Vincent ne savait pas à quoi s’attendre, mais c’est bien pour ça qu’il en était là, n’est-ce pas ? Depuis qu’il avait récupéré le sceptre de Kaïla dans le sous-sol de l’école, ses plans ne faisaient que de se diversifier, à tel point que ses idées passaient de choses raisonnables à plus… insensées. Naturellement, plus il en découvrait, et plus il était avide d’informations. Mais cette école, qu’il avait quasiment re-fondé en la faisant agrandir, en l’adaptant au monde actuel, aux technologies qui occupent aujourd’hui en partie le monde magique… il ne voulait en aucun cas la risquer dans le processus. C'est pourquoi il devait rester prudent. Prudent… mais toujours un peu plus ambitieux. Quelques coups à la porte lui firent relever les yeux qui fixaient pendant plusieurs minutes déjà le sceptre qu’il tenait entre ses mains.

- Entrez.

Un homme, inconnu au campus, passa donc la porte et salua Vincent d’un geste de la tête. Ce dernier se leva à son tour pour l’accueillir, un sourire poli au visage.

- Monsieur le Directeur…
- Bonjour, merci d’être venu. Et pile à l’heure, en plus de cela ! Un vrai professionnel.
- … Est-ce l’objet en question ?

L’homme désigna le sceptre, et les traits de l’ancien Strixyst reprirent alors leur sérieux. Il hocha la tête, lui présentant l’artefact dans sa longueur, soigneusement posé entre ses doigts.

- Tout à fait. C’est une relique précieuse et unique en son genre. Mais également très ancienne. Pensez-vous être capable d’en tirer quelque chose ?
- C’est mon travail… mais je vais avoir besoin de précisions. Vous avez une date précise ? Un lieu ? Un événement ?
- Tout. Le plus possible.

Le psychomètre haussa un peu les sourcils en cherchant où était la blague dans une réponse aussi sérieuse. Mais visiblement, Vincent ne plaisantait pas. Au contraire, il avait même l’air très déterminé à tirer profit de la situation, autant que possible, maintenant qu’il avait un spécialiste sous la main.

Il saisit alors en douceur le sceptre, sous l'œil d’un Vincent attentif comme s’il risquait de l’abîmer. Le professionnel l’examina attentivement sous plusieurs angles, caressant parfois le bois du bout des doigts. Cette grande baguette était certes vieille, mais avait tout de même été trouvée en bon état. Le sous-sol qui l’abritait était truffé de sortilèges, empêchant des formules simples d’en ouvrir l’entrée, ou même à des fantômes d’en traverser les parois. Les précisions données par le Directeur avant son arrivée ici avaient été quelque peu floues : tout ce qu’il savait… c’est qu’il devait venir le plus rapidement possible.

L’objet quitta complètement les mains de Vincent afin qu’il puisse le soupeser, jugeant plus encore la qualité.

- Si vous n’avez aucune indication à me donner… ce que je peux faire, c’est partager ma vision avec vous. Vous verrez et entendrez tout ce que je découvre en même temps que moi. Cela vous convient ?
- Je ne saurais comment avoir mieux, je crois, affirma-t-il en approuvant sa proposition. À vous l’honneur…

L’homme hocha la tête.

L’instant d’après, c’était lui qui tient le sceptre dans la longueur, le présentant à Vincent comme si c’était à ce dernier de le récupérer. Le Directeur patienta cependant, laissant le psychomètre faire son travail… Dans le silence, il put observer les phalanges de ce dernier se resserrer plus encore autour du bois, et les traits de l’homme se faire plus sérieux. Il dut patienter quelques secondes de plus avant qu’il ne l’invite à joindre ses mains à nouveau sur le bois. Vincent avança donc ses paumes, et à l’instant où il saisit la baguette…

… il y eut comme un bazar de sons et d’images.

Le sceptre était si vieux, et il ne savait tellement pas où fouiller, à quelle période, quoi précisément, que tout ce par quoi il était passé défilait rapidement devant ses yeux et oreilles - ou plutôt, dans sa tête. Il sentit bien que le psychomètre tentait de se concentrer sur des évènements un peu au hasard, mais… durant plusieurs minutes, le résultat était ou bien décevant, ou bien frustrant. La baguette de Kaïla était si vieille et si peu utilisée depuis (pour ne pas dire “quasiment plus”) qu’il était très difficile d’en tirer quelque chose de clair. Parfois, Vincent voyait un paysage distordu à un point méconnaissable. Parfois, c’était une conversation dont ni les voix, ni les mots étaient suffisamment distincts. Une série de petits films abîmés, qui avaient pris la poussière, illisibles… Mais il ne voulait pas abandonner. Il était si près du but de découvrir ne serait-ce qu’un morceau du passé de Kaïla, comment pourrait-il changer d’avis maintenant ?

« -reste… … les-... »

Ah, quelque chose de plus clair. C’est un des événements les plus récents, crut-il entendre quelque part dans un coin de son esprit - les pensées du psychomètre, peut-être ? Naturellement, plus le souvenir était récent, et plus il serait lisible. Cela voudrait dire que ce qu’il entend s’est passé il y a… des centaines d’années ?

« Mais je-... … av-... n’est-ce pas… ? »

Les images étaient de moins en moins distordues. Les voix, plus identifiables. Et les sons, les sensations, l’impression d’être ailleurs dans le temps et l’espace… plus réalistes. L’instant d’après, c’était comme s’il visualisait une scène qui se déroulait immédiatement sous ses yeux.

Kaïla, connu comme un des plus grands et puissants sorciers de son époque, se tenait juste-là, dans un paysage que Vincent qualifierait de naturel. Un extérieur assez flou, où il voyait de l’herbe et un peu d’eau, mais dont il ne pouvait déterminer les limites plus loin, certainement à cause du souvenir qui peinait à prendre forme sous toutes les coutures. Il pouvait cependant s’estimer heureux de voir distinctement les deux personnes qui se trouvaient là. Car avec Kaïla, qui tenait le même sceptre en question avec un bois un peu plus reluisant, n’était pas seul.

La deuxième silhouette, c’était elle : celle qui avait fondé son école, celle dont on ne connaissait rien à part des rumeurs et un simple nom générique. Il l’avait sous les yeux, depuis le souvenir de l’objet.

La Femme. Celle de la légende.

Elle se tenait près de lui, visiblement inquiète. Apparemment, le souvenir ne permettait pas de remonter plus loin, il allait falloir se contenter de cet instant précis. Kaïla semblait déjà vieux et fatigué, mais tenait toujours sur ses jambes. Il présentait à la Femme le sceptre qu’elle osait à peine toucher pour en sentir le bois, hésitante. Elle leva les yeux vers son aîné, celui dont on savait qu’il avait pris sous son aile la fondatrice de ce qui sera plus tard une grande école internationale. La Femme baissa à nouveau les yeux sur la grande baguette, puis Vincent entendit pour la première fois sa voix, en plus de connaître désormais son visage :

- Êtes-vous certain de cette méthode ? Si ce que vous dites est vrai… alors il n’y aura pas de retour en arrière possible. Ni pour vous, ni pour moi.
- J’en suis certain. Et je sais que tu en feras bon usage. J’ai confiance en toi et en tes capacités.
- Mes capacités… répéta-t-elle, songeuse. Ce ne seront jamais complètement les miennes.
- Peut-être pas au départ, certes. Mais avec le temps, un apprentissage, de l’expérience… tu seras digne de mes pouvoirs.

La Femme arbora un sourire quelque peu dépité, touchée toutefois que son maître place tant de confiance en elle. Une grande première dans l’Histoire de la Magie, elle se devait d’en être digne… et pour cela, avant tout commencer par cesser d’en avoir peur. Un tel mage devait savoir ce qu’il faisait. Et pour le bien de son héritage, de sa puissance tant convoitée, elle avait accepté de le faire. Les conséquences allaient être grandes, progressives… elle le savait. Elle ne voudrait pas tout gâcher en changeant d’avis au dernier moment.

Les mains de Kaïla quittèrent le sceptre, le laissant entre celles de sa disciple. Il l’observait avec une douce assurance dans le regard. Il était certain qu’elle s’en sortirait, peu importe le passé, peu importe son identité… Le rituel était prêt, et lorsqu’il s’éloigna de la jeune femme, Vincent put discerner un peu mieux le paysage : ils n’étaient pas juste à l’extérieur, mais au centre d’un cercle dessiné sur le sol, de nombreuses runes inconnues le décorant. La Femme, elle, ne bougea pas, point central de ces esquisses.

- Je n’ai aucun regret, ajouta Kaïla alors qu’il répandit une poudre non-identifiable sur les tracés. Tu seras officiellement une disciple digne de mes pouvoirs. Et j’en serai très fier.
- Je vous fais confiance… J’espère cependant que cela ne secouera en rien votre monde.
- Oh, il en sera secoué, c’en est certain. Cependant, je n’ai pas peur des conséquences. Elles seront grandes, mais pas incontrôlables. Tu en seras la preuve, oui…

Il lui adressa un sourire bourré de fierté.

- La première moldue à obtenir les pouvoirs d’un sorcier.

L’instant d’après, une lumière de plus en plus éblouissante jaillit des runes, laquelle indique que cet étrange rituel vient de commencer. Le souvenir devint de plus en plus flou, peut-être perturbé par l’effet magique qu’une telle chose avait sur le sceptre qui s’en souvenait encore. Un passage de propriétaire pour le moins particulier et unique, et qui donna sens à ce que tout le monde connaissait de la légende de la Femme…

Lorsque la lumière disparut, la vision s’était arrêtée.

Le psychomètre soupira sous l’effort, visiblement fatigué d’une telle plongée aussi loin dans le passé. Quant à Vincent, il n’avait pas lâché la grande baguette, revenu à la réalité, et pourtant… tout aussi secoué. Ses yeux se baissèrent à nouveau sur le sceptre sans qu’il ne prononce un mot. Le silence avait emplit la pièce, à peine dérangé par le professionnel en face de lui qui avait certainement autant de questions que lui. Il observa le Directeur naviguer encore dans ses pensées, les yeux quelque peu hagards, avant qu’il ne serre un peu plus le sceptre entre ses doigts. Le psychomètre n’avait aucune idée de ce que Vincent aurait préféré voir durant cette vision, mais…

- Vous avez besoin qu’on recommence… ?
- Non… ! Non… C’est parfait.

Il n’avait pas besoin d’en voir plus. Du moins, pour le moment.
La Femme de la légende, celle dont on ne savait rien, jusqu’à son nom et visage… Il connaissait à présent ce dernier, la voix qu’elle avait, la confiance qui semblait régner entre elle et le grand Kaïla, mais surtout… ! Il avait appris quelque chose que sans doute absolument personne hormis eux deux n’aurait cru un jour possible.

La Femme était une moldue. À qui l’on avait transmis des pouvoirs.

Un sourire en coin étira les lèvres de Vincent. Et dire qu’on pourrait le penser “fou” avec ses expériences, quelqu’un dans l’ancien temps avait déjà fait bien plus que cela ! Oh, que pourrait-il tenter d’accomplir avec la technologie d’aujourd’hui ? Sans rituel mais avec une science bien plus simple à maîtriser et analyser ? C’est intéressant… Vraiment intéressant…

Il y avait de quoi être plus déterminé encore.