

Actuellement, l’Italien se trouvait dans la salle commune des Strixysts, assis sur un fauteuil, pour une fois très convenablement. La raison ? Il s’affairait à réviser quelques accords sur sa guitare. L’instrument était un cadeau de son grand-père, c’est d’ailleurs le fantôme qui lui avait appris à jouer. Son père également. Un peu plus de cliché pour lui mais il faisait mine de ne pas le remarquer.

Les notes s’échappent lentement du caisson, sans rythme très précis, il appuyait simplement sur les cordes hasardeusement. Des accords s’enchaînent sans qu’ils n’aient de logique. Ambidextre, il pouvait facilement changer de sens de guitare, mais il avait une préférence pour la droite. Sa main gauche appuyait sur les cordes, sa main droite les grattait.

Aujourd’hui il n’utilisait pas son médiator car pour les ballades il n’en avait pas la nécessitait. Les cordes n’étaient pas toutes grattées en même temps. Son index et son majeur s’occupaient des trois plus aiguës tandis que de pouce il glissait lentement sur les trois autres, plus graves, qui amenait un côté rocailleux à cette musique.

La ballade résonnait dans la salle, par de simples notes, sans être accompagné, pour une fois, de sa voix. Ni de celle, bien plus saccadée de Pluton, qui ne se trouvait pas à ses côtés pour une fois. Le corvidé n’avait pas pris la tangente pour l’après midi, la pluie l’en avait dissuadé, et avait préféré se reposer dans le dortoir.

Feliciano n’était pas grand admiratif de la pluie, il savait l’apprécier, l’esthétique qu’elle apportait. Aussi, ce qu’elle pouvait lui rappeler, rester à l’intérieur, près du feu avec une bonne tasse de chocolat chaud, le tout emmitouflé sous une couverture. Cette dernière se retrouvait bien souvent tâchée car il était d’une maladresse abominable. Heureusement pour lui, sa mère n’était que compréhension à son égard sur cela, et d’un simple sort la couverture retrouvait son éclat d’antan.

D’autre fois, sous la pluie italienne, il lui arrivait de courir, de sauter dans les flaques. Tant qu’il n’y avait pas d’orage cela lui convenait. La pluie avait une beauté irrésistible, presque irréelle. Une touche d’art particulière qu’il aimait observer, de l’intérieur comme de l’extérieur. En y réfléchissant, en cherchant plus loin, l’eau avait un pouvoir apaisant sur Feliciano. Il pouvait passer des heures à la piscine, passait son temps dans l’eau quand ils allaient à la mer en famille. Un psychiatre y verrait un retour aux sources, dans le liquide amiotique, bien protégé dans le ventre de la mère.

L’Italien ne voyait pas si loin. L’eau était un élément calme, bien que dévastateur, il était présent sur toute la Terre et tous en nécessitait. Elle était importante, et magnifique. Il pouvait passer des heures à la regarder, à l’écouter tomber.

Ce n’était pas l’un de ces jours, peut-être car il était presque sûr d’avoir entendu le tonnerre gronder au loin, et la peur l’avait tiraillé, inconsciemment. C’est la raison qui l’avait poussé à sortir sa guitare, à se perfectionner sur sa technique de grattage plus difficile. Il voulait s’occuper pour ne plus y penser, mais également ne pas l’entendre dans le cas où il viendrait survoler leurs têtes, peu désireux de se trouver dans un état lamentable.

Cependant, une voix plus que polie l’interrompt dans sa pratique. Feliciano reconnaît cette voix, il en connaissait le propriétaire. Un ancien préfet et aussi camarade de théâtre. Tout aussi poliment il redresse la tête vers l’arrivant, le découvrant enroulé dans sa couverture blanche. L’image lui tira un sourire.

« Tu ne me déranges pas du tout Kokichi ! »

Bien qu’il désirât s’entraîner, il ne trouvait pas cela gênant qu’il vienne lui parler. Feliciano restait un oiseau des plus sociable, incapable de rejeter qui que ce soit dans n’importe quelle circonstance – ou alors il n’avait pas encore trouvé celle qui le ferait se détacher de ce principe qui le suivait depuis son enfance.

« Bien sûr ! Si c’est dans mes cordes je vais t’aider. »

Serviable, il l’était, incapable de dire non tant qu’il n’avait pas la preuve que ce n’était pas dans ses capacités d’aider l’autre. Feliciano vient de ce fait ranger sa guitare dans son étui pour ne pas l’abîmer. Il n’était peut-être pas l’être le plus soigneux du monde, mais quand il se préoccupait réellement, il savait y faire. Or cet instrument était un cadeau précieux qu’il ne désirait pas voir détérioré. Une fois assuré qu’il ne lui arriverait rien, il se redresse pour faire face au japonais.

« Sur quoi tu as besoin d’aide ? »

Le septième année observe l’aîné dans son scepticisme, ne pouvant alors pas croire que quelqu’un allait réellement l’aider sans qu’il n’ait à le supplier. Feliciano était ainsi, il aimait aider. Ce n’était pas qu’une valeur chrétienne que sa mère lui avait enseignée, il s’agissait d’un art de vivre, d’aider autrui quand il le pouvait sans jamais rien attendre en retour. Pourtant, il ne blâmait jamais les gens qui refusaient, certains avaient des raisons qui les exemptaient, d’autres n’en avaient simplement pas envie. Il pouvait le comprendre, et ne disait rien.

Feliciano reste passivement assis sur le fauteuil, et écoute le plus âgé dans sa tirade. Qui n’était pas réellement pour le mettre en confiance. Il ne connaissait pas assez Kokichi pour savoir qu’il était en train de mentir, de raconter quelques fadaises de son cru. Soudainement, l’italien n’était plus si sûr qu’il pouvait l’aider, ou même qu’il le désirait vraiment. S’associer avec le mal n’était pas quelque chose qui l’amusait. Cela tendait même à la déranger. La mention des pots de vin le fait quelque peu blêmir.

Oh non, il ne voulait vraiment avoir affaire à cela, même s’il s’était déjà engagé envers le japonais. D’ailleurs il ne comprenait pas ce que cette histoire avait à voir avec lui ! Il avait bien conscience que le cliché italien était celui de la mafia, mais il ne désirait réellement aucun lien avec cela. Évidemment, il comprend sans trop de mal là où il veut en venir. Parler italien devrait lui ouvrir quelques portes mais rien de bien extraordinaire, l’anglais était d’une meilleure aide après tout...

Alors que Feliciano tente de se rétracter, de lui expliquer qu’il ne serait pas en mesure de l’aider, le livre tombe sur ses genoux. D’abord, il était horrifié à l’idée de se retrouver complice d’une sale histoire, mais le livre était de trop.

Pourtant, il s’arrête dans tout essai de prévenir Kokichi qu’il ne pourrait pas l’aider, attiré par le titre du livre, ainsi que la question posée. Délicatement il s’en saisi pour lire le titre, qu’il n’a pas grand mal à comprendre.

De l’espagnol ?

Feliciano papillonne des yeux quelques longues secondes, silencieux.

« Je... »

Il peut comprendre le quiproquo, pourquoi Kokichi le pensait capable de parler cette langue. Ce n’était pas le premier, et d’ailleurs lui-même ne pourrait pas forcément différencier le japonais du mandarin ou deux langues slaves par exemple.

« Je ne parle pas espagnol... » Avoue-t-il finalement à demi voix, les yeux toujours rivés sur le livre à la couverture jaune.

La suite lui paraît bien plus difficile à exprimer, il devait trouver la meilleure tournure pour que Kokichi ne se sente pas mal, qu’il ne blâme pas sur son erreur qui était, à ses yeux, tout à fait pardonnable.

« Ton erreur est compréhensible, l’espagnol ressemble beaucoup à l’italien, commence-t-il doucement, d’une petite voix. Les mêmes sonorités, la façon de rouler le r, l’accent aussi est assez similaire... »

L’accent n’était pas exactement le même car en fonction des régions italiens ou espagnoles, il était entièrement différent. Comme il pouvait y en avoir différent au Canada ou en Angleterre. La façon de parler, de prononcer les mots changeait en fonction de la géolocalisation et de l’histoire de l’endroit.

Dans sa grande et naïve bonté, Feliciano propose tout de même son assistance sur un point.

« Si tu veux, je peux t’aider avec la prononciation ? Même si..., il s’arrête dans sa phrase quelque temps avant de reprendre, il devait être honnête. Je ne suis pas sûr que j’aie envie que tu fasses le mal avec ça... »

Feliciano pouvait comprendre que certaines règles soient brisées, car elles étaient mal faites, car elles ne causaient que du tort. Cependant, commettre des crimes n’étaient pas quelque chose qu’il pouvait accepter facilement, et les excuses n’étaient jamais de très bon calibre.

Tout ce que Feliciano désirait éviter, se produisait sous ses yeux. La mine blafarde, le rire mal à l’aise soudainement interrompu. Les clairs signes de la gêne et de l’embarras provoqués par un quiproquo tout à fait compréhensible. C’est presque s’il pouvait voir une sueur fictive couler le long du front du japonais, qu’il essuya d’un revers de main à demi tremblotant. La première réflexion lui tira un hochement de tête compatissant, il s’agissait effectivement de ses origines, de son pays de naissance et ainsi de sa première langue parlée.

Le jeune strixyst ne pouvait rien faire pour alléger les pensées qui trottaient dans la tête de Kokichi, tout ce qui lui est possible de tenter est d’attendre que cela passe et lui rappeler à quel point ce n’était pas grave, ainsi que le fait qu’il s’agissait d’une méprise plutôt commune, qui ne le blessait en aucune façon.

Cependant, le voir lui demander tout de même son aide, malgré tout, lui tira un léger sourire crispé — car il ne pensait toujours pas que ce soit une bonne chose que d’utiliser ces connaissances pour faire le mal. Feliciano était foncièrement bon, quelque chose d’ancré en lui depuis sa naissance, malgré une maigre crise d’adolescence un peu rebelle et une rivalité fraternelle presque acquise à son entré dans le monde avec son jumeau.

Feliciano n’eut pas le temps de se rétracter, ou même de simplement demander au japonais de ne pas utiliser ses connaissances pour faire le mal qu’il le fit de lui-même, avouant être un menteur. Encore une chose qui n’était pas pour plaire à l’Italien, mais il trouvait cela déjà mieux, plus facile à surmonter. La petite moue sur son visage exprimait tout aussi bien son incompréhension que les mots qui la précédait.

« Pourquoi tu voudrais faire croire que tu es quelqu’un de méchant ? »

Cela dépassait complètement l’artiste, il ne pouvait pas le comprendre et sa question était peut-être idiote, car tout le monde connaissait Kokichi, tout le monde savait qu’il mentait, qu’il était ainsi, mais pas lui, tout simplement. Car Feliciano voyait le bien en quiconque, le cherchait ardemment et avec une conviction sans limite.

« Je vais t’aider avec la prononciation. » Lâcha-t-il tout de même pour le rassurer malgré sa question. Avec douceur, il lui tendit le livre qu’il tenait toujours entre ses métacarpes. « Si tu veux, tu peux lire et je te dirais si c’est bon ou non ? »

Évidemment il ne comprendrait pas la phrase, ou pas littéralement, mot pour mot, toutefois il serait sûr de savoir si Kokichi avait un bon accent sur les lettres — plus que les mots qui pouvaient être d’une sonorité entièrement différente de celle italienne, et pour cela il ne serait pas forcément d’une grande utilité. Il conserve un sourire amical en donnant une seconde possibilité de révision.

« Sinon, on peut revoir comment les lettres se prononcent si tu as du mal. »

Car en ce qui concernait les mots, il n’était pas certain de savoir lire les accents avec précision, ni même n’avait celui qui conviendrait à la langue espagnole, tout simplement car en italien, ils n’en avaient pas du tout, ce qui était un soulagement pour le dyslexique. C’est d’ailleurs pour cela qu’il trouvait l’anglais presque plus adapté à lui qu’une langue latine : aucun accent, sauf dans la façon de prononcer, pas à l’écrit, comme en italien, ainsi il n’avait aucun souci à l’écrit avec des oublis qui pourraient le pénaliser s’il souhaitait se faire comprendre.

Bien qu’il ne commentât pas, Feliciano trouva la réponse de Kokichi particulièrement froide, et un sentiment de culpabilité l’envahi. Il s’agissait sûrement d’un sujet particulièrement sensible pour le japonais.  D’autant plus que le visage décomposé de Kokichi ne donnait pas envie de continuer sur une discussion philosophique sur ses besoins de mentir à son entourage.

Ainsi il décida de laisser couler et passer à la suite, de l’aider sans jugement aucun, sans poser une seule question sur son comportement. Respecter autrui, leurs secrets et caractères était une chose dans laquelle l’artiste excellait.

Pendant que Kokichi cherchait une page à lire, Feliciano se réinstalla convenablement sur son siège, ayant complètement oublié d’inviter son camarade à en faire de même. Pourtant cela ne sembla pas le déranger, puisqu’il se mit à lire comme s’il organisait une représentation théâtrale en plein milieu de la salle commune des Strixyst. Il ne fallu pas énormément de temps à Feliciano pour reconnaître la pièce, ayant compris quelques mots, et le sens de certaines phrases. Il se souvint que ses parents la leur avaient déjà lue, à Lovino et lui, lorsqu’ils étaient plus jeunes, et s’étaient même amusés à leur donner une sorte de réelle représentation.

Après quelques lignes lue, Feliciano se permet d’interrompre poliment l’affabulateur, pour le corriger sur sa prononciation du r espagnol, celui qui posait bien des problèmes aux non-natifs. Avec une patience illimité, il prend du temps pour lui expliquer la meilleure façon d’y parvenir, tout en le rassurant que même s’il n’y parvenait pas parfaitement, tant qu’il mettait l’accent au bon endroit et qu’il ne confondait pas le r et le j — qui était inexistant en italien, mais dont il avait tout de même connaissance —, toute personne parlant espagnol devrait le comprendre sans aucun problème.

Pour ce qui était des accents bien posés, Feliciano ne se trouvait pas des plus utiles puisqu’il ne savait pas forcément les placer correctement. Si Kokichi souhaitait s’améliorer là-dessus, il devrait demander à un natif, ce qui lui serait bien plus bénéfique. Les compétences de Feliciano pour l’aider s’arrêtaient à la simple prononciation de lettre, même si certaines différaient avec sa langue maternelle.

N’étant pas un professeur tyrannique (seulement en cuisine, et quand ses « élèves » étaient les pires cuisiniers d’Ilukaan), Feliciano ne le reprend pas à chaque faute qu’il entend, à la place il penche légèrement la tête, comme pour l’inciter à se reprendre, s’écouter et se corriger. C’est une technique qui fonctionnait sur certaines personnes, au lieu de les couper, juste les écouter. Sinon ce n’est qu’à chaque fois qu’il terminait un long paragraphe, qu’il se permettait de l’interrompre pour le corriger et lui expliquer où il entendait un raté dans sa prononciation.

En soit, Kokichi était plutôt doué, et il n’avait réellement qu’un handicap, qu’il pourrait régler au plus vite en persévérant. À la fin de ce long texte, Feliciano lui offrit un grand sourire.

« Je ne sais pas depuis combien de temps tu apprends l’espagnol, mais je trouve que tu te débrouilles vraiment bien ! La prononciation du r est compliquée, mais tu y arrives assez bien quand même. Je pense qu’il ne te reste plus qu’à t’entraîner avec des personnes dont c’est la langue maternelle ou des gens qui sont bilingues. »