Depuis le début de sa quatrième année, Nico souhaitait participer à tous les clubs de l’école au moins une fois avant la fin de sa scolarité. Mais bien sûr, comme pour chacun de ses objectifs un peu fous, l’italien n’avait pas réellement réfléchi à toutes les implications qu’il entraînait. En acceptant la proposition de venir s’essayer au club d’athlétisme, le jeune homme n’avait juste vu là qu’une occasion d’avancer vers ce but tout en passant du temps avec Taynara : de quoi faire deux pierres d’un coup ! Sa condition physique ne lui était absolument pas venu à l’esprit une seconde.

D’une certaine manière, c’était chose compréhensible. Le cadet di Angelo n’aimait pas penser à son apparence physique de manière générale. Cette négligence était le résultat de plusieurs facteurs.

Niccoló s’était connu dans un état bien pire qu’actuellement. À force de moqueries et de harcèlement, le sang-mêlé avait, à l’époque, développé une image de lui-même très négative, tant mentalement que physiquement. Et même si ça n’allait qu’en s’améliorant depuis qu’il avait su trouver de l’aide et du soutien, le jeune Strixyst avait encore parfois de la peine à concevoir que l’image que lui renvoyaient les miroirs était vraiment la sienne. L’expérience d’observer attentivement son reflet était alors rarement chose agréable.

Et puis, l’italien n’avait pas forcément conscience que son état pouvait en inquiéter d’autres, il avait la sensation de toujours avoir été plutôt maigre par rapport à ses camarades. Étant encore un enfant insouciant à l’époque, il n’avait pas eu conscience de perdre les rondeurs de l’enfance aussi rapidement…

Mais tout cela n’avait pas entaché la motivation du sang-mêlé ! A peine les cours terminés, il s’était précipité jusqu’à sa chambre pour terminer ses devoirs au plus vite. Il était hors de question que ceux-ci fassent de l’ombre à son plaisir, tels des nuages menaçants dans un coin de sa tête. Il voulait pouvoir profiter pleinement de ce tout premier entraînement d’athlétisme sans n’avoir aucun problème qui l’attende à la sortie des vestiaires. Il avait ensuite abandonné son uniforme sur le bord de son lit au profit d’un short de sport et d’un simple t-shirt noir, tout deux légèrement trop grand. Nico mettait rarement des vêtements qui laissaient deviner ses formes, même son uniforme était légèrement trop grand (il utilisait l’excuse qu’il grandissait encore et que cela ne servait à rien de prendre une taille parfaite si c’était pour en changer quelques mois après).

Le soleil offrait ces dernières heures de rayons tandis que l’italien attendait son amie non loin du terrain. Les nuages dissimulaient encore la chaleur printanière qui arrivait timidement chaque jour. Le sang-mêlé fixait le chemin le plus court pour arriver au complexe sportif depuis les quartiers des Strixyst, espérant à chaque seconde voir s’approcher la demie-géante. Ce faisant, il lui fut impossible de louper Taynara, qu’il vit bientôt marcher dans sa direction. Cette vision illumina son visage jusque-là crispé dans une expression qui pouvait s’apparenter à de la crainte, mais qui trahissait simplement sa concentration intense, avec les sourcils légèrement froncés et les lèvres pincées. Ses traits se relaxèrent donc avec un sourire dévoilant ses dents. Il leva haut un bras pour saluer la 8ème année, se mettant sur la pointe d’un pied d’une manière très comique afin de s’assurer qu’elle le voit aussi.

— Tay ! s’écria-t-il d’un ton guilleret. Je suis là !

Il ne disait pas ça que pour attirer son attention, mais également dans l’objectif de la rassurer. Ce “Je suis là” signifiait tout autant “Regarde, j’ai tenu ma promesse, je suis bien venu”.

C’était un euphémisme de dire que Nico n’avait pas vécu le début de scolarité le plus lumineux. Selon ses plus proches connaissances, il revenait carrément des enfers. Le garçon devait très certainement encore être ébloui par la lumière, en plein dans l’euphorie d'entamer sa remontée, n’ayant pas encore conscience des blessures et des retombées que ces années d’obscurité allaient avoir sur sa psyché sur le long terme. En ce sens, on pouvait le comparer à un bébé oiseau dont la mère venait de le jeter du nid pour lui apprendre à voler : il était frappé de plein fouet par le vent de la liberté, mais n'était pas encore effrayé par la hauteur dont il avait chuté. L’italien n’avait, dans sa naïveté, pas encore réalisé les horreurs qu’il gardait en lui, sur lesquelles il allait devoir travailler, sans quoi il exploserait.

Mais à l’instant, c’était plus de joie qu’il allait exploser. Son cœur battait fort d’excitation à l’idée de tester une nouvelle activité. C’était comme si un nuage de papillons rongeaient son estomac. Ces lépidoptères se calmèrent à l’instant où la préfète des Stryxists posa son genou à terre.

- Ça va ? (Nico hocha la tête pour répondre par l'affirmative.) Tu ne stress pas trop ? (Il secoua la tête, cette fois-ci, pour signifier la négative.) Si c'est le cas, y'a pas de soucis à te faire, je suis là, tout se passera bien. (Le sourire du garçon s’étira quelque peu, son corps laissant transparaître son assurance naissante, offerte par le soutien de son amie.) Personne ne te jugera, ne se moquera de toi, même si tu vas pas trop vite, même si tu dois faire des pauses régulières, l'important c'est d'y aller à ton rythme, de découvrir en douceur, de savoir si ça te plaît et de profiter un peu. (Son sourire s’élargit d’autant plus tandis qu’il hochait la tête plus prestement.) La première séance est difficile, toujours, c'est toujours le plus dur de s'y mettre, mais il faut s'accrocher si jamais tu sens un petit espoir d'aimer par la suite ! (L’italien hocha la tête en levant un pouce en l’air.)

Et voilà que la demie-géante s’inquiétait à nouveau pour Niccoló, plus qu’il ne s’inquiétait pour lui-même, si l’on voulait faire preuve d’une complète sincérité. Ce n’était clairement pas la bienveillance de la jeune femme qui allait faire courir Nico. Enfin dans un sens oui. Parce qu’il comptait se donner à fond et courir du mieux qu’il pouvait. Mais pas courir pour prendre la fuite.

- J'ai reçu un message de Monsieur Barbaren, il ne peut pas être là ce soir, mais il nous autorise à nous entraîner dans notre coin, ce sera encore plus simple pour toi si c'est moi qui t'initie, enfin j'espère !

Le sourire qu’affichait déjà Nico s’élargit un peu plus sur son visage. Même si c’était une personne très extravertie, l’italien était quelque peu timide. Et lui qui avait déjà de la peine à tester des choses nouvelles, c’était l’occasion pour lui de découvrir le cours d’athlétisme par étape : première étape, le sport en soi ; deuxième étape, les camarades et le professeur. Il soupira intérieurement, mais se garda bien de dire à Taynara que cette perspective le réjouissait presque.

- No problemo ! dit-il. Son accent italien le trahissait toujours lorsqu’il disait cette expression. C’est un peu dommage que je ne le rencontre pas, on m’a dit que c’était un sacré personnage.

Il gloussa quelque peu à cette dernière phrase. On lui avait dit que c’était un excentrique ce prof, mais il n’avait encore jamais eu l’occasion de le voir à l’œuvre.

- On entre ? lui demanda finalement la préfète en se relevant de toute sa hauteur.

Le cadet ne put s’empêcher d’afficher une mine admirative face à la carrure de la demie-géante. Le sang-mêlé éprouvait une forme d’admiration très naïve pour son amie. Elle était grande, elle était sympa, et, il l’affirmait haut et fort à la moindre occasion, elle était belle ! Le garçon aspirait un peu à lui ressembler, dans un sens. Il voulait que les gens le trouvent aussi sympa que la jeune adulte. Il n’avait jamais entendu personne dire du mal d’elle, même dans son dos. Après, peut-être était-ce dû à leur proximité. La plupart des élèves connaissant Nico savaient parfaitement qu’il n’hésiterait pas à en venir aux mains si l’on osait dire du mal de ses ami·e·s.

- Allons-y ! s’exclama le jeune homme en mettant les poings sur les hanches dans une pose d’aventurier près à partir dans des contrées inconnues.

Il se mit bien vite à trotter en direction de l’entrée du terrain de Quidditch, sachant très bien que peu importe sa vitesse de croisière en direction de celle-ci, son aînée n’aurait aucune peine à le suivre. Le noiraud poussa la porte pour entrer en premier, histoire de tenir la porte à Taynara avec un petit geste souple de la main.

- Alooooors, dit-il en affichant un air malicieux, la tête penchée en arrière pour dévisager sa camarade et entraîneuse du moment. Qu’est-ce tu as prévu pour aujourd’hui ?

Nico fronçait légèrement les sourcils en pinçant les lèvres dans une grimace de concentration tandis que Taynara lui exposait le plan qu’elle venait d’élaborer. Il hochait la tête gravement à chacune de ses phrases, les retenant avec application. La demie-géante était un modèle pour lui, au bas mot, il buvait chacune de ses paroles comme si c'étaient des vérités absolues. En même temps, c’étaient des vérités sur le club d’athlétisme, ses vérités à elle et celles de leurs camarades.

L’ambiance qu’inspirait le large couloir dans lequel ils s’engouffrèrent impressionna quelque peu le plus jeune. Il sentait que de nombreux élèves étaient passés au travers de ces longs couloirs, qu’ils avaient vu passer de nombreux sportifs, dont certains s’étaient peut-être même fait un nom dans leur discipline. Cela donnait presque le vertige de se dire qu’il marchait dans les pas de nombreuses personnes après lui, et aussi de sûrement pleins d’autres générations d’élèves après eux. L’absence de fenêtres et de lumières naturelles renforçaient le “trac” qu’il avait de découvrir le club d’athlétisme.

Mais son trac s’envola avec la brise qui caressa son visage en ouvrant la porte sur le terrain. Emporté dans le vent qui, en une seconde, avait sûrement fait toute la distance jusqu’aux anneaux de Quidditch qui se dressaient de l’autre côté.

Inconsciemment, la timidité de l’Italien prit le dessus, et il jetait des regards discrets aux autres groupes de jeunes éparpillés sur le terrain, se dissimulant à moitié derrière l’universitaire. Le garçon leva sa main pour les saluer, mimant la bienveillance naturelle de leur préfète.

- On fera les présentations un autre jour, quand le professeur sera là. Aujourd'hui, c'est vraiment pour que tu essayes à ton rythme. Mais tu seras pas tout seul, je serai là, t'en fais pas !

Les traits du visage de Nico, qui s’était quelque peu fermé par timidité, se détendirent aux mots de la jeune femme. Il soupira intérieurement une fois de plus.

- Aller, on commence par un peu de course à pied ? Vas-y vraiment à ton rythme, le but c'est de pouvoir tenir un petit peu, te ménager, pas tout brûler d'un coup. De toute façon, ce qu'on va faire, c'est que tu démarres, tu prends ton rythme de croisière, et je te rejoins ensuite en m'y adaptant, comme ça t'auras pas envie d'aller plus vite pour me rattraper, héhé.

Niccoló sourit à sa dernière phrase. Définitivement, elle pensait à tout pour qu’il donne le meilleur de lui-même sans non plus en faire trop. Elle avait un sens naturel de la pédagogie qui avait inspiré le jeune homme à venir faire appel à l’aide plus tôt dans l’année, pour le sortir du cercle vicieux de harcèlement.
Pendant ces dernières explications, le jeune homme s’était mis à tourner ses chevilles et ses poignets pour les échauffer un peu avant de se mettre à courir, par anticipation et parce que l’excitation qui bouillonnait dans son estomac le poussait à bouger au plus vite.

- Ok ! Tu feras gaffe, quand on jouait avec ma grande sœur ma maman m’appelait Flash McQueen, parce que je suis un vrai bolide. Kachow ! s’exclama-t-il avec un clin d’œil et des finger gun en direction de Tay pour ponctuer ses dires, avant de lâcher un court rire qui illumina son visage.

Nico s'étira rapidement, levant ses bras vers le ciel aux teintes encore changeantes, prenant une grande inspiration pour se débarrasser des dernières onces de stress qui sommeillaient encore en lui, avant d'engager sa course autour du terrain. Il opta pour un rythme qui lui semblait presque trop lent, par peur de vouloir aller trop vite en besogne et surestimer ses capacités.

Comme c'était à Taynara de le suivre et non l'inverse, il avait peur de ne pas suivre la piste qu'il fallait, de ne pas faire les choses comme il fallait. Il ne voulait pas que les autres membres du club le regardent et le jugent comme s'il était complètement paumé et qu'ils lui collent mentalement une étiquette. Aussi il tourna quelque fois la tête vers sa coach du jour pour chercher dans son regard une étincelle rassurante de confirmation.

Après une certaine distance, une fois que d'autres coureurs et coureuses les aient dépassés, quand Nico fut rassuré de voir qu'il suivait la bonne piste, il accéléra un peu et se redressa, prenant un peu plus d'assurance. Bien vite, il ne se tourna plus vers la demie-géante, bien trop occupé à se concentrer sur le rythme de sa respiration et de ses gestes. Une chaleur rassurante enveloppa doucement son corps, montant de ses jambes jusqu'à son front.

Cela faisait longtemps que Niccoló n’avait pas fait de sport. Il n’était pas particulièrement athlétique, bien au contraire. En vérité, le vol et sport était la matière qu’il aimait le moins à Ilukaan. Il aimait beaucoup courir et se dépenser, mais il n’aimait pas le sport en tant que matière notée, où il était évalué, jugé, comparé aux autres.

Les regards que les autres posaient sur lui l’effrayaient. Instinctivement, même si il n’en était rien, il y lisait du jugement. Il aurait aimé être au-dessus de cela, réussir à ignorer les regards extérieurs et ne vivre sa vie que pour lui. Mais il n’arrivait déjà pas à échapper à ses propres jugements.

Heureusement que Taynara était là. La voix de la jeune femme était plus forte que celles qui murmuraient dans son crâne, qui tentaient de lui insuffler des doutes. Nico pouvait se raccrocher aux paroles de la Finnoise, il avait bien plus confiance en elle qu’en ses voix intérieures qui n’étaient capables que de le rabaisser. Elle avait raison, merde quoi ! Il se débrouillait super bien, il avait trouvé son rythme et il n’avait pas la sensation de devoir se battre avec son propre système respiratoire pour garder un souffle régulier. En même temps, il avait bien suivi les conseils de Tay, alors comment pouvait-il se tromper ? Impossible !

Bientôt, la demie-géante rejoignit son champ de vision périphérique. L’Italien fut quelque peu étonné, s’attendant d’abord à ce qu’elle s’approche pour lui apporter de nouveaux conseils ou des corrections avisées. Mais non. Elle s’approchait simplement pour discuter avec lui. Alors, tout en veillant consciemment à ce que le rythme de sa respiration soit normal, il lui répondit la chose suivante pour commencer : “En vrai, ouais, ça va ! Je suis plutôt doué en divination, surtout tout ce qui est signification des rêves. Et pour l’étude des runes, c’est comme si mon cerveau était câblé pour les lire ! Alors que je suis dyslexique donc je m’attendais à galérer malgré ma volonté.”

Nico parvint à débiter toute sa tirade en parlant (relativement) normalement. Oké, sur quelques fins de phrase, il avait mal calculé sa respiration et devait inspiré en prononçant la dernière syllabe. Mais en vrai, c’était ok.

Bien vite, les deux jeunes sorciers terminèrent leur tour d’échauffement. En effet, le terrain de Quidditch était grand, très grand même, alors un seul tour suffisait amplement pour s’échauffer. Nico n’était pas non plus haletant à la fin de cette course, mais sa respiration était plus forte que d’ordinaire. Il avait la sensation que ses jambes étaient légères maintenant qu’ils étaient à l’arrêt, comme si elles s’évaporaient avec la chaleur qu’il ressentait. Taynara prit sa gourde pour boire l’équivalent de deux grands verres pour Nico, avant de la lui tendre. Il avala quelques petites gorgées après l’avoir remercié.

Le noiraud tendit en retour sa gourde à la demie-géante en commençant à lui répondre : “Ça va. Bon après c’est que le début comme tu dis, donc je te redirai aussi à la fin.” Il marqua une pause avant de faire son choix. “Si y a pas besoin de sortir trop de matériel, on peut tenter quelques exercices,” finit-il par répondre, ne se voyant vraiment pas tourner autour du terrain pendant une longue période encore.

L’endurance se travaillait sur le long terme, il devinait, mais ça l’aurait plus déprimé qu’autre de chose de voir concrètement le retard qu’il avait sur les autres élèves. En même temps, avec le bagage qu’il trimballait derrière lui et qui affectait jusqu’à sa condition physique, il était tout à fait normal qu’il ait plus d’efforts que d’autres à faire pour arriver au même niveau. Mais il ne semblait pas le réaliser consciemment, encore.

Il dut s’attacher les cheveux car certaines touffes plus longues de son épaisse tignasse venaient se coller à son front et sur sa nuque transpirants, ce qui augmentait d’autant plus la sensation de chaleur. Certaines mèches sur les côtés de son visage, encore trop courtes pour être maintenues par l’élastique qui reposait jusque-là autour de son poignet, rebiquaient, lui donnant des airs de lionceau noiraud.

L’attente durant laquelle Taynara s’en alla chercher le matériel nécessaire à la prochaine activité fut insoutenable pour son apprenti athlète. Il n’avait réellement aucune idée de ce qu’elle pouvait lui réserver, mais les engrenages de son imagination tournaient tout de même à vive allure. Et si elle lui préparait une course de haies ? Il n’était pas très doué pour sauter par-dessus des obstacles en courant le plus vite possible. Il arrivait à faire l’un ou l’autre, mais pas les deux à la fois. Peut-être qu’elle allait leur faire faire du saut en longueur ? Mais dans ce cas-là elle allait le battre à plates coutures au vu de leur différence de taille. Et ça serait sûrement plus décourageant qu’autre chose pour lui. Ou alors elle allait sortir de quoi faire du lancer de poids ?

De nouvelles pistes de réflexion germaient dans son esprit fécond tandis que la demie-géante revenait avec un grand sourire placardé sur le visage, deux grandes tiges qui faisaient quasi la taille de l’Italien en mains. “Du lancer de javelot !” s’exclama le garçon avec excitation. Niccoló s’imaginait déjà le jeter comme un gladiateur jusqu’à l’autre bout du terrain, le voyant voler de longues secondes avant de se planter fermement dans le gazon.

Mais l’heure n’était pas encore aux rêveries : le quatrième année écouta attentivement les consignes de sécurité que Taynara lui édicta, avant qu’elle ne l’aide à prendre la position de lancer correcte. Ce n’était pas une position très confortable. Il avait la sensation qu’il allait tomber en grand écart latéral tellement elle avait écarté ses jambes, et qu’il était donc sur le point de perdre l’équilibre à n’importe quel moment. Il devait sûrement s’habituer. Mais s’il ne prenait pas ses aises rapidement, ses jambes allaient sûrement se tétaniser.


Tandis que Tay lui donnait de derniers conseils, Nico recula légèrement sa jambe avant afin de pouvoir mieux bouger ses hanches et de mouvoir le haut de son corps avec plus de souplesse. Le jeune sorcier resserra sa prise autour du javelot, inspira profondément avant de jeter la potentielle arme d’un geste souple et vif. Le jeune homme ne put s’empêcher de lâcher une courte exclamation. Le long bâton effectua une courbe qui atteint rapidement son paroxysme, avant d’aller se planter une dizaine de mètres plus loin dans la pelouse.

Il n’avait aucun moyen de savoir si son lancer était bon ou non, s’il avait lancé son javelot loin ou non, mais il leva les bras au ciel avant de s’exclamer : “Wouhou ! C’est trop cool purée ! Faut que tu m’expliques comment ajouter la course avant, maintenant !”

L’Italien sautillait sur place sous le coup de l’excitation. Il adorait le petit rush d’adrénaline que lui procurait cette activité. Elle avait totalement raison, il se sentait à présent comme un guerrier grec, prêt à rejoindre Achille à l’assaut des Troyens sur les plages longeant Illios.

Nico remarqua le temps de réflexion que prit sa mentor. Mais il avait beau parvenir à se mettre dans les bottes des autres, celles de Taynara devaient être bien trop grandes pour lui car il n’avait aucune idée des enjeux dont elle pesait le pour et le contre à cet instant. Pendant un instant il crut qu’elle allait changer d’avis et qu’elle ne lui ferait pas de démonstration.

La demie-géante craignait sûrement de montrer sa force au plus jeune. Éventuellement, elle devait avoir peur que quelque chose change dans le regard de Nico par rapport à elle. Peut-être craignait-elle qu’il ait peur d’elle de par son potentiel physique et qu’il prenne soudainement ses distances. Si c’était cela qui l’effrayait –il espérait très fort au fond de lui que ce soit autre chose– elle s’en faisait pour rien. Car l’Italien savait ce que ça faisait d’être mis de côté par crainte, et il y réfléchirait toujours à deux fois avant de faire subir à d’autres ce sort.

Alors l’adolescent ne put s’empêcher d’esquisser un énorme sourire quand elle le mit en garde. Ses doutes l’avaient assurément laissé tranquille, il le sentait à son attitude. Sa phrase sonnait comme le teaser d’un film. Elle avait vraiment trop la classe.

Et son geste avait d’autant plus la classe. Même si Nico avait voulu observer minutieusement les moindres faits et gestes de sa préfète, il n’y serait certainement pas parvenu : le geste de Taynara était non seulement souple et précis, mais d’une vitesse prodigieuse ! Niccoló suivit du regard le javelot qui vint se planter à plusieurs dizaines de mètres devant eux, en plein dans le mur de bois qui délimitait le terrain. Le jeune homme poussa un cri, mélange d’admiration, de surprise et d’excitation. Elle avait vraiment trop la classe !

Donc là il venait d’en prendre pleins les yeux avec la démonstration de force de Taynara, mais Nico allait aussi en prendre plein son petit cœur avec sa prise de parole. La Finnoise lui avait donc confié ce qui l’avait poussé à la réflexion durant quelques secondes. Nico était donc complètement à côté de la plaque. Enfin, pas tout à fait. Il avait eu raison sur le fait qu’elle avait hésité par rapport à lui. Il secoua vivement la tête quand elle évoqua qu’elle avait peur de le décourager avec sa prestation, fronçant les sourcils avec désapprobation pour bien montrer que ce n’était absolument pas le cas. Bien au contraire ! La beauté de l’action de sa camarade et cette manière de lancer qui donnait l’impression que le javelot était si léger, porté par le vent, ça l’avait remonté à bloc. Taynara l’inspirait à devenir une meilleure version de lui-même, que ce soit maintenant en athlétisme spécifiquement, ou dans la vie de tous les jours. Ce n’était pas rare qu’une petite voix dans sa tête le pousse à aller de l’avant et à combattre les dommages que ces années de harcèlement avaient sur sa psyché. Parfois cette fois ressemblait à celle de sa grande sœur, de ses amis, et parfois c’était celle de Taynara.

“Bien sûr  que je veux continuer !” lui répondit-il avec tout l’entrain dont il était capable, affichant un grand sourire qui trahissait toute sa joie. “J’arriverai peut-être pas à les lancer aussi loin que toi, mais ça coûte rien d’essayer. Je pourrais nous étonner même,” finit-il d’un ton taquin.

Bientôt, Taynara s’agenouilla en face de lui. Les mots de son amie étaient forts, puissants, et tous les synonymes possibles. Le fait qu’elle se soit mise à la même hauteur que lui pour les lui confier exacerba d’autant plus la puissance de ceux-ci. Les mains de la demie-géante enveloppaient les épaules du noiraud, accompagnant sa chaleur verbale d’une chaleur physique, comme si ses paroles, en plus d’entrer dans son système nerveux par ses oreilles, s’imprimaient également dans sa chair d’une certaine façon. Et c’était une bonne chose. Il fallait que l’Italien marque ces encouragements au fer rouge dans sa peau, qu’il n’en doute jamais. Que même si lui-même n’était pas fier de lui dans les moments les plus bas, Taynara le serait pour lui.

Nico aurait préféré que cette prise de parole très émouvante n’éveille que des sentiments positifs en lui. C’était le cas en réalité : il éprouvait de l’espoir pour l’avenir, un espoir d’aller mieux et de rattraper tout le potentiel que ces trois ans de torture lui avaient volé en insouciance et en construction de sa personnalité; il éprouvait de la joie de ne plus être seul face aux difficultés de la vie, que ce soit contre les difficultés externes –il était parvenu à aller demander de l’aide à ses professeurs dans les matières dans lesquelles il avait pris du retard– ou contre les difficultés internes –ses amis étaient plus que présents et à l’écoute pour lui.
Mais alors pourquoi les larmes lui montaient aux yeux ? Il n’était pas triste, bon sang !

L’étreinte de la brune acheva d’ouvrir les écoutilles qu’étaient ses paupières et de laisser couler sur ses joues les quelques larmes qu’elle avait créées. Le plus jeune serra les bras du mieux qu’il pouvait autour de Taynara afin de lui rendre son étreinte, en murmurant : “Merci.”
Il n’avait pas d’autres mots pour exprimer toute la gratitude qu’il ressentait. Et après tout, c’était là toute la signification de ce mot qui perdait parfois de son sens tant il était utilisé.

Le garçon essuya rapidement ses larmes tandis que les deux jeunes gens se redressèrent, comme si de rien n’était. Et heureusement pour lui, car il aurait sûrement craqué de plus belle, Taynara ne releva pas.

Ces quelques larmes furent vite oubliées. Les deux Strixyst passèrent le reste de la leçon à travailler sur le perfectionnement de la technique de lancer de Nico. Ils firent des lancers à l’arrêt, les pieds joints, pour travailler précisément sur le mouvement de son bras et de son épaule. Ils testèrent même quelques lancers avec trois pas d’élan avant de jeter le javelot ! Niccoló progressait vite, c’était comme s’il avait des réflexes innés de champ de bataille.

Il prit tant de plaisir qu’il ne vit pas le temps passer et fut à la fois étonné et déçu de voir la fin arriver. Le garçon ne se rendit pas non plus compte tout de suite d’à quel point il bougeait et faisait des efforts. Ce n’est qu’en ressortant du terrain et que la brise du début de soirée vint le rafraîchir qu’il se rendit compte d’à quel point il avait transpiré. Il se réjouissait d’aller prendre une bonne douche amplement méritée.

“C’était vraiment trop bien, Tay ! Ça faisait longtemps que j’avais pas fait du sport pour de vrai, j’avais trop peur de ne pas réussir à tenir toute la leçon et de mourir d’épuisement bien avant. Et au final j’ai pas vu le temps passer ! Vraiment c’était trop, trop, trop bien ! Merci beaucoup. De m’avoir proposé de venir et de t’être occupé de moi aujourd’hui. Merci vraiment. Je peux revenir jeudi direct du coup ? J’ai trop hâte de rencontrer monsieur Barbaren !”

Dans toute son excitation, les yeux encore emplis d’étoiles, Nico débita toute cette tirade de quasiment un seul souffle. Les deux Strixyst entamaient leur marche en direction du bâtiment de leur maison, ils n’allaient certainement pas dîner baignant encore dans leur transpiration.

Le noiraud avait particulièrement apprécié le lancer de javelot. Taynara avait vraiment visé juste en lui faisant essayer cette activité avant d’autres. L’Italien sentait que c’était son truc. Il avait aussi bien aimé la course, mais purée c’était vraiment trop bien le javelot ! Son esprit ne cessait pas d’y revenir même en se remémorant les autres choses qu’il avait faites dans la journée. Durant toute la courte marche jusqu’à leur maison, le jeune homme ne parvint et ne tenta pas de dissimuler toute la joie et l’excitation qu’il ressentait.

Deux choses étaient sûres : ça lui avait beaucoup plus et il aurait sûrement de la peine à s’endormir cette nuit si l’adrénaline ne redescendait pas.