Physique

Keith n’est pas la personne la plus abordable qu’on puisse croiser dans les couloirs de l’école, mais ça ne veut pas dire qu’il est effrayant ou complètement dépourvu de charme. Les premières impressions peuvent vouloir dire beaucoup de choses, mais avec lui ça ne fonctionne jamais vraiment comme on pourrait s’y attendre. Imaginons un instant que quelqu’un veuille lui parler — et pourquoi pas ? Keith n’est pas désagréable à regarder. Il n’est pas très grand, mais il a une allure un peu athlétique (des bras musclés bien que fins, une impression de vivacité) — l’image qu’il donne se fracasserait en, genre, trois secondes.

Okay, donc voilà le truc : Keith ressemble à un sportif un peu discret mais qui dégage une énergie particulière, et son visage crie « type solitaire », et on s’attend la plupart du temps à ce qu’il ouvre la bouche pour dire des trucs cool ou un peu mystérieux, mais. Ce n’est pas vraiment ce qu’il fait, et si vous voyez un jour Keith ouvrir la bouche, ce sera probablement pour s’énerver ou pour dire quelque chose d’un peu gênant (pour lui et pour tout le monde, vraiment). Et l’image du garçon mystérieux et solitaire se brise soudainement pour celle du type qui ne sait pas trop comment s’y prendre.

Keith, donc, doit faire un peu plus d’un mètre soixante-dix (sa mère lui répète tout le temps qu’il est tout petit, mais il a une théorie selon laquelle Krolia aurait pris une potion de grandissement étant plus jeune, parce qu’il n’explique pas sa taille autrement), il a des épaules carrées et un corps bien dessiné. Il possède de bons réflexes — une souplesse presque inattendue, mais c’est surtout pour compenser son manque de force pure. Sa rapidité, sa capacité à diriger son énergie aux points qu’il souhaite, font de lui un excellent sportif.

Bien que passant plutôt inaperçu au premier abord — à cause, notamment, de l’amas de cheveux qui le recouvre —, son visage n’est pas à jeter. Les yeux sombres, tirants parfois sur le violet ou un bleu-gris sombre, la peau un peu pâlichonne, le menton prononcé, Keith a tendance à fermer son visage, ne se mettant pas du tout en valeur. Il pourrait peut-être avoir un peu de succès s’il faisait des efforts, mais n’y voit pas vraiment l’intérêt. Il préfère laisser ses cheveux bruns pousser un peu partout et cacher une partie de son visage, parce que a) il a la flemme de les couper et b) David Bowie portait aussi le mullet, et la personne la plus cool ayant jamais existé doit probablement être David Bowie.

Keith possède une palette d’émotions relativement limitée — en gros, trois de base : l’agacement, la neutralité, l’incompréhension totale. Mais il n’est pas si rare que ça de le voir sourire doucement, ou rire à en perdre la respiration, quand la situation le permet. Quand il est entouré de ses amis, ou quand il est fier d’avoir joué un bon match. Et étrangement, plus les années passent, plus souvent on le retrouve avec un sourire confiant.

Keith a conscience qu’il n’a pas fini de grandir et de changer physiquement — rien que durant les vacances dernières, il a pris quelques centimètres et un peu de muscles. Il ne pense en revanche pas qu’il sera un jour particulièrement imposant. Et ça lui va comme ça. Il ne se préoccupe pas vraiment de son physique, et ne se sent pas particulièrement mal dans son corps — ni exceptionnellement bien ; en fait, il n’y pense quasiment jamais. Ce qu’il sait, c’est qu’il n’aime pas trop qu’on le regarde, parce que ça lui donne toujours l’impression qu’on le juge et qu’on lui met des étiquettes qu’il n’a pas envie de porter. Mais les gens sont comme ça, il suppose. Lui-même peut parfois s’arrêter et observer quelqu’un sans trop se rendre compte de ce qu’il fait.

Côté vestimentaire, il n’y a pas grand-chose à dire. Il porte l’uniforme masculin, d’une façon plutôt classique — même si souvent les premiers boutons de son col sont déboutonnés pour ne pas le gêné, même s’il a tendance à oublier sa cravate, et même si son blason est souvent accroché de travers. Pour le reste, rien qui sorte de l’ordinaire : des t-shirts et des sweats unis, ou avec une pochette d’album qu’il aime bien. Il possède également une veste rouge et blanche un peu rétro, qui lui donne l’air de sortir tout droit des années quatre-vingt — surtout quand il met des mitaines avec ça —, mais n’a pas vraiment d’occasion de la porter à l’école.

Caractère

Ce n’est pas qu’il est particulièrement insociable, ou qu’il déteste vraiment les gens, juste que le pont fort de Keith ne réside pas dans le contact humain — ou autre, non-humain, partiellement-humain, ce que vous voulez.

Keith est un solitaire, principalement parce qu’il a grandit dans un monde où il s’est toujours senti différent, et qu’alors, échanger avec les autres lui était particulièrement compliqué. Né plein de questions sur ce qui l’entourait, il a dû se refermer petit à petit pour ne pas éveiller de soupçons sur sa nature de sorcier, et a juste. Arrêté de vouloir en savoir plus sur les gens. Parce qu’au final, c’était mieux d’être seul mais tranquille, plutôt qu’entouré mais d’une façon qui le faisait se sentir encore plus seul.

Petit, Keith est une boule d’énergie qu’il est difficile de contrôler. Il est impulsif, toujours sur les nerfs — se bat de temps en temps, même si ce ne sont que ces batailles de gosses de dix ans, qui se terminent avec deux bleus et un pansement sur le genou, et des larmes un peu exagérées, d’accord. C’est un aspect de sa personnalité qui persiste malgré tout : il lui arrive souvent d’agir avant de réfléchir (il sait. Il ne devrait pas. C’est souvent ridicule et il le regrette la moitié du temps, il sait. C’est une mauvaise habitude mais elle est là et il faut faire avec). Et sa réputation de tête brulée ne l’aide pas vraiment à se faire des amis, pourtant elle l’a sorti plusieurs fois de situations délicates. Keith est quelqu’un d’intuitif, et même si ses décisions ne sont pas souvent les bonnes, il les prend rapidement. Il ne perd pas de temps à hésiter, ce qui le rend relativement imprévisible et un peu intimidant, par moments.

Pour autant, Keith n’est pas parfaitement stupide. Il peut l’être— okay. Il peut faire des choses stupides. Ça ne veut pas dire que ce n’est pas quelqu’un qui peut se servir de sa tête, parfois. Il veut bien faire, et quand il prend le temps de réfléchir à la situation dans laquelle il est, il est capable d’être tout à fait raisonnable et de rester calme, de se dire — Keith, Keith, réfléchis. Est-ce que se prendre la tête avec un gamin moldu parce qu’il pense que les vraies baguettes magiques ont des étoiles au bout en vaut la peine ? Est-ce que ça te mènera quelque part ? Ce genre de choses. Et plus il avance, plus il apprend à se calmer et à rester, vous savez, émotionnellement stable.

À côté de ça, Keith est en constant décalage avec les autres jeunes de son âge. Les moldus, parce qu’ils ne pourraient pas le comprendre, parce qu’il vit avec une sorcière qui ne l’a pas élevé comme un enfant ordinaire. Et les sorciers, parce que même avec Krolia pour lui parler de magie, Keith n’a pas grandi parmi eux. En fait, en arrivant à Ilukaan, Keith ne connaissait la plupart des choses liées au monde des sorciers que via des histoires. Et sa mère peut déformer certaines choses, ce qui fait qu’il n’est pas souvent à jour. Ainsi, Keith ne comprend pas la plupart des références qu’on peut lui faire. Il lui arrive bien entendu de regarder des films, de lire un peu, etc, mais c’est assez rare — et à part sur le sujet des sports, ou bien quelques exceptions, comme Stephen King ou Akira, il reste un peu paumé.

Pourtant, depuis qu’il est dans une école de sorciers, il a de plus en plus envie de s’ouvrir aux autres. Il veut pouvoir parler de ses sujets préférés avec quelqu’un d’autre que Krolia, et surtout, il aime cette étrange sensation de savoir que quelqu’un sera là pour lui remonter le moral s’il se sent mal, pour l’engueuler s’il prend les mauvaises décisions, pour le remettre dans le droit chemin. Faire confiance. Ce n’est pas facile, et il ne pense pas qu’il puisse le faire avec beaucoup de personnes. Mais quelques-unes suffisent. Il n’a pas besoin d’être toujours entouré — ce serait bien trop fatigant pour quelqu’un comme lui. Pouvoir rester seul, parfois, dans des moments plus calmes, plus tendres. Ça lui va aussi.

Quand il n’est pas trop occupé à s’énerver pour rien ou à être frustré avec lui-même et tout le reste du monde, Keith est quelqu’un de plutôt passionné.

Il aime voler, plus que tout, sentir le vent contre ses joues et voir le monde en slow motion quand il est si rapide qu’il en devient invisible — pas exactement, mais c’est l’impression que ça lui donne. Se donner à fond, et faire des choses un peu dangereuses. C’est ça qui lui donne envie de vivre, de vivre très fort, d’une façon explosive.

Il aime aussi le sport, de façon générale, et cette étrange sensation de satisfaction qu’il ressent quand il réussit parfaitement un sortilège. Il aime avoir raison, comme beaucoup de personnes — même si ce n’est pas une obsession. Il aime les personnes qui ne l’abandonneront pas, celles qui se moqueront de lui mais d’une façon plus bienveillante que méchante, celles qui accepteront qu’il ne sera jamais parfait. Et quand il s’attache, Keith ne fait pas les choses à moitié. Passée cette étrange période de sommes-nous-amis-ou-je-me-fais-juste-des-films et de est-ce-que-je-suis-en-train-de-faire-quelque-chose-de-bizarre, Keith peut entrer dans cette catégorie obscure qui porte le nom « d’ami décent ». Décent dans le sens où il mettra toujours la personne avant lui, et fera de son mieux (même si ça ne lui semble pas être grand-chose) pour être là. Ce qui n’est pas si facile que ça en a l’air : Keith est un désastre social et ne sait jamais quand faire le premier pas, ne sait jamais quel est le bon timing pour intervenir d’une quelconque manière, et a beaucoup mal à lire les gens.

Sur le plan académique, c’est loin d’être un exemple. Le hasard fait qu’il parvienne à se débrouiller assez facilement grâce à ses capacités — il apprend vite, il est débrouillard et intuitif —, et à part pour le scolaire strict, il se débrouille bien sans faire trop d’efforts, ce qui peut être relativement mal vu. Keith aime la magie et le monde des sorciers, aussi bizarre qu’il soit. Il fait donc un minimum d’effort pour suivre en cours et ne pas se faire virer ou mal voir.

Histoire

Keith est un sang-mêlé, avec des problèmes de sang-mêlés, à cheval entre deux mondes qu’on ne devrait pas mélanger du tout.

Il a compris ça très jeune — dès qu’il a pu mettre les pieds dans les rues de Montréal, et que les gens marchaient dans la neige avec des grosses botes et des mines renfrognées, sans utiliser de balais ou quoi, et il s’est demandé s’ils n’allaient pas mourir à cause du froid s’ils n’utilisaient pas un sort pour se réchauffer. Il avait un peu plus de trois ans, et sa mère s’est mis à rire quand elle a vu sa mine déconfite.

— Les moldus sont un peu bêtes, a-t-elle dit.

Et Keith n’a pas trop compris sur le coup, mais okay.

— Balais ? a-t-il quand même demandé (peut-être que les autres étaient bêtes, mais ce n’était pas leur cas à eux, si ?)

— Non, pas de balais à l’extérieur, souviens-toi.

Et c’est à peu près là qu’il s’est dit qu’il vivait vraiment dans un drôle de monde. Bien sûr, ça a empiré après — et ça empire toujours, Keith s’en rend compte presque tout le temps, parce que rien ne va et rien n’est vraiment normal, que ce soit chez les sorciers ou chez les moldus. Déjà, comment ça se fait qu’on vive sur une planète où un balai peut servir à faire un truc cool comme voler d’un côté, alors que de l’autre, c’est l’objet qui se situe, genre, en bas de la classe sociale de tous les objets (si un truc comme ça existe, mais ça ne le surprendrait même pas) ? Il n’en a aucune idée. C’est juste comme ça.

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Krolia est une sorcière. Le genre de sorcière qui regarde les moldus de loin en les critiquant mais qui interdit à Keith de faire la même chose (« ce sont des personnes très différentes de nous, et on ne peut pas dire du mal de leur culture »). Et même quand Keith lui fait remarquer que ce n’est pas lui qui se permettrait de faire ça (il le fait quand même, mais c’est une autre histoire), elle se contente d’un long regard vaguement irrité.

Krolia est aussi le genre de sorcière qui aime les gens pour autre chose que leur capacité à utiliser la magie — ce qui est plutôt une bonne chose pour une femme qui vit en plein Montréal avec son petit garçon —, et qui est en fait bien plus gentille et aimante qu’elle n’y paraît.

En somme, Keith ne changerait de mère pour rien au monde, même s’ils se disputent de temps à autre, et même si ce n’est pas toujours facile pour lui d’avoir l’air normal à l’école, quand il vit dans un appartement rempli d’objets ensorcelés et étrangement animés. Il n’invite personne, jamais, mais de toute façon il n’a personne à inviter. Le problème est donc strictement hypothétique, mais ça ne l’empêche pas de se demander ce qu’il pourrait faire s’il avait des amis, à part dire qu’il vit dans la rue, ou un truc du genre.

Voici une liste des choses que Keith a comprises sur sa mère quand il avait enfin l’âge de faire la différence entre les deux mondes qui l’entouraient : Krolia vivait avec des sorciers, Krolia s’est mariée avec un moldu, ça n’a pas plu à sa famille, Krolia est partie. Il a plus tard pu étoffer un peu l’affaire — elle était Aurore, elle venait d’une famille très conservatrice, et elle a préféré rejoindre l’homme qu’elle aimait en laissant tout ça derrière elle. Il ne sait pas s’il doit trouver ça courageux ou un peu stupide, mais ce n’est pas lui qui va se plaindre.

Elle tient aujourd’hui une petite boutique de potions, déguisée en boutique de médecines douces (si Krolia peut préparer d'excellentes potions, elle n'a pas de mal à confectionner des produits moldus efficaces) — Keith voit donc toutes sortes de personnes rentrer dans son salon, et quelques sorciers accéder à la petite pièce du fond, là où sont exposées les "choses plus intéressantes". Le truc, c'est que Krolia ne possède ni internet, ni le sens des affaires, ce qui fait d’elle la pire candidate pour ouvrir une telle boutique, mais allez savoir pourquoi, ça semble fonctionner quand même. Elle réussit à s'en sortir grâce aux affiches mal dessinées d'un Keith de six ans, ou grâce à son instituteur de l'époque, qu'elle avait pratiquement harcelé pour qu'il lui montre les bases d'un site internet.

Même quand il était tout petit, Keith l’aidait parfois à préparer ses potions, ou à aller chercher des clients dans la rue — et peu importe de quel angle on le voit, laisser un enfant de cinq ans tout seul dans la rue en essayant de trouver des clients sans trop savoir de quoi il parle n’a pas l’air d’être une bonne idée.

Mais Keith n’a pas été kidnappé, ou embêté, même. Il n’y a pas eu de drames, il n’y a pas eu de peurs particulières.

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Son père est mort quand il était très jeune. Il se souvient très vaguement de lui, suffisamment pour être triste, parfois, en se rappelant un timbre de voix ou un sourire particulier ; mais pas assez pour que ce soit un sujet vraiment délicat. Sa mère l’a toujours aimé suffisamment pour qu’il ne ressente pas de vide en grandissant, et il lui est reconnaissant pour ça.

Elle est quand même restée à Montréal. C’était leur vie à tous les deux, maintenant, et lorsque les pouvoirs de Keith se sont manifestés, elle lui a dit que ça ne changeait rien.

— Quand tu seras plus grand, tu iras dans une école pour apprendre à les contrôler. En attendant, fais de ton mieux pour les cacher dehors, et essaye d’avoir des bonnes notes à l’école.

Keith n’aime pas l’école. Il ne pense pas être le seul, mais il a l’impression que c’est encore pire pour lui. Si son père avait été là, ça aurait probablement été différent ; il aurait eu une réelle attache dans le monde des moldus, il aurait su comment s’y prendre. Pendant des années, il doit entendre ses camarades de classe parler de dessins animés et de jeux vidéo, et se moquer de lui parce qu’il ne sait pas ce que c’est. Au bout d’un moment, sa mère achète une vieille télévision, et réussit à convaincre leur voisin de le faire fonctionner. Keith fait de son mieux pour rattraper toutes ces choses qui lui ont toujours échappé — il passe des heures devant Les Mystérieuses Citées d’Or et les matchs de hockey, en espérant que ce sera plus facile de se fondre dans la masse après ça.

Les enfants moldus ne laissent rien passer. Ils sont moqueurs, souvent méchants, et Keith n’est pas sûr de les apprécier — mais sa mère lui dit qu’il faut leur pardonner, qu’ils apprendront à être plus gentils. Et il paraît que les sorciers peuvent être pareils, voire pires.

À quoi bon ? se demande un Keith de huit ans, enfermé dans les toilettes à cause d’une bande de garçons qui semblent l’avoir pris pour cible sans aucune raison. Je pourrais juste essayer d’utiliser mes pouvoirs pour les ridiculiser. Pourquoi est-ce que je serais le gentil, dans l’histoire ?

Le rôle du méchant n’a pas l’air si mal que ça, vraiment. Et ils le méritent, non ? Sauf que quand il réussit à sortir, et quand il se concentre pour essayer de les ensorceler, les gosses s’arrêtent de bouger et impossible de leur faire faire le moindre mouvement pendant au moins trois heures, jusqu’à ce que Krolia débarque, à moitié inquiète, à moitié en colère. Elle regarde son fils en pleurs, parle quelques minutes avec le directeur de l’école, et quand le ton monte, elle sort du bureau en claquant la porte.

— On change d’école, dit-il doucement à Keith. Allez, dépêches-toi.

Elle lui explique, plus tard, comment contenir ses pouvoirs et ne pas faire n’importe quoi — ce n’est pas parce qu’il n’a pas de baguette qu’il ne peut pas faire de dégâts —, et après ça, Keith ne change d’école qu’une autre fois.

— — —

Quand il a dix ans, Keith est plutôt habitué à sa drôle de vie.

L’appartement est dans un désordre pas possible et il doit crier pour couvrir le bruit des potions qui mijotent et avoir l’attention de sa mère. Il ne sait pas encore s’il aime cette ambiance ou pas.

Il se bat de temps en temps, mais n’utilise pas la magie, et même si Krolia n’a pas l’air d’aimer le voir revenir couvert de bleus, elle ne peut pas lui reprocher de ne pas faire gaffe. Keith n’aime pas qu’on le traite de bizarre, il n’aime pas qu’on pense qu’il est incapable juste parce qu’il est différent. Elle ne peut pas lui en vouloir pour ça. Et au bout d’un moment, les enfants finissent par arrêter de l’embêter.

Il essaye de se faire des amis mais n’a aucune idée de comment s’y prendre (Krolia lui propose de lui préparer des philtres d’amour, ce qui doit être la pire idée qu’elle n’a jamais eue), alors ça ne débouche pas sur grand-chose. Les clubs de sport lui permettent de se rapprocher un peu des autres enfants, et ça s’arrête là.

Ce n’était pas comme s’il pouvait réellement se faire des amis, de toute façon ; il faudrait leur mentir en permanence, faire comme si sa mère ne tenait pas un commerce secret de potions magiques, faire comme si sa plus grande joie n’était pas d’enfourcher son balai et de faire des tours dans le salon en évitant tous les obstacles qui s’y dressent. Et de ce que Keith a compris, l’amitié ne fonctionne pas comme ça.

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Quand il reçoit enfin un signe du monde des sorciers, Keith a douze ans, et il sait déjà très bien se tenir sur un balais. Sa mère lui tend un dossier avec un demi-sourire.

— C’est l’école la plus proche. Si tu veux, tu peux fouiller dans les autres dossiers et en choisir une que tu préfères, mais tu seras loin de la maison.

Il secoue la tête. Ça n’a aucune espèce d’importance. Dans tous les cas, il va pouvoir, genre, utiliser la magie comme un vrai sorcier, voler sur un vrai terrain, parler avec des vrais gens comme lui—

— C’est en anglais, fait-il remarquer avec déception.

— Ah, ça— il y a bien une école française, mais c’est… En France…

Keith hausse les épaules. Ça ne le dérangerait pas de voler jusqu’en France. Il pourrait voler n’importe où si on lui donnait l’occasion de le faire.

— Puis tu ne te débouilles pas si mal que ça en anglais, si ? demande Krolia, montrant qu’elle ne doit pas passer trop de temps à relire les bulletins de notes de son fils.

— Uh, fait Keith, c’est okay.

Il prononce le mot avec un accent anglais, comme pour prouver quelque chose — mais ça ne marche pas, même Krolia n’est pas dupe à ce point.

— Dans tous les cas, ce n’est pas un problème. Ils accueillent des élèves étrangers, et il y a une classe de mise à niveau linguistique, je crois—

— Des classes supplémentaires ? demande-t-il, dubitatif.

— Ou bien tu y vas comme ça, et tu ne parles pas de l’année, et tu ne te fais pas d’amis, répond Krolia avec un sourcil haussé. C’est ce que tu veux faire ?

— Non !

Ce n’est pas qu’il veut absolument-absolument avoir des amis — peut-être que si, mais il peut se débrouiller tout seul, ça a toujours fonctionné jusqu’ici —, n’empêche que ce serait bête de louper une opportunité, non ? Et s’il rencontrait quelqu’un fan de Quidditch comme lui, ou un fan de hockey, mais qu’ils ne pouvaient même pas en parler ? Ce serait— tragique.

— J’irai aux cours, ajoute rapidement Keith.

— Tu as intérêt.

Keith est à peu près sûr que sa mère est exactement le genre de personne qui loupait les cours dès qu’elle le pouvait, et lui lance un long regard noir.

Ce bref moment d’irritation ne dure pas, cependant, et Krolia lui fait un clin d’oeil en lui attrapant l’épaule.

— Il faut qu’on aille te chercher tes manuels. Et une baguette. Et je crois même que j’ai assez d’argent de côté pour t’offrir un nouveau balai.

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Keith entre à Ilukaan avec un an de plus que les autres, mais ça ne change pas grand-chose.

Il apprend rapidement qu’une école de sorciers n’a pas grand-chose à voir avec l’idée qu’il s’en faisait. Il n’y a pas de drôles de types avec des chapeaux pointus bleus avec des étoiles dessus (« les temps ont bien changé », lui a dit sa mère quand il lui en a parlé), et les cours ne sont pas aussi passionnants que ce qu’il s’était imaginé — encore des choses à apprendre par coeur, ugh, il aimerait revenir à cette époque où il ne se servait de la magie que par instinct.

Le pire, c’est que ce n’est même pas décevant. Okay, les cours d’histoire de la magie ou d’astronomie sont un peu ennuyeux, mais à côté de ça, il peut pratiquer la défense contre les forces du mal, et surtout, le vol sur balai, ce qui est, vous savez. La meilleure chose au monde. Keith n’a pas de mal à surpasser la plupart des élèves de sa classe dans ce dernier domaine, mais il n’a pas l’impression que ça joue particulièrement en sa faveur. Ou peut-être que ses professeurs en ont juste marre de le voir trainer sur le terrain la nuit — oui, on lui a dit que ce n’était pas autorisé, mais ça vaut le coup.

Il essaye de rejoindre l’équipe de Quidditch dès la fin de son premier cours, mais n’y arrive qu’au bout d’un an — ce qui pour lui est une sorte d’échec, mais semble quand même impressionner sa mère.

Keith n’est ni bon ni mauvais, à part ça. Il a une bonne intuition, de bons réflexes ; mais a du mal avec le par-coeur. Il se débrouille vaguement en Défense contre les forces du mal et en potions (mais c’est uniquement grâce à sa mère), pour le reste il parvient à avoir des notes suffisamment élevées pour obtenir la moyenne chaque année.

Il a encore du mal à se faire des amis — oui, les sorciers sont tout aussi bruyants et moqueurs que les autres —, mais ses années à Ilukaan sont loin d’être aussi solitaires que celles qui les précédaient.

Il rentre en sixième année avec une liste d’objectifs assez limitée : gagner la coupe de Quidditch ; trouver le moyen de remplacer le cours d’histoire de la magie par un cours de sport (n’importe lequel, vraiment, il ne peut juste plus retenir la moindre date ou la moindre figure historique) ; être suffisamment fort en sortilèges pour pouvoir voler sur le terrain la nuit sans qu’on puisse le repérer ; et (peut-être) s’ouvrir un petit peu plus aux autres.

Ça lui paraît faisable.