“Cocatrix
Créature magique qui résulte d’un croisement entre un coq et un dragon ou un serpent. Il est pourvu d’une tête de coq, d’un corps de serpent et d’ailes de chauve-souris. Il est …”

Allongé sur son lit, Niccoló lisait l’article Witchipedia de cette créature trouvable en France sur son portable qu’il brandissait au-dessus de son visage. Son regard défilait sur l’écran lorsqu’une notification balaya en haut de la vitre. Il venait de recevoir un message. Il reconnut du coin de l’œil la tignasse verte sur la photo de profil du destinateur sans même avoir à lire le nom du contact. L’Italien sourit intérieurement. Il s’attendait à ce que Genji lui demande s’il voulait le rejoindre pour quelques games de LOLOL, comme ils avaient l’habitude de beaucoup jouer ensemble.

Il écarquilla quelque peu les yeux, face à la proposition du Japonais. C'était vendredi, il était donc plus que normal qu'entre élèves ils se proposent des sorties, mais il était quelque peu étonné qu'il lui demande de mettre des habits pas dommages. Son sourire intérieur se transféra rapidement sur ses lèvres.

Cela ne pouvait signifier qu'une seule chose : Genji was up for trouble.

Avant de lui donner une réponse, le jeune Strixyst se releva et piocha rapidement une tenue qu'il jugea assez versatile pour correspondre à tous les potentiels projets fous que leur réservait son camarade. Une fois affublé d’un simple t-shirt noir légèrement trop large, et d’un pantalon de la même teinte assez souple pour lui permettre de courir et se mouvoir aisément, l’adolescent reprit son téléphone pour pianoter rapidement une réponse à Genji.

Nico avait beaucoup d’avance sur l’heure de rendez-vous que le sang-pur lui avait proposé, mais afin de lui signifier son excitation de le rejoindre et de passer une soirée ensemble, il lui répondit qu’il se mettait déjà en route pour le Dôme. Au pire, cela laisserait du temps à Nico pour flâner dans le Dôme et discuter avec les connaissances qu’il croiserait là-bas.

Mais Genji devait être tout aussi excité que lui à l’idée de se voir – en même temps, si ce n’était pas le cas, le Japonais ne lui aurait sûrement pas proposé de se voir en premier lieu – car il rejoignit très vite l’Italien dans la salle commune à tous. La plupart des gens qui y traînaient encore à cette heure un vendredi soir étaient les premières à troisièmes années qui n’avaient pas obtenu l’autorisation écrite de leurs responsables légaux pour se rendre à Bloombury. Malgré le brouhaha environnant, nourri par les éclats de voix des préadolescents jouant et discutant un peu partout dans la pièce, la voix de Genji se démarqua.

L'enthousiasme du jeune universitaire finit par placarder un grand sourire sur le visage du quatrième année. Il se laissa emporter par son aîné, riant à gorge déployée face à son excitation. « Moi aussi je suis trop content, mon gars ! » On pouvait quasiment voir des étoiles briller dans son regard à l’idée de passer sa soirée avec un plus grand comme Genji. Nico s’entendait bien avec les jeunes de son âge, mais il passait facilement du temps avec les étudiants plus âgés, car il avait l’impression qu’ils le comprenaient mieux et qu’il pouvait avoir des échanges plus intéressants avec eux.

« Mais du coup … qu’est-ce que tu voulais signifier par “escapade” dans ton message ? » lui demanda l’Italien, souhaitant un peu mieux cerner ce que le jeune homme à la verte tignasse leur réservait.

Le garçon emboîta le pas à son compagnon de LOLOL privilégié d’Ilukaan, « La vie, bien sûr ! » répondit-il d'un ton rieur avant de poursuivre plus sérieusement, « Nan en vrai ça va super en ce moment, et toi bg ? »

Genji avait déjà raconté à Niccoló quelques anecdotes d’urbex qu’il avait pu faire, aussi il s’était bien douté, dans un lointain coin de sa tête, que c’était ce qu’il avait sous-entendu par “escapade”. Mais il lui avait tout de même posé la question pour confirmer ce que son instinct lui avait susurré. Le sourire du plus jeune n’en devint que plus large. Cela faisait un moment qu’il avait envie de partir à l’aventure avec son camarade à la tignasse verte, et qu’il le lui avait dit d’ailleurs. Cependant, l’Italien craignait que son aîné ne le juge encore trop jeune pour l’entraîner avec lui.

Il avait là la confirmation que ce n’était pas le cas, d’où le grand sourire qui barrait son visage.

Le sang-mêlé souffla un "Wouuuuh" taquin à son camarade quand celui-ci lui révéla qu’il avait un rencard le lendemain. Bien qu’ils ne développaient pas forcément ensemble au sujet de leurs amourettes respectives, les deux jeunes hommes se partageaient facilement les bonnes nouvelles et anecdotes positives qui leur arrivaient. Et on pouvait dire que c’en était une.

« Non ! C’est ma première fois, heureux que ce soit avec toi du coup … » lui répondit le plus jeune avec un ton rempli de sous-entendu, blagueur. « En vrai je gère plutôt bien l’escalade. En même temps t’as vu mon gabarit ? Le moindre grand escalier est une ascension pour moi ! » blague le noiraud.

Si Nico avait des complexes sur sa taille, il le cachait avec une couche d’humour exagérément grosse. En même temps, les bullies ne peuvent plus les utiliser contre vous si vous devenez votre premier bourreau. Aussi, le quatrième année fait genre d’ignorer le regard rapide dont le gratifie son ami, jaugeant leurs tailles un instant, car il savait pertinemment, consciemment en tout cas, que ce regard était vide de jugement.

Le cadet di Angelo suivait le pas du Japonais sans peine, ils marchaient d’un pas assuré, rapide, trahissant ainsi leur excitation et le sentiment d’anticipation qui grandissaient en eux, ou en tout cas en Nico. Il aimait beaucoup l’ambiance que la ville faisait naître en lui : les lumières chaleureuses des lampadaires dans les rues principales qui tamisaient les plus petites rues ; la sensation que la lumière et le son étaient liés à Bloombury, car les conversations se faisaient plus rares, moins bruyantes, quasi chuchotées, dans les ruelles éclairées presque seulement par la lune et le ciel étoilé.

Il avait la sensation que des bulles tièdes s’accumulaient lentement dans son cœur, c’était comme ça que l’excitation se manifestait dans son corps à cet instant.

« Nope, vraiment rien de prévu jusqu’à demain, » commença-t-il pour rassurer son camarade. « Je t’avoue que c’est rare qu’on m’invite à faire des trucs les week-ends, » lui confia-t-il ensuite.

Les deux jeunes gens arrivaient gentiment à l’ouest de la ville, ils le sentaient aux rues où les immeubles et maisons se faisaient plus espacés, aux étoiles qui devenaient de plus en plus faciles à distinguer dans le noir de la nuit, mais aussi, surtout, à l’absence de sons. Le brouhaha des bars, restaurants et autres divertissements au loin étaient devenus comparables aux bourdonnements des ailes d’un moustique.

« On est encore loin ? » osa demander le plus jeune d’un ton qui trahissait son impatience d’arriver.

Au clin d’œil taquin de son camarade, les joues de Nico s’embrasèrent et son corps se tendit. Il savait pertinemment que Genji était du genre à surenchérir sur n’importe quelle blague, mais il fut tout de même surpris quand le Japonais prit la perche qu’il lui avait tendu. Il ne savait pas encore pourquoi, mais le jeune homme n’était à l’aise que lorsque lui-même faisait des blagues aux tendances homoérotiques. Peut-être car quand c’était les autres qui en faisaient, il n’avait plus complètement l’impression que ce n’étaient que des blagues … parce que ça pouvait rendre vraie la possibilité d’être attiré par les mecs …

Mais ce n’étaient pas encore des pistes de réflexion que l’adolescent était capable d’explorer consciemment. Aussi, il ne spécula pas plus que ça intérieurement et leva simplement les yeux au ciel en secouant légèrement la tête pour se débarrasser de son embarras, mimant un dépit feint pour son camarade.

Ses épaules se détendirent au rire de son camarade, et son visage se barra d’un sourire amusé quelques secondes. Celui-ci s’intensifia et à son expression se mêla de la surprise, levant les sourcils, quand Genji lui indiqua la horde de félins.

« Peut-être que ce sont les videurs, » plaisanta le plus jeune. « Ils doivent nous valider pour qu’on parvienne à rentrer dans le manoir. » Mais l’habitué semblait à présent trop concentré sur sa prise de photographies pour lui répondre. Cela ne dérangeait pas Nico, il était habitué à ce que Genji mitraille ses aventures de la vie de tous les jours pour nourrir de contenu son compte Pentagram.

Sur ce coup, Niccoló et Genji étaient très différents : le cadet di Angelo avait déjà eu beaucoup de peine à mettre quelques photos sur son compte Pentagram, suivant les conseils de sa sœur en termes de publication. Il était plutôt du genre à poster n’importe quoi pour faire rire la galerie sur son Hooter, quitte à faire des memes quand il en avait la motivation.

Une fois son téléphone rangé, le jeune à la crinière verte passe un bras autour de ses épaules, ce qui a pour conséquence que le corps du noiraud se tend légèrement. Le cadet Shimada faisait partie des rares personnes auxquelles Nico avait mentalement donné la permission de le toucher, n’étant pas du tout une personne tactile. Mais malgré ça, il ne pouvait empêcher la tension dans son corps de naître lors de contacts plus rapprochés.

« Pff ! » souffla-t-il avec dédain. « Qui a dit que je cherchais des nouveaux potes, même ? »

Il croisa les bras avec un air entendu pour son camarade. S'il y avait bien une chose sur laquelle ses amis pouvaient compter, c'était que Nico ne les remplacerait pour rien au monde. Il était bien trop loyal pour que l'idée même n'effleure son esprit.

Nico hochait la tête en rythme des explications de son camarade. « Moi ? Peur ? On en reparle de l’autre côté, » dit-il en faisant semblant de s’indigner de la question de son camarade.

Les deux jeunes gens terminèrent bientôt leur progression jusqu’au mur que Genji avait prévu d’escalader. Les deux jeunes gens l’observèrent un instant pour trouver des prises et imaginer une manière de le grimper. Nico n’attendit pas les conseils de son guide avant que les réflexes de l’enfant qui crapahutait partout qui vivait encore en lui ne prennent le dessus. Une fois son ascension terminée, il entama le mouvement de tête pour vérifier que Genji ne l’attendait pas en bas, mais il eut un hoquet de surprise en remarquant qu’il se tenait déjà à ses côtés au sommet du mur.

« Wesh plus jamais tu me fais peur comme ça, mec ! » s’exclama-t-il en posant une main dramatiquement sur son torse comme si son cœur était sur le point d’exploser.

Bien entendu, Nico exagérait dramatiquement l’effroi non-verbalement. En réalité, Genji l’avait plus surpris que réellement effrayé, bien que cela pouvait être deux émotions très similaires, sur un laps de temps très différent. La peur durait dans le temps, tandis que la surprise ne durait pas plus de quelques secondes, voire moins longtemps encore.

La tension qui le rendait si sensible à la surprise à cet instant était sûrement l’un des symptômes de son excitation. Cela faisait longtemps qu’il fantasmait à l’idée de partir en exploration avec Genji. Plusieurs mois pour sûr. Mais l’occasion ne s’était jamais présentée jusqu’à aujourd’hui. Niccoló ignorait complètement ce sur quoi on pouvait tomber en urbex, ce que l’on pouvait découvrir, ce qui pouvait nous arriver ! Et la bleusaille qu’il était ne semblait pas se jeter dans une mince affaire en guise de baptême.

Malgré son ignorance, aucune crainte ne venait embrumer son esprit. Il ne ressentait aucune once de doute. Pour la première fois depuis longtemps, Nico avait la sensation qu’il allait prendre du plaisir. Son cœur chauffait doucement son thorax. Il en avait presque l’impression que son corps avait oublié ce que c’était de ressentir une véritable excitation à l’idée de faire quelque chose.

Le plus jeune marmonna des paroles incompréhensibles en guise de réponse aux taquineries du Japonais. Puis sa mâchoire tomba au sol face au saut grandiose que fit celui de vert chevelu. Il savait que Genji était sportif, athlétique même, et il savait qu’il n’en était pas à son premier rodéo, mais il ne put s’empêcher de ressentir une forme d’admiration pour son camarade face à ce qu’il considérait comme une prouesse.

Leur relation avait beau être beaucoup basée sur l’humour et le jeu, que ce soit en ligne ou en vrai, Nico ressentait un profond respect pour le jeune homme. Ils pouvaient se trigger l’un l’autre, se faire des blagues très limites, s’insulter, il n’en restait pas moins que le plus jeune respectait le Lupy … à leur manière.

Le “Tu viens ?” presque nonchalant de Genji le sortit de son admiration, lui rappelant que lui aussi devait descendre de ce mur. C’était bien beau de le grimper sans hésitation, mais il fallait le descendre avec la même habileté à présent. Bien heureusement pour lui, il y avait autant de prises faciles de l’autre côté du mur que celui par lequel ils venaient de grimper. Et même si ça n’avait pas été le cas, tous deux savaient à quel point Nico pouvait être borné. Il aurait trouvé un autre moyen de descendre.

Une fois arrivée en bas, l’Italien frotta ses mains sur le haut de ses cuisses en s’approchant du Lupy. Une fois de plus, c’était une sorte de tic non-verbal chez lui, il hocha la tête en rythme des explications du cadet Shimada. Il buvait ses paroles. En même temps, le Japonais était beaucoup plus expérimenté que lui.

“Comment ça des sangliers ?” laissa le garçon échapper d’un ton qui ne pouvait pas dissimuler sa surprise. “Ils devaient pas être spéciaux mais ravagés, ouais !”

Le Strixyst pouvait prétendre que cette dernière information ne l’effrayait pas réellement, qu’il était juste confus, surpris et peut-être même indigné, mais il avait inconsciemment raccourci la distance qui les séparaient, Genji et lui. Tout ce qu’il savait sur les sangliers, lui, c’était qu’ils avaient une très mauvaise vue. Ils n’iraient pas très loin avec ce genre d’information … Enfin bon, le quatrième année avait un bon instinct d’improvisation et dégainait sa baguette magique à une vitesse prodigieuse lorsque la situation l’exigeait.

Les deux jeunes hommes continuèrent leur progression sous le ciel aux couleurs déclinantes. De temps à autre, c’était Nico qui pointait du doigt vers l’une des marques gravées plus tôt par Genji lui-même. Mais la plupart du temps, il suivait celui de vert chevelu en affichant un sourire qui trahissait l’excitation qui faisait battre son cœur plus fort plus ils s’approchaient du manoir.

Le soleil déclinait lentement, étirant les ombres des arbres sur le sol et des teintes orangées dans le ciel. Genji s’arrêta alors qu’une bonne trotte les séparait encore du manoir. En contrebas, dans la cour de gravier, les rayons du soleil les éblouissaient quand ils levaient le regard vers la toiture. Le manoir se dressait devant eux. Il avait été le témoin d’une bourgeoisie sorcière du Canada.

Pendant que Genji s’extasiait à voix haute devant la beauté du bâtiment, Nico exprimait son admiration autrement : sa bouche formait un rond quasi parfait, sa mâchoire inférieure étant tombée en direction du sol. Il se sentait si petit devant l’immeuble, comme un bambin qui regarde les étagères les plus hautes d’une bibliothèque. Il se sentait capable d’atteindre les hauteurs du manoir, mais il ne savait pas encore comment. Et c’était bien ça le problème.

Son ignorance lui jeta une violente baffe à la gueule d’un coup d’un seul. Il en avait le souffle coupé et presque le vertige. L'excitation laissa place quelques secondes à une émotion très désagréable. Son estomac se serrait dans son ventre, heureusement que son dernier repas remontait à midi car il aurait sûrement remonté le long de son œsophage autrement. "Tu en es pas capable. T'es impuissant. Tu n'y arriveras pas." lui murmurait une voix dans sa tête.

Il ne ressentait pas réellement de la peur, pas à proprement parler. Mais cette émotion était vertigineuse, elle le paralysait presque sur place. Les poings crispés, les ongles plantés dans ses paumes, il lui fallut fermer les yeux trois secondes, le temps de prendre une grande inspiration, pour que son corps se relâche et qu’il sorte de cette étrange transe d’auto-dépréciation.

Ce genre de crise paralysante ne lui était pas inconnu, elles arrivaient bien plus souvent il y a encore un an. Mais Nico savait que ce que la voix disait étaient des mensonges, des exagérations d’une pointe de réalité. Il suffisait parfois d’un rien. Cela faisait plus de trois mois que ce n’était pas arrivé, l’Italien pensait en être complètement débarrassé. Il espérait simplement que Genji n’ait rien remarqué et qu’il avait juste eu l’air d’être en profonde admiration face au manoir.

Le noiraud secoua légèrement la tête pour définitivement se débarrasser des dernières raideurs qui crispaient encore certains de ses muscles, c’est là qu’il relâcha finalement ses mains.

Une fois de plus, Niccoló ignora éperdument les picotements de chaleur qui traversèrent ses joues. Décidément, les clins d'œil de Genji lui faisaient de l'effet. “Faudra juste faire gaffe car on sera du côté de la façade lumineuse du coup. Mais ouais ça veut dire que si on repart dans la nuit personne ne verra nos potentielles lumières,” s’enthousiasma Nico.

Il ne leur fallut pas plus de cinq minutes pour faire le tour du manoir, et l’Italien repéra très vite la fenêtre cassée dont il lui avait parlé. Le noiraud observait le mur avec attention, pour évaluer les prises. Il doutait de certaines d’entre elles, mais en même temps il verrait sur place-même.

Il évalua du regard le Japonais, le regardant de bas en haut puis de haut en bas. Il tentait de jauger son poids avant de lui faire la proposition suivante : “Tu veux que je me tienne face au mur que tu puisses me monter sur les épaules ? Même si je me doute que t'en as pas besoin …”, dit-il suite à sa proposition.

Niccoló ne pouvait pas avouer juste comme ça qu’il ne se sentait pas de grimper en premier ce mur-ci, pas après avoir escaladé, sans hésiter une seule seconde, l’autre mur quelques minutes plus tôt. “Tu insinues que je n’aurais pas la force de te soulever, c’est ça ?” dit-il d’un ton faussement indigné. “Ou alors, pire encore, tu veux envoyer ton pauvre ami inexpérimenté vers une potentielle mort en premier ?! Je ne te pensais vraiment pas comme ça, Genji …”

L’Italien dissimulait son stress à l’idée de grimper en premier sous couvertes d’humour. Il détestait devoir prendre les devants dans des situations qui ne lui étaient pas familières. Et quoi de plus inconnu qu’une toute première escapade comme celle-ci ?

Le noiraud afficha un air d’autant plus (faussement) indigné quand le Japonais tenta de piquer son ego en le traitant de gringalet et de noob. Malgré cela, le garçon ne put retenir un soupir de soulagement quand son ami entama sa propre ascension du mur du manoir. De toutes manières, celui-ci devait être bien trop absorbé à faire paraître l’exercice comme assez simple pour ne pas décourager Nico qu’il ne dût sûrement pas le remarquer.

Durant toute sa montée, Niccoló observa attentivement Genji pour tenter de retenir les prises sur lesquelles il avait pris appui et pour reproduire l'exercice par la suite. Malheureusement, il vit bientôt un morceau de la corniche se précipiter à vive allure en plein dans sa direction. Ses réflexes précédèrent à sa raison, il avait effectué un grand bon en arrière avant même de s'en être rendu compte, fixant d'un regard apeuré les gravats qui s'écrasèrent là où il se tenait plus tôt.

“Nan mais j'ai compris que t'essayais de me tuer, par besoin de mise en scène à force !” répondit le noiraud à son camarade qui s'assurait qu'il allait bien. Il optait pour l'humour autant parce que c'était le ton qu'ils adoptaient majoritairement entre eux que pour dédramatiser ce qu'il venait d'arriver et détendre l'atmosphère pour lui-même.

En réalité, Niccoló n’avait pas de peine à affirmer qu’il était un débutant et un gringalet. En effet, c’était sa toute première tentative d’urbex, il était encore un débutant. Et il avait totalement conscience de sa carrure peu, voire pas du tout, impressionnante.

Seulement, ce n’était pas l’atout sur lequel le quatrième année se reposait le plus. Il n’était peut-être pas très baraqué, mais le cadet di Angelo était doué en magie pour un jeune de son âge. Et c’était l’occasion de le montrer à celui de vert chevelu.

La corde tomba le long du mur, se balançant quelque peu avant de se stabiliser. L'Italien hésita alors. La voie de la facilité lui tendait les bras, pourtant il avait vraiment envie de tenter l'idée qui avait germé dans son esprit quelques secondes plus tôt. Il allait pesé le pour et le contre quand il imagina une seconde à quel point il pourrait en mettre plein la vue à son camarade s'il réussissait son coup.

Il n'en fallait pas plus pour le convaincre.

D'un geste souple, Niccoló prit sa baguette dans sa poche et resserra sa prise dessus. Il garda son poignet décontracté avant de la lever vers la fenêtre par laquelle s'était faufilé Genji et inspira profondément. Il avait déjà tenté ce sort plusieurs fois, il le maîtrisait. Aussi, il avait confiance en ses propres capacités en termes de magie, mais dans cette situation, c'était quitte ou double.

Il expira dans un grand soupir avant de reprendre une respiration, afin de se débarrasser de ses craintes, et prononça avec conviction : “Ascendio !”

Rapidement, Nico s'éleva dans les airs dans la direction où pointait sa baguette. Il aurait aimé atterrir en souplesse sur le rebord de la fenêtre, tel Spider-man, mais on était pas dans une série de comics, non non non. Il choppa le rebord de la fenêtre de ses bras, usant de toute sa force pour se glisser par l'ouverture et se laisser tomber lourdement sur le sol.

Il avait réussi. Il avait réussi ? IL AVAIT RÉUSSI !

Il sauta pour se remettre debout rapidement, mimant d'épousseter ses vêtements comme s'il n'avait pas douté une seule seconde de sa réussite. “Ahah ! C'est bon mec, tu peux ranger ta corde,” dit-il d'une manière faussement décontractée. “Désolé, du coup, j'en ai pas eu besoin.”

Tout en offrant son meilleur sourire blagueur à Genji, l'Italien prit quelques secondes pour observer la pièce dans laquelle il venait d'atterrir. Elle s'apparentait à un vieux salon, avec des dentelles recouvrant les meubles qui se couvraient elles-mêmes de toiles d'araignée et de poussière. On pouvait voir distinctement là où Genji avait marché, ses pas laissant une trace "propre" au travers de l'épaisse couche de poussière qui recouvrait le sol. Il n'osait pas imaginer l'état de son dos après avoir glissé par terre.

Nico était encore secoué par sa propre prouesse magique. Il manquait encore de confiance en lui alors la moindre réussite l’étonnait encore. Alors même qu’il était relativement doué en sortilèges. Malheureusement, l’Italien ne put goûter très longtemps à la joie de son exploit, car Genji lui rappela qu’il valait mieux ne pas attirer l’attention avec des sortilèges inutiles. Oops …

Le garçon observa la pièce dans laquelle il avait atterri, imitant, si on peut le dire, l’attitude du Japonais. « Ma Nonna a de meilleurs goûts que ça, » rétorqua Nico en rigolant. Ce qui était vrai. C’était une mamie très moderne, Rhéa. Du genre à s’habiller avec du Gucci et à envoyer des memes à ses petits enfants pour leur redonner le sourire. Et pas des memes avec les tic tacs jaunes là. Le jeune homme se demandait parfois comment c’était possible que la mère soit plus à la page que le fils, car son père n’était pas une lumière avec les technologies.

Mais revenons à notre exploration ! Le regard du noiraud ne cessait de s’attarder sur des détails, des événements. Le manoir semblait comme arrêté dans le temps, et maintenant qu’ils en brisaient la tranquillité c’était comme si la demeure elle-même réalisait sa vieillesse : le bois craquait sous leurs pas, la poussière s’élevait après eux.

“Mais on est déjà au premier…” pensa Nico sans oser corriger le Japonais. « Est-ce qu’on tenterait pas d’explorer l’immeuble depuis le haut et qu’on descendrait progressivement ? » proposa le jeune homme.  « Comme ça on loupe rien et au cas où on doit se casser d’un coup, c’est plus simple de le faire en étant dans les étages inférieurs, non ? »

La bâtiment devait certainement dissimuler un grenier rempli de trésors et de témoins d’une autre époque. Encore plus que cette pièce. Et l’étage du dessus, moins accessible et dont les fenêtres ne semblaient pas brisées depuis l’extérieur, devait être encore mieux conservé.

Le plus jeune dépassa donc le Lupy pour progresser lentement dans le couloir en direction de l’escalier, de son pas souple. Les planches sous leurs pieds, ayant perdu l'inflexibilité de leurs beaux jours, craquaient faiblement. Rien de réellement inquiétant. Mais l’Italien n’aimait pas être la source de bruits. Il préférait être silencieux.

Une fois arrivé aux escaliers, dont les marches penchaient à force d’avoir été utilisées et surtout de ne pas avoir été rénovées, le Strixyst se tourna pour chercher l’approbation dans le regard de Genji, avant d’entamer son ascension vers l’étage supérieur.  « Il me semble qu’il y avait la place pour un grenier sous le toit, il faudrait qu’on en trouve l’entrée si elle est dans le plafond d’une des pièces ! » s’exclama-t-il.

Le couloir au dernier étage était couvert d’une moquette qui devait originellement être de couleur rouge, maintenant grisâtre et rongées par les mythes. Les lampes électriques en verre rappelaient les travaux qu’ils pouvaient observer durant son enfance dans les ateliers de verre vénitiens. Quelques étagères de livres se dressaient çà et là, mais leur contenu s’était effondré à leurs pieds depuis des jours, mois, années ?…

Nico accueillit la mise en garde de son camarade avec un hochement de tête. Même si le sol avait tenu jusque-là, rien ne pouvait prévenir qu’il lâche sous leur poids, aussi légers étaient-ils. L’ambiance est lugubre, provoquant des vagues de frisson le long de l’échine de l’Italien, mais il en apprécie la saveur de terreur et d’aventure qu’ils inspirent.

Ils s’étaient séparés quelque peu, le plus jeune contemplant la pile de livres devant l’une des étagères, quand celui de vert chevelu l’appelle. Le Strixyst s’approcha donc d’un pas vif, mais le regard toujours rivé sur le sol devant lui.

Le gamin sursauta devant la poupée. “Oh putain elle fait flipper. Elle a une tête à s’appeler Hilda, j’te jure.” Nico rigola ensuite de s’être fait surprendre par une simple poupée.

Mais il n’a pas l’occasion de rire très longtemps. Il a juste le temps de crier un petit “Woaw !” qu’un fantôme les attaque, traversant le corps de Genji à plusieurs reprises en … criant ? riant ? L’Italien ne parvenait pas bien à savoir. Elle courait dans tous les sens, en gesticulant.

“Hé hé du calme petite ! Qu’est-ce que tu nous veux ?!” s’écria Niccoló, car quelque chose dans ses tripes lui disait qu’il valait mieux tenter de lui parler, même si ses tripes de sorcier lui hurlaient de sortir sa baguette et de prendre ses jambes à son cou.

La petite ne baissa pas la cadence pour autant, mais dans sa précipitation ses cris formèrent des sons plus identifiables. “Sortez de ma chambre ! Vous avez insulté Adélaïde ! Et si je ne peux pas jouer dans ma chambre, vous non plus ! Partez !” et elle se mit à répéter son ultime parole avec véhémence.

Wouow wow quoi ? Mais qui était Adélaïde ? Il connaissait personne qui s’appelait comme ça ! Et voilà qu’elle le traversa lui aussi à plusieurs reprises, provoquant l’effet d’une douche gelée dans tout son être. AH ! Il eut un rhume de cerveau comme quand il mangeait de la glace trop vite.

Le temps que le noiraud se remette de son blizzard cérébral, son ami avait immobilisé le fantôme. Il le suivit dans le couloir pour continuer leur exploration.

“Ouais elle était vraiment pas commode pour une gosse …” Nico ne remarquait pas vraiment la manière dont cette rencontre touchait Genji. Il avait déjà vu beaucoup de fantômes, notamment sur le campus même d’Ilukaan. Pour lui, la mort faisait partie de la vie et touchait tout le monde sans discrimination. Il était “normal” à ses yeux que des fantômes d’enfants existent, comme des fantômes de Mamies et des fantômes de hamsters.
Sur le palier de la salle de jeux, un frisson traversa l’échine du plus jeune. Il avait un très mauvais pressentiment quant à cette nouvelle pièce. Il ne saurait dire ce qui le mettait tant en alerte, car rien ne paraissait étrange avec cette salle de jeux pourtant. Les poupées, c’était pas un truc qui le mettait particulièrement à l’aise. “Hum …” hésita-t-il une seconde. “Je le sens pas trop honnêtement. Si on était déjà pas les bienvenues dans la chambre de la gamine, imagine dans sa salle de jeux ?” Son regard se fixait à des éléments de la pièce, ne se portant pas vers celui de vert chevelu. Peut-être cette attitude communiquera-t-elle le mieux son inconfort ? “Après tu peux la fouiller si tu le souhaites, mais je vais plutôt aller repérer l’étage du dessous, pour le coup,” conclut-il en finissant enfin par tourner la tête vers le Japonais.

Il gratifia son ami d’un petit sourire rassurant, avant de rebrousser pas vers l’escalier qu’ils avaient déjà emprunté quelques minutes plus tôt. Le noiraud se retrouva rapidement à l’étage duquel ils étaient arrivés, ses pas se faisant plus rapides pour rejoindre un lieu connu que pour explorer une partie où la poussière restait encore reine du parquet.

Depuis qu’ils avaient croisé cette gosse spectrale, les sens de l’Italien étaient en alerte. Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle les suivrait dans le reste du manoir pour tenter de les persécuter. Et pourtant : il n’en était rien. Il avait beau tourner la tête derrière lui, dans un geste de profonde paranoïa, jamais personne ne lui rendait son regard. Il n’arrivait pas à se décider si ça le rassurait ou non. Une menace invisible était toujours plus dangereuse …

La pièce la plus proche de lui en descendant les escaliers lui sembla être une chambre. Il n’arrivait pas à déterminer si c’était celle des parents ou celle réservée aux invités, tant la décoration était impersonnelle. Les rideaux qui dissimulaient autrefois la lumière étaient tombés au pied de la fenêtre, rongés par les mites. L’armoire en bois vernis qui se dressait à côté de l’ouverture était assortie à la commode qui se tenait à côté du lit. Le matelas semblait malmené par le temps, les ressorts s’en échappaient comme les côtes déchirant la peau d’une carcasse. S’il devait être rassurant de se blottir sous les draps il y a des décennies de cela, la pièce n’inspirait pas la sécurité.

Le plus jeune resta silencieux sur le pas de la porte. Ce n’était que face aux petits portraits posés sur les meubles, des visages souriants de la famille qui avait dû vivre dans cette demeure, que Niccoló prit conscience de ce qu’ils étaient en train de faire. Ils étaient en train de pénétrer dans l’intimité des personnes qui avaient vécu ici. La petite boule nerveuse qui se logea dans son estomac à cette idée n’allait pas le quitter avant quelques jours.