Le directeur d’Ilukaan était un homme… somme toute spécial. Élèves comme membres du personnel, quels qu’ils soient, le savaient très bien. En tout cas, les avis divergeaient : ou bien c’est un génie, ou bien il est complètement fou. C’est certainement le genre de bruits qui couraient autour de son portrait à l’époque où il avait miraculeusement prit la tête d’une école comme celle-ci.

Un établissement fermé d’esprit, qui n’accueillait que l’élite d’un seul et même pays – après tout, celui-ci était suffisamment grand pour suffire aux effectifs des quatre maisons ! Non seulement ils n’allaient pas chercher les étrangers lors de la vieille époque, mais en plus ils refusaient tout ceux qui osaient envoyer leur dossier sans pour autant être du coin. Cette xénophobie bien propre à l’école, Vincent l’avait cassée – littéralement brisée, plutôt.
Il aura suffit qu’un sorcier (né-moldu de surcroît) déterminé comme lui vienne se hisser jusqu’à la cour des grands, pour ensuite oser s’introduire dans ce cercle fermé et en exploser les barrières. S’en est alors suivit la construction des amphithéâtres, l’agencement des salles informatiques… et toutes ces nouveautés qui auront bousculé les habitudes de la vieille école (dans tous les sens du terme).

Tout s’est toujours bien passé jusqu’ici. Toujours. C’est pourquoi lorsqu’il fut averti de la visite d’une personne à l’importance qui n’était plus à mesurer, il était plus que ravi et loin d’être stressé ou même embarrassé.

Toc toc.

- Entrez, entrez !

Confortablement installé dans son fauteuil, Vincent observa Sunny Cassowary entrer dans son bureau. Bien que l’assise offrait effectivement une place de qualité, il se leva et ouvrit légèrement les bras en signe d’accueil chaleureux.

- Madame la Ministre ! C’est un honneur de vous recevoir.

À la tête du Ministère de la magie canadien, Cassowary pénétra dans la pièce et ferma la porte derrière elle avant de s’avancer, la tête haute. Elle avisa le directeur avec la plus humble des politesses.

- Je vous remercie de m’accueillir en ces lieux, M.Leroy. Il me tardait de vous rencontrer.

Face au silence ravi de Vincent, la Ministre balaya doucement la pièce du regard, analysant et scrutant chaque recoin avec une certaine analyse dans le regard.

- Vous semblez à la hauteur de votre réputation. À première vue. L’école n’a plus rien à voir avec ce que j’ai connu autrefois.

- Je vous remercie. Un compliment de votre part… Voilà certainement la meilleure récompense que je puisse recevoir ! Mais je vous en prie : installez-vous.

Afin de rester sur un certain point d’égalité, d’apaiser ces éventuelles tensions que provoque un face-à-face entre un directeur d’école et la plus haute tête du Ministère Magique du Canada… Cassowary répondit à l’invitation et prit place sur une des somptueuses chaises qui faisaient face au bureau de Vincent, qui lui-même arrangea sa veste de costume avant de se réinstaller.
Peut-être que beaucoup d’autres proviseurs ou quelconque leader serait stressé, voire même inquiet, de recevoir la visite d’une personne aussi importante… mais lui ? Il prenait au contraire cette rencontre comme une bénédiction, une étape cruciale pour la progression (toujours constante) de son école. Sa plus grande fierté, après tout ! Qui ne voudrait pas poursuivre un tel succès exponentiel ?

- Permettez-moi de me répéter, mais c’est une grande fierté d’accueillir sur le campus une personne comme vous. J’entends par-là que toutes les améliorations apportées à l’établissement ont tiqué votre intérêt, si ce n’est plus ?

- Cela fait 12 ans que vous êtes directeur d’Ilukaan, M.Leroy. Je n’ai pas eu l’occasion de visiter l’école avant votre arrivé, mais il était de mon devoir de constater de mes propres yeux le résultat de votre influence sur le long terme.

Le ton de Cassowary était posé, calme, voire quelque peu agité par l’intérêt, et Vincent ne pouvait qu’en être fier. S’il était enfin parvenu à rendre curieuse une Ministre dont l’attention avait grandi au point de se déplacer d’un pays à l’autre, c’est que tout son travail en valait la peine ! Qu’il n’avait pas fourni tous ces efforts pour rien !

Sans que son sourire ne se décroche de son visage épanoui par cette rencontre, l’ancien Strixyst posa les coudes sur le bureau et croisa les doigts de ses mains.

- Vous m’en voyez ravi. Ceci dit, je me demande pourquoi vous n’êtes pas venue plus tôt… Votre mandat a commencé il y a un an, n’est-ce pas ?

- Vous avez introduit de nouveaux cursus ainsi qu’une extension de scolarité en cette rentrée 2020. C’est pour cela que je suis venue.

Deux mois après la rentrée, il ne manquerait plus que cette nouveauté lui attire des problèmes. Mais il avait déjà fais plus que ça, alors ça ne devrait pas lui obstruer quelconque chemin de la réussite, n’est-ce pas ?
Cassowary croisa les mains sur ses cuisses, épaules droites et ton plus sérieux.

- Vous êtes la première école sorcière à avoir introduit avec une grande rapidité les technologies moldus au sein de son institut… Et pour cela, je vous félicite. Votre démarche aura permis à beaucoup d’élèves de développer leurs compétences et s’épanouir dans des professions et spécialités que le monde magique tardait à enseigner alors que la société elle-même avait déjà prit une certaine avance.

- Vous me flattez ! jubila-t-il presque. Ne me dites pas que vous avez fait tout ce chemin uniquement pour me faire autant d’éloges ?

- Au contraire, M.Leroy : je suis venue pour vous demander de ralentir le rythme.

Jusqu’ici bercé par l’euphorie engendrée par sa fierté de plus en plus nourrie, Vincent haussa les sourcils et attendit que la Ministre poursuive.

- Il est vrai que vos cours attirent de plus en plus d’élèves, en témoigne la diversité qui réside actuellement sur le campus… Et je comprends que vous voulez inspirer votre école à accepter la différence large qui se trouve entre les sorciers et les moldus, dû au fait que vous-même êtes né dans ce milieu. Mais je pense qu’il est temps de vous avertir : les deux mondes ne doivent jamais s’approcher de trop près. Je suppose que vous suivez l’affaire concernant le débat sur les technologies moldus dites volées par notre population ?

Comment ne pas la suivre ? Vincent aurait dû se douter que tant de compliments ne pouvait qu’amortir la douche froide qu’elle venait de lui asperger. Si elle voulait lui faire des compliments sur sa façon de faire et son chat, elle aurait tout simplement envoyé une lettre ! Même si, entre l’époque où Ilukaan demeurait restreint au Canada, et celle où elle ouvre désormais ses portes à tous, il y aurait de quoi attirer quelques politiciens afin de satisfaire leur curiosité, non ?

Sauf que Cassowary semblait plus que sérieuse. Dans ses yeux, il ne pouvait y lire que de l’avertissement, mais aussi une forme de sagesse. Loin de lui l’idée que le Ministère ait une femme vile pour tête pensante.

Dans sa position de « petit » directeur, Vincent ne pouvait évidemment pas envoyer bouler cette femme et la pousser hors de son bureau. Non seulement il fallait faire bonne figure, mais en plus il allait falloir s’exprimer sans pour autant avoir l’air de trop résister. Qui sait ce qu’elle avait en tête en venant lui demander en personne de calmer le jeu sur ce qui fait l’essence même de son établissement.

- Je vois… Je comprends où vous voulez en venir, répondit-il sur un ton rassurant. Vous voulez être certaine que je n’aggrave pas ce débat de « technologies volées » en m’inspirant de plus en plus de ce qui se fait dans le monde moldu.

- Heureuse d’apprendre que vous en avez parfaitement conscience.

Ou bien vous me trouveriez stupide ? Vincent ne perdait rien de sa façade aimable et souriante. Il lui fallait absolument conserver la sympathie de la Ministre, ainsi il pourrait peut-être s’en sortir indemne. Car pour venir jusqu’ici… elle n’allait pas simplement venir lui taper sur les doigts, si ?

- Comme vous l’avez dit, je dirige cette école depuis maintenant douze ans… J’imagine donc que vous ne pouvez pas m’en vouloir de penser que ma méthode, que j’emploie depuis le début, est plus bénéfique qu’autre chose pour mes élèves, n’est-ce pas ?

- J’entends bien, M.Leroy… Qui sait cependant jusqu’où s’étendra votre inspiration ? D’abord l’ouverture au reste de monde, ensuite le cursus technologique, maintenant ceci… En envoyant les plus vieux élèves en formation, vous envoyez de jeunes personnes dont la manière de faire ne pourrait correspondre avec leurs employeurs. Il serait dommage que votre école dont la réputation fait si bonne figure perde soudainement celle-ci à cause d’idées mal reçues.

- Excusez mon interprétation, Madame la Ministre… mais insinuez-vous que mon école a une mauvaise influence sur les jeunes sorciers ?

Car si tel était le cas, il était absolument hors de question qu’il laisse le Ministère entier penser ainsi et agir en conséquence. Cet établissement, ce campus qu’il a reconstruit avec ses idéaux… Personne n’avait le droit de le modifier alors qu’aujourd’hui, il parvenait enfin à changer des mœurs. Même si ce n’était qu’une petite poignée au milieu d’une immense communauté.
Cassowary le fixa et se pencha très légèrement vers l’avant, comme si chacun des mots suivants était à lui seul un secret risqué à partager :

- Je suis simplement venue vous avertir qu’à force de trop les mêler au monde moldu, les conséquences sur le Secret Magique pourraient être irréversibles.

Le sourire de Vincent ne s’étira que davantage, cette fois-ci plus nerveux qu’à son habitude.

- Qu’il est étonnant d’entendre un tel avertissement de la part de l’Alliance Conservatrice Magique qui peine encore à considérer les moldus comme des semblables.

Se redressant sur sa chaise, la Ministre demeura silencieuse. Seule sa bouche se tordit en une légère grimace amère. Vincent avait visé juste : insulter – même le plus discrètement possible – le Ministère était une atteinte facile à la tête de celui-ci – aka Sunny Cassowary. Reprenant le peu de contenance qu’elle avait égaré, cette dernière reprit sur un ton plus sobre et lavé de toute froideur :

- Je vous conseille de prendre l’avis du Ministère au sérieux, M.Leroy. Il ne tient plus qu’à vous d’en faire bon usage.

C’est ainsi qu’elle se leva sans même avoir annoncé son intention à partir. Mais à l’entendre, le directeur l’avait sans doute déjà deviné. Ce dernier ne bougea pas plus, toujours souriant avec cette suffisance irritante, signe de résistance qui prouve sa détermination à ne pas se laisser décontenancer par les propos de la Ministre.

- Vous serez mise au courant, de toutes manières.

C’est bien parce qu’elle surveillait l’avancée de cette école qu’elle a décidé de rappliquer, n’est-ce pas ?

- Je n’ai pas besoin que vous me raccompagnez, acheva-t-elle en réajustant son veston.

Puis la femme lui tourna le dos avant de s’avancer vers la porte. À sa démarche un poil plus pressée qu’à l’arrivée, Vincent constata qu’il l’avait bel et bien vexé – mais ce n’est pas comme s’il l’avait menacé, lui.

- Au plaisir de vous revoir, Madame la Ministre.

Lorsque la grande dame du ACM disparut de la pièce… le sourire nerveux de Vincent s’évapora subitement. Il laissa ses pieds légèrement glisser sous son bureau en lâchant un soupir las, puis se remémora l’intégralité de cette entrevue. Certes Cassowary était finalement partie vexée, mais…
… lui aussi.

Le monde sorcier. Le monde moldu. Et le Secret Magique, grande barrière qui les sépare.

Quid des familles qui élevaient des sorciers né-moldus ? Et les mages qui épousaient certains de ces gens dépourvus de pouvoirs ? Qu’est ce que le reste de la communauté magique pensait de ce genre d’exceptions ? N’était-il pas normal, au contraire, d’acclimater peu à peu les moldus à l’existence d’un autre monde ? Après tout, les mœurs avaient changé. Et non seulement elles changeaient, mais en plus elles se métamorphosaient !

Bien sûr que le monde n’était pas prêt pour un changement aussi brusque… mais Ilukaan ? Sa plus grande fierté ? Personne n’avait le droit d’y toucher. Pas même Cassowary. Encore moins le Ministère ou quelconque Alliance.

Installé dans le fond de sa chaise, il la fit tourner pour faire face à une vitre, observant alors une grande partie du jardin du campus.
« Au plaisir de la revoir »… lorsqu’il aura progressé un peu plus. Lorsqu’il aboutira à une prochaine fois. Et cette fois-là… cette fois, elle ne pourra rien dire.

Lorsque Cassowary avait prétendu que la façon de faire de Vincent était néfaste autant pour le monde moldu que le leur, il s’était retenu de répondre avec quelque chose de plus concret que du sarcasme. Et ça aurait pu s’arrêter là. La Ministre qui vient le chercher dans son bureau pour le confronter, lui dire dans un face-à-face significatif ce qu’elle pense, c’était suffisant. Ça aurait pu s’arrêter là. Ça aurait dû s’arrêter là.

Mais elle est arrivée. Amy Nightingale.

Une envoyée surprise du Ministère qui, du jour au lendemain, était intervenue ici et là dans l’enceinte de l’établissement. Surprise. Après la première visite qui, elle aussi, était une surprise, Vincent n’en attendait pas tant de la persévérance de la Ministre à essayer de comprendre comment cette école fonctionnait. Ou plutôt comment elle pouvait fonctionner. Comment Nightingale pouvait la décortiquer en long, en large et en travers, certainement. En interrogeant les membres du personnel qu’il avait engagé comme les élèves qu’il avait accepté.

Le Ministère semblait bel et bien décidé à analyser plus en profondeur le travail de Vincent, et sans prendre de gants. Alors qu’il n’avait rien fait de mal.
Vincent tapotait sur les touches du clavier avec un empressement assez inédit. Il repensait à Cassowary, Nightingale, les bruits de couloir au sujet de cette dernière… Ah, pour une surprise…Lui aussi était capable d’en faire.

Vincent scruta l’écran de son ordinateur quelques secondes, le temps de réaliser ce qu’il était sur le point de faire. Bien sûr, ses actes allaient avoir des conséquences… mais il n’avait pas le choix s’il voulait faire cesser tout mouvement suspicieux du Ministère à son encontre. C’était pour le bien de son école. Et de tous ses élèves.

Avec une très petite seconde d’hésitation, il appuya sur Entrée.