Après les cours

Vendredi, quatorze heure, la délivrance. Enfin plus ou moins.
Les semaines étaient de plus en plus lourdes et pesantes, surtout à l'approche d'examens et les Sortilèges étant une matière importante, la "dame de Vengerberg" était constamment occupée.
Plutôt que de retourner dans ses appartements, la femme avait décidé de s'orienter vers la salle des professeurs. Elle s'y concentrait mieux pour travailler, surtout à ce moment de l'année. Retourner dans sa chambre impliquait la procrastination sous sa forme la plus pure, c'est à dire se déshabiller, se glisser dans son bain et lire des romans de bas étage des heures durant en sirotant son jus de pomme dans une coupe de champagne. Après cela, elle se serait glissée dans un peignoir et aurait regardé des séries.
Un programme alléchant somme toute mais dont l'irrationalité dépassait l'entendement.
Contrairement à la croyance populaire, Yennefer était bien humaine avec des désirs et des défauts bien humains. Ce n'était pas un bourreau de travail vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept.
Par ailleurs, la salle des professeurs lui donnait une occasion de se sociabiliser avec ses collègues et de montrer que non, la Polonaise n'était pas toujours une pimbêche méprisante qui passe son temps dans sa chambre à élaborer ses cours ou la conquête du monde magique pour renverser toute autorité.
Bien que certains professeurs d'Ilukaan aient le don de l'ennuyer à des proportions inimaginables.
Peut-être était-ce avec la vieillesse qu'elle devenait plus impatiente qu'elle ne l'était déjà. Si elle ne le semblât pas, elle était bien plus proche du demi siècle que du quart.
À mesure qu'elle prenait de l'âge, elle se trouvait de plus en plus similaire à Tissaia de Vries, sa tutrice, la femme qui l'avait élevée.
L'instinct maternel et les désirs amoureux et sexuels en plus.

En entendant la porte s'ouvrir, Yennefer daigna lever la tête de son travail, brièvement, pour savoir si la personne entrant était assez digne pour qu'elle enlève ses écouteurs.

Fort heureusement, le professeur qui entra était dans ses bonnes faveurs.
Beaucoup plus jeune qu'elle à tel point qu'elle aurait pu être sa mère si elle avait pu avoir une grossesse précoce mais enseignant une matière qui intéressait beaucoup la sorcière polonaise et dont les discussions étaient en ce sens d'un intérêt certain.

- Bonjour Margaret.

Son ton était égal, sans émotions. "Simple politesse" diraient certains quant à ce salut, "Elle aurait pu ne rien dire ça aurait été la même chose".
Non. Si elle avait voulu ne rien dire, elle n'aurait rien dit.
Si Yennefer était difficile à cerner, une fois que l'on sait à peu près comment elle fonctionne, le tour est joué.

C'est que la Polonaise avait l'habitude de parler ainsi, cela empêchait ainsi de partager son état d'esprit et Yennefer détestait l'idée que l'on puisse lire en elle comme dans un livre ouvert.
Ironique puisqu'étant legilimens, elle était celle qui s'immisçait dans les esprits des autres. Chose qu'elle faisait moins souvent qu'on ne le pense, utilisant plus ce don comme un bluff.
Sauf avec ses proches.

Mais ça, c'est une autre histoire.

Après les cours

- Salut Yenna ! T’es toute seule ?

Difficile à croire qu'une telle figure altière accepte de tels diminutifs. Et pourtant, Yennefer ne s'énervait pas quant aux surnoms, bien au contraire, cela lui assurait sans doutes qu'elle était appréciée de la personne en question.
Pour la Polonaise, deux étaient de rigueur. "Yen", c'était une seule et unique personne qui avait le droit de l'appeler ainsi (la première qui lui parla ainsi), auquel cas, elle corrigerait derechef froidement le ou la malotru.e qui s'y essaierait.
"Yenna", c'était les autres, bien qu'elle demandât un minimum de proximité pour l'utiliser. Au même titre que "Janezscka" (Scrabble assuré). C'était court, concis... bref efficace. Puis "Yennefer" n'étant pas un prénom commun, sa porteuse n'avait pas de temps à perdre en explications que les trois-quarts de ses interlocuteurs oublieraient quelques secondes après.
Puis il n'était pas question que l'on l'appelle "Jennifer" comme si elle était une chanteuse populaire.

Cette parenthèse de faite, revenons à nos moutons.
Avant même que la Polonaise eut répondu, l'Anglaise s'installa à sa table. En soit, ça ne dérangeait guère la brunette, loin de là. Un peu de compagnie était bienvenue.
Regardez comme elle se sociabilise, comme elle fait des efforts. Enfin c'est un peu exagéré comme réaction. Yennefer n'était pas une ermite tout de même. Elle tenait à son temps seule, voilà tout.
En esquissant un léger sourire, elle répondit.

- En effet. Je cherchais une atmosphère propice au travail.

Elle restait quelque peu concentrée sur son travail. Plus tôt elle aurait fini, plus vite elle pourrait profiter de son week-end.

- Dis, désolée de te déranger, mais j’aurais une question pour toi, si tu le veux bien.

Elle ne répondit pas, ou plutôt n'eut pas le temps de répondre ou alors c'est parce qu'elle gaspillait sa salive, n'aimant pas, par nature, dire des phrases toutes faites ou qui pouvaient ne pas être dites.
En revanche, sa gestuelle fut telle, qu'elle n'était pas équivoque. Elle posa son stylo sur la surface plane de la table et arrangea ses papiers avant de les poser à une dizaine de centimètres de ses bras. Elle posa ses coudes, entrelaça ses doigts de ses deux mains comme un support et posa son menton dessus.
Cela voulait dire que la professeure de potions avait toute son attention et que ce qu'avait cette première à dire suscitait l'intérêt de l'aînée.
C'était bien plus parlant qu'un "Je t'écoute", prononcé le visage baissé vers les papiers.

- En gros, j’ai un problème pour une potion que j’essaie de créer. Ce serait une potion pour régulier directement un état d’hypoglycémie sévère, le but étant que ce soit un peu plus instantané qu’un morceau de chocolat, oui, c’est de la médicomagie, oui ça existe probablement déjà maaaaaais, je veux faire la mienne. Y’a plein de trucs dedans, comme du miel, du sang de salamandre, du jus de pomme, un ongle de griffon et…. Et je sais plus quoi, un truc que j’ai noté. Mais tu vois, il manque un petit truc, c’n’est pas instantané. Tu penses qu’il y aurait un sortilège ou quelque chose comme ça pour faire en sorte que les composants agissent plus vite sur le corps et si c’est possible, de faire ressortir le goût du jus de pomme ?

D'abord, Yennefer avala les informations diverses. Margaret, sous sa forme de boule d'énergie comme c'était le cas à ce moment, parlait vite et beaucoup. Ce qui n'était en aucun cas un mal et trahissait sa passion certaine pour son domaine. Elle devait être une professeure captivante pendant ses cours et les élèves.
En second lieu, la Polonaise tria les informations, ce qu'il était nécessaire de retenir. L'art des potions intéressait beaucoup la Polonaise malgré son cursus très axé sur les Sortilèges à Durmstrang et elle avait lu quelques documents de son propre chef dans le but d'en apprendre davantage. Ce qui était toujours utile.
Quant aux ingrédients, cela semblait bien tenir la route. Du miel et du jus de pommes, voilà qui réglerait l'hypoglycémie.

- Un sortilège accélérerait le processus oui. Il me semble que ça se fait beaucoup d'allier Sortilèges et Potions dans ce but. Et ce serait regrettable d'avoir le goût du sang de salamandre au lieu du jus de pommes. Je doute que tu veuilles faire cette potion pour des vampires. Peut-être utiliser le sort Riser, utilisé en cuisine comme exhausteur de goût. Tu l'appliques sur le jus de pommes deux à trois minutes avant de le rajouter à la mixture, histoire que le sort fasse effet.

Elle réfléchit un moment pour accélérer le processus d'agissement. Son accent polonais ressortait bien quand elle évoquait des sortilèges.

- Peut-être Fulgura Effusio, à la toute fin de la préparation, une quinzaine de secondes avant de la retirer du feu. J'ai ajouté le "fulgura" pour que ce soit encore plus rapide. Mais à vrai dire il faudrait essayer avec peu de mixture avant de prendre ce que je dis pour la vérité pure. Histoire de faire des économies de chaudron et d'énergie.

Elle était partie dans une longue et profonde réflexion.

Après les cours

- -Eh bien, on n’a qu’à essayer !

Tout de suite ? Ici ?
Ma foi pourquoi pas.

Yennefer ne pouvait pas être qualifiée comme quelqu'un de "raisonnable" au sens strict du terme. Enfin quand cela concernait ses décisions. Elle était déraisonnable mais pas irréfléchie. Bien au contraire. Elle était butée quand elle devait faire quelque chose, quelqu'un n'avait pas le temps de dire "ouf" que c'était déjà fait depuis dix minutes.
Bon c'est extrapolé comme exemple, un peu mais ça résume bien la personne qu'était la Polonaise. Par ailleurs elle était curieuse de voir le résultat de leur petite collaboration.
Qui ne le serait pas ?

Elle n'eut pas le temps de répondre que Margaret posa le chaudron sur la table. D'un coup de sa baguette d'ébène, Yennefer rangea ses copies dans son sac.
Simple précaution de sa part, l'heure n'était pas à l'inconscience.
Elle fixa de son regard violet le déballage des divers ingrédients nécessaires à la mixture par sa collègue. La Polonaise connaissait vaguement les prix du marché des différents produits, une chose était certaine: la valeur était loin d'être la même.


- Ah ! Le dernier ingrédient ! c’était des œufs d’ash euh…. ash…...ashwinder ! Quelle merde à prononcer, j’y arrive jamais.  Enfin, c’est des œufs congelés parce que sinon ils brûlent tout. C’est très bon contre la fièvre ! Quel est le rapport ? Je sais pas. J’en ai dans le congélo de mon labo, je reviens ! .

Attends... quel était le rapport ?

- Est-ce vraiment néces...

Inutile.

À peine avait-elle commencé sa phrase que la cadette avait déjà quitté la salle en trombe. Une vraie tornade cette Margaret, vivre avec elle au quotidien devait être épuisant.
Elle noua pour une fois ses longs cheveux noirs en tresse éparse, là aussi, au cas-où, mettant en valeur les angles de son visage et ses petites imperfections.
Nez un poil trop long, lèvres un peu trop minces et menton quelque peu en retrait.

Bizarrement, elle avait un étrange pressentiment à présent. Pas très positif pour être dans le vrai.
Toutefois, elle savait que sa collègue ne s'arrêterait pas outre mesure.
Telle une tempête, elle était lancée et quelque chose disait à Yennefer que Margaret n'allait pas s'arrêter en si bon chemin.
Cette dernière revint en fanfare, assez rapidement ce qui laissait supposer qu'elle avait couru, sa coiffure toute dépareillée par sa quête du dernier ingrédient.
Et une fois qu'elle pénétra dans la pièce, Yennefer sentit toute la mesure de son enthousiasme, à quel point ce projet l'enchantait.

Bien, essayons.

Il n'était pas question de s'arrêter non seulement du fait de l'allégresse de la potioniste. La brune était bien trop curieuse aussi.

- J’ai…. j’ai vraiment plus l’âge pour ces conneries que je m’auto -fait subir. 

Yennefer ne put s'empêcher d'éclater de rire. Non vraiment, elle avait quoi ? Trente ans ?
Elle avait encore toute la fougue de la jeunesse.

- Attends encore quelques années et tu réviseras ton jugement, comme quoi tu as aujourd'hui encore l'âge de tout ça.

À quarante-sept ans, Yennefer se sentait parfaitement bien, mieux qu'à n'importe quel âge. Pour elle, les années entourant son demi-siècle étaient l'apothéose de sa vie, le point culminant, les précédentes années n'avaient pas été aussi belles que les actuelles.
Quant au futur...
L'avenir le dira très certainement.
Mais la Polonaise le sentait radieux.

Enfin revenons à nos potions.

La sorcière brune l'observa faire, taciturne à présent, concentrée d'une certaine manière. Les sourcils froncés, visage qu'elle arborait quand elle travaillait, une légère ride se dessinant entre eux.

Elle glissa la note vers elle pour la lire avec davantage d'attention. Cela lui semblait cohérent.

- On s’y jette ? Je te laisse jeter les sorts si tu veux bien, j’ai plus de chances de les faire foirer..

Yennefer tourna ses yeux violets vers l'Anglaise et déclara.

- Laisse moi faire.

Elle approcha sa baguette des ingrédients qui nécessitaient un sortilège, conformément à ce qu'elle avait évoqué plus tôt. Elle était minutieuse dans ses gestes, assurée et efficace également, elle savait ce qu'elle faisait.
En revanche elle ne savait pas le tournant que ça prendrait maisl'heure n'était plus à l'hésitation.