Mai. Le printemps, les oiseaux, les feuilles qui commençaient à repousser dans les arbres.

Tout ça c'était bien beau, mais ça n'égayait pas les journées de Kokichi. Non. Les examens de fin d'année allaient bientôt commencer, et cela voulait dire une chose : les préfets seraient occupés avec leurs propres études, et il y aurait donc moins d'yeux par-dessus son épaule.

D'un autre côté, cela voulait aussi dire qu'il y aurait moins d'innocents vagabondant les couloirs de l'école prêts à se faire jouer un tour.

Même après avoir passé sa matinée à faire la ronde de l'école, son sac de cafards en plastique caché dans son uniforme, il n'avait aperçu personne qu'il jugeait digne d'être sa victime.

(Il avait un tableau blanc avec une liste, dans sa chambre, classifiant ses camarades de maison selon l'hilarité de leurs réactions à ses blagues. En haut ? Hinata-chan, Kainé-chan et Momota-chan.)

Les jambes croisées (et par ailleurs les chaussures sur le fauteuil), Kokichi était installé dans la salle commune des Strixyst. Il avait fini par jeter l'éponge suite à plusieurs rondes de patrouille autour du campus sans résultats, et s'amusait désormais à jouer à dessiner des chats dans son carnet de psychomagie au lieu de répondre aux questions du guide d'étude.

« Fripouille va aimer celui-là, il lui ressemble ! », marmonna-t-il, se parlant à lui-même.

Le jeune homme s'arrêta soudainement de gribouiller lorsqu'une voix grave résonna dans la salle, et il leva les yeux. Un sourire commença instinctivement à se dessiner sur son visage alors qu'une poussée d'adrénaline faisait battre son coeur plus fort que jamais.

La journée venait de commencer.

« Mais qui voilà ? Tu voulais attirer mon attention, Momota-chan ? » Les yeux plissés malicieusement, il déposa son livre et se leva du fauteuil d'un bond pour gambader autour de Momota comme le vautour qu'il était.

« Eww, tu pues ! T'es allé courir, ou tu t'es endormi dans le vestiaire du gym ?! » Il pinça son nez du bout des doigts et battit l'air de sa main libre pour illustrer ses propos.

En réalité, Kokichi ne sentait rien. Son odorat en général n'était pas très fin pour des raisons qu'il ignorait, mais cela voulait surtout dire qu'il ne savait pas si Kaito puait. Ce qui l'avait poussé à dire ça, c'était l'air fatigué de son vieux camarade de classe, comme s'il venait de finir un marathon, et la petite goutte de sueur sur sa tempe.

Les gens avaient beau dire ce qu'ils voulaient à son propos, Ouma était perceptif, malgré son tempérament immature et les conneries qu'il s'amusait à sortir à chaque fois qu'il ouvrait son sale bec de menteur.

Préféré qu'il ne soit pas là ?! S'il n'était pas flatté par le compliment, Kokichi aurait presque pu s'en sentir outré. Malheureusement, Momota-chan étant SA victime préférée depuis un sacré bail désormais, il interpréta cela comme étant signe que son harcèlement répété portait fruit.

Liant ses mains ensemble, une lueur anima les yeux foncés du jeune homme à l'apparence de jouvenceau. La question qui s'ensuivit, entièrement prévisible de la part du Strixyst aux neurones les moins connectés du campus (en comptant les élèves de 1ère année), ne fit que le faire saliver davantage. Qu'est-ce que son vieux camarade de classe était naïf ! Un véritable cadeau posé sur un plateau d'argent pour le petit rigolo préféré de tous les professeurs ! (Ou, en tout cas, aurait-il aimé se croire ainsi. Le corps enseignant en avait, vraiment, marre de lui et de la terreur qu'il semait à Ilukaan depuis plus d'une décennie maintenant.)

« Oh, mon cher Momota-chan ! Mon meilleur ami de toujours... Tu ne sais pas à quel point je te fais une faveur en te disant ça, et même que je te l'ai fait remarquer gentiment : on dirait que tu n'as pas pris de douche depuis le mois dernier. »

Encore une fois, un bobard, bien sûr. Pourtant, Kokichi trouvait ça extrêmement drôle d'embarrasser les autres, et donc, faire croire à Momota-chan qu'il avait besoin d'une douche in extremis, ça le faisait pratiquement jubiler.

(Puis, pour être tout à fait honnête, c'était plus que probable qu'il avait vraiment besoin d'une douche. Ce bougre courrait toujours partout, et la course, ça faisait suer, alors. Basta, Kokichi avait raison.)

Lorsque le plus grand bonhomme se mis à marcher, Oma suivit le pas, bien que très évidemment pas le bienvenu. Il avait sacrément besoin de compagnie pour l'empêcher de mourir d'ennui !

« Mes jeux ? De quel jeux tu parles ? » Il pencha la tête, un doigt sur son menton, accentuant l'air innocent qu'il avait pratiqué devant un miroir pendant de longues heures lorsqu'il était encore enfant et qu'il utilisait encore aujourd'hui pour faire tourner en bourrique ses interlocuteurs. « Je te le jure sur la tête de mon frère jumeau séparé à la naissance, de mon troisième chien et de l'alien que je garde caché dans le placard secret sous l'école !! J'ai absolument AUCUNE arrière-pensées ! J'ai pas le droit de vouloir passer du temps avec mon vieil ami ?! » Une petite larme, bien sûr plus fausse que le passeport d'un criminel recherché internationalement, perla au coin de son oeil.

Pour vendre sa performance, le Japonais força un petit sanglot à sortir de sa gorge. Bien sûr, en marchant derrière Momota-chan sans pour autant s'arrêter, car il ne pouvait pas laisser sa proie s'échapper ; qui sait quand la prochaine passerait devant lui, et de plus aussi vulnérable que celle-ci ?!

Le dogme guidant la vie de Kokichi ? Être méchant, c'est être gagnant. Une fois de plus, cette philosophie se prouvait vraie (du moins, dans son cas bien spécifique, et dans une situation où être méchant voulait plus dire être très, très énervant). Il retint le gros sanglot qu'il avait déjà préparé au fond de sa gorge et fit la moue. Bien sûr, il accentua son expression lamentable d'un écoeurant reniflement morveux.

« N-non ! Momota-chan ! Tu sais que tu es mon seul ami ! »

Amis, eux ? Discutable. Pourtant, cette affirmation avait le potentiel d'être véridique. Parce que c'était en très petite partie vrai, bien qu'une sacrée hyperbole. Kokichi pouvait compter ses amis sur les doigts de sa main. Il avait grand espoir que le dénigrement de ses propres capacités sociales émouvrait assez son vieux camarade de classe pour que ses instincts héroïques pointent le bout de leur nez. Hmm, que faire de plus pour le convaincre... ? Oh ! Le farceur s'arrêta de marcher, essuyant ses yeux avec ses mains, ses épaules tremblotantes.

« M-momota-chan ? S'il te plaît... J-J'ai... J'ai du mal à en parler, mais... Il s'est passé quelque chose, et j'ai besoin de ton aide... »

C'est sorti tout seul, dès que l'idée lui est venue en tête. Alors, cette urgence, elle n'existait pas encore. Brainstorm, avant que Momota-chan lui demande d'élaborer : sa mère est morte, non, trop irréaliste. Son frère jumeau a été kidnappé par des aliens ? Non, si il parlait trop de frères jumeaux et d'aliens, même ce crétin se douterait de sa fourberie. Il a été tabassé ? Trop vrai, et il lui dirait probablement qu'il l'a cherché. Pourquoi pas... Il a entendu via des ondes radio secrètes qu'une organisation de mages méchants allait attaquer l'école et qu'il ne savait pas quoi faire de cette information ? Impossible, c'était lui le vilain, l'idée d'une attaque criminelle devrait le faire jubiler, pas pleurer...

Hmm, quoi d'autre, peut-être d'un poil moins grave, qui serait rigolo et pas juste pathétique...

Eurêka !

« Je... Je suis rentré dans ma chambre tout à l'heure, et- » Il sanglota.
« Je... Je crois que quelqu'un a volé ma... » Tout à coup, le jeune homme reprit, moins fort. « Ma figurine détective Ronan préférée... »

Tout le monde savait que Kokichi Oma était un grand gamin (façon de parler vu sa taille). Il n'eut donc aucune honte à admettre sa possession de figurines de manga. En plus, il était bien connu que le Strixyst suivait religieusement chaque nouvelle itération de la franchise Détective Ronan, ce qui allait sûrement l'aider à vendre son mensonge. Un vrai coup de génie ! Momota-chan ne raterait JAMAIS une occasion si juteuse d'être le héros !

Ça allait être amusant - si le grand naïf tombait dans le panneau, bien sûr. Pourtant, malgré l'audace dangereuse de sa tactique, le Japonais se sentait assez confiant. Cette opération réussirait.

Et... Bingo !

Oh, il savait que ça fonctionnerait depuis le TOUT DÉBUT. Ça avait été presque trop facile. (Non, il avait eu à travailler super fort, parce que Momota-chan ne semblait pas prêt à coopérer aujourd'hui. Même pas à parler, en fait - il avait été étrangement pressé de partir.

Bah, qui n'a pas envie de détaler au plus vite quand l'illustre maître du mal Kokichi Oma est dans les environs ?)

Le visage encore tout mouillé, il renifla fort pour vendre encore plus sa haine. Il baissa d'ailleurs le volume de ses sanglots pour feinter avoir été rassuré par cette réponse positive. « A-ah... ? C'est t-tellement héroïque de ta part... D'aider ton némésis... »

Flatter le chien dans le sens du poil, comme on dit. Kokichi essuya ses yeux avec la manche de son uniforme et, avec maîtrise, donna à ses traits faciaux un air maussade - juste assez négatif pour vendre son histoire sans pour autant évidemment surjouer. S'il en faisait VRAIMENT trop, même cet imbécile d'astro-idiot finirait le réaliser. La pire situation ; Kaito qui dégage, ça serait le seul divertissement de Kokichi qui s'envolerait. Vers les cieux, l'espace... Haha. Une chance que cette blague resta dans sa tête, elle n'était pas si bonne.

« J'ai déjà regardé partout dans ma chambre... Et dans celles de tout le monde. » Il était bon en crochetage et en sorts pour ouvrir des portes. Un talent comme un autre. Par contre, il ne s'était pas servi de ces capacités récemment. (La raison même de ces visites de chambre n'était pas véridique alors...) Il paraîtrait juste mensonger de la part de Kokichi Oma de pleurer parce qu'il avait perdu sa figurine sans avoir fouillé dans les affaires des autres au préalable.

Qu'inventer maintenant pour les mener à tourner en rond pendant un moment... Ah ! Un éclair de génie vint au garçon.

« C'est probable que quelqu'un qui me déteste l'ait cachée... » Et un gros reniflement. «  Tout le monde dans cette école me hait, après tout... »

Pas tout le monde, mais... Ouais. Peu de gens le voyaient dans une lumière positive, encore moins de gens avec neutralité, et beaucoup en mal. Pas qu'il ne l'avait pas cherché, au contraire. Il se moquait des autres, leur jouait des tours méchants... Bref, si quelqu'un méritait de se faire mal aimer, c'était bien lui.

Et ça avait été intentionnel, aussi. De garder les gens à un bras de distance, toujours.
(Qui reste loin et regarde avec dédain ne va pas voir ses vulnérabilités. Ça a bien fonctionné, jusqu'à maintenant.)

Le plus insupportable de l'école... Oui, il était le gamin le plus insupportable de l'école ! Kokichi portait ce titre avec un orgueil inégalable - et mal placé. Il aurait pu être le premier homme à marcher sur la Lune qu'il n'aurait pas été aussi fier. Ça lui prit beaucoup de contrôle de soi pour ne pas laisser son visage s'illuminer d'un large sourire suffisant à l'entente de ces mots, car sa petite blague n'était pas finie après tout.

« Momota-chan... » Il simula à son ton de voix une reconnaissance immense, digne de celle d'un homme perdu dans le désert depuis une semaine apercevant un oasis au loin. À l'entendre parler, sa vie tenait à un fil et sa seule lueur d'espoir, à ce moment, était le talent de fouille de chambres du célèbre et fiable Luminaire de l'Espace.

Évidemment, sa figurine était bien à sa place sur son étagère, et sa vie allait très bien. Ça, par contre, Kaito n'avait pas à le savoir. Kokichi inventerait une fausse figurine qui n'existe pas, dans le pire des cas, et lui ferait chercher partout dans l'école pendant des heures. Oh, ça serait absolument hilarant, de le voir se pencher et regarder sous les canapés histoire d'être sûr que personne n'y a caché une figurine à trois-cent balles de Kaito Kidz, fameux voleur fantôme, le plus grand gentleman du monde du crime.

« Bien sûr que non ! » Le petit Strixyst serra légèrement les poings, observant son interlocteur droit dans les yeux comme s'il le trouvait idiot. (Il le trouvait idiot.) « Est-ce que tu crois vraiment que je me balade avec des figurines plus chères que tes frais de scolarité sous mon bras dans le dortoir pour rigoler ? Sois sérieux une minute ! »

Oh. Il n'avait plus l'air assez triste à son goût, alors il laissa s'écouler d'entre ses lèvres un long et mélancolique soupir.

« Les dortoirs sont si grands... Commençons par ta chambre. Tu l'as peut-être volée dans ton sommeil, vu que tu es somnambule. Ou peut-être qu'un de tes colocataires est en réalité le coupable... »

Sans attendre la réponse du plus grand, Kokichi se mis à marcher vers la porte de sa chambre, s'étant même privé de gambader pour ne pas paraître comme un joyeux luron. Il s'arrêta seulement une fois devant et se retourna pour regarder Kaito derrière, l'attendant. Bien sûr, il n'avait pas besoin de lui pour ouvrir la porte, mais il devait bien faire genre d'être poli, s'il voulait que son jeu de la victime en besoin d'un grand héros continue à si bien fonctionner.

Il attendit que Kaito ouvre la porte de la chambre pour y pénétrer, jouant encore à l'enfant poli demandant un service. Quatre lits, blablabla, rien de bien différent de son propre repaire, hormis l'absence de masque de cheval accroché au mur. Et de mannequin de cire de taille humaine pendu par les pieds au plafond. Mais lui, il l'avait retiré de là quand ses colocs ont signé une pétition pour le forcer à le jeter - valait mieux stratégiquement retirer sa décoration préférée que lui dire adieu.

Sans perdre un instant de plus, Kokichi gambada vers les bureaux des autres élèves et commença à frénétiquement en ouvrir les tiroir, jeter un court coup d'oeil à leur contenu, puis à les refermer. Il n'arrêta pas ses efforts de recherche pour répondre à son ennemi juré : « Ton somnambulisme ? Personne ne te l'a dit ? » Les mots sortirent de sa bouche le plus naturellement du monde, alors qu'il glissa discrètement dans sa poche une poignée de pièces de monnaie qui traînaient là. S'ils étaient aussi faciles à trouver et à prendre, c'est que leur ancien propriétaire s'en fichait un peu, non ? Alors qu'ils pourraient, à la place de prendre la poussière, financer son prochain bubble tea !

« Je l'ai remarqué pour la première fois il y a trois ans... Je suis sorti de ma chambre pendant la nuit, prêt à aller répandre joie et bonheur sur le monde - c'est le nom que je donne à mes gaz toxiques - et qui ai-je vu déambuler dans les corridors ?! » Il prit une petite pause dramatique. « Toi ! Tu traînais des pieds, las, comme si on te contrôlait avec des ficelles... Bien sûr, puisqu'à l'époque j'étais un peu méchant et qu'on ne doit pas réveiller les somnambules, j'ai tenté de te réveiller. »

Il interrompit son dur labeur, de toute façon presque terminé, pour fixer son interlocuteur avec grand sérieux. Ses prochaines paroles porteraient un certain poids, un sérieux qui manquait à ses foutaises précédentes. « Tu n'as pas réagi. Même après que je t'aie claqué les deux joues... J'ai supposé que tu étais en plein épisode de somnambulisme, parce que c'est la cause évidente, mais plus j'y pense, plus je me dis... Que peut-être, juste peut-être... Tu étais en réalité possédé par un fantôme ? »

Puis, il haussa des épaules, comme si ses mots précédents n'étaient que des suppositions peu sérieuses. « Bah, de toute façon ça s'est passé il y a archi-longtemps ! Pour retourner au sujet initial : j'ai rien trouvé ici. Je me demande bien où sont passées mes figurines... Toi, tu as trouvé quelque chose ? » Le petit Strixyst pencha la tête avec curiosité.