Prends moi pour une imbécile.

S'il y avait une chose à ne pas faire, c'était prendre Yennefer z Vengerbergu pour une idiote.
Ou une imbécile.

Enfin vous aurez saisi l'idée.

La magicienne se considérait comme un esprit vif, une personne d'une intelligence hors normes avec un brillant curriculum vitae... bref quelqu'un qui ne pouvait pas être considéré comme l'idiot du village, en toute modestie.
Et elle était legilimens, de ce fait elle pouvait savoir.

Cette journée n'avait pas mal commencé pourtant. Elle avait eu jusque là le sentiment de satisfaction suite à une bonne nuit de sommeil, une météo qui promettait d'être claire et ensoleillée, un petit déjeuner copieux, une toilette minutieuse et une belle robe de dentelle notre.
Vraiment... elle avait eu l'audace de penser que c'était une bonne journée qui s'annonçait.

Cours de Cinquième année. L'âge bête ou ingrat diraient beaucoup. On est en plein milieu de l'adolescence et on a une certaine propension à se dresser contre l'autorité. On se croit invincible, rebelle et on en tire une fierté certaine.
Yennefer avait un certain mépris des règles mais elle s'y pliait quand il y avait une hiérarchie claire.
Elle n'était pas suicidaire quand même.
Puis lorsqu'elle étudiait à Durmstrang la discipline était de rigueur.
Ici, c'était la fête comparé à là-bas, toutefois la Polonaise exerçait son autorité d'une main de fer et sa patience était très vite limitée.

Aujourd'hui, cela avait été rapide. Il avait fallu de moins de cinq minutes pour que le crime eût lieu.
Trois minutes, quinze secondes et trois dixièmes plus précisément.
Sitôt qu'elle avait quitté la salle pour répondre à l'appel d'un membre du personnel, envoyé par le directeur, concernant les modalités des examens à venir pour cette année.

Laissez une classe d'adolescents livrés à eux-mêmes pour même un instant et vous serez sûr.e de trouver un chaos post-bellum.
Évidemment, Yennefer avait entendu les rires groupés sitôt que la porte fût fermée derrière elle, parce qu'elle n'allait pas pouvoir les empêcher de discuter à ce moment.
Mais ce qu'elle trouva en plus, en rentrant dans la salle de classe, provoqua en elle une surprise et un agacement qui en dépassaient l'entendement.

D'humeur festive, le ou la coupable avait parsemé de serpents mousseux et bariolés son bureau, y compris les notes qui avaient été, par malheur, placées sur la surface de bois plane.
La femme fronça ses sourcils dont le caractère avait été renforcés par du charbon noir en esquissant une grimace dédaigneuse. Elle retira un de ses gants et souleva ses parchemins, fichus, bien évidemment.

Tous les élèves ne disaient mot, l'atmosphère, si joyeuse quelques secondes auparavant, portait à présent un silence de mort.
Au final Yennefer remit son gant et observa l'assemblée, ses yeux violets brillaient d'une flamme violette inquisitrice. Tous s'étaient tu, tous étaient complices d'une certaine manière. Aucun d'entre eux n'allait faire de délation.
Mais c'était inutile de rapporter, la sorcière savait parfaitement qui était à l'origine du délit après une minute qui parut durer une heure.

-- Corduroy. À mon bureau à la fin du cours.

Prononcer une sentence collective ne servait à rien aux yeux de z Vengerbergu sinon renforcer l'esprit d'équipe. Il fallait toujours punir la personne fautive.
Et à ce moment elle était toute trouvée.

Le cours passa lentement. Yennefer s'était vengée en le rendant le moins passionné possible, en forçant les élèves à lire de vieilles théories poussiéreuses qui semblaient tout droit sortir de Matusalem et en interdisant toute baguette.

Quand enfin l'issue sonna, la professeure était assise dans son fauteuil, jambes croisées, les yeux rivés sur son téléphone portable.
Lorsque Wendy Corduroy se pointa devant elle, la brune ne daigna même pas lever les yeux et ce ne doit qu'à partir du moment où les derniers élèves quittèrent la salle qu'elle planta ses yeux mauves, froids, dans le regard de l'élève.

- Madame, je suis désolée pour ce qui est arrivé.

Elle leva les yeux au ciel à la première syllabe du quatrième mot de cette phrase.
L'agacement était à son paroxysme.
La Polonaise se pencha, toujours assise les jambes croisées.

-- Ce petit manège ne marchera pas. Je me fiche de tes soit disant excuses et en plus tu n'en penses pas un mot. Tu continues à me prendre pour une imbécile. Le résultat est le même et tu l'as fait sciemment. Tu iras en retenue tous les soirs après tes cours pendant une semaine. Et je me fiche s'il y a des entraînements de Quidditch ou de toute autre raison.

Elle se leva et pointa sa baguette noire sur son bureau pour le nettoyer.

-- À présent va-t-en. Et n'oublie pas. Demain... ici.

Prends moi pour une imbécile.

Yennefer ressentait rarement des remords.
Enfin quand ça n'impliquait pas ses proches, ceux auxquels elle tenait, qu'elle aimait, elle éprouvait peu de regrets suite à ses actes.
Alors quand un.e élève avait fait des siennes et se retrouvait puni.e de la manière la plus juste qui soit, aucune attrition ne lui serrait le cœur. Même, elle n'y repensait pas par la suite quand elle se détendait dans son bain, quand elle se sustentait ou le soir quand son esprit vaquait à des rêveries ante somnum.
Ce n'était que lorsqu'elle aperçut le visage du fautif que tout lui revint.

Jusque là, les cours s'étaient déroulés normalement, entre théories, leçons, cas pratiques et tests.
La Polonaise se déplaçait entre les rangs d'élèves, parfois passant un bref regard sur leurs notes, la caresse de sa cape sur le sol et les bruits secs, lents et réguliers de ses talons sur le pavé étaient les seuls sons qui se faisaient entendre dans la salle. Ses boucles noires reflétaient la lumière de la pièce.

La fin de la journée arriva relativement rapidement et avec deux minutes de retard, la magicienne entendit toquer à la porte de sa salle.

- Madame ?

Elle alla ouvrir elle-même et jugea l'élève de haut en bas.
Yennefer avait presque failli ne pas reconnaître l'élève qui, d'accoutumée, arborait une allure débraillée, se montra à ce moment sous une allure soignée, presque du dimanche.
De la bonne volonté sûrement.
Mais vous connaissez le proverbe.
L'habit ne fait pas le moine.
Et Yennefer n'allait pas se laisser duper.
Elle était encore bien fautive et ce qui était sûr, c'est qu'elle avait rendez-vous avec elle pour sa première punition de la semaine.

-- Entrez et installez-vous. dit-elle seulement d'un ton égal.

Qu'allait-elle lui faire faire ?
Elle aurait dû laisser son bureau tel quel mais cela aurait été contre-productif puisqu'elle aurait attendu une journée entière avec ce chaos et aurait subi les dizaines d'yeux étonnés d'élèves.

Lui faire recopier de vieux manuels poussiéreux ou des lignes telles que "Je ferai attention à mon comportement" ?
Inutile.

Lui faire nettoyer la salle de fond en comble ?
Trop rapide.

Elle attendit qu'elle se soit installée pour planter ses yeux violets dans les siens, accoudée à son bureau.

-- Qu'avez vous tiré de cette expérience ?

Yennefer était toute ouïe.

Prends moi pour une imbécile.

Yennefer savait parfaitement ce qu'elle faisait.
Elle n'avait cure de ce que lui disait l'élève. Des paroles et des mots passants. Pas grand chose de très important, du coup elle n'avait pas écouté.
Ils étaient quasiment tous ainsi, ils pensaient avoir raison, étaient entêtés jusqu'au bout.
Et ils disaient tous que le changement était maintenant, qu'ils avaient appris de leurs erreurs et bla et bla et bla.
Sans écouter, elle le savait, et il cela ne demandait pas de prix Nobel ou de doctorat en psychologie pour le deviner.
D'ailleurs elle se fichait de savoir ce que l'élève ressentait ou ce que son geste lui avait apporté. Pourquoi avait-elle posé la question ?
Peut-être pour la mettre à l'aise, lui faire croire qu'elle n'avait pas oublié.
Elle poussa un soupir indistinct.
Agacée, il était temps de passer à la suite du plan qui était bien moins sympathique mais puisqu'il fallait donner une leçon, la machine était lancée sans retour arrière possible.

-- Sais-tu où j'ai étudié ?

Évidemment que non mais elle allait l'apprendre d'ici une dizaine de secondes.
Elle se détacha de son bureau et se mit à marcher dans l'amphithéâtre, la dentelle de sa cape frôlait et ses talons tapaient le sol, deux sons, si différents.
À l'image de Yennefer z Vengerbergu.
Caresses et violences.
Comme elle était habillée de blanc et de noir.

Elle ne la laissa pas répondre.
Huit secondes c'est peu pour visualiser toutes les écoles dont on connaissait le nom, d'humecter sa langue et de parler.

-- À Durmstrang. Et je ne donne pas cher de ta peau si tu y étudiais et si tu avais fait un coup pareil. déclara-t-elle de but en blanc, sa voix froide comme un matin de janvier.

La Polonaise la laissa imaginer avec effroi ce qu'il en serait advenu. Beaucoup de personnes visualisaient cette école européenne comme un lieu austère, élitiste et où les pires pratiques attendaient les élèves rebelles.
L'imagination pouvait être votre pire ennemie à ce moment.

La vérité...
Oh l'élève n'était pas obligée de la connaître à ce moment.

En réalité, c'était le plan de Yennefer, faire mijoter Wendy, lui faire croire qu'elle avait de nombreuses idées de punitions, inspirées des heures et de ses années passées à Durmstrang, de ses expériences en tant qu'élève dans cette école et qui n'attendaient qu'à être appliquées.
Mais ce n'était que du bluff, rien de plus.
Et z Vengerbergu était une très bonne joueuse de cartes, ce qui faisait que son visage était parfaitement impassible, ses lèvres rouges ne s'étaient pas étirées en quelque rictus que ce soit.

Elle continuait à observer l'élève, sans pénétrer ses pensées, guettant une réaction, telle une lionne qui guetterait sa proie.

Prends moi pour une imbécile.

- Tout mais pas ça madame...

Yennefer n'eut pas besoin de lire dans les pensées de l'élève, le teint déjà pâle de cette dernière était devenu livide et ses yeux vides.
Cela avait marché.

Si elle était allée trop loin ?
Un peu de sérieux voyons.
Il lui arrivait de ressentir de la pitié mais en l'occurrence Wendy Corduroy avait accompli un acte bien trop grave pour que la professeure de Sortilèges prenne des gants.
Et cela était si bien parti.
Mais elle n'allait pas aller très loin, juste lui donner une bonne leçon, après tout, ce qu'elle avait fait n'était pas sans conséquences.
Quoi qu'il en soit, cela aurait été le cas avec n'importe quel professeur responsable et doté de bon sens.

Elle marchait d'un pas lent, triturant sa baguette entre ses doigts gantés. Elle se remit à observer l'élève, son visage ne s'étant départi de son expression neutre.

Ainsi, habillée de noir et de blanc, son visage pâle se détachant de ses atours sombres et son visage apathique, elle semblait être une reine des ténèbres, implacable, diabolique, une antagoniste.
Souvent elle avait été dressée ainsi par les autres, par ignorance, par manque d'affinités avec la Polonaise.
Et elle jouait encore sur cela bien qu'elle ait passé sa période reine des glaces insensible.

Contrairement aux préjugés et aux apparences, Yennefer était un être humain normal, doté d'émotions diverses. Preuves en étaient les interactions avec ses proches, sa douceur avec eux, ses sourires...

Mais prenez la pour une imbécile et elle ne vous oubliera pas.

Elle s'approcha d'un pas lent vers l'élève et la toisa.

-- Redresse toi. Tu ferais presque peine à voir. asséna-t-elle d'un ton sec.

Elle enchaîna.

-- Croyais-tu que j'allais passer l'éponge dessus et faire comme si de rien n'était ?

Échec et mat.

Yennefer s'arrêta dans ses courtes pérégrinations dans le vaste amphithéâtre. Elle rangea sa baguette dans l'endroit cousu à cet effet sur son pantalon.
Pensive, elle avait quitté des yeux l'élève depuis une petite vingtaine de secondes.
Mais elle sentait.
Son appréhension.
Son effroi.

Elle faisait cet effet là à chaque fois qu'elle fronçait les sourcils et haussait un peu le ton.
Elle ne se délectait pas de ces sentiments, loin de là. Se réjouir du malheur des autres ?
Très peu pour elle.
Elle préférait penser à son propre bonheur et à celui de ses proches et ne s'attardait pas au désespoir de personnes tierces à moins qu'elle se sente touchée. Elle n'était pas sans cœur.

- Non-onnon, pas du tout, je ne pensais pas un instant que…haha...

Elle la fixa à nouveau.

Il était temps de mettre fin à ce petit jeu.

-- Je reste dans la légalité en ce qui concerne les punitions dans cette école.

Elle s'approcha de la table de l'élève et appuya ses mains sur le bord, elle était à présent juste en face de la rouquine et elle enchaîna.

-- Je ne vais pas t'arracher les ongles ou poser un tison ardent sur ta peau. Je vais rester très "classique" dans mes punitions comme je le suis toujours. Crois le ou non, je n'ai aucun mérite à mentir là-dessus, je ne tire aucune satisfaction du malheur des élèves. En réalité je suis juste dépitée. De voir que vous n'assumez pas vos actes une fois dos au mur et silencieusement ou non, vous demandez de la clémence.

Elle se redressa et repartit vers son bureau pour prendre une brique de jus de pomme. Elle planta la paille et inspira pour en boire une gorgée, laissant des traces de son rouge à lèvres sombre.

-- Tout ça, ce n'était que du bluff. Un coup de poker. Pour te donner une bonne leçon. Bien entendu, tu viendras tous les autres soirs pendant une semaine mais tu te contenteras de recopier des cours ou de faire des exercices. Je n'ai pas de dame de fer ou d'autres instruments de torture pour les élèves rebelles dans mon placard.

Elle se remit à siroter le jus, imperturbable.

Échec et mat.

Yennefer observa par la fenêtre et regarda l'heure sur son portable.
Dix-huit heures, déjà.

- La torture c’est illegal je crois de toute facon.

Une chose était certaine, Wendy Corduroy n'avait pas la langue dans sa poche; au contraire, celle-ci était bien pendue. Les figures d'autorité ne lui faisaient pas peur vraisemblablement et la Polonaise mettrait sa main au feu qu'elle allait recommencer ses expériences à l'encontre de l'autorité d'ici peu, que cela n'aura pas servi à grand chose et que la professeure de Sortilèges n'avait plus l'air si effrayante.
Enfin cela restait sujet à caution.

-- Ce n'est ni très orthodoxe, ni très propre. Le sang c'est une plaie à nettoyer.

Elle disait ça pour donner l'impression qu'elle s'y connaissait.
Enfin après, en tant qu'ancienne enfant battue, elle avait une connaissance certaine des sévices physiques qui faisaient penser à la torture mais...
Ce n'était pas du tout orthodoxe. Puis cela la dégoûtait de penser à tout cela.

Pour le sang, elle était la compagne d'un chasseur de monstres et la mère d'une gamine faisant les quatre cent coups donc... Oui, elle savait mais elle n'avait jamais eu à nettoyer.

Elle sentait que l'élève trépignait sur son siège.
Peut-être devrait-elle la laisser à présent. Elle avait des choses à faire comme prendre un bain bien chaud, se détendre, lire, préparer bien sûr ses cours du lendemain et peut-être regarder un épisode ou deux de sa série préférée sous la couette avant de s'endormir devant.
Yennefer était une femme occupée à ne pas en douter.

Pensant à son programme du soir, elle avait vidé sa briquette de jus et faisait à présent énormément de bruit en inspirant, dans le but de récupérer la dernière goutte.
C'est l'élève qui la tira de ses rêveries.

- Ca veut dire que la, je peux sortir ?

La Polonaise écrasa la brique vide dans sa main avant de la jeter et acquiesça. Toutefois avant que la rouquine s'éclipse telle une furie de la salle elle ajouta à voix très haute.

-- Je t'attendrai demain ici à la même heure. Et Corduroy. Si tu refais acte du genre je peux te promettre que je me renseignerai sur les méthodes punitives non seulement de Durmstrang mais appliquée dans l'un des pires bastions de chasseurs de monstres au monde.

Sa voix était menaçante et froide et faisait bien comprendre qu'elle en était capable.

Yennefer z Vengerbergu était capable de bien des choses et elle n'était ni à sous-stimer ni à prendre pour une imbécile.