On ne pouvait pas dire que Bob était du genre doué à l'école, ce n'était pas vrai. Et qui pourrait lui reprocher ? En bon né-moldu déjà peu à l'aise avec les études, se retrouver avec tout un nouveau monde, entier, où il fallait tout apprendre. C'était presque comme naître une seconde fois tant les règles, même basiques, n'étaient plus les mêmes. Certes, la première année se passa finalement et ce serait sûrement la plus difficile sur ce point. Bob était aujourd'hui bien plus à l'aise avec la sorcellerie, mais ses devoirs ne brillaient toujours pas par leurs supers notes. D'où l'importance des à-côté ! Un peu comme un étudiant de faculté qui vit pour tout sauf les cours sur le campus. Et Dieu sait qu'il en avait des passions, Bob, sorcières comme moldues, et qu'il les faisait vivre avec autant de ferveur que celle qu'il mettait dans ses révisions, peu importe ce que pouvaient dire les mauvaises langues.

Et la cuisine, c'était une de ses passions reines ! Surtout que, dans ce domaine, il se sentait à l'aise, compétent, à sa place, fier de ses créations ! A seulement douze ans, il savait faire des pâtisseries un peu complexes, maîtrisait la cuisson au feu de bois, pouvait rattraper une mayonnaise et les après-midi avec le club de cuisine lui procurait toujours un plaisir renouvelé. L'ambiance jouait beaucoup. Les plus anciens se côtoyaient depuis des années et s'envoyaient autant de critiques constructives que de piques bien senties sans pour autant laisser les plus jeunes sur le carreau qui, eux-mêmes, se dégotaient des binômes privilégiés avec qui l'alchimie s'installait petit à petit. Quant à Bob... disons qu'il attendait encore son Cooking Buddy, non pas qu'il ne s'entendait pas avec les gens du club, mais ils étaient tous plus âgés, voire beaucoup plus âgés, et c'était toujours difficile d'avoir une relation d'égal à égal avec ces gens, ce qui faisait naître, petit peu par petit peu, une frustration toute adolescente chez ce garçon qui commençait à en devenir un, avec toutes les gamineries qu'on leur connaît.

Et puis y'avait Megumi, en sixième année, donc quatre bonnes années de différence avec Bob ce qui suffisait à ne toujours pas rentrer dans les candidats potentiels pour être de vrais partenaires de cuisine en bonne et due forme, mais elle était bien assez gentille et aidante pour quand même passer pas mal de temps avec Bob durant les séances du club ! Bob l'aimait bien, Megumi, elle débordait de douceur et d'envie d'aider les autres, un peu comme lui, mais en moins solaire quand même. Il savait qu'ils s'entendraient à la longue, même s'ils ne feraient que parler cuisine, pas grave !

Mais aujourd'hui, quelques jours avant les vacances de Noël, le club souhaitait faire les choses différemment et, pour garnir le buffet du bal, comptait déployer tout ce que les cuisiniers amateurs pouvaient dégainer de meilleur et Francis organisa donc des duels amicaux pour créer de succulents gâteaux à partager avec les autres élèves. Une épreuve qui terrifia, purement et simplement, le petit Bob. C'est vrai ! Certes il était plutôt content de ses réalisations, mais au point de concourir contre d'autres membres ? Jamais ! Et le pire c'est qu'il tomba contre Megumi, dont le talent n'était contesté par strictement personne avec un peu de bonne foi. Il allait se faire ratatiner ! Raison pour laquelle, alors que tout le monde bavardait et rigolait avant le petit concours, lui scrollait compulsivement sur son téléphone à la recherche -disait-il- d'une bonne recette à proposer, et dans les faits il traînait plutôt sur Pentagram pour... oublier que dans quelques minutes il allait devoir se montrer devant tout le monde et risquer l'humiliation parce qu'évidemment il fera moins bien que son aînée !

Le problème de Bob, c'est que quand ça ne va pas, ça se voit. Il est tellement tout le temps solaire et plein d'entrain que ne serait-ce que le voir tout calme ça suscite déjà l'inquiétude. Raison pour laquelle cette séance de... de négation d'une future compétition, il la faisait dans un coin des cuisines, vers les cagettes de fruits, comme ça il pourrait dire qu'il cherchait vraiment le bon produit pour sa recette alors que, dans les faits, sa recette il n'en avait pas la moindre idée. Il était paralysé à l'idée de se confronter à quelqu'un, de s'afficher devant les autres. C'était encore un enfant, Bob, le regard des autres c'était central sans même qu'il ne le veuille, tellement ça l'était pour tous les autres gens de son âge. C'est une chose d'être le petit weirdo de la classe, passionné de dessin, un peu dans la lune et tout, mais c'en est une autre de parvenir vraiment à se détacher de la pression exercée par les autres, surtout en étant né-moldu au milieu de sorciers ! La moitié de ce qu'ils considèrent pour acquis ne l'est pas et il faut batailler pour ne pas se dire qu'on ne vaut rien ! Ce genre de difficultés revenaient en plein visage de Bob aujourd'hui, dans un lieu où il s'attendait à ne pas avoir à les vivre de sitôt, où il se sentait préservé de ça. Et ce n'était pas la faute de Megumi, ça non, certainement qu'elle serait la plus désolée pour Bob en sachant tout ça, mais elle n'en avait pas connaissance et le garçon ne comptait pas se livrer aussi facilement alors que ce n'était ni le lieu ni le moment.

Non, il lui fallait reprendre courage, au milieu de ses cagettes de fruits, et vite !

Bob n'était pas un stressé de nature, par stress on entend cette appréhension face aux grandes épreuves, aux grands événements, aux grandes rencontres. Avant un examen, par exemple, le jeune garçon ne sentait pas particulièrement de boule au ventre, pas de transpiration, de doutes qui l'étrennent dès la veille, non. Lorsqu'il était seul face à ses difficultés, Bob se sentait parfois mal, mais on approchait plus de l'angoisse et de la tristesse. Il craignait de décevoir, redoutait l'abandon, la solitude, voilà ce qui le tourmentait : voir ses connexions avec les autres altérées, dégradées. Quant à ses notes opérant les mêmes cabrioles, bon, c'était énervant, dommage, mais son cœur tenait la barre sans problèmes.

Mais là, c'était étrange, inhabituel. On était plus proche d'un contrôle que d'une dispute avec les parents et pourtant le voilà prostré au milieu des marrons, des pommes, des figues, des agrumes divers et variés et malgré les enivrants parfums entremêlés Bob s'était refermé comme un coquillage et plus rien ne lui parvenait, toutes les routes vers son esprit barrées par une infranchissable angoisse, de la même sorte que lorsqu'il prenait en pleine figure l'éloignement de sa famille au début de la première année, ce sentiment de solitude face à un monde hostile alors que, et il le savait, il n'y avait rien de plus faux. Déjà, il était loin d'être seul, le club étant en partie présent pour ce petit duel amical et, de plus, tout était dans le nom, il s'agissait d'une confrontation bonne enfant ! Et Megumi était la dernière personne qui lui opposerait une compétition toxique, une confrontation agressive ou la moindre sécheresse, en fait. Au fond de lui, Bob savait qu'elle était la meilleure adversaire possible pour dompter sa peur de la compétition, car c'est bien de cela qu'il s'agissait. Bob n'avait pas peur de mal s'en sortir lors d'une compétition, il avait peur de LA compétition, en tant que telle. Il répugnait de se confronter aux autres, dans n'importe quel format, et surtout pas contre les gens qu'il appréciait. Il avait le sentiment, déjà, qu'il se ferait ratatiner, mais aussi que... ça envenimerait la relation avec l'autre. Lui voulait être le petit bonhomme adorable, enjoué, jamais lié à quoique ce soit de négatif dans l'esprit de ses contemporains, et voilà qu'il avait accepté ce duel qui produirait inévitablement une chimie désagréable dans le cerveau de Megumi !

En parlant de Megumi, d'ailleurs, Bob fini par entendre sa voix poindre de l'autre côté des cagettes et, instantanément, il calma sa respiration, se figea, comme s'il jouait à cache-cache. Il n'avait pas de plus sérieuses raisons que ça de masquer sa présence, mais c'était un réflexe, quand il s'isolait. M'enfin, dans sa quête de fraises la jeune femme finit bien par tomber sur le fugitif. Bob ne put réprimer un sursaut, alors qu'il ne faisait rien de spécialement répréhensible. Mais bon, le visage de Megumi avait de quoi le rassurer, c'était de notoriété public qu'on ne pouvait pas plus angoisser qu'elle avant la moindre épreuve, même lorsqu'on s'appelait Bob Laurier. De quoi avait-il l'air, celui-là, à fuir devant une compétition sans enjeux alors qu'il affrontait une des personnes les plus douces de l'école. Quelle angoisse le terrasserait le jour où il ferait ses premiers duels en cours de défense contre les forces du mal, lorsqu'il tenterait la moindre épreuve sportive histoire de rendre Owen un peu fier. Pour sûr, ce soir son journal se noircirait de lignes décrivant la honte qu'il ressentait.

- Coucou, Megumi ! Tu cherches des fraises ? Attends !

Peut-être qu'il pouvait gruger en prétendant que, lui aussi, ne faisait que prospecter leurs provisions pour y trouver l'inspiration de la recette qui ferait mouche ! Mais bon c'était, de une, un très mauvais menteur, de deux quelqu'un qui détestait mentir. Il valait donc mieux dire la vérité, mais, quelque-chose qui était bien plus dans ses cordes, il était possible de l'enrober avec une autre vérité pour que la honte le frappe un peu moins fort. Le garçon attrapa donc une barquette de fraise qui traînait non loin de lui. Il en restait peu, mais les cultures magiques permettaient d'en faire pousser une variété spéciale troglodytes, aux feuilles violettes et à la chair noire. Il tendit les fruits à Megumi.

- Tiens, des fraises Tara... Tarama ! Je crois ! Je sais pas si elles conviendront pour ce que tu pensais préparer...

Il est vrai qu'elles avaient un goût assez éloigné des fraises communes, mais bon, c'était les seules actuellement disponibles, dans cette cuisine en tout cas. Les sorciers avaient parfois à cœur de respecter la saisonnalité des aliments ! Mais ces considérations échappèrent bien vite à Bob lorsque sa camarade et future adversaire eut, tandis qu'il tendait la barquette de fruits, le courage de lui lancer quelques mots d'encouragement qui étaient bizarrement inattendus alors que le reste de l'humanité aurait pu parier que Megumi aurait cette attention pour lui. Les beaux yeux bleus du garçon cillèrent, interdits, lors d'un trop long instant de silence. C'était très, très réconfortant à entendre et en même temps une levée de bouclier s'opéra dans sa tête pour nier en bloc ce qui venait d'être dit, comme un raisonnement complotiste qui interprétait tout sous l'angle de sa propre vérité.

- Tu peux rester ! Mais je... je suis pas d'accord. Tu es meilleure que moi et personne dira le contraire, mais c'est normal j'ai que douze ans moi ! Je serais pas un super adversaire, mais...

Il acquiesce avec fermeté, son visage quand même secoué par ses doutes.

- Je ferais de mon mieux, quoi. Moi tant que tu te régales à la fin avec ce que j'ai fait, c'est ce que je veux, mais j'ai même pas d'idée là... Méchant cerveau !

Il se releva de sa prostration, secouant ses vêtements et la tête pour tenter de se ressaisir. Il n'avait pas pleuré, ce qui était déjà une victoire, mais il ne se remémorerait pas ce moment avec plaisir. D'où l'intérêt de consigner tout ça dans son journal histoire de pouvoir s'en détacher. En attendant, il lui fallait reprendre un peu d'activité et tenter de trouver une recette qui pourrait tenir la dragée haute à Megumi. Oui, en pâtisserie il avait une technique honnête et un peu d'imagination, mais pas assez à son goût. Les pâtisseries l'hiver c'était toujours plus compliqué pour faire de la variété...

- Tu... tu aurais une idée de pâtisserie... ?

Oh là là, il avait l'impression de tricher... !