05 septembre 2024 - Dortoir des Lupy
C’était toujours aux alentours de quatre heures du matin, au plus sombre de la nuit, que ton cerveau se mettait en éveil, Lélio. À cette heure-là, l’école entière était si calme que tout avait l’air mort, délaissé, abandonné… Le silence n'était troublé que par les respirations de tes camarades de dortoir et quelques hululements de chouettes au loin. C’était à cette heure-là que tu te sentais le plus seul, Lélio, bloqué avec tes pensées jusqu'à ce que le lever du soleil et le son du réveil te libèrent enfin de la spirale qui se créait dans ta tête. Tu avais tout essayé pour éviter d’être éveillé pendant les heures les plus sombres de la nuit. Te coucher tard dans l’espoir que ton besoin de repos soit plus fort que ton rythme de sommeil troublé ou même te coucher tôt pour essayer de dormir d’un sommeil assez profond pour ne pas ouvrir les yeux avant la sonnerie du réveil. Tu avais même tenté de t’épuiser physiquement pendant la journée. Mais malheureusement, toutes tes techniques échouaient, Lélio, ton repos était toujours interrompu en plein milieu de la nuit. Tu t’effondrais dans les bras de Morphée le soir, après une énième crise de larmes qui te vidait émotionnellement, et ensuite tu te retrouvais piégé dans le silence de la nuit quand tu ouvrais les yeux jusqu'à ce que tu doives finalement te lever pour aller en cours, épuisé.
C’était normal, Lélio. C’était le temps que tu te remettes de ta rupture, ça allait passer. C’était ce que tu te répétais pour te convaincre de continuer à avancer. Tu en avais déjà connu, ce n’était pas la première fois que tu te retrouvais avec le cœur en miettes. Mais ton cerveau te soufflait aussi sournoisement que ça ne serait pas la dernière. Tu n’avais pas réussi à rendre heureux Lovino, tu le voyais bien avec du recul. C’était mieux pour ton ex-petit ami de ne pas rester avec un incapable comme toi. Tu n’avais pas été assez présent, pas assez romantique, tu n’avais jamais réussi à savoir correctement ce qu’il voulait, tu avais toujours besoin qu’il t’explique tout car tu étais trop bête pour comprendre tout seul. Tu n’avais pas fait assez d’efforts, c’était sûrement pour cela que la flamme s’était éteinte. Peut-être que tu aurais pu plus t’investir dans cette relation si les révisions pour tes ASPICS n’avaient pas pompé toute ton énergie. Mais Lovino n’avait pas à payer le prix de ton imbécilité. Tu aurais dû mieux t’organiser, si tu ne pouvais pas réduire ton temps de révision, Lélio. Tu aurais dû passer moins de temps avec tes amis ou consacrer moins de moments à tes passions. C’était toi qui étais polyamoureux, Lélio, pas Lovino. Certes, l’amour se multiplie quand on le divise, mais les journées ne contiennent toujours que vingt-quatre heures. C’était à toi de prendre sur toi pour que vous ayez le temps de passer plus de moments ensemble. Il n’avait pas à payer le prix de ton amour atypique. Oui, tu t’étais déjà plié en quatre pour répondre à chacun de ses besoins quand vous étiez ensemble, mais tu n’avais pas fait assez. C’était la seule explication à la disparition de son amour pour toi.
Mais si tu n’étais pas capable de satisfaire Lovino, Lélio, pourquoi arriverais-tu mieux à rendre Finnegan heureux ? Tu avais eu énormément de mal à jongler entre tes deux amours, à équilibrer tes relations pour que personne ne soit lésé. Lovino ayant besoin de toujours plus, Finnegan en avait toujours moins par ricochet. Tu avais essayé de compenser au début, mais tu n’en avais vite plus eu l’énergie. C’était toujours Finn qui te récupérait quand tu étais au bout du rouleau, qui te remettait sur pied avec tendresse pour te retrouver de nouveau détruit à votre rendez-vous suivant. C’était un mystère qu’il t’aime toujours alors que tu passais tes journées à pleurer la perte d’un autre. Tu te sentais horrible, Lélio, quand il passait des heures à recoller les morceaux de ton cœur en miettes. Il était si gentil, si attentionné, il méritait tellement mieux que toi… Tu n’étais qu’une loque, qu’un boulet à sa cheville alors qu’il était destiné à faire de grandes choses. C’était un virtuose du violon, mais au lieu de peaufiner son talent, il préférait sécher tes larmes. Ses parents avaient sûrement raison d’essayer de le caser avec quelqu'un de meilleur que toi. Certes, tu l’avais poussé à changer de cursus pour qu’il fasse le métier de ses rêves, mais Finnegan aurait très bien pu réussir à faire ce choix sans toi. Il se serait aussi disputé avec ses parents, c’est vrai, mais il aurait beaucoup moins risqué de se faire déshériter s’il avait un joli sang-pur dans sa vie plutôt que toi. Même si violoniste n’était pas un vrai métier pour eux, ça restait correct pour un deuxième fils un peu rebelle, non ? Les O’Connor n’étaient clairement pas les parents de l’année mais… Ça restait la famille de Finn, son sang. Tu aurais tout donné toi, Lélio, pour renouer avec ton frère que la magie avait éloigné de toi. Alors le simple fait que ton existence sépare Finnegan des siens te faisait souvent te demander si ça valait vraiment le coup pour lui.
Est-ce que tu valais le coup, Lélio ? Qu’est-ce que tu valais, même ? Absolument rien, c’était des faits. Tu n’étais pas assez riche pour couvrir ceux que tu aimais de cadeaux. Pas assez intelligent pour réussir tes ASPICS du premier coup et ne pas passer pour un idiot constamment. Pas assez fort émotionnellement pour supporter sans aide les coups durs de la vie, pour ne pas t’énerver à chaque pépin et éviter à tes proches les problèmes. Tu n’étais même pas beau. Si on enlevait tes yeux verts, tu n’avais plus rien. Tu voyais chaque jour, Lélio, en sortant de la douche, ton corps qui s’arrondissait à cause de toutes les cochonneries que tu avalais quand l’angoisse te prenait en pleine journée. Tu n’étais même pas capable de faire quelque chose contre ça, Lélio. Oui, tu avais beaucoup moins bougé à cause de tes révisions pour les examens, mais était-ce une excuse pour te laisser aller, Lélio ? Oui, tu avais cherché du réconfort dans la nourriture quand tu te pensais incapable de dépasser le premier cycle, mais tu aurais dû être capable de gérer ton stress autrement et de te limiter. Puis tu aurais tout simplement dû être meilleur en magie, Lélio, pour ne pas que les ASPICS te chamboulent autant. Être bête, ce n’était pas une excuse. Tout le monde pouvait y arriver en y mettant un peu du sien, alors c’était que tu ne te donnais pas assez, Lélio. Percy avait bien eu ses examens avec mention malgré sa dyslexie, alors tu n’avais aucune raison pour être aussi nul, Lélio. Même avec des désavantages et deux ans de moins, tes potes étaient meilleurs que toi. Comment c’était possible, Lélio, qu’est-ce que tu avais loupé dans ta vie pour être aussi en-dessous du niveau des autres ?
Mais ce n’était pas parce que tu avais raté le train de la vie, Lélio, que les autres devaient t’attendre. Tu stagnais au même point, mais tu étais le seul fautif de cela. Tu ne te donnais juste pas assez, c’était aussi simple que ça, non ? Tu n’avais pas à être envieux de les voir réussir là où tu échouais. Un bon ami devait être heureux pour eux, Lélio, alors tu devais étouffer ta jalousie et t’améliorer pour réussir aussi. Tu devais les féliciter, Lélio, quand ils eurent tous obtenu leur premier choix de cursus alors que tu n’avais obtenu que le second. Tu devais être heureux pour Zenitsu, Lélio, quand il t’annonça sa mise en couple quelques jours à peine après ta rupture. Tu n’aurais pas dû ressentir une pointe de soulagement, quand tu appris que Mateus s’était fait larguer. Tu n’étais pas le seul à tout gâcher dans ta vie. Malgré la tristesse que tu ressentais pour lui, compatissant avec sa situation, voir quelqu'un d’autre échouer avait quelque chose de réconfortant parfois. Mais un vrai bon ami devait les soutenir, sourire, partager des moments de joie avec eux et les aider à porter le poids de leurs secrets. Celui d’Annabeth aurait pu te faire relativiser sur tes propres échecs, Lélio, en te rendant compte que même la miss parfaite avait des problèmes dans sa vie. S’il ne menaçait pas de faire exploser tout ton groupe de potes, peut-être que ça t’aurait apporté un peu de réconfort qu’elle aussi puisse se retrouver face à un mur. Mais tu les aimais tes amis, Lélio, même si parfois tu les jalousais. Tu ne voulais pas que leurs malheurs durent trop longtemps. Tu voulais juste, égoïstement, que leurs vies soient des fois aussi pourries que la tienne pour que tu te sentes moins seul.
Finalement, tu étais bête, moche, émotionnellement instable, nul en magie, envieux et en plus, tu étais un ami horrible, Lélio. Tu ne valais clairement pas le coup. Est-ce que les autres traineraient vraiment avec toi si tu te débarrassais de ton masque de petit clown ? Tu n’avais rien pour toi. Quand ils allaient s’en apercevoir, tu serais de nouveau seul avec tes pensées, Lélio. Tes angoisses de quatre heures du matin continueraient en plein jour. Mais pour l’instant, le réveil suffisait à briser la spirale. Dès sa sonnerie, tu sortis du lit pour aller dans la salle de bain. Te mettre en route était le meilleur moyen de t’extirper des griffes de la nuit qui essayaient de garder leur emprise sur ton esprit. Mais tu savais que cette nuit, ses pensées qui te faisaient vivre un enfer seraient de retour.