D'ordinaire, Lukas était du genre matinal. Un héritage de sa vie dans son village qu'il avait conservé jusqu'à atteindre l'âge presque adulte. Mais ce midi là, il se surprit à toujours être silencieusement allongé dans son lit, son corps presque tremblotant. L'anxiété. L'inquiétude.
Il avait quitté le bal si précipitamment, la veille, sans avertir le moindre de ses amis. Pour quel genre de personne passait-il ?

Il se leva, enfila de quoi être décent, sans faire les efforts qu'il faisait la plupart du temps. Il parut presque négligé. Mais ce n'était pas grave, il n'allait que voir Rosta.
Un détour par pour s'emparer d'une tasse de café bien chaud, les fruits préférés du moineau en main, il se dirigea vers la volière. Le bruissement des ailes des oiseaux l'apaisait déjà.

Il hésita à entrer, restant presque figé devant la porte de la volière. Oh, et puis qu'importe.
Retrouvant son masque d'impassibilité, il entra. Ses pupilles pers se posèrent presque immédiatement sur le petit moineau qui piaillait en demandant son dû. Il ne remarqua même pas l'autre visiteur.

"Hej min fugleunge." Lâcha t-il en effleurant du bout du pouce des petites ailes délicates.

Et son regard, alerte, se pose sur la tête blonde non loin de là. Il fronce légèrement les sourcils, surprit.

"Arthur ?" Demande t-il.

En effet, il était plutôt plaisant de se retrouver face à Arthur de bon matin. Après tout, ils s'entendaient bien depuis leur arrivée à Ilukaan, et Lukas estimait pouvoir compter le britannique parmi ce qu'il qualifiait de "cercle proche". Cercle qui ne comptait d'ailleurs que lui, et Sofia. Mais Sofia n'était pas là, et il ne se sentait pas trop d'attaque à faire face à la tornade brune tout de suite.

"C'est toujours un plaisir de te voir." fait-il, alors que le blond s'approche de lui. Rosta sur les doigts, le moineau porte un regard attentif à la nouvelle présence, comme si elle tachait, dans sa petite cervelle, de remettre un nom sur le visage. Et puis finalement, le reconnaissant comme un ami, elle bondit sur les doigts de son maître, toute guillerette, avant de prendre son envol pour se poser sur l'épaule d'Arthur, comme pour quémander une embrassade. "Rostaaaa." grogne gentiment Lukas en la voyant faire.

"Oh non, tu n'es pas le seul." Il finit par s'asseoir. "Moi-même je dois avouer l'avoir plus subit que vécu." Ses lèvres se tendent en un demi-sourire narquois, sans doute se remémore t-il cette terrible soirée. "Mais je vais bien, merci. Tu as mauvaise mine si je puis me permettre."

Lukas l'avait écouté silencieusement, comme concentré sur les propos de son ami. Propos qu'il ne pouvait que trop bien comprendre. Lui, heureusement, tenait fort bien l'alcool. En même temps, quand on venait de chez lui, c'était une chose tout à fait banale. L'aquavit était le meilleur ami des nuits froides quand il fallait se mettre un petit coup de chaud dans le sang.

Il parait amusé un instant en voyant le britannique servir de perchoir à oiseaux. Rosta semble s'amuser des réactions du plus gros sac à plume, piaillant gentiment volontairement pour attiser la sympathie des pauvres humains qu'ils étaient. Mais Mint n'était visiblement pas dupe, et n'avait pas appréciée les manières du moineau.

"Rosta, si tu crois que je ne vois pas ton petit manège, tu te fourre les serres dans l'oeil." commente t-il, et la demoiselle, visiblement triste de s'être faite prendre à son propre jeu, finit par quitter l'épaule d'Arthur pour venir se nicher sur la tête de son maître.

"Je te rejoins sur le comportement de certains." ajoute t-il. "Je ne me rends moi-même que peu à ces évènements, justement à cause des débordements."

Bon, il disait ça, mais il était parfois lui-même l'instigateur desdits débordements. Mais lors de soirées où ceux-ci étaient tolérés, voire encouragés. Lors du bal de fin d'année de l'école, ce n'était pas vraiment le cas.

"Je serais peut-être resté au fond de mon lit. Mais je n'avais pas le coeur à rester seul cette fois-ci." Aah, voilà un aveu des plus énigmatiques de la part du norvégien, lui qui pourrait vivre le restant de ses jours scellé dans une éternelle solitude.

Il ne lui fallut pas longtemps avant de réaliser qu'il avait, peut-être volontairement, fait tourné la conversation sur son propre état mental. Une grimace presque imperceptible avait tiré sa lèvre inférieure. Helvete. Peut-être était-ce parce que Arthur était quelqu'un qu'il connaissait depuis longtemps qu'il se permettait autant de se dévoiler face à lui. Peut-être était-ce simplement parce que, pour une fois, il avait besoin de vider un peu son sac. C'était si dur à dire ?

Puisque c'était amorcé, autant aller jusqu'au bout des choses, non ?

"Je suis parti un peu rapidement. Je n'en pouvais plus. Trop de monde, trop de bruits, trop d'agitation. Et j'ai l'impression qu'il n'y a que moi que ça gêne."

Il avait balancer toute sa détresse sans prévenir, le regard flottant dans le vide. Parfois, il avait la sensation d'être une pièce rapportée, quelque chose de beaucoup trop différent pour s'inclure vraiment dans les activités des jeunes personnes de son âge. Et ça ne l'avait jamais vraiment dérangé avant. Avant. Maintenant, il sentait la différence le frapper brusquement. Quand les bruits trop brusque lui provoquait des angoisses qu'il ne parvenait pas à réfréner, quand toutes ses habitudes étaient chamboulées, comme si elles n'étaient pas importantes.

Et comme il aurait eu besoin de fuir dans sa Norvège natale, loin de tout. De trouver refuge aux pieds des fjords aux vents hurlants, juste pour y puiser la force de pouvoir affronter encore un jour de plus. En vain.

"J'ai hâte de pouvoir rentrer chez moi."