Sindibad s’était installé dans la salle commune de sa maison avec son épais album photo pour tenter de faire un petit tri. Les parents de l’iranien lui avaient envoyé ces vieux souvenirs alors qu’ils rangeaient leur appartement à Babolsar en ce mois d'octobre. Il n’était pas sans dire que le jeune homme aux cheveux violets avait été surpris quand il avait réceptionné son colis mais agréablement surpris. Il appréciait grandement regarder ses souvenirs, le temps passait tellement vite et il avait du mal à réaliser que si hier il entrait à peine à Ilukaan, demain il en serait sorti pour voguer vers une fortune sans nom et une liberté sans prix.

Cet album était vieux, presque semblable à un palimpseste, sa mère avait réutilisé un ancien album duquel elle avait visiblement effacé les anciennes inscriptions pour en réécrire de nouvelles. Non pas que cela dérangeant Sindibad. Loin de là, l’album avait d’autant plus de valeur à ses yeux. Chose paradoxale venant de lui qui aimait posséder de belles et nouvelles choses.

Alors qu’il commençait à en ressortir quelques photos qui se baladaient dans l’album de manière libre il se permis quelques pérégrinations dans ses lointains souvenirs d’enfance. Tantôt tombait-il sur des photos de lui à Isphahan, à Shiraz, à Téhéran, tant de lieux qu’il avait eu l’occasion et la chance de voir avec ses chers parents. Il fallait avouer que Sindibad aimait voyager sans équivoque, il adorait même cela, il adorait découvrir le monde. Enfant il rêvait d’être explorateur.

Alors qu’il triait ses photos il se permit un petit sourire, un petit rire échappa d’entre ses lèvres alors qu’il tomba nez à nez face à lui bien plus jeune, ses cheveux étaient plus courts qu’aujourd’hui mais il devait bien avouer qu’il s’habillait de manière bien plus hétéroclite à l’époque qu’aujourd’hui. Il s’était sans aucun doute amélioré dans son style vestimentaire. Si aujourd’hui il s’habillait toujours comme un clown c’était bien pire quand il était plus jeune ! Il mélangeait les couleurs sans aucune honte !

Sindibad se savait être une personne haute en couleurs, énigmatique parfois pour certains mais il était une personne franche et honnête. C’était ainsi que ses parents l’avait élevé. Alors qu’il regardait son album il se rendit compte du nombre de photos que ses parents lui avaient envoyé, il allait voyager sans aucun doute ! Il en avait pour des heures de visionnage de photos et de souvenirs et il appréciait grandement cette surprise. Il avait oublié bon nombre de ces souvenirs, les joies comme les peines comme les situations inextricables dans lesquelles il avait pu se mettre avec ses amis de l’époque. Toute cette vague de souvenir agrandit son sourire sur son visage alors qu’il s’affala légèrement sur la table de la salle commune de sa maison pour regarder avec plus d’attention tous ces souvenirs.

Le perse releva la tête quand il entendit la grande dame lui parler. Si bien sûr qu’il adorerait revenir à ces couleurs de jadis, à ces souvenirs qui semblaient bien loin derrière. Malheureusement il ne possédait pas de pensine qui puisse lui permettre de se souvenir de tout dans le moindre détail, de littéralement revivre ces moments qu’il chérissait, ces moments qu’il voulait oublier, ces traumatismes qui avaient teinté son âme d’enfant.

« J’adorerais ! Mais il nous faudrait une pensine pour cela non ? Un simple album photo… tu penses que c’est suffisant ? »

Peut-être qu’en effet c’était suffisant, après tout il avait grandi dans un monde sans magie, il avait grandi dans un monde tantôt coloré, tantôt austère. Ces photos qu’il avait sous les yeux avec son père mutilé le prouvaient bien, ils avaient beau vivre dans un monde de mille et unes couleurs ce n’était que la surface d’une chose qui dans le fond était bien moche. Pendant toute son enfance avant l’éveil de sa magie il avait grandi avec ces souvenirs couchés sur papier glacé, il était après tout le premier sorcier de sa famille, le premier à pouvoir faire perdurer plus longtemps ces souvenirs autrement que par le biais de photos.

« Tu as des photos de ton enfance toi ? »

Il était curieux de connaître la réponse tandis que son propre album trônait grand ouvert sur des photos de son enfance, de l’époque où ses cheveux, bien que longs étaient encore noir que le jais. Il se demandait à quoi ressemblait la jeune femme au même âge que lui, sincèrement, sans arrières pensées. Même Nico n’avait pas vu ces photos, peut-être pouvait-il les lui montrer à l’occasion, il était certain que Niccolo aimerait sûrement voir à quoi il ressemblait avant de devenir… aussi exubérant.

L’iranien fit un sourire en coin à Taynara, si en apparence son sourire était le même que celui qu’il avait enfant il fallait être aveugle pour voir qu’il n’y avait plus aucune innocence, plus aucune naïveté, l’adulte qu’il était devenu suivait une morale bien à lui, bien personnelle. Mais bien naïf fallait-il être pour penser que l’enfant qu’il était sur ces photos était innocent, cette innocence s’en était allée le jour où son père avait disparu de sa vie avant de revenir brisé. L’enfant qu’il avait été ne le cachait pas sur certaines photos où la détresse était palpable mais le Stryxist tournait rapidement les pages pour que la jeune femme ne puisse les voir. Il évitait les pages qui trahissait une histoire bien moins belle que lui, une histoire qu’il tentait tant bien que mal d’oublier et de ne pas ébruiter. Sindibad savait être discret, il savait éluder les éléments dérangeants de son passé et il espérait garder la situation comme elle était.

Beaucoup de photos de lui enfant le montrait seul avec sa mère qui portait de jolis voiles colorés sur ses longs cheveux bruns. La jeune femme semblait fatiguée tandis que l’enfant qui tenait sa main avait l’air bien morose en dépit des beaux vêtements colorés qu’il portait. Nombre de ces photos avaient été prises en bord de mer, en face de splendides iwans carrelés, à Téhéran. La plupart des photos ne représentant que Sindibad et Esra sa mère.

« Me relooker ? »

L’idée pouvait sembler presque amusante quand le jeune homme y pensait. Il était vrai que son lui de jadis était encore plus lumineux que son lui d’aujourd’hui. Il était aussi vrai qu’il portait sur beaucoup de photos des vêtements traditionnels de sa région d’origine qu’il ne portait aujourd’hui plus du tout pour diverses raisons, notamment parce que plus personne en Iran ne portait de tels costumes et parce qu’il n’avait pas d’intérêt de mettre ces vêtements. Mais d’un autre côté, il portait de nombreux vêtements haut en couleurs à l’époque avant que les choses ne deviennent… plus ternes et compliqué pour lui et sa mère.

Ces nombreux souvenirs d’enfance dont le jeune homme se souvenait bien trop emplissaient sa tête dans une danse morbide qu’il ne parvenait pas à faire cesser alors qu’il parlait à Taynara. Il était content et surpris d’avoir cet album dans ses mains mais peut-être que ce souvenir-là aurait dû rester à sa place dans le fond d’un coffre. Bien qu’il soit extrêmement proche de ses parents et de sa famille ils n’avaient pas réellement tendance à regarder les photos familiales lovés les uns contre les autres sur le canapé du salon. Il n’y avait pas vraiment beaucoup de photos chez Sindibad, quelques photos de lui pré-adolescent mais peu de photos de sa jeunesse, ces dernières étaient enfermées dans des boîtes qui elles-mêmes étaient enfermées dans des placards. Du coin de l’œil le perse entre-aperçu une photo de lui avec son père d’avant… les évènements. Il devait avoir environ 3 ans, un immense sourire fendait son visage tandis qu’il était perché sur les épaules de son père et que sa mère était à côté des deux hommes. Sa mère semblait si jeune, elle avait toujours été une femme magnifique avec ses jolis voiles aux multiples couleurs qu’elle portait sur l’arrière de sa tête révélant plus de cheveux qu’elle n’en étant sans aucun doute permise. Sindibad avait hérité du meilleur de ses parents avec ses traits fins qu’il tenait de sa mère bien qu’il soit le sosie de son père. Il était leur fierté, la photo en témoignait. Il sourit doucement en la regardant un instant. Le bon temps.

Alors qu’il entendit la voix de la semi-géante il hocha la tête humant doucement comme c-pour témoigner qu’il l’écoutait bien, il l’écoutait, il prêtait toujours une oreille attentive à autrui, il remarquait plus que ce que beaucoup ne voyait. Sindibad était une personne terriblement attentive, il ne ratait que rarement les détails, il n’en révélait cependant rien, il était excellent pour garder les secrets, les choses pour lui, il était un véritable temps. L’iranien était bien différent en réalité que ce qu’il acceptait bien de montrer, rongé par différentes étapes de sa vie il cachait beaucoup derrière ses sourires.

« J’adorerais voir tes photos ! À quoi tu ressemblais petite, je suis vraiment curieux. »

Et en un coup de vent la jeune femme était partie dans sa grâce légendaire pour aller chercher ses propres photos d’elle. Il était curieux de voir à quoi elle ressemblait, à quoi ressemblait un semi-géant enfant. Et alors qu’elle était absente il continua de feuilleter son album sans remarquer qu’une photo en était tombé. C’était une photo qui avait été prise peu de temps après le retour de son père de prison. Son père était assis sur une chaine une canne dans sa main alors que Sindibad était à ses côtés ses jolis yeux dorés rouges d’avoir trop pleuré. C’était un pitoyable portrait de famille où le plus vieux était un homme brisé tandis que l’enfant avait irrémédiablement perdu une partie de lui-même. Sa mère quant à elle se tenait derrière son fils, son visage affichant une infinie tristesse. La photo était tombée face contre terre en cachant l’image. Sindibad quant à lui était tellement plongé dans ses souvenirs qu’il sursauta quand il vit la main de Taynara. Un semblant de sourire, complètement faux, barra son visage.

« Quelle adorable enfant tu étais ! Et ton père à l’air tellement gentil, pas étonnant que Nagini ait passé un si bon moment chez toi pendant les vacances. »

Il enviait les photos joyeuses de Taynara. Il enviait ses joyeux moments, cette enfance qui semblait emplie de sourires et de joie mais il n’en était pas moins heureux pour elle qu’elle ait une si bonne relation avec son père, qu’elle ait passé de si jolis moments. Il reprit la photo qu’il avait regardé plus tôt où il était si joyeux avec ses propres parents avant que son père ne soit mis en prison par le gouvernement et la montra à Taynara.

« Ce sont mes parents ! Ma mère Esra et mon père Badr. Je devais avoir 3 ans à l’époque. »

Quand il présenta la photo à Taynara il semblait sincèrement heureux, de beaux souvenirs étaient attaché à cet instant bien qu’il en ait de vagues souvenirs il était allé visiter la tombe de Hafêz à Isfahan, il avait adoré le lieu, les odeurs de rose, les couleurs du jardin, la verdure du lieu et la tombe elle-même était magnifique tandis qu’elle surplombait la petite famille. La photo qui était à leur pieds en revanche que le jeune homme n’avait toujours pas remarqué avait été prise dans leur salon.

Le jeune homme aux cheveux longs et violets éclata d’un rire semblable à la grande et belle jeune femme quand elle lui annonça son souhait pour Noël. Il tentait d’imaginer la scène. Ce devait être incroyable d’avoir une telle chance, il n’osait imaginer ce qu’il se passerait s’il annonçait à ses parents ses goûts et ses attirances, au fond, tout au fond de lui il savait que ses parents l’aimaient mais qu’en serait-il du reste ? Il avait déjà fauté au pays en se rendant à Téhéran pour rencontrer en cachette d’autres garçons. Chaque fois son cœur battait la chamade, plusieurs fois il s’était fait interpellé par la police de la morale pour ses cheveux d’une longueur extravagante, il s’était fait frapper, tirer les cheveux, couper sa crinière de force, il n’osait imaginer ce qui arriverait si on le voyait avec Niccolo au pays. Quoi qu’il en fût il serait dans une situation plus délicate encore quand il atteindrait ses 18 ans. Taynara semblait avoir une existence lumineuse, l’iranien la trouvait lumineuse, il se doutait que tout n'avait pas été blanc pour qu’elle ne parle que de son père mais elle était heureuse, libre, c’était un trésor à chérir plus que tout l’or du monde.

Le perse chérissait cette chance qu’il avait d’étudier à Ilukaan et regarder ces photos, parler avec Taynara lui faisait réaliser combien il était chanceux, bénit des dieux en lesquels il ne croyait pas. Quand Taynara commenta la photo il ne pût s’empêcher de ricaner avant que son rire ne meure dans sa gorge avec la question de Taynara.

« Fais attention. Si Nagini t’entendait elle penserait qu’on se drague pour de vrai ! »

La jeune indonésienne se méfiait déjà légèrement de son ami depuis que Sindibad avait dit tout haut ce qu’il pensait tout bas.

« Mes parents… vivent des temps difficiles depuis quelques années. Ils font de leur mieux. »

Finalement Sindibad remarqua la photo au sol aux pieds de la semi-géante. Intrigué que ce put être une photo de la jeune femme il se pencha en avant pour la ramasser. Ses longs cheveux cascadèrent sur ses épaules pour balayer le sol suivant le mouvement de son corps alors que ses doigts agrippaient le papier glacé. Une fois ramassée il se redressa en replaçant ses jolis cheveux derrière son oreille d’un côté et son épaule de l’autre. Ses yeux dorés perçant ne virent pas d’inscription au dos aussi il se décida de la retourner pour en dévoiler la face principale. Son regard s’agrandit, sa bouche resta légèrement entre-ouverte tandis qu’aucun son n’en ressortait. Rien. Il se souvenait du jour où ils avaient pris cette photo. C’était le lendemain du retour de prison de son père, à peine avait-il reçu des soins à l’hôpital, l’homme était un dissident qui refusait de se contraindre aux pensées corrompues qui l’entouraient, il avait éduqué son fils à penser de la même manière. Badr était un homme bon, il avait transmis sa bonté à son fils mais il lui avait aussi appris à rester fidèle à lui-même. Pendant plusieurs années l’homme avait été absent du foyer et Esra trop inquiète que les gardiens ne reviennent avait demandé à prendre ce portrait pitoyable. Sindibad n’avait pas voulu mais en voyant le corps brisé de son père, le visage triste de sa mère il avait accepté.

L’iranien baissa légèrement la tête la cacha un peu derrière ses cheveux tandis qu’une larme coula le long de sa joue. Sa main retomba dépitée sur l’album ouvert. Il était bon pour garder des secrets mais c’était compliqué de garder un si gros secret quand il gisait ouvert sur ses genoux à la vue de tous, il ne pouvait que difficilement fuir les démons de son passé. Il l’avait bien caché pendant des années au nez et à la barbe de tous, même au pays. Taynara était vraiment la première à avoir une fenêtre ouverte sur combien le jeune homme était réellement misérable au fond et il ne savait pas vraiment comme l’appréhender, si elle saurait se taire à ce sujet, si elle garderait cela pour elle et qu’elle n’en dirait rien à Nico.

Les mots de Tay tombaient dans l’oreille d’un sourd pendant ce qui lui sembla être une éternité le jeune homme resta silencieux aux paroles de la grande jeune femme à ses côtés. Son cœur était lourd et serré dans sa poitrine derrière ses côtes, il avait l’impression que cette sensation était réelle, que cette douleur était réelle, ce qui était le cas ; mais dans un environnement aussi sain et joyeux qu’Ilukaan son cœur se brisait d’autant plus de penser à toute cette peine lui qui l’enterraient au plus profond de son être et la camouflait avec de grands sourires lumineux. Il espérait lui aussi que tout aille bien pour eux, sa mère commençait doucement à prendre de l’âge, elle semblait toujours plus fatiguée quand il l’entendait, quand il lui parlait, son père ne pouvait plus vraiment travailler et Sindibad travaillait dur par tous les moyens qu’il pouvait mettre en place pour lui acheter une prothèse afin qu’il puisse remarcher, et lui au milieu ajoutait injustement de l’inquiétude aux deux. Il les faisait s’inquiéter quand il partait plusieurs jours à Téhéran retrouver des garçons, quand il allait manifester à visage couvert, quand il se promenait dans la rue avec ses longs cheveux, avec son apparence atypique même sans coloration, il les faisait s’inquiéter de vivre aussi loin d’eux même si tous savaient que c’était mieux ainsi. Sindibad était aussi injuste avec sa propre famille que le monde ne l’était et il le savait, il le détestait mais continuait de l’être.

Après un moment d’absence il rangea la photo dans l’album comme pour la cacher au regard du monde. Ce qui n’existait pas au regard des autres n’existait pas. C’est ainsi qu’il avait toujours vécu et grandi, il était très bon à garder les secrets, bien plus efficace qu’une tombe. Quand la question de Taynara percuta enfin son cerveau il releva la tête en essuyant sa joue d’un rapide geste de la main.

« Rien. Tout va bien Tay, je me suis perdu dans mes pensées. »

Il lui offrit un sourire qui sonnait complètement faux, il était compliqué de garder la face en face de la demi-géante qui avait entraperçu une partie misérable de l’être lumineux qu’il était. Il préférait encore mentir en face du fait accompli que de devoir se justifier, il ne connaissait pas encore assez bien Tay et même ses amis les plus proches ne savaient rien de ce que renfermait le passé de l’iranien.

Il referma précipitamment l’album photo fermant ainsi cette fenêtre sur ses souvenirs et sa vie à l’autre Stryxist. Il ne voulait pas en parler, il ne voulait pas ébruiter cela, il ne voulait pas que quiconque soit au courant de ceci. Il se tourna vers la jeune femme une fois son album rangé dans son sac. Son stupide sourire toujours sur le visage, ses yeux criant la détresse bien que son visage affiche son expression habituelle.

« C’est gentil Tay mais ça ira. Ne t’inquiète pas il n’y en a pas besoin. »

Il voulait fuir. Lui qui n’était pas un adepte du concept le désirait ardûment en cet instant.