"Happy Sunshine and Saddly Moon»

Les journées étaient de plus en plus chargées ; les multiples clubs, son travail de monteur avec le président qui venait mettre la pression, les cours, ses frères, ses entraînements personnelles… Tout était stressant, il devait l’avouer : rien n’allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il pouvait s’estimer heureux, il s’était plus ou moins lié d’amitié avec Eli qu’il commençait petit à petit à traiter un peu comme un enfant, c’était une bonne chose, mais malheureusement c’était assez compliqué pour lui de respirer un peu ces temps-ci. Karamatsu dormait peu, très peu même, préférant passer la nuit à composer et à améliorer son jeu d’acteur sur les toits d’Ilukaan afin de se garantir un avenir radieux. Les cernes qu’il cachait sous du fond-teint ou même encore avec ses lunettes de soleil pesaient lourds et il s’était donné l’idée d’acheter de multiples vitamines et autres cochonneries pour se tenir éveillé en cours. Peut-être qu’il devrait à un moment se coucher juste dans l’herbe des jardins, souffler, se reposer et pourquoi même pas s’endormir -qui lui en voudrait vu le bosseur qu’il était ?- mais pour lui c’était impossible d’autant plus qu’il allait encore plus charger son emploi du temps avec un travail. Oui, ses parents peinaient de plus en plus à donner de l’argent de poche à leurs six enfants et Karamatsu ne voulaient pas être plus plaie pour eux : il était probable que son aîné ne donne pas le bon exemple à leur cadet et par conséquent il était de son devoir de pouvoir aider leurs parents et même ses frères financièrement. D’autant plus, il devrait économiser pour aller au conservatoire et se payer à côté des cours de théâtre. Que c’était dur la vie d’artiste. Il avait déposé son CV, s’était présenté non comme le Karamatsu cool mais plutôt comme la timide créature qu’il était ; malheureusement il avait abandonné son numéro de charme à peine avait-il posé le pied dans le théâtre pour l’entretien et sa véritable nature avait ressurgi. Tout cela le fatiguait…

…mais pas que…

Le sentiment d’appartenir à aucun groupe social le terrassait. Oui, il venait de se faire plus ou moins avec Eli et il avait également Sofia, mais il était toujours dans la crainte de les décevoir. Ses autres amis et camarades, il ne traînait pas finalement tout le temps avec eux vu comment il était débordé. Il craignait hélas qu’un jour il craque et que le monde voit le nase qu’il était, la pauvre merde timide et capable de rien faire. Oh que oui. La dépression le frappait et cette mauvaise phase lui faisait ressentir des choses affreuses ; il pensait qu’il jouait mal, composait des immondices, ne savait pas utiliser une guitare… Il perdait affreusement goût à tout ce qu’il faisait mais tentait pourtant de s’accrocher, de se dire que ce n’était qu’un terrible passage auquel il fallait faire face pour pouvoir parvenir à ses fins.

Mais il commençait à craquer.
Il le sentait.

Parfois il avait envie d’aller voir ses frères, de leur dire tout ce qui n’allait pas dans sa tête, ses peurs, ses angoisses, son ressenti d’être seul, isolé de tous, de n’être que de passage dans leur vie, mais malheureusement chaque fois qu’il les croisait, l’eccedentesiaste ne pouvait s’empêcher de sourire, de leur demander comment ils allaient, de jouer le mec cool derrière des lunettes de soleil qui n’étaient qu’un morceau de son masque. Il ne voulait pas les déranger. Il ne voulait pas aussi ternir son image. Il préférait être un « Kakamatsu » embêtant qui embêtait son monde plutôt qu’un Karamatsu fragile qu’il faudrait peut-être un jour protéger. Puis ils étaient des Matsuno, et les Matsuno étaient comme des rats ; dans leur société, il y avait toujours un individu qui servait de souffre-douleur mais qui était essentiel à sa communauté et s’il pouvait souffrir pour toute sa fratrie et leur être utile, alors il acceptait ce rôle avec « joie ». Parfois la nuit, sur le toit, il prenait son cellulaire pour commencer à taper le numéro de SOS Amitié ou à aller sur le site… mais à chaque fois il éteignait, hésitant à envoyer un mail ou à les appeler. Il fallait qu’il se batte seul.

Mais voilà qu’il y avait Halloween.

Cette merveilleuse fête qu’il aimait tant faire depuis sa plus tendre enfance. C’était souvent l’occasion de se déguiser et de se retrouver avec ses frères pour s’amuser. Evidemment, il s’était mis d’accord avec Jyûshimatsu pour qu’ils soient assortis ; ainsi donc l’aîné serait un prêtre exorciste et le cadet un démon qu’il faudrait exorciser. Le jeune homme avait fait à la main son costume, lui donnant encore plus de travail que d’ordinaire mais le faisant avec joie. Son cœur n’avait pas arrêté de battre à toute allure chaque fois qu’il s’occupait de la conception, les yeux s’étaient enlarmés aux pensées d’être avec son frère, et rien que songer qu’ils seraient assortis et s’amuseraient ensemble lui avait arraché un sourire de joie. Tant pis pour le sommeil ; il allait être le frère parfait pour le jaune. Malheureusement, le jour-j, il n’avait pas pu croiser son frère. Si au départ il avait pensé cela habituel, que tôt ou tard il parviendrait à rencontrer le petit démon qui partageait le même sang que lui, les heures passantes le fit encore plus inquiéter ; est-ce qu’ils se croiseraient ? est-ce que son frère avait oublié ? est-ce qu’il lui était arrivé quelque chose et il n’était pas au courant ? A cause du nombre d’élèves dans la même salle, le réseau ne passait pas et ses SMS ne s’étaient pas envoyés. La tristesse le submergea un moment, délaissé là, dans un coin de la salle, à applaudir des connaissances qui ne l’avaient pas salué plus tôt dans la soirée, à veiller sur l’épilepsie d’un plus jeune, à boire du jus de citrouille sans pouvoir trinquer avec qui que ce soit et à collecter les bonbons pour les fourrer dans sa poche en se disant que Jyûshimatsu aimerait bien les dévorer. La soirée aurait pu se terminer ainsi, lui à rentrer bredouille dans sa chambre, à se mettre en pyjama pour jouer son lamantin sur son lit en écrivant des partitions avant de rejoindre les toits et jouer pour finalement faire ses quelques heures de sommeil.

Mais il a voulu se sociabiliser.

Vaincre son trac, essayer de voir quelqu’un ; Bill avait gagné l’un des concours et dans sa grande gentillesse Karamatsu était venu le voir pour le féliciter car après tout, ils avaient été l’an précédent colocataires. Dans sa naïveté il avait cru qu’ils étaient en quelques sortes amis, que toute son affection qu’il avait apporté à son camarade était aussi réciproque, mais malheureusement il en avait cru voir la preuve. Bill s’était senti mal, l’artiste avait tenté de lui demander ce qui n’allait pas pour pouvoir l’aider, lui donnant son soutien pour si jamais il se faisait harceler -ce qu’il avait compris du moins- mais à la place il s’était fait remballer, blesser. Peut-être était-il trop fragile, trop sensible, mais d’un côté ça l’avait en quelque sorte réveillé ; même s’il avait été un peu maternel, l’année précédente il avait eu aussi cette impression d’être un peu à l’écart des autres, d’être de trop dans la chambre et à devoir se faire tout petit afin de ne pas gêner Bill et Mason. Rien qu’à penser cela le faisait souffrir ; peut-être qu’au final, l’année prochaine, ce serait la même chose pour Eli, que ce dernier l’oublierait assez tôt et que même aujourd’hui encore il n’était que de passage dans sa vie. C’était donc ça sa destinée ? Être utilisé, oublié, abandonné ? Il allait devoir l’accepter tôt ou tard mais il craignait qu’un jour, à cause de cette malédiction, il ne puisse ô grand jamais réussir à devenir le comédien qu’il souhaitait être. Bien qu’il avait croisé Baset qui lui avait remonté le moral sans pourtant le savoir et même pris dans ses bras pour le câliner car il avait eu besoin, Karamatsu se sentait toujours aussi déprimé. Il était facile d’être heureux quelques instants pour sourire aux autres, mais quand on quittait la salle bondée de monde pour se retrouver seul, à regarder la lune par une fenêtre, on ne pouvait que se remettre à réfléchir, se remettre en question, s’interroger sur soi-même et sur son avenir afin de retrouver sa déprime quotidienne.

Il était de nouveau seul.

Mais que pouvait-il bien y faire ? Retourner dans sa chambre avec les larmes aux yeux, ayant passé une mauvaise soirée ? Il n’avait pas envie d’embêter ses colocataires, de leur mentir, de leur faire croire qu’il avait été super cool pendant la soirée alors qu’il n’avait été qu’un déchet laissé contre un mur… et puis, il avait faim. Il avait bu mais n’avait pas voulu enchaîner les sucreries qu’il avait conservé uniquement pour son petit-frère, d’autant plus qu’il avait remarqué qu’il avait terriblement perdu de poids ces temps-ci. Il n’avait pas le temps de manger aussi, mangeant toujours rapidement pour se remettre à ses activités. Peut-être qu’il devrait peut-être trouver une solution pour pouvoir se permettre d’aller mieux, tôt ou tard, son état se remarquerait. Après un moment d’hésitation, Karamatsu se décida toutefois à aller se nourrir et se dirigea au réfectoire en gardant un œil sur son carnet qu’il avait maquillé en Bible pour l’occasion. S’il mangeait un bout sans doute pourrait-il terminer sa dernière composition qu’il essayait de parfaire, mais comment faire pour écrire quelque chose de joyeux quand on avait le moral dans les chaussettes ? Il essayait de s’inspirer de Jyûshimatsu et de certains de ses camarades en se disant que peut-être chacun pourrait l’aider à sa manière. Aussi regarder son carnet tandis qu’il marchait avait aussi pour but de ne pas croiser le regard de ceux qu’il croisait bien qu’il avait ses lunettes de soleil ; au moins ses yeux étaient cachés, avec les larmes qui menaçaient de couler et ses cernes.

Il arriva à destination sans vraiment prêter attention autour de lui ; de toute façon il serait comme à son habitude ignoré par les potentielles personnes dans les parages puis il ne venait que dévorer un bout avant de repartir à son « travail d’artiste » alors il n’aurait pas potentiellement le temps de discuter. Mais alors qu’il allait sortir un stylo de sa poche, il entendit un grand fracas qui le fit sortir de ses pensées et son regard se dirigea en direction du vacarme ; il reconnut Jyûshimatsu. Alors c’était là qu’il s’était caché toute la soirée ? Le cœur de Karamatsu se serra, mais son visage accoutumé au mensonge afficha un grand sourire. Il ne lui en voulait pas de lui avoir posé un lapin ou quelque chose dans ce genre, ô que non, il n’était pas du genre rancunier sinon quoi il serait déjà en prison pour avoir tué la moitié de sa fratrie, mais il était au contraire rassuré de voir que tout allait pour le mieux, ou du moins.

« Hello, brother ~ Disons qu’on m’a viré car je pétais trop le feu ! »

Il laissa échapper un rire tout en posant ses doigts sur ses lunettes, prenant la pose ; et allez, déjà qu’il était fatigué de cette soirée il allait devoir à nouveau mourir en mentant à l’un des êtres les plus chères à ses yeux, mais il n’allait pas envie de gâcher la soirée de son petit-frère. Le « Nii-chan va toujours bien de toute façon » serra encore plus le cœur de Karamatsu qui eut même un peu tilt avant de gâcher ce malaise avec une nouvelle bêtise.

« But your awesome brother a bien pensé à toi, my little sunshine~ »

Il sortit les bonbons de sa poche avant de les tendre à son frère avec un grand sourire, après avoir bien sûr rangé sa bible factice sous son bras. Oui, « nii-chan allait toujours bien ». Pourquoi ça n’irait pas ? Jamais il avait pleuré devant ses frères d’un côté, jamais il ne pourrait leur demander un beau jour de l’aide. Il ne voulait pas les déranger et il n’allait pas commencer à le faire de sitôt. Il pourrait s’en sortir seul, comme toujours. Cette phrase, il l’avait malheureusement gravée dans sa mémoire. Oh qu’il sentait qu’elle allait rester pendant des jours, des semaines, des mois voire des années ! Il avait l’impression même qu’elle s’était gravée sur son cœur, ayant mal à la poitrine. Il ne fallait pas qu’il craque, il fallait qu’il tînt bon pour son cadet. Allez, fais comme tu fais d’habitude ; risette, phrases débiles, anglojaponais,…

« Je crois comprendre que tu es tombé. Hmm, hmm, my little sunshine fell. Are you okay, brother ? »

Il ne pouvait qu’être inquiet pour son petit-frère et ça malgré qu’il allait mal. Après tout, c’était son rôle d’aîné et dans son caractère de s’inquiéter pour les autres.

"Oh fichtre !»

Caressant la tête de son petit frère, Karamatsu l’écoutait affirmer qu’il n’était pas tombé. Oh qu’il était loin d’être stupide, le numéro deux, mais si mentir pouvait faire encore plus plaisir à Jyûshimatsu alors il accepterait de faire croire qu’il le croyait.

« Good, cela me rassure. Mais take care à ne pas tomber. Tu pourrais grièvement te blesser et même pourquoi pas devoir à l’infirmerie. Tu ne voudrais quand même pas avoir une piqûre, brother ? »

Il avait ses propres façons de persuader son petit-frère de faire bien attention à lui ; après, il se pouvait fort bien que cette méthode ne fonctionne pas ou que même le jaune comprenne -par un miracle quelconque auquel Karamatsu s’efforçait toujours d’y croire- que son aîné tentait de lui faire peur pour qu’il cesse de faire trop l’andouille. Le jeune homme retira son chapeau de prêtre, le rangeant dans sa poche qui paraissait bien vide depuis qu’il avait donné à son cadet les friandises, avant d’entendre son frère parler de la fête. Cela lui serra le cœur un peu plus et il ressentait une pression dans sa poitrine comme si celle-ci allait exploser. Il devait avouer qu’il était quelque peu déçu mais d’un côté il semblait ne pas lui avoir poser un lapin, et ça, cela lui valut un fin sourire en coin, cette fois-ci sincère. Au final le petit démon ne l’avait pas délaissé ni même eu un quelconque accident ; la vie avait fait en sorte qu’ils ne puissent en aucun cas se croiser. Il ne pouvait pas lui en vouloir, non seulement parce qu’il était frère-poule mais aussi parce qu’il était venu à la soirée comme convenu dans le déguisement qu’ils s’étaient décidés.

« Yes, j’ai croisé des amis, des connaissances, … et toi ? »

Oui, des amis, des connaissances à qui il avait à peine adresser la parole, quant à Bill… Son cœur se serra de plus belle. Bon sang, il avait pratiquement envie de pleurer tellement il se sentait mal pour lui. A présent il appréhendait de le croiser dans les couloirs de leur maison… qu’est-ce qu’il pourrait à présent dire si jamais il venait à voir ? Lui dire « bonjour » était la moindre des politesses mais devrait-il de nouveau tenter de communiquer avec lui ? Il n’en savait que trop rien et voilà que la tristesse laissait place à l’angoisse. Les doigts du stress lui serraient la gorge, il avait l’impression de se faire étrangler par une entité invisible. Bon sang, il ne fallait pas qu’il dérange de plus belle son ancien colocataire de chambre, il s’en voudrait terriblement. Et si d’autres personnes aussi le trouvaient agaçants ? Le pauvre garçon commençait déjà à s’enliser dans une paranoïa sociale, craignant de n’être qu’un faux joyeux fanfaron qui respirait l’air de ses semblables. Il demeura là, un tantinet dans ses esprits, avant que Jyûshimatsu ne pose une question quelque peu surprenante.

« Eh ? »

S’il allait bien ? Pas grand monde le lui demandait malheureusement et encore moins ses frères, par conséquent entendre l’un d’eux lui poser la question le surprenait énormément. Est-ce qu’il avait rêver ? Vraisemblablement non puisque le jaune l’interrogea sur une éventuelle maladie. Bon sang, qu’il était stupide, lui, le numéro 2, l’ainé qui devait faire attention à ses petits-frères ! Son sourire avait dû disparaître pendant un moment et la pâleur de son visage dû au manque de sommeil et d’une santé qui demandait à être mieux respectée frapper aux yeux de Jyushimatsu… Fichtre. Quel abruti il faisait, vraiment, voilà qu’il allait inquiéter son cadet.

« Ah… Little Sunshine, don’t worry… c’est juste… du maquillage… C’est Halloween. »

Encore un nouveau mensonge qui pourtant se trahissait par sa voix devenue chevrotante ; serait-il en train de craquer là, en compagnie de quelqu’un qui était de surcroit son cadet ? Il fallait tenir bon pour lui, faire toujours croire qu’il était heureux, qu’il était le fanfaron de Karamatsu. Peut-être que lui-même ne croyait plus trop en son personnage mais il fallait qu’il s’y accroche au mieux pour ne pas être une honte ou faire de la peine à autrui. Il déglutit difficilement. Voilà qu’il commençait de nouveau à paniquer mais cette fois-ci pour son frère.

« Don’t worry.. I’m fine…. C’est juste passager… Puis aussi faut que je mange ! Mangeons ! Je ne mange pas beaucoup ces temps-ci à cause de mon régime ! I’m so stupid ! »

Oui, il fallait toujours qu’il donne une excuse ridicule et c’était malheureusement la seule chose qu’il pouvait sortir ; quant au coup du régime, c’était qu’il pensait que si Jyûshimatsu avait remarqué sa pâleur alors il pouvait remarquer également sa perte de poids. Son sourire était aussi crispé.