Spectres, sanglier et papillon.

L'éclat de voix gutturale échappé des dessous de la hure aux crins rêches eut assez d'énergie pour donner l'impression, un infime instant, de fendre l'air en deux tant sa vocalise se fit puissante.

En une gestuelle assurée et avec une grandiloquence qu'il avait toujours maîtrisée à la perfection, ses bras turgescents s'entrecroisèrent aux abords de son torse, étonnamment musculeux pour un jeune homme de son âge.

Lorsqu'il la convia — ou plutôt exigea sa présence durant cette escapade vouée à leur faire traverser l'étendue sableuse de la plage des environs afin d'atteindre ce fameux édifice porteur de mystères, Shinobu ne put repousser l'envie irrésistible de cligner des mirettes afin de marquer l'éveil de sa curiosité.

Nombreuses avaient été les historiettes au sujet de ce monument vétuste et délaissé des hommes, et pourtant si enclin à susciter la soif de connaissance des habitants de la contrée : les bruits de couloir allaient bon train, et les badauds aimaient à accorder une dose d’épouvante à leurs récits afin de faire frissonner les novices de Première Année. Dès lors que la lividité se crayonnait sur un minois candide et soulignait un regard empreint d’une crédulité touchante et parfois un peu navrante, les forbans ne manquaient jamais de se repaître de la frayeur qu’ils répandaient chez les petits sorciers.

Pour ces raisons, l’invitation appuyée d’Inosuke causa un léger étonnement chez celle qu’il espérait être sa compagnonne de voyage. L’affection qu’elle ressentait pour lui ne semblait pas connaître de limite ; adroite dans la façon de manier les mots pour tourner toute péripétie en sa faveur, amadouer ce jeune marcassin pour mieux le tempérer était devenu pour elle une tâche facile.

Oh, elle ne comptait plus les fois où elle avait dû enrubanner avec force douceur les dextres abîmées du Lupy quand celles-ci se paraient d’estafilades mineures et autres blessures résultant de la bravoure ineffable du garçon … ou bien de son impulsivité si particulière. Le mener à la baguette ne relevait pas d’un défi particulièrement assidu pour cette jeune femme souvent contrainte de porter sur lui son attention afin de s’assurer qu’il ne cause aucun trouble au sein de l’académie de magie qui les avait accueillis parmi ses rangs.

La situation, cocasse à souhait, ne manqua toutefois pas de la surprendre : c’est qu’elle s’imaginait être la dernière personne à qui il daignerait quémander la présence pour une visite au sein du Phare Nébuleux. Il aurait été plus aisé de se figurer son groupuscule en train d’avancer parmi l’étroitesse des couloirs de la construction à la réputation si indistincte et souvent sinistre.

Le jeune Kamado, pour qui il semblait nourrir un fort sentiment de camaraderie, se tiendrait en tête de file malgré lui, l’éphèbe au doux visage dissimulé derrière les reliefs grossiers de son masque bestial à ses côtés quitte à lui asséner quelques coups de coude pour amplifier sa place. Derrière eux, sa petite sœur Kanao les suivrait probablement avec le sourire sans jamais ôter son regard imperturbable de l’obscurité qui les nimbait, et loin derrière se retrouverait très naturellement Zenitsu, si prompt à traîner des pattes lorsque l’heure était venue de plonger au cœur du danger et de l’horreur.

Le poids des responsabilités et la charge sempiternelle du travail pesant sur ses maigres épaules, la Strixyst se sentit quelque peu navrée à l’instant même où elle envisagea aussitôt de lui dire qu’elle ne pourrait pas l’accompagner. Si elle avait un attrait indéniable pour les histoires glaçantes et autres créatures extirpées des ombres et qu’elle se languissait de ne pas pouvoir profiter de son temps libre pour effectuer pareille excursion, une précision émise par celui sur qui elle veillait avec une patience maternelle la coupa dans son élan.

« C’est une épreuve de courage !! », entonna-t-il avec cette vigueur qui lui était devenue propre. Il semblait même à Shinobu qu’un souffle nasal s’était extirpé bruyamment de sa tête de sanglier par le biais de son imposant groin rose, comme si l'impatience faisait courir son sang dans ses veines en torrents de lave.

Un sourire, abscons et illisible tant il portait presque autant d’énigmes irrésolues que ce phare qu’il souhaitait tant aller explorer, prit place sur ses lèvres maquillées. Installée sur le tabouret qui lui faisait lieu d’assise près de son bureau personnel au sein du laboratoire, elle souffla un rire aux modulations légères et, dans un élan de malice, s’accouda à son plan de travail.

Quelques idées coquettes lui flattaient déjà l’esprit.

Le pauvre ne s’attendait très certainement pas à ce qu’elle envisage d’ores et déjà de lui flanquer quelques frousses dès lors qu’ils auraient franchi le seuil de l’endroit …

« C’est d’accord, Inosuke. Je t’accompagnerai. »

Ce qu’une mère ne ferait pas pour son enfant …

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Quoi de mieux que d’attendre la fuite du jour pour le commencement de leur incursion, après tout ?

L’obscurité s’était faite reine. Le remous agité des vagues s’écrasant sur les grains sablonneux aux alentours perçait le silence mordant auquel les lieux s’étaient assujettis : nulle voix humaine, outre celles de ces deux complices aventureux, ne se laissait ouïr dans les parages, et toute trace humaine semblait les avoir quittés. Les bribes des conversations auxquelles ils avaient pu prêter oreille en sillonnant le centre-ville pour atteindre ce recoin de plage s’étaient évanouies, comme envolées dans l’air.

La potionniste porta une paume à l’une de ses mèches violacées dans la volonté simple d’en retenir quelques crins lorsqu’une bourrasque s’éveilla, et fit voleter l’étoffe mauve de l’uniforme de sa maison bien-aimée.

L’édifice avait de quoi inspirer un certain malaise chez toute personne impressionnable. L’ambiance ô combien froide, ce silence inquiétant et leur école qui semblait désormais si loin d’eux rehaussaient les affres d’une angoisse encore moindre, comparée à ce qui attendrait tout visiteur un peu trop curieux à l’intérieur.

Sans crier gare, la voix de velours de Shinobu se fit entendre. Non sans se laisser gagner par l’envie fugace de causer une toute première confusion à ce brave Louveteau qu’elle avait accepté d’escorter, elle fit jouer son imagination, et n’éprouva aucune pitié à l’idée d’évoquer une toute première anecdote inventée de toutes pièces. Ses prunelles composées, à l’image de celles de certains insectes ailés, pivotèrent patiemment vers son cadet …

« Il se dit que la dernière personne à avoir occupé ce phare a succombé à la folie après y être resté trop longtemps et a massacré sa femme et ses trois enfants sur le rivage. Te rends-tu compte ? On parle même d’une malédiction  du Phare Nébuleux ... ! »

La mimique d’un rictus irrésistible anima ses commissures. Si elle était troublée par l’aspect horrifique de ses propres paroles ?

Nullement.

« … Es-tu sûr de ne pas vouloir faire marche arrière, Inosuke ? Nous avons encore le temps de rentrer, après tout. »

Spectres, sanglier et papillon.

Courageux et téméraire. Ainsi était né Inosuke Hashibira, dont le cran, l’audace, les capacités de meneur et l’extrême humilité n’avaient de cesse d’inspirer ses semblables au point de susciter chez eux la pure admiration devant pareil goût pour l’aventure.

Pour toutes ces raisons, sa protectrice ne fut pas le moins du monde surprise par son entreprise. Bravant les interdits afin de se jeter directement dans la gueule du loup sans plus de cérémonies, le porteur de hure redressa avec une assurance qui semblait ne jamais le quitter son mufle vers le bois défraîchi et tant suranné de la porte et, comme porté par une perpétuelle adrénaline, y céda une vive impulsion pour l’inciter à s’ouvrir.

Un grincement naquit du mouvement, quelque peu éloquent quant à l’obsolescence de l’endroit et ses décennies d’inactivité, et résultait en un crissement lancinant.

« Mais très certainement », rétorqua-t-elle avec un sourire si léger qu’il contrastait en tout point avec la sonorité désagréable qui s’échappait du bois ancien et prompt à craqueler de la porte d’entrée du sémaphore.

La pénombre s’offrit à leur vue. À sa grande surprise, le grand explorateur qui lui tenait cette si plaisante compagnie ne libéra pas la moindre plainte quant à l’allure somme toute repoussante que pouvaient arborer les filandres que l’on devinait à chaque recoin de roche sur la surface murale. Il n’aurait pas été difficile de s’attendre à l’apparition d’un quelconque pâle feu follet se dégageant des tréfonds de ces ombres angoissantes tant l’atmosphère se révélait sinistre et froide.

N’importe qui se serait senti traversé d’un frisson de superstitieuse terreur à cette première découverte, or le Sanglier et le Papillon ne trembleraient pas pour si peu à leurs yeux. Un tel endroit, aussi habité par les présences spectrales pouvait-il paraître selon les bruits de couloirs qui se brodaient à son sujet, n’aurait pas raison de la sérénité apparente qui auréolait Shinobu à chaque fois qu’elle répondait présente. Elle s’avança aux côtés de cet adolescent casse-cou dont elle aurait apprécié entrevoir les traits fins, hélas camouflés par ce faciès de bête, et lui octroya un énième rictus à l’aspect chaleureux.

« Tout à fait. Il serait au contraire assez curieux de s’élancer dans une telle expédition sans la moindre source lumineuse. Tu ne pourrais pas partager ton rapport avec tes petits camarades. Fais donc ! »

En dépit de ses dires, la Strixyst ne fut pas le moins du monde tentée d’incanter ledit sortilège pour l’heure, et pour cause ; camouflée dans les contrebas de son dos, sa paume adroite maintenait d’ores et déjà en son creux son propre catalyseur boisé qu’elle avait ôté des dessous de son houppelande constellée et parée des tons caractéristiques de sa maison. Son poignet moulina en silence, dirigeant l’extrémité de l’instrument en direction de la porte …

… Laquelle se referma dans un tumulte qui résonna dans le vestibule de la tour.


La poussière virevolta au geste soudain de la portière, et l’on entendit presque la cadence précipitée des arachnides qui avaient élu domicile dans les environs et qui jugèrent favorables de se camoufler dans le décor. Nul besoin de tendre davantage l’oreille pour être gagné de l’impression désagréable que ces petites créatures faiseuses de toiles grouillaient dans l’obscurité.

« Ça alors … j’aurais juré avoir fermé la porte derrière moi », confia-t-elle avec une telle aisance dans sa spontanéité qu’elle passerait pour crédible pour toute personne animée de la moindre once de naïveté.

Parée d’une confusion purement factice, elle porta une paume à ses lèvres dans une gestuelle interdite, comme si une incompréhension totale l’empêchait de saisir la raison d’une telle véhémence dans la fermeture si brusque de l'ancien portillon.

« Quel mystère, tu ne crois pas ? Nous n’avons même pas fait quelques mètres que les étrangetés se révèlent à nous. »

La jeune femme entreprit de jeter une brève œillade à une minuscule vitre venue percer la rocaille qui couvrait le mur longeant les marches incessantes. Ces dernières les mèneraient peut-être au sommet tant convoité par le chasseur de trésors, si toutefois la bravoure de son précieux acolyte demeurait intacte …

Confiante et détentrice d’un étonnant flegme, elle avança de quelques petits pas sans jamais chercher à lui dérober sa place de guide. Les rayons pâles des astres au-dehors s’insinuaient faiblement au sein du rez-de-chaussée, et donneraient à l’intrépide Inosuke l’occasion de notifier la vapeur pâle extirpée des lippes de sa semblable à mesure qu’ils passaient du temps en ces lieux. Prisonnier d’un froid plus conséquent que celui qui régnait à l’extérieur, le Phare Nébuleux n’était pas sans conférer aux deux nouveaux venus une sensation glaciale au point de les faire exhaler ces souffles blancs : le givre arpentait le moindre vitrage qui se révélait à leurs mirettes et l’air s’appesantit sur toute l’architecture.

Peut-être un Détraqueur rôdait-il autour de ce monument depuis leur venue, après tout.

« Lumos. »

À cette douce injonction, la pointe de sa baguette réalisée en bois de glycine s’éprit d’un éclat opalescent, comme s’il s'agissait d'une orbe diaphane se joignant à celle manifestée par Inosuke pour mieux optimiser leur champ de vision.

La naissance nouvelle de cette lumière venant s’adjoindre à celle de son favori lui offrit l’initiative de contempler un tant soit peu ses atours. Sans qu’elle ne libère le moindre palabre quant à son action à venir, et très probablement encline à l’idée de lui faire montre d’attention pour qu’il puisse reprendre du poil de la bête, Shinobu s’approcha de cet enfant sauvage et arrangea d’une paume pleine de tendresse les plis et les pans d’étoffe qui le couvraient.

« N’as-tu pas trop froid, Inosuke ? », se plut-elle à demander au jeune homme, l’intonation pleine d’attention et d’honnêteté après son méfait de fermeture discrète de porte par le biais d’un subtil sortilège qu’elle n’avait pas eu besoin de formuler.

« Tu me promets de faire attention à toi quand nous monterons là-haut ? »

La question, porteuse d’une réelle affection qu’elle n’estimait pas nécessaire de cacher, résonna en un écho au sein de la salle étroite dans laquelle ils stagnaient tous deux depuis leur arrivée dans les environs.

Cette même main récemment vouée à arranger les frusques d’Inosuke pour couvrir les parcelles de peau qu’il serait susceptible de dévoiler durant ses élans d’enthousiasme se sépara de ses tissus. Bientôt, Shinobu le darda d’un regard singulier. Le membre de la maison du Loup n’y assistait certainement pas pour la première fois.

Lorsqu’elle pansait avec méticulosité ses plaies et appliquait ses cataplasmes réparateurs sur ses contusions quand son humeur se faisait trop aventureuse au point d’en négliger sa propre sécurité, la guérisseuse arborait là le même air au sein de ses prunelles faites d’ommatidies.

Son sourire s’amenuisa un tant soit peu. Sans se faire plus timide, la modestie qui se lisait dans l’esquisse de sa mimique n’était pas sans révéler un vieux rite qu’ils avaient développé tous deux et auquel ils se prêtaient lorsque des instants comme celui-ci leur étaient donnés. De son petit poing clos s’échappa son auriculaire, qu’elle présenta à son jeune associé afin qu’il puisse y entrelacer le sien.

« Promesse du petit doigt. »

Spectres, sanglier et papillon.

À peine la pulpe de sa phalange frôla-t-elle celle de Shinobu que celle-ci sentit la venue d’un regain d’intensité dans la courbe affable de son sourire. Initier ce genre d’accord dès lors qu’elle s’entretenait avec la Bête lui était devenu une joyeuse coutume à laquelle le Louveteau s’affairait à répondre pour son plus grand plaisir. L’énergie qui nimbait les moindres parcelles de la silhouette herculéenne d’Inosuke se mit à rutiler dès lors qu’il prononça son serment avec une attitude ferme et confiante, comme il en avait le secret.

Et ce même alors qu’il n’avait pas été en mesure de réfréner le soubresaut qui l’avait soudainement animé au boucan provoqué par la fermeture de la porte dont elle était la seule et unique responsable.

Si le spectre se dévoilait à eux et cherchait à leur nuire, nul doute que ce vaillant garçonnet serait le premier à bondir sur la forme diffuse d’un quelconque esprit vengeur … à supposer qu’il était possible d’en venir aux mains avec un ectoplasme aux contours brumeux. Or, rien ne résisterait au Seigneur de la Montagne — une titulature dont il s’était lui-même affublé depuis sa tendre jeunesse pour mieux assurer l’autorité qu’il s’estimait digne de recevoir de la part de ses séides, subjugués par sa prestance et sa vigueur.

Toujours est-il que Shinobu n’était pas dupe. Prompte à cerner la psyché de certains de ses jeunes camarades et deviner les intentions réelles derrière leurs déclarations, au point d’en devenir étrangement habile lorsqu’il s’agissait d’user de la psychologie inversée pour tirer profit de leurs failles, l’ambition d’Inosuke ne pouvait pas être aussi simple qu’une visite triviale, un soir gelé, dans les corridors austères et angoissants du Phare Nébuleux.

Non … il y avait autre chose, dans les intentions de l’explorateur en devenir. Si son seul et unique objectif avait été de sillonner la tour jusqu’à son sommet pour le plaisir et le frisson, sans doute aurait-il jugé favorable d’embarquer avec lui ses compères afin de mettre en spectacle son instinct affûté ainsi que ses déductions remarquables. Il n’aurait certainement pas démérité le respect de ses « subordonnés », comme il se plaisait à les nommer en leur présence sans s’inquiéter outre mesure du caractère potentiellement blessant d’un tel propos, surtout s’il était destiné à une âme susceptible et fragile.

Son bon flair l’invita à poursuivre l’ascension. Par le biais de la lueur opaline émise par sa baguette, l’occasion fut toute offerte à la membre de la maison Strixyst pour contempler le dévouement dont son guide faisait preuve. Discerner le contact entre la paume de la main du sauvageon et la rude surface du muret longeant les escaliers en limaçon sembla silencieusement la ravir, car ce détail, aussi subtil soit-il, prouvait chez son jeune ami une prudence qu’on ne lui connaissait peu. En saisissant qu’il était arrivé à l’étage supérieur, Shinobu releva son menton en sa direction, lui prêtant une oreille attentive si un élément du décor, dévoilé par l’éclairage magique qui s’épanouissait à l’extrémité de l’écorce taillée de son innumérable baguette, lui sautait à la vue et suscitait sa méfiance.

Son discours fut tout autre. Lorsqu’il en vint à s’enquérir sincèrement du bien-être et de l’état de la jeune femme qui le suivait sans discutailler, car probablement sujette aux réflexions pour lui jouer un second vil petit tour, la puînée Kochô haussa doucement les sourcils et ne put empêcher ses lèvres parées d’un pigment incarnadin de s’entrouvrir.

Une exhalation, laquelle se matérialisa en une nouvelle vapeur livide, lui échappa avant qu’elle ne se mette à esquisser la risette la plus douce qui soit.

« Tout va bien, de mon côté. Ta sollicitude est on ne peut plus admirable, dis-moi ! », entonna-t-elle en réduisant au gré de ses pas feutrés la distance qui la séparait de l’écolier. Arrivée à sa proximité, coquette et tout bonnement incapable de résister au désir irrépressible de lui faire montre d’une de ses taquineries, elle se mit à l’observer.

« Ai-je rêvé, ou bien … Inosuke, t’inquiéterais-tu pour moi ? ... »

Son poignet s’érigea jusqu’aux environs de la surface tonifiée de son épaule sculptée, et son index entreprit d’y céder quelques tapotements tandis que les galbes de sa bouche carminée se haussèrent d’autant plus.

L’idée simple de gagner la confiance de ce sorcier unique en son genre au point qu’il l’interroge sur ses ressentis lui fut si flatteuse qu’elle en viendrait presque à occulter totalement les sombres rumeurs si enclines à circuler sur ce phare, maudit selon beaucoup.

Les rencontres entre l’extrémité de son doigt fin et son protecteur temporaire se multiplièrent. Aussi eut-elle l’audace de taquiner d’un frôlement digital bref le groin de sa si effarouchante tête de sanglier, comme une mère le ferait pour jouer gentiment avec son petit.

« Tu es quelqu’un de très honnête avec tes sentiments. Je suis contente que tu sois venu me proposer cette petite visite ! »

Dans une gestuelle pleine de ravissement qu’elle se plaisait habituellement à manifester lorsqu’elle était l’auditrice d’une excellente nouvelle, la faiseuse d’élixirs joignit ses deux paumes l’une à l’autre sans jamais laisser s’échapper d’entre ses doigts sa propre baguette enluminée.

« C’est fantastique, Inosuke ! ❀ »

Toute enthousiaste malgré sa présence au sein d’un antre de mauvais augure tel que le Phare Nébuleux, Shinobu rayonnait. À son aise et pleine d’une maîtrise qui n’était pas sans rappeler les mordus d’histoires glauques en tout genre et qui trouvaient un authentique bonheur dans de telles escapades, elle avança en sa compagnie, non sans contourner la chaise vieillotte gisant au sol qu’il avait précédemment enjambée.

Cette pièce qui se dévoilait à eux devait sans doute être la salle de contrôle de ce monument auquel on confiait une effroyable réputation : le mobilier abandonné à même le sol semblait intouché depuis des générations, comme aurait pu le laisser deviner le dépôt de poussière qui s’était accumulé sur ses angles. Le fauteuil ainsi renversé s’ornementait malgré lui de quelques écheveaux toilés. Attentif à son environnement comme une bête forestière avançant en un terrain qui lui était inconnu, Inosuke avait porté son attention aux errances des arachnides qui longeaient les parois sans toutefois s’y attarder.

Le timbre caressant de sa voix émergea dans le silence sépulcral.

« Tu sais ... », entama-t-elle en se promenant avec une aisance stupéfiante au sein de la salle anciennement occupée par l’ancien propriétaire, ses prunelles d’un violet abscons se promenant d’un bout à l’autre de la pièce avec une patience singulière.

« Depuis tout à l’heure, je ne peux m’empêcher de remarquer que l’atmosphère s’est drastiquement refroidie ... »

Non sans lui faire dos, elle poursuivit. Si les nuances qui parsemaient les modulations de son ton s’étaient amenuisées afin de faire passer sa voix pour réservée, l’expression qui animait les traits doucereux de sa figure n’estompèrent cependant pas son sourire, devenu embarrassé rien que pour parfaire sa comédie.

« J’avais également entendu dire que toute personne frappée par la malédiction qui habite cette tour ... »

À jamais pourvue de cette lueur indistincte et secrète dans le regard, Shinobu tourna lentement les épaules en sa direction. La partisane de la maison au blason mauve contempla le faciès grossier de l’autoproclamé souverain des sylves, réduite un court instant au silence.

Puis elle reprit.

« … manifestait d’abord ce maléfice en sentant l’air se glacer autour d'elle, comme durant une rude nuit d’hiver ...»

Son Lumos fut en proie à quelques bizarreries ; la lumière de la baguette de Shinobu ternissait pour mieux jaillir la seconde suivante, quelques instants durant, à l’instar de la flammèche d’une lanterne qui menacerait de s’éteindre à tout moment lorsque l’on en a le plus besoin, et que les ténèbres menacent de jeter leur ombre sur nous.

Le halo luminescent de son catalyseur se refléta sur les contrebas du visage de la jeune femme.

Elle libéra une expiration, laquelle s’apparenta davantage à un soupir presque imperceptible.

Un souffle fait de frimas, à nouveau, la quitta.


« … Du moins, c’est ce qui se disait dans nos couloirs. »

Elle lui sourit.

La très insensible Shinobu, aussi vaste l’étendue de son affection pour ce brave combattant pouvait-elle être, ne put décidément pas résister à l’idée presque vile de multiplier de rocambolesques scénographies pour mieux taquiner son instigateur. Son aînée se faisait sournoise pour mieux percer à jour le mystère qui se jouait derrière ladite hure, et découvrir éventuellement ce qui se dérobait sous la frimousse de suidé dissimulant à merveille les tracés si délicats de son visage juvénile.

La sueur lui couvrait-elle les tempes ? Ses sourcils se fronçaient-ils sous un malaise flagrant ? Son gosier remuait-il sous les déglutitions ? Tant de questions qui ne manquaient pas de piquer sa curiosité.

La clarté de son enchantement retrouva sa régularité, enfin. Les clignements incessants cessèrent et, sans s’en inquiéter ne serait-ce qu’une seule seconde, la chercheuse s’approcha avec une quiétude inébranlable de son ami qui avait juré de la protéger.

« I-no-su-ke. ~ »

La mine délicatement joviale, elle sourit, cherchant à se faire radieuse dans la pénombre. L’envie lui vint de se planter tout à coup devant lui, faisant face à sa truffe  décorée de cette redoutable paire de défenses.

« Allons, allons ! Ne me dis pas que tu as peur ! »

À cette interrogation mutine s’ajouta un geste amical. Distraite, comme si les malheurs qui pesaient sur le phare ne la feraient jamais sourciller, elle apposa avec indolence sa minuscule paume sur l’épaule de son cadet sur laquelle elle entreprit de tapoter.

« Ne t’en fais pas si c’est le cas. Ce n’est pas si grave ! Je t’ai vu sursauter lorsque la porte d’entrée s’est refermée derrière nous. Tu ne peux pas me mentir ! Par ailleurs … », reprit-elle, avant de rouvrir les mirettes pour lui révéler ses iris couleur glycine.

Son rictus se figea sensiblement.

« … As-tu déjà tenu tête à un esprit ? Car, vois-tu, je serais sacrément surprise qu’il recule face à autre chose qu’une poignée de sel. »

Et la demoiselle n’était pas sans se douter que son courageux compagnon ne portait sur lui aucune escarcelle contenant une infime portion de ces cristaux réduits en poudre, et connus dans leurs contrées natales pour leurs vertus purificatrices dès lors qu’une créature surnaturelle et malfaisante faisait son apparition parmi les hommes.

Spectres, sanglier et papillon.

Non sans maugréer, il fit le choix téméraire de tourner les talons afin de mieux lui présenter son dos. Sûrement son honneur s’était-il terni à l’écoute de la question si mystérieuse de son accompagnatrice nocturne ; du moins, c’était là l’hypothèse qui émergea en son esprit lorsqu’elle l’entendit parler de … mettre du sel dans sa bouche.

Avait-il seulement saisi la subtilité de son interrogation ?

Il affirma, d’ores et déjà assuré de son triomphe dans un futur proche, qu’il exigeait une altercation en bonne et due forme avec ce fameux fantôme du phare dont ils n’avaient pas encore croisé le chemin. Nul doute que le grand Inosuke nourrissait l’espoir d’être le protagoniste émérite d’un face-à-face enivrant avec un trépassé, célébrant sa victoire bien méritée après pareille escapade vespérale dans les corridors glacés et peu accueillants du Phare Nébuleux, acclamé par la Strixyst qui veillait sur lui comme le ferait une mère.

Mais chaque enfant se voit un jour désemparé face à la dure réalité des choses, prompte à lui être révélée lorsqu’il suit les sillons supposés le guider jusqu’à l’âge adulte. Si la force et le courage qui caractérisaient le Lupy au point de lui octroyer des qualités que d’aucuns considéreraient comme nobles — comme pouvaient l’être sa vaillance, son hardiesse et son intrépidité, la demoiselle était bien au fait des lacunes dont il pouvait faire preuve lorsqu’il était question de la théorie. Sans doute n’avait-il pas prêté à certains cours l’attention qu’ils méritaient, au point d’ignorer, tout simplement, que batailler contre une apparition fantomatique ne serait pas chose aisée, et pour cause.

Il prendrait les armes contre un spectre qui, par définition, n’était déjà plus de ce monde car la Mort l’avait emporté.

Ni le plus éclatant des Lumos, ni le plus provocateur des discours n’auraient raison d’un tel être si rétif à l’idée simple de quitter la surface d’un monde qui n’était plus le sien. Peut-être un sortilège du Patronus parviendrait-il à faire reculer ce défunt, mais son ami sur qui elle veillait avec assiduité était, à l’évidence, trop jeune pour réaliser et maîtriser cet enchantement … ou alors elle ignorait encore certains de ses secrets. Il avait après tout un grand talent pour certains domaines et agissait bien souvent en autodidacte : et il ne serait pas impossible, après tout, qu’il rejette l’idée d’être épaulé par sa fidèle alliée qu’il cherchait à impressionner au point de l'empêcher d'intervenir.

« Utiliser du sel contre un esprit malveillant est courant chez nous, car il a des propriétés purificatrices et nous permet de les éloigner. Tu devrais demander à ta grand-mère », se permit-elle d’expliciter puisqu’il ne semblait pas avoir compris son dernier propos, un sourire impavide rehaussant ses lèvres. « Je suis persuadée qu’elle pourrait te renseigner mieux que moi. »

Mentionner cette vieille dame pleine de bonté ne lui parut pas incongru : il lui avait déjà semblé entendre ce jeune marcassin parler d’une gestuelle qu’elle réalisait quand il s’agissait de souhaiter au petit garçon qu’elle avait un jour recueilli la bonne fortune. Songeuse et concernée par le confort de cette grand-maman pour qui il avait tant d’affection, elle inclina la tête dans un mouvement des plus doux.

« À ce propos, sache que j’ai préparé de nouvelles pommades apaisantes pour elle. Je te les confierai lorsque nous rentrerons — ou plutôt … si nous rentrons ! »

Un pouffement lui échappa à son énième boutade. Coquette et pleine de malice, elle porta une paume à ses lippes pour dissimuler son amusement, incapable d’y résister en dépit de l’atmosphère lourde et pernicieuse qui s’osait à peser sur leurs jeunes épaules.

Or, le Louveteau ne put réprimer son envie d’en découdre. Très certainement poussé par l’un de ses énièmes élans d’impulsivité que ses pairs lui connaissaient bien, et muni de sa baguette qui lui avait été récemment confiée, elle put le contempler faire chemin jusqu’à une machinerie qui s’apparentait en tout point à un dispositif de contrôle.

Ce qui devait arriver arriva. Tel un enfant qui court à grandes enjambées au sein d’un musée pour fuir sa mère et goûter au frisson de l’interdit pour frôler le recoin d’un tableau, il échappa fatalement à sa surveillance.

Ses yeux s’écarquillèrent dès lors qu’il daigna esquisser un geste à l’encontre des installations. À l’instar d’un ingénieur en herbe qui ignore l’éventuelle portée de ses manipulations, ou d’un « aventurier prudent » trop impatient à l’idée de provoquer en duel un macchabée, le voilà qui se mit en tête de rentrer en contact avec la moindre touche qui se présenterait à lui sur la surface du plan de travail. Goguenard et plein de dédain face à l’absence de changement perceptible dans leur environnement d’ores et déjà plongé dans les affres de l’angoisse, irradiant de fierté et de détermination amenées par sa recherche du défi, il se vanta d’une telle manœuvre.

Jusqu’alors rayonnante et pleine d’entrain, l’épiderme ordinairement lactescent de Shinobu se para d’une ombre annonciatrice d’infortune.

« Inosuke. »

Oh, il avait plus d’une fois entendu ce ton-là.

Et il ne présageait en général rien de bon.

Sa vocalise perdit de son engouement, mais demeura la plus calme qui soit. Quel paradoxe était-ce pour elle d’être pourvue d’un sourire si doux qu’une seule de ses esquisses permettait d’apaiser les cœurs, et de détenir cette étrange faculté à revêtir une allure si oppressante dès lors que l’on allait à l’encontre de ses indications.

Elle était un poison renfermé dans une fiole de cristal.

Jadis pareil aux fraîcheurs nivales, l’air autour d’eux se resserra. L’aura qui émana des contours de la jeune femme se fit étrangement caustique : piquante tel un venin que l’on administre pour dissuader une âme trop inattentive, elle fit peser sur lui un regard si troublant qu’il en devenait insoutenable pour quiconque craignait d’être fixé un peu trop longtemps. Ses grands yeux, parcourus d’un enchevêtrement de stries comme auraient pu l’être ceux d’une libellule, firent peser sur le pauvre garçon leurs regards accablants et parfois si accusateurs qu’il était tentant de s’en détourner pour se dérober face à pareil vénéfice.

Plus froide encore que l’air qui les nimbait tous deux depuis qu’ils avaient franchi ensemble le seuil de l’édifice, elle se fit malgré tout souriante. Une singularité troublante qui, selon beaucoup, ne faisaient qu’empirer cette allure on ne peut plus effrayante.

« Est-ce donc trop difficile à comprendre ? Un combat à la loyale avec un fantôme. Qu’est-ce que tu t’imaginais ? »

L’acidité lui déliait sans ambages la langue tandis que, sous les pans amples de la cape qui reposait sur ses contours, ses doigts se refermèrent sur le creux de ses paumes. Poings serrés, l’idée d’ôter ses mirettes de la hure qui lui faisait face ne sembla pas un seul instant la frôler.

« Même avec toute la bonne volonté du monde, chercher à le confronter pour l’une de tes bagarres ne mènera pas à grand-chose. Quelle fierté espères-tu en tirer ? Un fantôme est déjà mort. Tu comprends ? »

Son rictus se mit à croître, cédant à son expression un air plus glaçant encore que la traversée au sein de cet endroit fait de poussière, de toiles et d’araignées.

« Cela signifie qu’il n’est plus en mesure de se battre, en plus de ne plus pouvoir tenir une baguette entre ses mains, Inosuke. Je ne sais pas ce que tu espérais en t’attendant à un combat à la loyale. Et sans magie, comment comptes-tu procéder ? Stranguler le vide ? »

Les planches se mirent à craqueler. Les environs se firent tout à coup plus frais ; et s’ils avaient jusqu’à présent l’étrange et perturbante sensation de se tenir au sein d’une brise polaire, le Lupy, qui était doté de sens affûtés lorsqu’il était confronté à son environnement, put sentir poindre en lui une étrange impression. Alors même que le vitrage donnant sur la baie et les remous de l’eau sous le clair de Lune vit s'étendre à sa surface les arabesques nouveaux du givre, une commotion pouvait désormais parcourir ses membres et lui cristalliser le sang qui lui était d’ordinaire si bouillonnant.

C’était à croire que les paroles âpres et douces-amères avaient eu pour don indicible de plonger son pauvre auditeur dans un lac dont la température avoisinerait le zéro absolu …

… Ou bien était-ce autre chose ; car la jeune femme, loin de se déposséder du traditionnel sourire passif-agressif qu’elle avait pour coutume d’afficher lorsque l’on mettait ses nerfs à rude épreuve, et ce pour mieux maintenir envers et contre tout l’ire qui vrombissait en son for intérieur, continuait de l’observer avec insistance. Sans donner le moindre signe d’une sensation pareille à celle du garçonnet, elle poursuivit.

« Tout ce que tu réussiras à faire, c’est attiser son courroux pour avoir profané son phare. Toutes mes félicitations. »

Les volutes d’une fumée abstruse en vinrent à taquiner les chevilles de Shinobu sans qu’elle n’en prenne connaissance — ou bien fit-elle le choix délibéré de l’occulter pour mieux se concentrer sur le sauvageon, ce sourire distant toujours inlassablement présent sur ses lippes maquillées.  

Une forme imprécise sillonna les arrières de l’exploratrice accompagnée de son meneur. La brume s’épaissit à mesure que les secondes s’écoulaient. L’oxygène vint à manquer, et la paroi de verre qui faisait lieu de baie vitrée dans cette salle de contrôle se recouvrit bientôt de gel jusqu’à son ultime écoinçon.

« Maintenant, je suis en colère. »

Déclara-t-elle, parée de sa sempiternelle mimique venue décorer les contrebas de sa figure encore éclairée par son propre Lumos. Une telle annonce assurait à elle seule plus de cauchemars que dix légendes superstitieuses à propos d’un défunt marin.

Et une Shinobu courroucée causait sans le moindre doute plus de peur à quiconque que l’ombre d’un revenant condamné à errer parmi les sorciers.

Spectres, sanglier et papillon.

Contempler cette échine ployée sous l’inévitable pression que semblait lui infliger la perspective de cette Shinobu à la colère grondante lui fut aisé. Autrefois assuré dans la façon qu’il avait de se tenir et de relever ses épaules musculeuses pour marquer l’indifférence royale que lui inspiraient les ombres de ce monument abandonné, Inosuke ne jouait désormais plus les héros arrogants.

Quel pouvoir la sonorité de la voix de son accompagnatrice et le poids de ses mots pouvaient-ils avoir, lorsqu’il était question de ce jeune prince des forêts. Voûté tel un enfant que l’on gronderait, la mine déconfite et quinaude, l’occasion lui était toute donnée d’assister à ses repentirs. Il ne suffisait que d’un coup d’œil en direction de cette silhouette soumise à cette soudaine confusion pour saisir qu'il s'était aussitôt assujetti à cette admonestation.

D’aucuns auraient trouvé la scène d’un pittoresque étonnant. Voir « le grand Inosuke » se faire aussi petit face à une femme au gabarit aussi modique que celui de Shinobu avait de quoi étonner quiconque assisterait à pareil tableau. Toujours est-il que la situation se révélait familière pour toute paire d’yeux encline à se poser sur eux : pour qui ne les connaissait pas, il y avait là fort à parier qu’on les confonde avec une mère et son rejeton un brin trop calamiteux sur les bords.

Sa vocalise, d’ordinaire si encline à s’élever en hurlements éraillés pour faire foi de son outrecuidance, se fit tout à coup bien fluette. Quelle ironie était-ce de ployer le genou à l’écoute d’une intonation aussi calme et veloutée que celle de sa comparse : bien au fait de la position de force qu’elle pouvait arborer dans de telles conditions, elle savait bel et bien qu’il ne lui était pas nécessaire de poursuivre outre mesure afin de s’assurer qu’il ne réitérerait pas de sitôt. Le Lupy, bien malgré lui, semblait avoir compris la leçon à la première froideur soudaine manifestée par la jeune femme.

Prise dans son harangue, elle n’agit pas davantage envers l’apparition venue arpenter les recoins de la salle où prenait place cette rocambolesque discussion. La brumaille cendreuse qui laissait peu à peu ses contours se définir au fil des secondes qui s’écoulaient s’éprit d’une forme humanoïde ; il n’avait suffit que de quelques instants pour que sa silhouette s’apparente à celle d’un homme à l’âge avancé. L’apparition semblait presque faite d’étain tant les teintes de ses vapeurs évoquaient celles des fumées les plus étouffantes.

Tout se révéla à Inosuke avec une clarté impressionnante compte tenu de la pénombre dans laquelle ils étaient plongés. Le jeune garçon ne put que contempler les détails frappants avec lesquels le faciès du spectre lui sauta à la vue. Des ridules venus parsemer les vestiges de son visage disparu jusqu’aux reliefs ciselés de ses yeux voués à leur octroyer un air d’incommensurable fatigue, le fantôme du Phare Nébuleux ne prouvait là rien qui n’échappait à la définition que l’on pouvait se faire d’un banal ectoplasme dans le monde magique.

Paré de ses frusques de marin d’antan et d’un couvre-chef qu’il avait dû enfiler maintes et maintes fois sur sa tignasse au cours de sa carrière, cet être nébuleux fait de brouillard fixait sur ce drôle d’écolier ses deux prunelles vidées de toute lueur de vivacité, pleines d’éreintement muet.

Quelque chose l’empêchait de s’exprimer : si certains auraient fait jaillir leur voix lointaine et extirpée des abîmes de la mort pour accuser les profanations d'un visiteur bien trop arrogant à leur humble goût, celui-là se fit étrangement taiseux. Mutique et en proie à un silence qui contrastait avec les bruits de couloirs de cette école dont il avait très probablement entendu le nom plusieurs fois au cours de ses dernières années d’errance, il ne pipa mot.

Était-il si interloqué de constater la présence d’un tel hybride au sein de son antre ? Ce drôle de sanglier qui fit vibrer de nouveau sa voix pour avertir son amie était bien excentrique dans son genre. Jamais il n’avait eu l’occasion de rencontrer pareil vagabond dans les murs de son seul repaire auquel la population prêtait de sinistres suppositions.

Sa baguette toujours tenue entre ses doigts fins, la demoiselle se tourna avec une patience déconcertante vers leur hôte. À peine son regard croisa-t-il celui du défunt que ses traits obscurcis retrouvèrent, bien curieusement, leur légèreté habituelle.

Il n’y avait que Kochô pour faire preuve d’un tel flegme dans un cas comme celui-ci. Pire encore, la présence soudaine du maître des lieux donnait l’impression subtile de la faire sourire, comme si le ravissement lui venait à la constatation de la présence du marinier. Ce n’était pas trop tôt, se mit-elle à penser …

… Et avant même qu’elle ne prononce le moindre mot, un contact prit naissance sur la parcelle d’épiderme frais de son poignet. La sensation de chaleur familière que la Strixyst ressentit à l’orée de sa main invita ses yeux à s’écarquiller sous le sentiment de surprise que lui partagea une telle initiative. Ingénieux et réactif, le partisan de la maison au blason rouge fit jouer de son imagination afin d’entonner la formule la plus adéquate pour aveugler la fantasmagorie qui venait de les rejoindre tout en ayant une meilleure vue d’ensemble sur leur environnement. Une lumière éclatante prit sa source à l’extrémité du catalyseur boisé de son cadet.

Le vieillard ne cilla pas.

Shinobu, mise en sécurité derrière la silhouette confiante et à nouveau valeureuse du natif des monts, contempla d’une œillade fort attentive celle qui leur faisait face avec une étonnante apathie. Sans doute accoutumé depuis fort longtemps à l’éblouissement qu’avait pour habitude de lui procurer le luminaire couronnant le sommet de la tour dont il avait été le fidèle gardien, il ne bougea pas d’un infime centimètre.

L’éclairage manipulé par Inosuke leur permit de le contempler avec un regain d’attention. Sitôt la réverbération de son sortilège projetée sur ses contours flottants et imprécis, il demeura mutique quelques instants au cours desquels il donna la sibylline sensation de pivoter un tant soit peu son regard vers la potionniste.

Coup d’œil auquel elle répondit par le biais d’un léger hochement de tête, comme si elle devinait sa soudaine circonspection à agir. Revêche et peu désireux à l’idée de batailler avec un adversaire aussi inattendu que ce jeune homme indiscipliné vêtu de cette hure originale, il dut pourtant se plier à l’indication silencieuse que lui partagea la faiseuse d’antidotes, honneur de marin pluricentenaire oblige.

C’était bien pour offrir à Inosuke l’impression grisante de le battre à plate couture qu’il avait conclu un marché saugrenu avec la doctoresse, quelques jours auparavant.

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« Acceptez de jouer la comédie pour le jeune élève que j’accompagnerai dans trois jours durant son expédition, et ce navire en bouteille sera à vous. »

Se tenant avec une sérénité frappante devant ce doyen qu’elle avait convié sans peur sur le balcon de veille où ils discutaient tous deux à la lueur de la Lune, la guérisseuse ôta des tréfonds de sa cape astrale et brillante l’antiquité dont il était question. Sa simple évocation se révéla suffisante pour intimer au fantôme le désir d’avancer subrepticement en sa direction afin de mieux détailler le brigantin finement ouvragé qui se trouvait dans le flacon.

Esseulé et rendu acariâtre par ces éons d’errance incessante, et peu familier aux discussions paisibles en compagnie de jeunes personnes pour qui il semblait avoir perdu toute estime, une réaction fugace en vint à le gagner. Haussant un sourcil en prêtant oreille à une requête aussi singulière que celle de Shinobu, il la darda d’un regard à la fois inquisiteur et critique.

« Il s’est mis en tête de réaliser une épreuve de courage en s’aventurant au sein de votre phare, et a décidé de m’emmener avec lui. Mais je le connais bien : c’est un garçon plein de vie qui ne recule jamais devant un défi … aussi, il n’est pas impossible qu’il aille jusqu’à manquer de respect à votre bâtisse dans le seul et unique but de vous provoquer pour vous faire réagir. En cela, je tiens à vous présenter mes plus plates excuses. »

Elle courba le dos et fit preuve de déférence, volontaire à l’idée de lui faire montre d’un respect profond. Quand bien même le matelot peinait à assimiler une gestuelle aussi caractéristique que celle-ci tant elle lui était encore méconnue, la délicatesse de la voix de Shinobu et sa politesse en dépit de cet échange de bons procédés qu’elle se plaisait à lui proposer ne furent pas sans susciter en lui l’aube d’une résignation.

« Monsieur le fantôme », dit-elle sans jamais se délester de sa risette courtoise et amène. « Si vous consentez à lui donner l’illusion d’être apeuré par ses tentatives d’intimidation, je vous prie d’accepter mon présent. »

Ses paumes s’avancèrent délicatement à son égard, et le spectre fit peser sur l’objet de décoration un regard songeur. Laconique, il ne put empêcher sa paire d’yeux d’osciller entre la jeune femme et le cadeau qu’elle lui offrait si généreusement. Nul doute qu’elle s’était procurée cette pièce dans l’échoppe d’un antiquaire de la contrée, et que la miniature était l’œuvre d’un véritable botéliste : en avisant les reliefs du navire prisonnier du verre, il plissa les mirettes.

Le grand voilier qui séjournait entre les parois transparentes n’était pas sans lui évoquer l’un de ces vaisseaux marins sur lesquels il avait un jour navigué en compagnie de son équipage, autrefois.

Non sans plisser les yeux, comme si la nostalgie le rattrapait tout à coup, il opina du chef sans plus de cérémonie. L’offrande quitta les paumes de Shinobu et fut attirée à lui par un quelconque élan magique, la faisant paresseusement flotter dans les airs.

Il accepta.