À la surface de l’eau émergea une silhouette, à l’allure si dynamique que si des visiteurs s’étaient trouvés près d’elle, elle les aurait sans aucun doute éclaboussés par mégarde. Et même sous le flot de lumière inondé par l’astre solaire, l’on n’éprouverait absolument aucune difficulté à repérer cette chevelure flamboyante se distinguant tant du paysage marin qui s’étendait à l’horizon.

Elle réajusta sa position de manière à se tenir debout. Jeta un coup d’œil curieux aux alentours. Puis deux. Se tourna et se retourna furtivement, avant qu’un soupir ne quitte ses lèvres légèrement blanchies par l’eau trop froide.  

« Je les ai encore perdus … ! »

Nul doute qu’il s’agissait là d’une erreur répétée, vu comme Emma semblait peu surprise à l’idée d’avoir pu se détacher — une fois de plus — de son groupe de camarades avec lequel elle avait mené une escapade jusqu’ici. Elle avait tendance à se laisser emporter par les vagues un peu trop aisément, aussi légères soient-elles. L’idée que ses amis puissent se soucier un instant de sa disparition ne lui traversa pas l’esprit - pas même une seule seconde - et elle eut pour idée de prendre quelques minutes de repos avant de se lancer à leur recherche.

Ils devaient bien s’amuser, de toute manière !

La Lupy repéra un coin d’ombre non loin de là, et s’empressa de le rejoindre pour s’installer un instant. Un nouveau soupir lui échappa tandis que l’ombrage rendait du calme à ses sens, et la température agréable un peu de douceur à son corps épuisé par l’exercice. Elle pouvait bien profiter de cet endroit calme un petit moment … et rejoindrait les autres plus tard.

Mais alors que ses paupières s’apprêtaient à se clore un instant, bercée par les rayons chauds du soleil et le son apaisant des vagues s’échouant à quelques mètres de là, elle repéra, non loin d’ici, la figure d’un jeune garçon qu’il lui semblait déjà connaître. La vue d’un potentiel camarade fut une raison suffisante pour qu’elle se redresse immédiatement, se servant du sol granulé comme appui, comme si l’envie de s’assoupir lui était passée en une seconde à peine.

Une fois plus proche, ses lèvres s’étirèrent en un large sourire, tandis qu’elle agitait une main (toujours emplie de sable) en direction du garçon dans l’optique d’attirer son attention. Elle le savait, qu’elle le connaissait ! Il était le fils d’une de ses enseignantes favorites. Il lui rappelait Ray, quelques fois, de par son attitude ronchonne qu’il témoignait.

« Harold ! Tu fais des constructions dans le sable, à ce que je vois ? Est-ce que je peux t’aider ? » s’exclama-t-elle, déjà enthousiaste à l’idée de pouvoir s’amuser en sa compagnie.

Emma n’attendit même pas sa réponse pour venir s’installer à ses côtés, le nez déjà plongé dans toutes ses trouvailles. Et lorsqu’elle redressa ses iris trop agitées et qu’elle aperçut la professeur de sport un peu plus loin, elle se releva de nouveau pour courir à sa rencontre.

« Oh … ! »

À croire qu’elle ne savait véritablement pas rester tranquille.

« M’dame Sura ! Vous êtes de sortie vous aussi ? »

Le contact visuel établi avec l’enseignante sportive, et ce fut l’éclat d’un sourire qui illumina furtivement le visage de l’adolescente, tandis qu’elle laissait sa tête s’incliner un brin sur le côté dans un élan badin. Elle dévoilait sans mal, comme à son habitude, son allure candide, même devant l’une des enseignantes qu’elle portait en admiration à Ilukaan. Elle avait jugé bon, cela dit, de se maintenir en place quelques instants cette fois-ci, cessant de se dandiner énergiquement dans tous les sens,  au moins le temps qu’elle entretienne sa petite conversation avec la responsable de sa discipline favorite. En effet, aussi surprenant que cela puisse paraître, Emma était tout à fait capable de se tenir tranquille, lorsque la situation le requérait (ou plutôt, lorsqu’elle le voulait.)

L’évocation d’Harold la poussa à tourner la tête en sa direction pour rencontrer, une fois de plus, l’air ronchon animant son regard. Rien qui ne la déstabilisa plus que cela, et son sourire ne s’en élargit que davantage. C’est qu’elle était plutôt … accoutumée, à recevoir ce genre de menaces silencieuses, sans même qu’elle n’y prête grande attention. Un nouveau signe de main adressé à son cadet - ravivant sans nul doute son agacement - et Emma reporta de nouveau son attention sur son enseignante qu’elle écouta avec attention.

Elle acquiesça d’un geste vif, et l’on put comprendre à quel point l’idée semblait l’enthousiasmer.  

« J’trouve ça très amusant comme idée ! Harold ! » s'écria-t-elle, l'excitation à son comble.

Voilà qu’elle recommençait à se laisser aller, et la rouquine à l’Antenne s’était d’ores et déjà élancée de manière à rejoindre le petit Harold en quelques pas seulement. Aussi étrange que cela puisse paraitre, et aussi énergiques ses bondissements puissent-ils être, pas un grain de sable n’atterrit sur le garçon. C’est qu’elle savait se montrer habile, surtout lorsqu’il était question de manipuler son corps.

Elle s’installa en tailleur sur le sable face à lui, ses iris agitées alternant entre l’air grognon du petit Harold, et le tas de trouvailles qu’il était parvenu à amasser.

« J’aimerais beaucoup le faire avec toi, mes amis ne veulent jamais, eux ! »

Une mine boudeuse déforma les traits de son visage, se remémorant les nombreux « quel genre de gamine tu es, Emma ?! » qu’elle recevait à chaque fois qu'elle entreprenait une activité de ce genre. Bien que ne s’en formalisant pas plus que cela, elle devait bien admettre qu’il était bien plus amusant de monter ce genre de création à plusieurs plutôt que seule.

Un nouveau sourire saisit ses lèvres.

« Tu serais d’accord ? Si tu veux, on pourrait se répartir les tâches. J’t’aide à trouver tout ce dont tu as besoin, mais c’est toi le chef. Tu as l’air de t’y connaitre en constructions bien plus que moi ! »

Dans un élan curieux, la tête de la rouquine s’inclina un brin sur le côté, et son antenne parut presque suivre le mouvement, se penchant à son tour, tandis qu’elle observait Harold s’exprimer par le biais de signes de la main. Elle sembla un instant désorientée quant au message qu’il tenait à lui faire passer, et pourtant, à peine eut-il achevé sa manœuvre qu’Emma acquiesça d’un geste vif, son sourire ne la quittant désormais plus une seule seconde. Elle abaissa ses iris en direction du amas d’objets divers, et elle ne put s’empêcher d’en saisir quelques uns pour les observer de plus près. Nul doute que le fils de Nite avait l’œil pour ce genre de choses ! Emma avait hâte de le voir à l’œuvre.

« Ce sont de belles trouvailles ! Je suis sûre qu’on pourrait faire quelque chose de super joli. Imagine un peu, si tout le monde venait s’arrêter pour admirer ton beau château ? » s’exclama-t-elle, maintenant la tête dans les nuages, tout en s’imaginant d’ores et déjà quelque chose de véritablement grandiose.

Elle put remercier ses longues années passées aux côtés des enfants de l’orphelinat qui l’avait vu grandir :  c’était avec eux qu’elle avait le plus appris. Et lorsqu’elle avait dû apprendre à communiquer avec différents enfants, la directrice, celle que tous s’accordaient à appeler « Maman », avait jugé fructueux de les initier à une communication plus large. Dont la langue des signes. Emma ne la maitrisait pas à la perfection, mais elle était dotée d’une mémoire assez impressionnante, aussi n’aurait-elle pas de mal à assimiler les informations qu’il essaierait de lui communiquer, si elle se montrait un tant soit peu attentive. S’il y avait au moins une chance pour qu’elle échange un dialogue avec Harold, alors Emma la saisirait sans même hésiter.

Un coup d’œil fut jeté aux alentours, constatant l’étendue de sable qui s’éloignait à perte de vue. Puis deux. Furtif, mais attentif. Emma poursuivit dans le même élan enthousiaste, à présent lancée.

« Mhhhhh … j’pense qu’il faudrait déjà bien préparer le terrain, qu’est-ce que t’en penses, Harold ? On pourrait … utiliser une pelle en plastique par exemple, pour établir une surface plate ! Ton château tiendra mieux. Oh, oh, et aussi ! Si le sable est mouillé, je crois qu’il sera plus solide ! »

L’on pouvait lire dans son regard l’excitation qui la submergeait et l’animait à l’instant même, et elle se redressa instantanément, sans attendre de réaction de sa part. C’était presque si elle lui refusait d’exprimer toute réticence. Sans se départir de son comportement enfantin, elle posa ses mains sur ses hanches, prête. 

« Allez capitaine, on se rapproche de la plage ! Je m’occupe de tout transporter, si tu veux ! »

Redressée, elle s’attarda un instant sur le petit Harold qui, visiblement, tenait à ajouter autre chose, et elle en prit bien connaissance. Si l’appellation qu’il utilisa pour désigner sa figure maternelle l’intrigua quelque peu, la Lupy n’en fit pas le moindre commentaire (ses paupières qui avaient cligné plus furtivement dans un élan confus auraient pu, cela dit, mettre la puce à l’oreille quant aux interrogations qui la traversèrent). Au lieu de cela, Emma contempla encore une fois le paysage à l’allure estivale qui se dressait devant eux, et, après ce qui lui parut être un intense moment de réflexion, le silence fut brisé, marqué par un vif hochement de tête.

« Mhm ! Mes amis sont à quelques mètres, je vais récupérer ce que j’ai amené ! »

C’était presque si elle n’avait pas ignoré l’indifférence que le petit avait manifesté quant à la prestance que pourrait avoir leur beau château de sable. Cela n’avait pas été volontaire de sa part, mais Emma ne pouvait s’empêcher de voir grand. D’envisager les choses les plus grandioses. L’on pourrait la croire encline à se laisser submerger par la folie des grandeurs, mais lorsqu’elle avait un objectif, elle mettait absolument tous les moyens en œuvre pour l’atteindre, quoique cela puisse en coûter. Et si cela échouait, elle réessaierait jusqu’à obtenir un résultat positif.

Un vent léger souffla, bercé par les vagues qui se faisaient un brin plus bruyantes, et Emma put alors sentir l’air frais qui se dispersait gracieusement entre ses cheveux flamboyants, tandis qu’elle laissait au fils de l’enseignante sportive, le soin de porter ses trouvailles un peu plus loin, près de la plage. D’ailleurs, les avertissements dignes de contes pour enfants lancés par Nite lui arrachèrent un rire, alors qu’elle se tournait en sa direction tout en continuant son chemin vers un sable un peu plus humide, à l’aveugle.

« Vous en faites pas m’dame Sura ! Harold et moi on les battrait à plate couture ! » s’exclama-t-elle, les iris éclairées par une étincelle rieuse.

Puis, plus bas, à Harold, elle chuchota sur un ton qui laissait deviner son caractère bien curieux.

« J’aimerais bien en voir, des créatures des mers ! Pas toi ? D’ailleurs, je suis sûre qu’il doit y en avoir des gentilles. Il en existe des super géantes, comme le Serpent de Mer ! Tu crois qu’on peut en voir, ici ? »  

À peine eut-elle évoqué cette possibilité, qu’elle commença à s’éloigner doucement de son camarade de jeu, dans l’optique de récupérer ses objets de plage qui ne lui avaient pas vraiment servi aujourd’hui. C’était l’occasion de les utiliser ! Nul doute que ses amis soupireraient en la voyant arriver et repartir aussitôt, mais elle n’y prêterait très certainement pas grande attention.

« J’reviens Harold ! Je te laisse préparer le terrain en attendant ? »

« Emma ! Où est-ce que t’étais passée encore ?! »

La Lupy à la chevelure flamboyante s’était arrêtée net dans sa course, éclaboussant ses camarades de grains de sable par mégarde au passage. Ignorant leurs reproches mécontents, et sans même leur accorder un simple coup d’œil, elle s’empressa de rassembler ses instruments de plage crées de plastique, à l’allure absolument enfantine. Elle était pressée, semblait-il.

« Désolée, désolée ! » s’exclama-t-elle dans un rire, en rangeant sa pelle à l’intérieur de son seau lui ayant servi plus tôt.

Elle s’apprêtait à repartir aussi furtivement qu’elle était arrivée, mais c’était bien sans compter sur l’intervention d’un de ses amis, qui l’interrompit dans sa course en la saisissant par le bras. Parfois, il était nécessaire de l’arrêter dans son élan lorsqu’elle se laissait se submerger par l’excitation, et la ramener sur terre se révélait souvent être une tâche particulièrement ardue. La confusion saisit ses traits, se lut dans ses prunelles si expressives, et elle n’attendit pas que son camarade s’explique pour s’écrier (en faisant l’effort de ne pas se défaire de son emprise) :

« Quelqu’un m’attend, j’dois y aller ! Vous pouvez partir sans moi, je vous rejoindrai à l’école ! »  

Emma était appréciée de ses pairs, il s’agissait là d’un fait indéniable. Cela dit, elle avait cette tendance à se montrer si négligente qu’ils ne pouvaient s’empêcher de nourrir des inquiétudes à son sujet, notamment lorsqu’elle menait ses petits plans sans même en informer ses camarades les plus proches au préalable. Après quelques secondes à la considérer du regard, il se décida à la lâcher, en répondant simplement dans un soupir presque épuisé :

« Préviens, au moins. On t’attend, on reste encore un peu. »

Ce fut, à nouveau, l’éclat de ce sourire candide qui traversa les lèvres de la joueuse de Quidditch qui allégea le cœur de son camarade, et lui permit de la laisser s’éloigner sans s’inquiéter. Emma reprit alors sa course vive pour rejoindre le duo d’Ilukaan au plus vite.

Il ne lui suffit que de quelques minutes pour retrouver son enseignante favorite et son garçon, le teint clair animé par l’enthousiasme et la gaieté. En les voyant ensemble, il lui fallut un certain temps pour comprendre qu’elle n’aurait probablement pas la chance de connaitre le petit Harold davantage.

« Oh … » laissa-t-elle échapper, alors que l’information lui montait enfin au cerveau.

Sans que des idées sur son propre comportement ne lui traversent l’esprit, elle fut tout de même assez déçue de voir qu’ils s’en allaient aussi vite. Nite ne lui avait-elle pas demandé de s’amuser en sa compagnie ? Peut-être ne le voulait-il pas, lui. Emma ne s’en formaliserait aucunement, bien au contraire, elle aurait été rassurée qu’il le lui dise. La surprise mêlée à la confusion anima ses iris agitées, le regard alternant entre le garçon et sa mère. Avant qu’elle ne demande, d’abord à Harold, sur un ton étonnamment compréhensif et agréable :

« Tu voulais pas jouer, finalement ? »

Elle n’eut aucun mal à ponctuer sa phrase d’un petit sourire qu’elle voulut rassurant, et elle redressa son regard en direction de Nite, en posant ses mains sur ses hanches dans un élan dynamique. Il lui en fallait peu, pour retrouver son entrain qui la caractérisait tant.

« Désolée m’dame, j’espère que je lui ai pas fait trop peur ! » dit-elle, tout en se passant une main sur la nuque, un brin embarrassée. « Mais à l’avenir, je serai ravie d’apprendre à te connaitre, Harold ! »

Voilà qu’elle levait ses deux doigts à son adresse, formant un « V » bien joyeux tandis que son sourire ne se faisait que plus large et véritablement sincère. Peu importe à quel point le petit Harold pouvait se montrer réticent, pour elle, ce n’était là que partie remise !