Que ce soit le trajet de chez elle à l'aéroport, le vol de l'Allemagne jusqu'au Canada ou la route jusqu'à Ilukaan, Bernadetta l'avait vécu dans le même état hagard. A partir du moment où elle avait compris qu'hurler, frapper, pleurer ne servirait à rien, elle n'avait tout simplement pas su comment réagir. Aller à Ilukaan ? Et puis quoi encore ! C'était un enlèvement ! Autant la ligoter, lui bander les yeux et la transporter dans un sac que le résultat aurait été le même ! Enlevée par sa propre mère, vous vous rendez compte ?! Alors que tous ces futurs premières années, comme elle, semblaient émerveillés par l'école, Bernadetta ne pouvait pas tirer plus la tête. Qu'est-ce qu'elle faisait là ? Cette question ne cessait de tourner en boucle dans sa tête.

Elle avait assisté au discourd du directeur sans vraiment l'écouté. Trop perdue. Puis, la cérémonie avait eu lieu. Alors que certains étaient impatients d'entendre leur nom, elle, elle redoutait ce moment. Et si en s'approchant, elle trébuchait et s'étalait sur le sol devant tout le monde ? Et si la fontaine ne lui trouvait aucune maison ? Et si, encore pire, elle enfonçait même le clou en lui faisant parvenir un quelconque message qui lui dirait qu'elle ne méritait pas sa place à Ilukaan ? Et si... C'est une impression de déjà-vu qui la sortit de ses pensées et interrogations de plus en plus sombres. Elle se figea un instant, se demandant si elle avait rêvé. Pourtant, assise à la table d'une des maisons, c'était bien  Edelgard qu'elle voyait. Un visage connu parmi cette masse difforme d'inconnus.

Bernadetta se prit à espérer tomber dans la même maison qu'Edelgard. Peu importe que ça ne soit pas une maison qui lui convienne, aucune ne lui convenait à ses yeux. Puisqu'elle pensait ne pas avoir sa place ici, ne pas être assez bien pour l'école. Alors quitte à être dans un endroit où elle ne méritait pas d'être, au moins que ça soit avec un repère connu. Pas qu'elle soit particulièrement proche d'Edelgard. Elle ne l'avait jamais qu'aperçu à des soirées mondaines, à l'époque où son père arrivait encore à la traîner hors de sa chambre. Elle ne savait pas grand-chose d'autre que son nom. Pourtant, Edelgard lui avait toujours renvoyé l'image d'une étoile. Brillante et inatteignable pour une personne aussi médiocre qu'elle-même. Elle savait peu de choses sur elle, pour ne pas dire rien, cependant elle semblait si... combattive par rapport à Bernadetta. Pour une raison qu'elle ne comprenait pas vraiment, Edelgard forçait le respect chez la future première année.

Elle sursauta quand son nom fut appelé et s'avança vers la fontaine d'un pas tremblant, voulant juste disparaître sur place. A sa grande déception, la maison qui lui fut désignée n'était pas celle d'Edelgard. Retenant les larmes qui menaçaient de couler, elle alla s'asseoir à la table de sa nouvelle maison. Ne pouvant s'empêcher de lâcher des regards en coin et faussement discrets à Edelgard. C'était son seul repère, la seule figure un tout petit peu familière et Bernadetta s'y raccrochait désespérement. Le dîner qui suivit, elle avait envie de le fuir en partant en courant. Sauf que ça ne serait absolument pas discret et elle attirerait l'attention sur elle. Alors, malgré sa gorge nouée, elle mangea en silence. On pouvait remarquer un certain penchant pour les desserts d'ailleurs, le sucre étant la seule chose qu'elle trouvait pour la détendre au moins un peu.

Alors que se fit l'annonce des chambres et que tout le monde commençait à sortir de table, la première année eut un mouvement de panique. Edelgard s'était-elle levée, elle aussi ? Où était-elle ? Elle quitta précipitamment sa chaise, apercevant au loin la silhouette de cette dernière. Elle remua et se faufila entre les élèves pour l'atteindre, elle-même surprise d'oser "bousculer" ainsi les gens. En quelques enjambées, elle rattrapa finalement celle qui était son aînée de peu, essoufflée entre la course qu'elle venait de faire et la panique qui ne semblait pas vouloir diminuer. Dans son empressement, elle attrapa un pan de l'uniforme d'Edelgard, comme pour la retenir. A la seconde même où elle réalisa ce qu'elle venait de faire, elle se figea. Pause, pause, pause, elle avait osé ? Aussitôt, elle relâcha le tissu. Sauf que le mal était fait.

- J-je suis désolée ! Je me suis trompée de personne..., se justifia-t-elle de manière peu convaincante, le regard fuyant.

Elle ne pouvait même pas dire avoir besoin d'aide pour trouver sa chambre puisqu'elles n'étaient pas dans le même dortoir. Elle n'avait absolument aucune raison d'avoir approché Edelgard. Elle aurait dû se contenter de la regarder de loin pour l'admirer et se rassurer à la vue d'un visage familier et... Ah et si Edelgard ne se souvenait pas d'elle ? Peut-être même ne l'avait-elle jamais remarqué dans les soirées et simplement saluée par politesse quand la situation l'exigeait ? Ca paraîtrait encore plus bizarre qu'elle se soit accrochée ainsi à une "inconnue" ! Quoique... Si elle se souvenait d'elle, ça serait peut-être encore la plus honte, non ? Edelgard pourrait se demander ce qu'une personne aussi inutile faisait ici ? Et puis méritait-elle seulement d'approcher Edelgard, elle qui lui semblait si brillante ? Bernadetta recula de quelques pas, apeurée. Il fallait qu'elle fuit, non ? Comme elle savait si bien le faire...

Edelgard ne s’attendait visiblement pas à se faire aborder, comme le démontrait son cri de surprise et sa rapidité à faire volte-face. Evidemment, comme si elle aurait pu deviner que quelqu’un vienne s'agripper à elle ainsi. Non seulement elle osait venir la voir, prenant le risque de la déranger mais en plus elle ne mettait même pas les formes… L’envie de fuir pour ne pas faire face aux reproches supposés de l’allemande n’était que plus forte.

- ... Bernadetta ? C'est bien toi ?

Aussitôt, la nouvelle se fige, choquée que son interlocutrice se souvienne bel et bien d’elle. Elle en rougit même un peu. Elle ne sait pas trop dire si c’est une bonne ou une mauvaise chose. Dans un sens, elle est un peu flattée mais dans un autre, son pessimisme l’emporte vite et elle se répète que ce n’est pas forcément pour des bonnes raisons qu’Edelgard se souvient d’elle. Peut-être au contraire la méprise-t-elle, elle qui n’a jamais su s’intégrer et dont la timidité maladive n’a eu de cesse de la rendre ridicule au milieu des soirées mondaines. Et quand bien même la brune avait jusque-là une opinion neutre de Bernadetta, elle vient peut-être de tout gâcher. Elle ouvre et referme la bouche plusieurs fois mais les mots ne semblent pas vouloir sortir alors elle finit par se contenter d’hocher affirmativement la tête.

- Cherches-tu quelqu'un ? Si tu veux, je peux t'y aider.

La jeune sorcière tira nerveusement sur ses mèches de cheveux. Bien qu’une part d’elle avait toujours envie de fuir, qu’Edelgard ne se contente pas de la saluer et de passer son chemin lui donnait envie de saisir l’occasion. Même si discuter avec cette dernière l’effraie, elle craint encore plus la foule inconnue d’élèves. Et finalement, son aînée n’a pas l’air en colère… Alors si elle mesure ses paroles pour ne pas paraître trop agaçante et ne pas trop être un poids… Peut-être que tout ira bien et qu’elle ne se fera pas détestée. Peut-être même que ça sera l’occasion de sympathiser mais la nouvelle préfère ne pas trop y penser, qu’Edelgard ne lui reproche pas sa médiocrité serait déjà bien assez pour elle.

- N-non ! Enfin oui ! Oui et non… ? Mais même si je cherche, je ne trouve personne parce que je ne connais personne e-et puis je t’ai vu alors et… Mais je te dérange, c’est ça ? Aaah je le savais ! Oh, qu’est-ce que tu as encore fait, Bernie…

Evidemment qu’elle dérangeait Edelgard. C’était l’heure d’aller découvrir sa chambre, tout le monde avait mieux à faire que de s’occuper d’elle. Et c’était normal ! La rentrée, c’était éprouvant, ils attendaient tous de pouvoir enfin s’installer et prendre un peu plus ses aises. Et elle, elle se permettait de faire perdre du temps à la deuxième année qui devait déjà en avoir assez. En plus, qu’est-ce qu’elle pourrait faire ? Elles n’étaient même pas dans le même dortoir et si ça se trouve, en la voyant aussi paniquée, elle se sentirait obligée de l’aider et serait à cause d’elle dans une situation délicate et… Tant de craintes traversaient l’esprit de la jeune sorcière que ça en devenait difficile à suivre.

Bernadetta avait le regard fuyant, cherchant un point lointain sur lequel fixait son attention en vain, sa nervosité l’empêchant de rester en place. Sa “témérité” était bien vite partie et elle n’avait maintenant qu’une seule envie : fuir. Sauf qu’elle était bien trop figée sur place par la peur des conséquences et de l’image qu’elle renverrait à Edelgard si elle lui tournait le dos maintenant après lui avait fait perdre son temps comme ça. Elle ne pouvait qu’attendre avec appréhension la réaction de cette dernière.

- Non, tu ne me déranges pas, Bernadetta. Du calme.

La réponse étonna suffisamment la jeune fille pour qu’elle daigne enfin poser son regard sur Edelgard, comme pour vérifier qu’elle ne lui mentait pas et était bel et bien sincère. Il n’y avait aucune moquerie dans son regard ou dans son expression. Il est vrai qu’Edelgard ne lui avait jamais paru être ce genre de personne, cependant, elle ne la connaissait pas tant que ça non plus. Et même si elle-même était très mauvaise au jeu des apparences, trop émotive pour ça, elle avait bien conscience que l’image qu’on renvoyait à ces soirées mondaines n’était que trop rarement celle de la personne qu’on était réellement.

En même temps, il était difficile de deviner à quoi penser réellement Edelgard, elle conservait toujours une certaine impassibilité sur son visage. Bernadetta avait souvent admirer ce “self-control”, elle aurait aimé être capable de la même chose, surtout au sein de la haute société où son père le lui reprochait chaque fois qu’elle se ridiculisait. Ici, au moins, même si cette foule était étouffante, c’était différent, ça ne remonterait jusqu’aux oreilles de son géniteur… C’était sans doute pour ça qu’elle s’était permis d’aller vers quelqu’un. De plus, la gestuelle de son interlocutrice avait malgré tout quelque chose de rassurant, le fait qu’elle pose ses livres sur la table comme pour montrer que lui accorder un peu de son temps ne la dérangeait pas ou la manière dont elle approchait ses mains avec prudence, sans pour autant les poser sur ses épaules.

- Si tu veux, je peux te raccompagner à ton dortoir, une fois que les gens seront partis... Bien sûr, je ne peux pas rentrer, mais ça serait peut-être mieux pour toi si c'est plus calme aux alentours.

Même si c’était plus ou moins la raison pour laquelle elle était allée voir Edelgard, elle n’avait pas vraiment osé en espérer autant. Son visage s’était d’ailleurs illuminé en entendant ça et elle semblait moins pétrifiée sur place, hochant même vivement la tête.

- O-oui je veux bien ! Encore désolée… J-je te le revaudrais, promis !

Bernadetta avait encore cette mauvaise habitude de s’excuser sans arrêt, n’ayant pas conscience qu’un merci serait plus gratifiant qu’un pardon. De même, elle ne savait pas vraiment si c’était une bonne idée de lancer une telle promesse dans le vent alors que pour certains ça paraissait très peu que de la conduire jusqu’à son dortoir, néanmoins elle avait si peur de déranger qu’elle voyait chaque acte bienveillant envers elle comme une dette à payer. Et mieux valait la payer au plus vite plutôt que ça ne lui retombe dessus au pire moment. Edelgard n’avait pas l’air comme ça mais bon...