La routine envahit ta vie, et tes gestes se sont vidés de sens, tout en marchant dans les couloirs du bâtiment administratif en ce matin morne. La solitude s'est insinuée progressivement, sans susciter la moindre plainte de ta part. Tes échanges avec les collègues se sont raréfiés depuis que tu alternes entre les cours et les tâches administratives liées à ton rôle de sous-directeur. Tu as laissé derrière toi les jours où l'on te considérait comme le professeur dynamique qui alliait amusement et travail.

Le ciel est dissimulé par un voile de nuages gris, et la journée débute dans une ambiance morose. À travers une fenêtre, ton regard se pose sur le campus, où quelques étudiants persistent à errer malgré le froid qui s'installe. Le paysage verdoyant s'est progressivement estompé pour laisser place à un gris trompeur qui se prétend être une pelouse, destinée à se couvrir bientôt de blanc, digne de la Nouvelle-Écosse. Ton doigt frotte machinalement la vitre, cherchant une occupation éphémère pour tes mains, une distraction furtive.

Ton pas t'entraîne plus loin, dans un couloir désert. Il est vidé non seulement de présence humaine, mais aussi de signification. Les salutations échangées avec les collègues sont des pantomimes qui se jouent machinalement. Lorsque tu descends les escaliers, le son répétitif de tes talons contre le sol domine l'atmosphère, un bruit incessant qui envahit tes pensées. Pendant quelques interminables secondes, tu sembles avoir perdu de vue ta destination.

La monotonie t'accapare, l'irritation se renforce. Tu te demandes si c'est l'âge qui s'impose ou si c'est le manque d'enthousiasme qui assombrit tes pensées, les détournant vers des futilités.

À l'entrée du bâtiment, une nouvelle source d'agacement se profile. Le sol vient d'être lavé, et il est encore humide au moment où tu dois le traverser. Le destin semble avoir choisi que tu sois celui qui piétine le travail des autres, une pensée qui te tourmente. Tu tentes de traverser le carrelage avec précaution, cherchant à le préserver, même si tu doutes que cela ait la moindre importance dans la réalité.

Une fois la porte franchie, tu espères respirer un air frais, mais tu es accueilli par une rafale marine venue tout droit de la mer. L'odeur âpre de la marée basse emplit tes narines. Les souvenirs d'une pêche prolifique flottent dans l'air iodé, annonçant l'approche de l'hiver. Tes pensées se laissent emporter par ces effluves marins, et tu te rappelles que tu dois te rendre à la volière.

Des documents à remplir, des correspondances à envoyer aux parents, des rapports de recherche à soumettre au gouvernement, des chèques à rédiger pour les services de restauration collective, autant de tâches, de paperasses qui s'entassent. Le reste de ta matinée semble déjà monopolisé par ces obligations. Pour l'heure, tu te trouves dans le parc, marchant lentement au milieu de la foule d'étudiants qui se rendent du dôme aux salles de cours, de la bibliothèque aux résidences.

Il semble qu'une perturbation s'invite dans la routine, en plus de ta présence. C'est plutôt rare, avouons-le, car tu n'es pas quelqu'un qu'on pourrait qualifier de discret, du moins physiquement. Ta taille imposante avoisine les deux mètres, et ta silhouette élancée attire souvent l'attention, donc généralement, s’il y a rencontre de la sorte, cela résulte généralement de ta propre responsabilité.

Des papiers jonchent brièvement le sol, un espace de temps minime. Tout comme tu sais apprécier les efforts manuels, tu préfères exhiber tes compétences en magie. Si tu n'es pas un duelliste exceptionnel comme tes collègues, la magie bureaucratique, celle qui opère en coulisses, celle que l'on minimise pour privilégier l'esthétique et la puissance, est ton domaine de prédilection.

Un simple claquement de doigts et un geste presque imperceptible de la main, et tes dossiers retrouvent leur place initiale, sans la moindre trace de froissure. Un homme à marier, plaisanterait ta mère, secrétaire de Leroy, ton père.

Une fois la tâche accomplie, tu réajustes ta veste avec une certaine prestance. Un geste calculé, une démonstration de ton élégance, même devant le pire des cancres. Tu incarnes l'image même de l'école, celui qui a dû réapprendre à être le premier de la classe, l'élève modèle après avoir abandonné son rôle de professeur pour endosser celui d'adjoint.

" - Ce n'est rien, c'est moi.

Un sourire malicieux se dessine sur ton visage, une envie évidente de montrer ta supériorité à tes collègues, tout en déléguant une partie de ton travail habituel. Tu ne laisserais pas passer une opportunité pareille. Ton regard se tourne ensuite vers l'élève.

" - Je suis déjà au courant. Je dirai au professeur en question que je m'occupe personnellement de l'affaire.

Tu lui tends une pile de dossiers, sans grande importance. Ce sont les réponses aux réclamations des parents d'élèves, persuadés de mieux savoir que l'école ce qui est bon pour l'éducation de leurs enfants. Au pire, s'ils se perdent, ce sera un problème d'hibou à présent.

" - Faisons demi-tour. J'ai besoin de quelqu'un pour m'aider à trouver les bons oiseaux dans les volières, et soyons honnêtes, je suis bien conscient que c'est clairement une meilleure punition que de devoir rester assis plusieurs heures en colle.

Tu marques une pause, puis reprends.

" - Je ne promets rien quant à devoir faire quelques remontrances, cependant. Je vois bien que ce n'est pas le moment, mais j'ai malheureusement des obligations qui m'obligent à le faire. Je m'en excuse d'avance.

Tu poursuis ta marche, l'incitant à te suivre. La foule s'est dissipée, les élèves prisonniers des salles de classe ont regagné leurs bâtiments respectifs, tandis que les plus libres flânent autour du dôme. Le chemin menant à la volière n'est pas des plus agréables, humide et froid. Il te rappelle tes heures supplémentaires à entretenir le parc, une tâche que tu as souvent dû assumer en raison de la déception que t'inspiraient la plupart des jardiniers. Contrairement à ton supérieur, tu cherches la perfection, tu ne te contentes pas du “assez bien”.

Tu avances vers les volières, ton pas résolu malgré le silence croissant des élèves qui indique la reprise imminente des cours. Sans consulter l'heure, tu devines l'approche de l'heure des classes. La terre sous tes pieds est molle et désagréable, mais tu t'y habitues, habitué que tu es à l'humidité des serres. Tes chaussures actuelles ne sont pas les plus adaptées à ce terrain, mais tu progresses malgré tout. Les sentiers orangés du parc demandent toujours quelques minutes d'essuyage.

" - Les chouettes de l'école, celles qui nous appartiennent, sont dressées en fonction du continent où elles peuvent aller, tu n'as juste qu'à regarder le pays sur l'adresse, et donner l'enveloppe à la bonne chouette.

Continuant ta route, tu atteins le virage menant aux serres, où se dresse le bâtiment tant attendu : la volière. Pour être honnête, tu n'y viens pas souvent, préférant d'autres occupations aux tâches postales qui se font de plus en plus rares. Tu ne t'en offusques pas, désormais à l'aise avec la technologie, peut-être même plus que certains élèves. Tu as surmonté la complexité des ordinateurs.

" - Au pire, la lettre se perdra. Ce n'est pas dramatique.

Tu marques une pause avant d'ajouter avec un sourire.

" - Je plaisante, bien entendu.

Tu franchis les portes de la volière et es accueilli par les cris des oiseaux, légers, stridents, et autres sons caractéristiques. L'endroit est légèrement oppressant, mais tu es habitué à ces lieux confinés où tu te sens constamment observé. Tu déposes ta pile de dossiers, de lettres et de papiers près d'un bureau, où tu indiques ta présence sur une feuille de présence posée à cet effet.

L'odeur ne t'enchante guère, te rappelant celle d'une ménagerie, ce qui n'est pas surprenant, étant donné la nature de l'endroit. Tu fais signe à l'élève de te suivre pour lui montrer la section où se trouvent les animaux utilisés par l'école. Ceux qui ne sont pas la propriété d'élèves, ceux qui sont dressés pour le courrier important.

Il y a quelque chose d'imposant chez ces oiseaux-là. Bien dressés, plus musclés, plus grands, on est loin de la simple chouette de compagnie.

" - Sur le côté, tu trouves une petite description qui indique quelle chouette doit être envoyée où.

Tu marques une pause avant de reprendre.

" - Si tu as un doute sur un pays, tu me demandes. Et sinon, tu poses juste l'enveloppe à côté de l'animal, il fera le travail par lui-même.

Tu prends les premières lettres, sélectionnant soigneusement ce qui te semble le plus crucial, souvent destiné au Canada. Tu t'appliques à trier le courrier et à le déposer méthodiquement à sa destination appropriée.

" - Sinon, dans tout ça, tu veux bien me parler plus en détail de l'incident qui t'a conduit à cette colle ?

Tu caresses la tête d'un des oiseaux qui vient poser son bec sur ta main lorsque tu la tends. Elle tentera probablement de pincer, mais tu commences à être habitué à ce comportement.