C’était le jour de sa première rentrée à Ilukaan. Mais pour Alice, ça ne voulait pas dire que ça. C’était aussi le jour qui signait officiellement la fin des cours à domicile. La brune ne pouvait qu’en être heureuse, elle qui avait toujours ressenti un grand besoin de liberté. Et même si elle avait dit à sa jumelle que peu lui importait la maison qu’on lui attribuerait, elle commençait à se prêter au jeu et avait hâte que ça soit son tour. La vérité, c’était qu’elle n’avait rien écouté de ce qu’on lui avait dit et ne savait plus vraiment à quoi correspondait chaque maison. Cependant, les encouragements des années supérieures flattaient son ego -qui n’en avait pourtant franchement pas besoin- et suffisaient à la rendre que plus enthousiaste.

Heureusement pour l’impatiente qu’elle était, son tour vint rapidement et ce fut l’emblème ursirre qui se refléta à la surface de la fontaine, très vite suivi du cri de l’ours. Ainsi, ce fut une pierre bleue qu’on lui remit. C’était un peu frustrant de quitter aussi vite le devant de la scène, mais d’un autre côté, elle avait hâte que la cérémonie se termine et que vienne l’heure du dîner. Perdue dans ses pensées, elle perdit quelque peu le fil de l’événement, jusqu’à ce que la foule s’agite pour quitter la pièce. Faisant déjà étalage de son fort caractère, elle pesta contre les élèves qui la bousculaient. Elle s’interrompit en entendant quelqu’un l’appeler. Et quand la brune vit le garçon blond, elle crut sentir son coeur louper un battement à son tour.

Oz ? Que faisait-il là ? Comme si rien n’avait changé, il se précipita pour la prendre dans ses bras. Il fallut quelques secondes à Alice pour se remettre de son étonnement, quelques secondes durant lesquelles elle se laissa simplement enlacer. Ou bien était-ce parce qu’elle ne voulait pas mettre fin à cette étreinte mais avait trop de fierté pour le dire ? Finalement, elle posa ses mains sur ses épaules pour l’éloigner et vérifier que c’était bien lui. Si Oz avait eu tout le temps de la cérémonie pour s’assurer que c’était bien Alice, elle, elle venait juste d’apprendre sa présence. Elle avait beau être du genre à se remettre facilement de ses émotions, il lui fallait quand même un petit temps d'adaptation.

- Un serviteur digne de ce nom n’aurait pas attendu tant d’années pour me retrouver ! Quel piètre serviteur tu fais, Oz !

Dans d’autres conditions, elle aurait pu s’en montrer vraiment agacée, mais là, le sourire qui illuminait son visage ne mentait pas. Il n’y avait aucun reproche dans ses paroles, bien au contraire. Alice était une jeune fille très expressive et le sourire qui fendait son visage montrait bien à quel point elle était heureuse de revoir Oz.

- Je suis désolé!

Une simple excuse sans plus d’explications. Ce n’était de toute manière pas nécessaire. Après tout, Oz n’y pouvait rien si leurs familles respectives les avait séparé. Alors pour cette fois, elle laisserait passer. Et c’était pour cette même raison qu’elle s’était contenté de ce reproche qui n’en était pas vraiment un. Le plus important était que tout redevienne comme avant, maintenant qu’ils étaient de nouveau réunis.

- Pas un jour n'est passé sans que je pense à toi, Alice.

En entendant ça et en voyant la montre, le sourire d’Alice s’était peut-être fait un peu arrogant. Elle n’était pas surprise d’entendre le blond lui dire ça, n’ayant jamais douté du contraire et avait toujours su qu’il conserverait précieusement la montre à gousset qu’elle lui avait offert mais en avoir la confirmation directe ne pouvait que la rendre fière. En même temps, Oz la tira à l’extérieur de la foule et ce fut pour le mieux car maintenant que la surprise des retrouvailles était passée, Alice n’aurait guère montré de patience face à toutes les bousculades.

- Moi, j’ai toujours su qu’on finirait par se retrouver ! On avait un contrat, après tout.

C’était sa manière de lui dire qu’elle aussi avait pensé à lui. Un peu maladroite pour elle qui avait du mal à mettre des mots sur ses émotions, malgré sa franchise mais pas moins sincère. Mentionner leur promesse -ou contrat comme elle l’appelait-, c’était comme lui dire qu’elle n’avait pas oublié et qu’elle avait attendu jusque-là l’occasion de la tenir. Et si le hasard ne les avait pas fait se rencontrer à nouveau, elle serait partie elle-même à sa recherche pour le punir du retard.

- Tu vas voir, cette école est vraiment fantastique! Il y a encore plus de cachettes que je n'aurais pu l'imaginer! On va bien s'amuser en dehors des cours. Surtout qu'on est tout les deux Ursirre maintenant.

Tiens, c’est vrai qu’il portait l’uniforme bleu, elle n’y avait pas prêté attention. Double raison de lui pardonner ! Non seulement ils s’étaient retrouvés, mais en plus, ils étaient dans la même maison ! Alice connaissait Oz depuis si longtemps qu’elle en aurait presque oublié qu’il était plus âgé qu’elle et que c’était logique qu’il soit là depuis plus longtemps. L’espace d’un instant, elle s’inquiéa du nombre d’amis qu’il avait pu se faire en son absence. Pas qu’il n’en avait pas le droit. Juste que… Elle devait rester la numéro un ! Maintenant qu’elle était là, elle devait être celle avec qui Oz passait le plus de temps. C’était son serviteur après tout, rien de plus normal.

- Tu as intérêt à tout me faire visiter, alors !s’enthousiasma-t-elle. Je veux savoir tout ce que tu as fait avant que j’arrive ! Ah, mais en premier, il faudra que tu me montres où on mange. Tu savais qu’on va avoir un grand repas ce soir ? Tu crois qu’il y aura de la viande ?

Ah, ça aussi c’était quelque chose qui ne changerait jamais.

- Il y a de tout! Suis-moi. Il doit déjà avoir quelques plats installés dans le réfectoire. En demandant gentiment, tu as peut-être des chances d'y goûter avant les autres.

Penser à toute la nourriture qui l’attendait faisait rayonner Alice. Et l’idée de pouvoir goûter à tout en premier, encore plus ! La brune s’empressa de suivre Oz, serrant sa main en retour. Fut une époque où elle n’y aurait même pas réagi tant c’était devenu habituel, mais là c’était étrangement nostalgique et serrer sa main lui confirmait en quelque sorte que tout était déjà redevenu comme avant. Tout en se laissant guider jusqu’au réfectoire, elle écouta ce qu’Oz avait à lui raconter par rapport à ses débuts à Ilukaan.

- C'est ma deuxième année ici, mais dès que je suis arrivé, je me suis directement sentie chez moi! Ça fait bizarre de voir autant de monde quand on est habitué au cours à la maison, je pense qu'on se rejoint la dessus.

Alice ne pouvait que confirmer. Toute cette foule réunie dans le dôme lui avait presque donné un sentiment de vertige. Heureusement, la brune n’était pas d’un naturel inquiet et ça n’avait duré qu’une demi-seconde avant qu’elle ne concentre ses pensées sur d’autres choses. En soi, ce n’était pas comme si elle avait peur des gens, malgré l’isolement dans lequel elle avait vécu. Elle était trop téméraire pour ça. C’était juste… bizarre comme le disait Oz.

- Mais tu verras. Les cours sont tous intéressants et les professeurs sont vraiment géniales. Les autres élèves sont gentils aussi. Je suis certains que tu n'aura aucun mal à te faire des amis!

La jeune fille grimaça à la mention des cours et des enseignants. Elle ne se souvenait plus de la liste exacte des matières enseignées, mais elle était sûre qu’il y en avait plusieurs où elle s’était fait la réflexion que ça avait l’air ennuyeux. Il faut dire qu’elle n’avait jamais été d’un naturel très studieux. Après, il restait malgré tout quelques matières qui l’intriguaient, notamment le vol. Elle avait hâte de s’y essayer. Mais pour autant, elle n’était pas sûre de trouver tous les cours aussi intéressants que le disait le blond. Quoique, dans un autre sens, elle se demandait à quoi ressembler un cours donné à une classe entière, et non pas juste à elle et Alyssa.

- Eeeh… Tu as toujours eu des goûts étranges, Oz !le taquina-t-elle.

Cela mis à part, c’était étrange comme ses paroles avaient quelque chose de rassurant. A cause du peu de relations sociables qu’Alice ait pu lier, elle avait souvent du mal à comprendre ce qu’elle ressentait. Et pourtant, quand elle discutait avec Oz, elle avait l’impression qu’il comprenait tout ce qu’elle ne réalisait même pas. L’idée qu’elle puisse avoir du mal à se faire des amis ne lui avait même pas traversé l’esprit et pourtant entendre Oz lui affirmer qu’elle y arriverait sans problème la rassurait. Comme si au fond, elle avait craint de ne pas savoir comment s’y prendre à cause de sa maladresse en sociable, associée à son fort caractère.

- Mais tu n’as pas besoin de me rassurer, je sais que je vais y arriver ! Je réussis toujours, s’exclama-t-elle avec un large sourire.

Alice haussa simplement les épaules alors que le blond expliquait être juste curieux. C’était une façon de voir les choses. C’est vrai qu’Oz avait toujours été quelqu’un d’assez curieux. Enfin, dans tous les cas, tant mieux pour lui si tous les cours l’intéressaient autant. Elle aussi tâcherait de s’amuser à Ilukaan. Et pour ça, rien de mieux que de commencer par se remplir l’estomac. Ils venaient justement d’arriver devant la cantine et l’odeur des différents mets lui chatouillait déjà les narines. Comme demandé, la jeune fille attendit sagement qu’Oz aille s’enquérir auprès du personnel. Quelques minutes plus tard, le voilà qui revenait avec une assiette de nourriture.

- Ce n'est pas grand chose, mais ça te donnera un petit avant goût du repas qui t'attends tout à l'heure.

Le regard de l’Ursirre s’illumina alors qu’elle le posait sur le contenu de l’assiette. Décidément, Oz était vraiment le meilleur ! Elle attrapa l’assiette, ne sachant pas par où commencer. Enfin, si, par la viande, quelle question ! La brune n’était pas assez patiente pour attendre d’être installée quelque part et était déjà en train d’entamer la brochette. En même temps, elle secoua la tête pour répondre à Oz, malgré le fait qu’elle avait la bouche pleine.

- Tu rigoles ? C’est génial, en plus il y a de la viande ! Finalement, tu n’as peut-être pas perdu tes qualités de serviteur !

Lui offrir de la viande était probablement l’un des meilleurs moyens pour gagner des points et la rendre heureuse et Oz ne l’avait visiblement pas oublié. Enfin, ça aurait été compliqué vu comme son amour pour la nourriture était un trait de caractère à lui seul.

- Je te propose d'aller se poser dans le parc pour manger et discuter tout les deux? Il fait encore bon, autant en profiter!

La brune hocha aussitôt la tête. Rester plantée là n’était peut-être pas le plus pratique et bougeait jusqu’au parc lui permettrait au moins de visiter un peu Ilukaan.

- Je te suis, indiqua-t-elle.

- Ça a été le plus dur à négocier cette brochette, mais tu le mérites.

Pour toute réponse, Alice se contenta de lui adresser un énième sourire, reconnaissante. Bien qu’elle se reconcentra très vite dans la dégustation de sa brochette, tout en suivant Oz jusqu’au parc. Souvent, quand elle mangeait, Alice n’écoutait plus vraiment ce qui se passait autour d’elle, mais cette fois-ci, elle fit l’effort de se montrer attentive à ce que lui disait Oz. Aussi parce que l’entendre lui raconter sa première année lui faisait chaud au coeur. La plupart du temps silencieuse, elle s’arrêtait parfois pour le taquiner, notamment lorsqu’il parla de certains accidents de potion, mais aussi d’autres fois à l’inverse pour vanter ses “qualités de serviteur” lorsqu’elle était impressionnée par ses réussites. Ou juste pour faire part de son impatience d’apprendre à voler elle aussi, glissant de temps en temps quelques anecdotes de ce qu’elle avait pu faire pendant ces années de séparation, elle aussi.

C’était comme si cette simple promenade avait pour but de rattraper toutes les années passées loin de l’autre. Comme si, tout ce qu’ils avaient à faire pour rattraper tout ça, c’était se raconter ce qu’ils avaient fait, chacun de leur côté durant tout ce temps. Parce qu’au final, la seule chose qui avait changé, c’était ces mois passés loin l’un de l’autre. Leur relation, elle, était restée intacte. Ils avaient tenu leur promesse.

- Au printemps, ce serait sympa d'organiser un thé dans le parc.

Relevant la tête de son assiette déjà presque terminée, elle fixa à son tour le paysage. Et elle ne pouvait qu’approuver l’idée d’Oz.

- On a plus qu’à rencontrer pleins de gens pour pouvoir tous les inviter !