Crocheter de la laine dans un bateau, en voilà une idée saugrenue. Pourtant, Bob s'y attela avec toute la concentration du monde, bravant le danger des longues aiguilles tournant en tous sens. Son père serait certainement furieux de le voir faire, mais le jeune garçon avait une confiance totale dans le navigateur pour ne pas piler comme un bœuf au milieu de la mer et, quand bien même, il faudrait jouer de malchance pour terminer comme dans un Destination Finale ! Et puis Bob tenait à finir cet ouvrage. En effet, comme un devoir terminé sur un coin de table juste avant de le rendre, voilà le petit sorcier de retour à Bloombury dans une poignée de minutes sans avoir terminé ce qu'il s'était promis de crocheter pour le retour de ses vacances : une couverture, bleue, avec un cœur au milieu, pour lapin. Pourtant ce n'était pas un lapin qui feulait au moindre de ses regards dans la caisse de transport à côté de lui, mais bel et bien Calliope qui supportait aussi bien les voyages que Bob le vol sur balai. Il était certain que s'il fabriquait un tel accessoire à son chat il aurait une vie trop brève pour en valoir la peine, alors il destinait la petite couverture au lapin de Gen, Usagi. Il savait que cette attention ferait plaisir à son aîné qu'il comptait bien retrouver une fois revenu à Ilukaan.

Son visage blanchâtre était coloré par un large sourire depuis qu'il avait repris son ouvrage, une heure plus tôt. Certes, quitter ses parents avait été une véritable épreuve, presque aussi difficile que la première fois puisque l'excitation d'aller vers l'inconnu n'était plus aussi intense. Ilukaan, il commençait à connaître, commençait tout juste cependant, mais cela suffisait à ne plus teindre ses journées d'une couche grossière de découverte. Ce n'était plus qu'un mince verni, moins impressionnant, mais plus élégant et agréable. Alors qu'est-ce qui rendait Bob si heureux de repartir ? Tout d'abord plus il en apprenait sur le monde des sorciers, sur son école, mieux il digérait la quantité colossale de nouveautés fabuleuses qui peuplaient ses journées de première année. Il sentait moins son cerveau prêt à exploser sous le poids de l'excitation, de l'inconnu vertigineux qui lui faisait face et de son sentiment permanent de décalage face à tous ces gens qui étaient nés dans ce paradis, ou bien avaient déjà fait le nécessaire pour se l'approprier. Les sangs-mêlés ou nés-moldus totalement étrangers à la magie se révélaient peu nombreux et n'avaient pas eu l'idée de socialiser ensemble. On attendait plutôt qu'ils se trouvent des parrains, des marraines, pour répondre autant que possible à leurs questions et les intégrer.

Et c'était là la seconde raison qui motivait Bob à bêtement sourire en tricotant : il allait retrouver ses amis, ces personnes merveilleuses qui faisaient leur possible, depuis le premier jour, pour que Bob se sente chez lui à Ilukaan. Il songeait à Harry, évidemment, Tom peut-être un peu, aussi, mais surtout à Gen, Peter, Anya, même si cette dernière ne serait probablement d'accord pour jouer un tel rôle dans l'esprit de Bob. Mais elle était aussi sur le tableau des gens envers qui le garçon éprouvait reconnaissance et affection et qu'il avait hâte de retrouver une fois descendu du bateau. Voilà pourquoi il souriait. Partir d'Ilukaan retrouver sa famille fut un bonheur sans commune mesure, mais y revenir l'emplissait tout autant de joie. C'était un canadien, Bob, la joie de vivre c'était presque une religion pour lui.

L'arrivée à Bloombury fut aussi bienheureuse qu'épuisante. Tirant sa lourde valise d'une main, tenant la caisse de Calliope dans l'autre, il put heureusement s'aider d'un Wingardium Leviosa pour porter ses affaires jusqu'au parvis de la vaste école, où il arriva tout de même en nage car le chat pesait son poids et semblait faire de son mieux pour s'alourdir autant que possible. Les couloirs des dortoirs étaient en effervescence en ce samedi de rentrée et Bob fut soulagé de pouvoir enfin poser sa valise près de son lit. Harry et Tom étaient absents, sûrement en ville ou bien ils étaient eux aussi rentrés chez eux et n'étaient pas encore revenus. Bob avait la chambre pour lui tout seul, mais il ne saurait en profiter plus que de quelques minutes car il s'était mis d'accord par SMS avec Gen pour passer la journée en ville une fois qu'il serait revenu et il comptait bien ne pas louper cette sortie. Alors il vida machinalement le contenu de son sac à dos sur le lit, pour l'alléger, libéra Calliope pour qu'elle reprenne ses marques dans la chambre et il se rendit en vitesse à l'extérieur d'Ilukaan où Gen l'attendait.

- Gen ! Je suis content de te revoir ! Comment tu vas ? Dis, t'es vraiment devenu une madame hier au Dôme ?! Mais comment ça se fait ?!

Déjà le jeune garçon assaillait son aîné de question à peine ils venaient de se rejoindre, mais son sourire jusqu'aux oreilles et sa démarche sautillante ne pouvaient laisser aucun doute à Gen : le garçon était très content de le retrouver.

Voir Gen lui rendre son sourire réchauffa le cœur de Bob. Car, mine de rien, un 5 novembre à Bloombury il faisait assez froid et il avait plus que hâte de se réfugier à l'intérieur du café où lui et Gen avaient prévu de passer un moment à manger des sucreries. Tout en se frottant les mains il écouta le récit de l'étrange effet présent dans le Dôme la veille au soir. Les hommes devenaient vraiment des femmes et inversement ? Mais à quoi cela pouvait-il bien ressembler ? Dans son for intérieur le garçon regrettait de ne pas avoir été là pour en profiter ! Lorsque Gen dégaina son téléphone pour lui montrer ce que ça donnait sur lui et Peter, Bob senti presque sa mâchoire toucher le sol.

- Mais... C'est pas vrai ! C'est vous, vraiment ? Mais... Nan ! Mais nan ! Mais... comment ? Et puis... Mais c'était bien ? Tu te sentais comment ?

Ses yeux s'illuminaient de curiosité, mais il fallait bien rentrer dans ce café un jour ou l'autre ou ils menaçaient de finir congelés. Mais les explications de son mentor faisaient émerger en lui encore plus d'interrogations qui se multipliaient comme lorsqu'on souffle dans un jouet à bulles. Devenir une fille... Qui sait ce que Bob ressentirait à ce moment-là ? Il se promit qu'aux prochaines vacances il rentrerait le vendredi pour ne pas louper les facéties du Dôme !

- Oui ! Rentrons, j'ai faim, j'avoue ! Pourtant je pensais que le bateau me barbouillerait, mais ça va !

Les deux élèves passèrent la porte affublée d'un adorable carillon pour prévenir les tenanciers de leur arrivée. Et c'était sûrement utile vu la quantité de clients qui avaient bravé le froid pour se prélasser au milieu des chats affichant un flegme toujours impressionnant. Le café était si bondé qu'une pancarte sur une colonne face à la porte d'entrée affichait « A cause de la forte affluence chaque client ne pourra rester qu'une heure en notre compagnie, merci de votre compréhension ! »  

- Oh dommage on pourra pas rester longtemps ici, mais pas grave ! En une heure il y a de quoi prendre un bon goûter !

Il se tourna, visage lumineux, vers Gen pour voir s'il approuvait le plan. Il se frotta ensuite le visage avec ses mains, surpris de le sentir si froid. Bientôt il lui faudra acheter un baume à lèvres ou bien il se ferait taper sur les doigts par ses parents. Une jeune serveuse s'approcha d'eux, voyant qu'ils attendaient d'être placés et les salua avec bonne humeur en leur indiquant une des rares tables libres. Lorsque Bob prit place il scruta immédiatement l'ardoise disposée près des condiments et qui indiquait les nouvelles pâtisseries mensuelles.

- Alors, il y a un cheesecake chocolat... Un carrot cake avec glaçage... Un cupcake à la noix de coco... J'hésite ! Tu prendrais quoi toi ?

D'abord la collation, après la discussion !

La surpopulation du lieu et le chauffage au gaz faisaient leur effet, le corps et le cœur du garçon se réchauffèrent rapidement. Il retira la parka qu'il portait pour dévoiler un des nombreux pulls en laine dont sa famille avait le secret. Celui-ci était jaune poussin, strié de motifs blancs avec, en son centre, le portrait de Vaiana, la princesse Disney qui avait bercé l'enfance de Bob, son premier qu'il voyait au cinéma, à l'âge de 5 ans. Le portrait était réussi et puis le jeune garçon n'avait jamais peur du ridicule. Il estimait que ces pulls faisaient partie de lui, il les aimait profondément et ne comptait pas laisser le regard des autres lui faire changer d'avis. De toute manière, cinq jours sur sept il était en uniforme, ça réglait la question.

Lorsqu'il vit Gen caresser un des chats du café, il l'imita et gratifia le matou de grattouilles derrière l'oreille. Il s'estimait chanceux qu'ils en aient un qui vienne leur rendre visite, vu le nombre de clients qui souhaitaient tous kidnapper un des résidents pour leur bref séjour dans le café. Bob aimait les chats, mais à chaque fois qu'il interagissait avec d'autres que Calliope il avait le sentiment étrange de ne pas avoir le même animal que celle qui lézardait probablement sur son lit dans le dortoir. Calliope était un chat qu'on pourrait qualifier d'antipathique, n'appréciant que peu les caresses, ne s’épandant jamais en preuves d'affection et rouspétant souvent à l'intention de son jeune propriétaire, mais c'est ce qui faisait son charme selon Bob, c'est ce qui rendait les interactions intéressantes. Et lorsque, comme aujourd'hui, il était là à caresser un chat plus docile il avait l'impression d'être avec une peluche sans réelle volonté alors que Calliope avait une personnalité forte qu'il prenait plaisir à avoir à ses côtés, même si la chatte faisait tout pour montrer que c'était rarement un plaisir partagé.

- Mais oui t'es mignon le chat... Oh ! En parlant d'animaux ! J'ai quelque chose pour toi, Gen !

Il laissa son aîné commander presque un échantillon de chaque nouveautés pâtissières tout en fouillant dans la poche intérieure de son manteau, posé sur le dossier de sa chaise. Il dut se tortiller avec souplesse pour atteindre ce qu'il cherchait, tant et si bien que lorsqu'on lui demanda ce qu'il souhaitait boire, il répondit « Un coca ! Avec une part de carrot cake !» distrait, le nez dans ses affaires.

- Voilà !

La serveuse s'éclipsa en silence et Gen put voir le petit rouquin sortir de sa veste un morceau d'étoffe en laine, dépliée, elle faisait environ trente centimètres de côté, un peu plus longue que large, et avait un cœur en son centre un cœur magenta sur fond bleu sombre. Bob l'exhiba comme si c'était un excellent bulletin de note.

- Tiens ! C'est pour Usagi ! Une petite couverture pour l'hiver !

Le tissu cachait son visage, mais il avait la banane et le rouge aux joues, priant fort pour que le cadeau plaise à son mentor.

- C'est pour te  remercier de tout ce que tu fais pour moi ! Tu m'aides beaucoup !

Il tendit la petite couverture à Gen, toujours en quête d'approbation. C'était l'un de ses premiers ouvrages en laine qu'il avait achevé et il appréhendait un peu la réaction de Gen. C'était peut-être trop simple comme motif, peut-être que le cœur n'était pas bien placé, tout à fait droit. Pour peu il aurait préféré lui envoyer par courrier pour éviter ce moment d'incertitude.

Les petits pieds de Bob tapotaient frénétiquement le plancher du restaurant en attendant la réaction de Gen. Lorsque celui-ci, avec la plus grande sincérité, avoua qu'il appréciait l'attention du garçon il en fut si heureux qu'il trépigna sur sa chaise, tout sourire.

- Trop content que ça te plaise !

S'il savait ce que pensait Anya de son arrivée près de Gen et Peter, probablement qu'une sourde inquiétude nuancerait sa joie de vivre. Le jour où elle sera au courant de ce cadeau, ce qui ne saurait tarder vu son don, Bob aura fort à faire pour se rattraper à ses yeux... quand bien même il ne faisait que faire plaisir à quelqu'un qu'il aimait bien. Mais le don d'Anya lui aurait été utile pour connaître ce petit instant d'anticipation de Gen qui imaginait un tout autre cadeau que celui offert par son protégé ! S'il avait su qu'il aurait aimé un bon vieux souvenir... Il aurait quand même tricoté sa couverture, car Bob était têtu.

- Oui, j'ai fait ça tout seul ! C'est super si ça te fait plaisir, c'est tout simple, je sais pas encore faire comme mes parents, il attrapa son pull bien ouvragé, mais j'y arriverai un jour ! Ça m'a pas pris tant de temps que ça, je le faisais en regardant un dessin-animé, ça passait tout seul !

Ce qui était vrai. Bob avait acquis l'aisance suffisance pour commencer à tricoter sans avoir l'oeil constamment sur ses aiguilles. Il trouvait même ça classe, de tricoter sans regarder, mais pour le cœur il avait bel et bien usé ses quinquets sans relâche trois soirées durant, mais il ne le dirait probablement pas à Gen.

Et enfin la serveuse amena les pâtisseries ! L'odeur de la crêpe de Gen était envoûtante, embaumant toute la table, mais le carrot cake qu'avait pris Bob lui faisait envie aussi. Et puis il était soulagé de prendre une pâtisserie pas trop forte en sucre, crème et chocolat qui, après plusieurs heures de bâteau, le barbouillerait très certainement. Là il pouvait se faire plaisir ! En voyant Gen prendre en photo le goûter, le garçon l'imita et sorti un téléphone de taille standard, mais qui paraissait assez grand dans ses mains de pré-adolescent et il prit une photo pour l'envoyer sur le whatsapp familial.


- Ça a l'air super bon ce que tu as commandé ! Bon goûter !

Il démarra, comme à son habitude, par une gorgée de coca pour combattre la sensation de soif. Malheureusement, son palais ainsi saturé de sucre a manqué la plupart des subtilités gustatives du carrot cake, mais il ne s'en préoccupait pas, c'était délicieux malgré tout !

- Alors ces vacances ? Vous avez fait quoi avec Peter ? Moi j'avoue que j'ai beaucoup dormi... Mais avec mes parents on est allé voir un musée à Ottawa avec plein d'animaux de ferme, c'était trop bien ! Et puis ma maman m'a fait plein de bonbons patates, j'en ai trop mangé je pense, mais j'en ai ramené ! Tu voudras que je te fasse goûter ?

Il avait ce parlé rapide, même agaçant, de l'enfant trop excité par ce qu'il racontait. Le musée évoqué était celui de l'agriculture et de l'alimentation du Canada, qui avait toujours un immense succès auprès des familles. Le plus amusant dans ce portrait des vacances dressé par le petit garçon, c'est qu'il en occultait le plus intéressant, mais qu'il estimait anecdotique : il avait pu montrer à son père tout ce qu'il avait appris à l'école, émerveillant ce dernier comme il ne l'avait jamais été. Et oui, la mère de Bob s'était bien gardée de pratiquer la magie dans son foyer de moldus, et Bob n'avait pas trouvé le moment aussi marquant que son paternel car c'était des sortilèges qu'il avait pratiqué encore et encore jusqu'à la nausée durant ses premières semaines. Décidément, il devenait un vrai petit sorcier.

Le carrot cake avait la texture parfaite, légèrement sèche, et le goût léger et agréable dont Bob avait besoin. La part était plutôt grande pour un enfant de son âge, il en avait conscience, mais avec une pâtisserie pareille il pourrait tout finir sans problème, surtout avec un peu de coca pour faire descendre tout ça ! Mais, Gen avait raison, son dessert faisait envie au petit rouquin. C'était surtout le côté chaud et crépitant qui l'attirait. Le bout de ses doigts était rendu froid au contact de la canette sortie du frigo et il savait que quelque chose de chaud le réconforterait, mais il refusa poliment la proposition de son mentor.

- Oh non, c'est ta crêpe ! J'en goûterai une une autre fois, mais merci de proposer !

Non pas qu'il craignait des germes ou quoi que ce soit du genre, mais il n'aimait pas goûter les plats des autres à sa table, même si c'était proposé. Il ne saurait pas vraiment l'expliquer, cependant. Peut-être la peur de paraître pour un pique-assiette, ou bien une de ces nombreuses conventions de politesse qu'il a récupéré quelque part et dont ni lui, ni ceux qui l'employaient au départ, ne saurait en fournir une explication.

Gen semblait montrer de la curiosité pour ce que Bob avait fait durant les vacances, ce qui surpris le garçon qui s'attendait à un acquiescement poli, mais légitimement peu intéressé car on parlait d'un musée et de bonbons, rien de trop passionnant. Mais Bob était bien trop content de l'avoir intéressé pour ne pas sauter sur l'occasion de développer.

- Les bonbons patates c'est un dessert d'ici ! Y'a un peu de patate, mais on la sent pas beaucoup, y'a surtout beaucoup de sucre et du beurre de peanut ! Donc faut pas trop en manger ! Je t'en donnerai, j'en ai amené une bonne réserve.

Bob était gourmand, mais pas glouton, là était la nuance. Il adorait les sucreries, mais connaissait bien ses propres limites et n'en mangeait pas trop. Raison pour laquelle, malgré l'envie de goûter au cheesecake par exemple, il savait que le carrot cake passerait mieux pour son estomac chamboulé par le retour chez ses parents et les nombreuses plâtrées englouties.

- Et oui c'est un musée avec une ferme, on peut caresser les animaux et les nourrir ! Je te dirais de faire attention aux ânes, ils essayent de manger les manches de ton blouson quand tu tends la main vers eux ! On pourra aller visiter, c'est à Ottawa, c'est là-bas que je vis !

Effectivement se rendre à la capitale n'était pas le plus complexe pour les élèves d'Ilukaan, dans la mesure où la moitié s'y rendait régulièrement pour repartir dans les recoins du monde d'où ils venaient. Et puis le musée avait de l'intérêt pour chaque tranche d'âge, les enfants avaient les animaux et les adultes des expositions passionnantes sur la façon dont le Canada nourrissait sa population. Et c'est important la nourriture. Mais ce qui l'était plus c'était de savoir ce que Gen et Peter avait fait de ces vacances ! Et c'est là que Bob compris l'intérêt de ses propres vacances, car le couple s'était surtout reposé sans trop bouger de chez Peter ! Pour faire des économies, qu'il disait !

- Oh je comprends ! Vous devez être fatigués, il faut se reposer !

Il ne saurait jamais en désaccord avec cette philosophie, car l'adolescence approchant les nuits de Bob, chez ses parents, se rallongeaient de plus en plus. Il aimait de plus en plus dormir et somnoler dans son lit une fois réveillé.

- Ça me fait bizarre de vous imaginer vous marier... J'ai jamais vu des gens se marier ! Mais je suis sûr que ça sera super génial ! Je serais invité, dis ?

De toute manière on parlait là d'un futur lointain où Bob aurait atteint l'âge canonique de, ouh, quinze ans, donc qui sait ce qu'il ce sera passé d'ici là, mais à cet instant Bob avait vraiment envie d'assister à cette cérémonie. Peter et Gen c'était... c'était quelque chose de cool. Il pourrait pas verbaliser plus précisément ce qu'il ressentait en les voyant tous les deux, mais ça avait l'air trop bien ce qu'ils vivaient et c'était le plus important. Au fur et à mesure des cuillerées, le garçon venait à bout de son carrot cake et ne sentait pas son estomac s’alourdir. Il aurait pu prendre le cheesecake alors ? Flûte.

- Moi je serais chez les parents pour Noël ! Ils m'ont déjà « réservés », qu'ils ont dit ! Comme si j'allais fêter ailleurs ! Je sais pas ce qu'ils s'imaginent, ils doivent se dire que je me suis fait des dizaines d'amis, partout !

Il en riait car, effectivement, il n'était pas non plus à plaindre côté amitié pour ses deux premiers mois à Ilukaan, mais il ressentait tout de même une certaine gêne de devoir dire à ses parents que, oui, il avait des amis, mais pas tant que ça et qu'en général il traînait en solitaire. Ses parents s'inquiéteraient certainement en l'apprenant alors il comptait bien éviter le sujet.

- Tu dois en avoir plein toi, vu que t'es là depuis loooongtemps ! Tu parles souvent sur le groupchat donc je me dis ça !

Oh l'idée ! Oh l'idée qu'elle était belle ! Offrir des bonbons patates à Anya pour gagner un peu ses faveurs ! Bob avait beau ne pas être le plus clairvoyant du monde, il avait bien remarqué le manque d'enthousiasme, dirons-nous, de la deuxième année à son égard. Peut-être qu'elle s'en fichait de lui, était trop occupée, mais ce qui était sûr c'est que Bob souhaitait que cela se déroule bien entre eux, peu importe le temps que ça prendrait !

- Oh merci du tuyau ! Si elle aime le beurre de peanut elle va a-do-rer ça, je pourrais le parier !

Quoi de meilleur que les bonbons patates en même temps ? Il lui faudra résister le temps d'en offrir à Anya, mais une fois son méfait accompli le gourmand aura tout loisir de finir les nombreuses sucreries qu'il avait en stock. Tout en faisant attention, évidemment, car on a vite fait de tomber malade. La discussion se poursuivit ensuite sur le fameux musée aux animaux avant d'en arriver au mariage. Gen vendait ça comme un couronnement royal et quand bien même Bob n'avait vu aucune de ces deux cérémonies -celui de Charles III lui étant passé un peu au-dessus de la tête- il s'évertua à imaginer la chose sans trop laisser libre cours à ses fantaisies d'enfant. Ce fut peine perdue et ses pensées se peuplèrent bien vite de tenues scintillantes, de milliers d'invités, petits fours à gogo et même feux d'artifices parce que pourquoi pas. En tout cas ses yeux, eux, brillaient bel et bien de mille feux en écoutant le douzième année.

- Ce sera tellement génial ! J'ai hâte ! Hâte ! Hâte ! Quand je vais dire à mes parents que des amis vont se marier, tu vas voir qu'ils vont me dire « T'es vieux maintenant » ! Et c'est vrai que je me voyais pas aller à un mariage si tôt !

Bien évidemment il ne savait pas qu'avec l'immense facture dressée pour tout ce bazar, Gen et Peter ne se marieraient qu'à l'horizon 2026, et même s'il le savait ça n'aurait pas d'importance. Certes, pour un enfant le temps passe plus lentement que pour un adulte, mais l'avantage d'être arrivé à Ilukaan c'est qu'il savait sa route toute tracée pour de nombreuses années. Dans quatre ans il serait encore là, fidèle au poste et ne s'imaginait pas avoir déserté Gen et Peter, oh que non.

Mine de rien, l'heure filait vite au milieu des chats, des pâtisseries et du coca. Gen et Bob n'avaient pas tant d'occasions que cela d'avoir une grande conversation alors lorsque c'était le cas ils ne se privaient pas pour parler de tout et de rien. Ça faisait à Bob un bien fou parce qu'avec les enfants de son âge, quand on a onze ans, on parle de choses très précises, y'a des codes, des modes, des limites. Instinctivement il savait qu'il ne pouvait pas parler à ses camarades de sa tristesse, ses doutes, même la plupart de ses joies parce que c'était trop personnel et que ça mettait mal à l'aise. Non, avec les copains et copines faut discuter série, cours, sport. S'il avait de véritables amis ce serait différent, bien sûr, mais il n'avait pas encore eu le temps de s'en faire en première année. Au moins aujourd'hui il pouvait parler de choses importantes et ennuyeuses comme de sa peur de l'échec ou de ce qu'il connaissait pas dans le monde des sorciers comme cette terrifiante poudre de cheminette.  Sauf que petit à petit, le sablier arrivait à son terme.

- Messieurs ? Il va falloir laisser la place, leur annonça avec autant de douceur et de tact que possible la serveuse du café.

Bob cilla, ayant complètement oublié cette limite de temps. Il se voyait rester là encore des heures, peut-être même recommander du goûter.

- Oh ? Oh c'est dommage... mais je comprends ! On y va Gen ?

Une  fois qu'ils parvinrent à sortir, slalomant entre les tables pour aller payer leur dû, Bob insistant bien pour payer sa pâtisserie, Gen n'ayant officiellement offert que la boisson, ils se retrouvèrent à l'extérieur dans un froid, regrettant presque instantanément la chaleur réconfortante et les pensionnaires du Chapristi. Bob se tourna pour voir l'intérieur depuis la vitre, d'autres clients avaient déjà pris leur place et dorlotaient un chat dodu. Plus de retour en arrière possible. Il ressentait presque une vraie tristesse à cette pensée, mais haussa un sourcil destiné à lui-même pour se pousser à ne pas être trop peiné pour rien. Il préféra se tourner vers Gen et lui afficher sa meilleure bouille heureuse.

- Merci beaucoup Gen pour ce moment, c'était trop bon et trop bien !

Le garçon tressautait sur place, à la fois de contentement et de froid, malgré ses nombreuses couches de vêtement. Plutôt maigre, malgré son alimentation, il n'avait jamais acquis une quelconque résistance au froid et préférait de loin la chaleur réconfortante d'une cheminée ou même juste de l'été.

- Il faut que tu dises bonjour à Peter de ma part ! Il a pas répondu au dernier SMS que je lui ai envoyé ! Mais il doit être très très occupé !