Je suis né pour décevoir, porte parole du désespoir.
Il y eut deux choses qui firent basculer son esprit dans le néant. La douleur, brute et implacable puis plus rien. Et ce rien qui signifiait tout à la fois. Les chuchotements bourdonnaient dans son crâne, ne lui laissant pas le moindre répit. Et son coeur qui lentement ralentissait. C’était la fin, Haurchefant le savait, il le sentait. Il sentait son corps le lâcher, sa fatigue briser cette volonté de vivre qui le maintenait jusque là. L’auror était usé de se battre. Et pourquoi pas les écouter, ses voix ? Pourquoi pas abandonner et sombrer définitivement vers le calme, vers la sérénité. Au loin, un visage familier. Un visage dont il ne connaissait pas le nom, juste un mot qui résumait la personne. Maman... Dire que le jeune homme ne se rappelait même plus des traits de son visage, de sa voix mélodieuse et de son sourire aimant. Même s’il priait chaque soir pour avoir un éclair de génie, le temps avait fait son œuvre. Et là, aux portes de la mort, elle restait trop loin pour discerner ses traits, la couleur de ses yeux ou juste, la rondeur de ses joues. Oh… Qu’il avait envie de la retrouver… De lui parler… De ne plus souffrir… Laissez-moi partir... Il faudrait mettre sur sa tombe, Haucherfant, mort pour elle à vingt-sept ans. Et à nouveau, la douleur déchirante, horrible, prenante. Il entendit quelqu’un hurler, un cri de désespoir qui fendait les coeurs. Et ce cri, c’était le sien.

J’glisse mes songes sous l’oreiller.
Le cercueil froid entrait lentement vers la dernière demeure de celle qui l’occupait. Haurchefant ne comprenait pas tout. Pourquoi faisait-on ça à sa mère ? Pourquoi ne venait-elle plus le soir lui raconter une histoire ? Pourquoi était-il si seul ? Pourtant, le garçon de cinq ans observait la scène sans bouger. Son père lui avait fait la leçon. Il ne fallait pas faire honte à la famille. Il fallait rester digne, ne pas pleurer, ne pas montrer sa peine. « Sois un homme, Haurchefant. » Mais c’était si difficile… Il voulait hurler, les empêcher de recouvrir de terre la seule personne qui lui montrait une affection sincère, qui venait le soir pour le rassurer après un énième cauchemar. Pourquoi devait-il rester si seul ? Pourquoi ne pouvait-il pas l’accompagner… ? Et, alors qu’il observait le visage impassible de son père, il avait peur. Toutes ces émotions, il n’arrivait pas à les comprendre. C’était étrange. Qu’allait-il devenir, lui le bâtard de la famille de Fortemps ? Ce fils issu d’un adultère ? Celui qui ne méritait même pas d’être sur les tableaux de familles avec ses deux frères ? Allait-on aussi le mettre dans une boite et l’enterrer ? Ce serait peut-être mieux ? Et puis... Pourquoi la terre qui lentement recouvraient le cercueil de celle qui était si importante pour lui, se mettait à voler ? Il remarqua alors la terre qui était jetée sur le cercueil léviter au dessus du trou, incapables de toucher le bois. Est-ce que ça venait de lui ? Il ne comprenait pas... Au vue de la tête de son père, aucun doute. Il était le fautif. Mais il avait si mal, il ne voulait pas la laisser partir. Les morceaux de terre retombèrent lourdement autour de la tombe alors que le pauvre petit garçon tomba au sol, inconscient.

Je joue toujours à tout sans vraiment m’amuser.
Ilukaan, c’était sa vraie maison. Plutôt que de vivre sous le même toit qu’une famille qui ne le considérait pas comme leurs, Haurchefant passait toute sa scolarité, toutes ses vacances à l’école. C’était un élève brillant et curieux. Il adorait la magie et ça semblait réciproque. Son sourire faisait des ravages parmi la gente féminine mais jamais son coeur ne trouvait quelque chose qui le faisait vibrer. Peut-être était-ce l’adrénaline qui était sa meilleure amante ? Le bâtard adorait l’escalade, les sports extrêmes, tout ce qui pouvait lui donner l’impression d’être vivant. Mais, chaque soir, quand l’obscurité régnait dans sa chambre, il voyait ce foutu cercueil qui s’enfonçait lentement avant de se faire recouvrir de terre. Et il pleurait en silence, parce qu’un homme ne pleurait pas, un homme, c’était viril et fort. C’était ce qu’on lui avait toujours appris. C’était tout ce qu’il connaissait, la tristesse solitaire.

Je vise la moyenne pour ne pas être différent.
Et le voilà devenu auror. Il était fier d’avoir réussi à briller dans quelque chose, Haurchefant. Il aurait tant aimé voir son père à la cérémonie de remise des diplômes. Mais, il n’y avait personne pour le soutenir. Alors, il avait marché seul jusqu’au ministère pour y postuler. Cela faisait bien deux ans qu’il était devenu défenseur de la magie blanche lorsque ses missions le menèrent jusqu’en Russie. Pour le canadien qu’il était, même ses genoux tremblaient de froid, là bas. Mais, il fit une rencontre étonnante. De celles qu’on avait qu’une fois dans nos vies. De celles qui réchauffaient bien plus que le soleil. Et cette rencontre, c’était Reijiin. Rien ne les avaient amenés à se rencontrer et pourtant… Et pourtant, il y trouva une amitié dure comme du diamant.

Je n’ai plus envie de danser ce soir.
Le bip régulier de la machine branchée à son doigt. Ce fut ce bruit qui réveilla Haurchefant. Tout était si lumineux… Si bruyant… Que s’était-il passé ? Et des… sanglots ? Que c’était difficile de bouger. Il sentait son corps si lourd, si douloureux aussi. Même tourner la tête était terriblement compliqué. Reijiin. Pourquoi pleurait-elle ? Et puis… Pourquoi était-il encore en vie ? Il aurait dû disparaître cette nuit-là. Et que c’était-il passer exactement ? Il réussit à bouger la main, à presser à peine les doigts de son amie. Il fallut attendre un bon moment pour enfin avoir les explications, après tout, il n’arrivait même plus à parler. Sa mission officielle consistait à arrêter des trafiquants de moumours. L’officieuse… Il devait anéantir un groupuscule de mages noirs dans le coin. Sauf qu’ils étaient plus nombreux que prévu. Lui et son collègue furent pris par surprise, dénoncés sans doute et il ne devait son salue qu’à une chance incroyable. Chance que n’avait pas obtenu son partenaire. Officiellement, les trafiquants s’étaient rebellés. Officieusement, on les avait trahis.

Je me déteste encore.
Il fallut un an à Haurchefant pour pouvoir parler à nouveau et marcher plus ou moins difficilement. Adieu la carrière d’auror toute tracée. Bonjour les PTSD. Adieu l’espoir de devenir quelqu’un. Bonjour les enfers qui serrèrent son âme comme jamais. Il mit une autre année à se relever de tout ça, plus ou moins. Et il prit une grande décision. Devenir professeur de cuisine et de pâtisserie. Nettement moins dangereux, non ? Alors, il plia bagages et postula dans son ancienne école, Ilukaan. Bonjour le professeur Haurchefant Greystone. Trente ans et déjà une vie de gâchée. Maintenant, cela faisait près de cinq ans qu’il avait réussi à trouver un équilibre fragile, que ses démons semblaient s’éloigner plus ou moins à chaque rentrée. Il ne manquait plus que de convaincre son amie la plus chère de venir avec lui.

(c) Ilukaan