"Need some help ? »

Bien que la visite chez le conseiller d’orientation, monsieur Marvin Harmonia, avait été plutôt utile quant à sa recherche de voie, Kenny devait avouer qu’il demeurait encore perdu. Est-ce qu’il trouverait un jour le métier qu’il pourrait pratiquer sans trop que cela ne lui coûtait cher ? Surtout y arriverait-il ? Il eut même la drôle d’idée de faire de grandes études mais il fallait cependant qu’il trouve un job étudiant à côté et si possible une bourse étudiante. Un prêt peut-être ? Arf, aucune banque accepterait de lui céder de l’argent vu l’absence de crédibilité de ses garants. Finalement, il allait devoir trouver quelque chose qui lui plaisait parmi les plusieurs pistes données par Marvin. N’étant pas d’humeur à se creuser la tête tout ce week-end, Kenneth préféra opter pour cette fois pour un beau samedi à s’amuser et à peut-être même faire quelques paris et comme il pouvait se permettre d’abandonner son uniforme qu’il détestait pour plusieurs raisons que les gens pensaient pourtant ridicules, l’adolescent eut le plaisir de retrouver sa chère et tendre parka orange. Bien sûr qu’il allait crever de chaud à l’intérieur, mais au moins il s’y sentait bien et personne ne pouvait juger sa maigreur même si ça paraissait apparemment amusant pour certains de voir un petit bonhomme de seize ans pas plus grand qu’un élève première année avec un habit trois fois trop grand pour lui.

En quittant sa chambre, il tenta de trouver mais en vain Naib et quelque peu déçu de ne plus trop le voir depuis la rentrée, il se résolu à quitter la maison pour se promener. Finalement ses camarades étaient fatigués de leur première semaine de cours et souhaitaient vraisemblablement se reposer ; dans ce cas, il ne pouvait faire aucunement l’abruti ou proposer ses services pour gagner un peu d’argent. Il allait devoir s’y faire et puis ce n’était pas comme s’il avait gagné pas mal de billets pendant les vacances juste en fumant un piment. Toutefois il n’avait pas envie de rien faire de sa journée, il ressentait le besoin de faire une quelconque activité. Du sport ? Non, jamais. Vu sa malchance, il passerait son temps à trébucher et à se faire mal. La dernière fois qu’il avait fait du saut à la perche, il avait manqué de mourir et s’il utilisait lors de ses jeux de rôle en grandeur nature un arc en plastique, ce n’était pas pour rien. Embêter Kyle ? Le pauvre devait sans doute réviser ou faire un compte rendu à sa mère sur sa première journée, s’il avait bien pensé à boire, manger, se moucher… Quant à Naib, il demeurait pour le moment introuvable mais il espérait le croiser dans la journée pour lui dire à quel point il lui manquait. C’était fou comment il pouvait parfois s’attacher à certaines personnes.

Alors qu’il énumérait dans sa tête toutes ses connaissances qui auraient éventuellement besoin de son aide, il se souvint qu’un professeur passait parfois du temps dans les cuisines. Oh, sans mauvais jeu de mot, il était une véritable daube en la matière et serait sans doute tenté de voler quelques fruits au passage pour si jamais son rat, un ami ou lui avait faim, mais il pouvait toujours proposer de mettre la main à la pâte. Le blondinet prit de nouveau le chemin du bâtiment avec son animal de compagnie sur l’épaule et toujours la capuche sur la tête. Sans doute lui demanderait-on comme à l’ordinaire de montrer ne serait-ce que son visage, mais il allait devoir énormément argumenter si on souhaitait lui faire retirer son vêtement. Et puis, les tabliers devaient être assez grands pour lui, non ? Il arriva dans les cuisines et comme il était question d’être poli, il tapa à la porte avant d’entrer.

« Hmmphmmpf ! Hmmpf-hmmfoi. Hm-fhmmmpf hmmpfer ? »

"Je veux être assistant ! »

Les senteurs chatouillant les narines de Kenneth lui ouvrirent l’appétit. Il avait à présent un petit creux mais il devait s’abstenir de demander de la nourriture jusqu’à l’heure du repas car il se devait quand même de garder un rythme correct surtout qu’il savait comment il pouvait parfois se montrer vorace. Le professeur se tourna vers lui pour l’accueillir avec un sourire Colgate et Kenny l’écouta. Lui ? Cuisiner ? Il cuisinait comme un pied ; il pouvait mettre des gaufres surgelées dans le grille-pain à la limite, mais vu comment ils manquaient de moyens chez lui, jamais il n’avait tenté de mettre en pratique quelques recettes trouvées par-ci par-là. Peut-être qu’il devrait demander à essayer un jour, remarque, c’était ce qu’il allait faire puisqu’il allait demander à rendre service.

« Hmmpf hmmmpfi hmp hmmmphmmmmphmmmpf hmmpfhmmmmpf hummmmpf. »

Il était conscient qu’il ne pourrait pas faire payer son professeur, il ne voulait pas prendre le risque d’une heure de colle, de faire perdre des points à sa maison et de se faire tuer par ses camarades. Bon, après il ne pensait pas être assez détesté pour qu’on veuille sa mort pour cette raison. Naib avait peut-être manqué de lui enfoncer sa tête dans les cuvettes des WC mais c’était uniquement parce qu’il avait fait la bêtise de le prendre en photo avec son propre portable avec une peluche aux motifs fort… douteux. Quand même, ça l’avait bien fait rire cette histoire. Le jeune blondinet commençait à avoir chaud mais préférant toujours perdre connaissance faute d’hyperthermie que de retirer sa parka. Puis s’il pouvait rester une journée sur une île avec son gros vêtement chaud alors il pouvait passer des heures dans les cuisines d’Ilukaan. Du moins, c’était ce qu’il pensait.

Le regard bleuté du jeune homme se balada sur le matériel déjà sorti. Il avait entendu dire que c’était pour bon pour les yeux mais il se demandait en quoi. C’était comme les carottes. Est-ce que les légendes sur les végétaux étaient fondés ou alors était-ce une conspiration d’un gouvernement mondial pour les forcer à manger des plantes ? C’était là, la bonne question. Une idée germa dans la petite caboche de Kenny qui regarda de nouveau le professeur.

« Hmpf, hmmpf hmmmphmmmpf hmmpf fhmmhmmhmmmpf ? Hmmpf hmmmmpf hmmmmphmmmpf ! »


Après tout, s’il apprenait à cuisiner, peut-être qu’il pourrait un jour faire plaisir à sa petite sœur et ça, rien ne le rendrait encore plus joyeux car il préférerait toujours vivre pauvre mais voir Karen sourire que riche et la voir pleurer. Quel grand frère poule était-il et il l’assumait entièrement. Le grand Mystérion lui fera un jour des muffins aux myrtilles, il se le promettait.

"Le tablier de la honte »

"Adieu petite Parka ! »

Quelle âme charitable, vraiment. Kenneth pouvait aller déposer sa parka et se présenter encore plus aux cuisiniers avec sa tenue de petite fillette. Oh ça ne le dérangeait pas normalement de ressembler à une fille, son costume de Princesse Kenny pouvait en témoigner, vu qu’il adorait grandement être quelqu’un d’autre le temps de quelques heures, mais là, il n’avait pas à justifier sa fine taille par la race des elfes et compagnie. Puis même… Un tablier pour enfant ? Le respect était-il mort à ce point ? Même une blague sur sa mère l’aurait moins dérangé comme « ta mère est tellement alcoolique que lorsqu’elle passe l’examen de l’éthylotest elle aspire au lieu de souffler dans l’espoir de gagner quelques grammes » par exemple. Finalement, il sentait qu’il n’allait pas trop apprécier le cours de cuisine mais malheureusement il devait se faire violence. Il fallait penser à Karen et l’espoir de lui faire goûter peut-être un jour à un vrai repas. Que ferait-il sans elle ? Rien, visiblement.

Allant déposer sa parka à l’entrée comme convenu, Kenny passa toutefois une main dessus en soupirant, comme s’il abandonnait à jamais un précieux objet et qu’il le regrettait déjà, avant de s’en retourner rejoindre son professeur. Ce dernier étant toujours de bonne humeur, l’adolescent se décida à essayer de copier tôt ou tard son comportement afin d’égayer un peu plus cette journée et essayer d’oublier l’abandon de vêtement chaud ; pour l’instant, il fallait digérer la chose. Il prit les instructions pour les lire, trouvant que Grenfell avait une très jolie écriture. Et bien, il y avait bien tant d’étapes par lesquelles passer mais Kenny pensait que ça vaudrait sans doute le coup ; si son professeur était ici c’était bien parce qu’il savait cuisiner et qu’il ne songeait en aucun cas à empoisonner tout l’établissement scolaire. Quoique, avec un peu de malchance, l’idée d’une intoxication alimentaire viendrait de lui sans qu’il ne le veuille pour autant. Suite à la question du professeur, Kenneth posa un regard sur tous les ingrédients qui étaient bien rangés. Bon sang, cet homme pensait vraiment à tout et pour qu’il soit toujours aussi ordonné, c’était que sa vie était bien plate. Du moins, c’était ce que disaient les magasines de filles qu’il trouvait parfois par terre et qu’il lisait avant que ce ne soit jeté -quel gaspillage de papier. Aussi était-ce la première fois qu’il voyait autant d’ingrédients réunis et il ignorait s’il pourrait vraiment un jour en faire de même chez lui dans le Colorado. Après un vif calcul de tête de ses économies, de ce qu’il pourrait gagner jusqu’aux prochaines vacances avec ses paris ridicules, etc… le jeune homme répondit tout simplement :

« Je pense qu’on peut faire les deux. Sauf si ça vous dérange. »

Ce n’était pas comme s’il songeait à faire de très grosses dépenses dans l’année ; après il savait que son rat risquait tôt ou tard de mourir, ces pauvres rongeurs n’ayant pas une très longue vie, mais les animaux de compagnie dans ce genre n’étaient pas pour autant très coûteux, sans doute car ils étaient bien moins « classes » que les chouettes, chats et autres bestiaux dans ce genre. Aussi, s’il pouvait connaître le plus de recettes possibles pour pouvoir faire goûter à sa famille et surtout sa cadette de nouvelles saveurs autres que celles des gaufres surgelées, des haricots en boîtes, ou d’autres aliments à très bas coûts …et à très bas goûts. En revanche, il voulait connaître un détail en particulier, balayant bien du regard les ingrédients.

« Il n’y a pas d’alcool au moins dans les recettes ? »

"Chanter en travaillant ♫ »

« Seulement de la bonne humeur et des sourires », ce n’était pas lui qui se faisait torturer avec un complexe physique à porter un hideux tablier ; même la princesse en lui se refusait une telle tenue, c’était pour dire. En tant que futur assistant social, il se battrait pour cette forme de maltraitance. Toutefois le garçon ne répondit rien, se contentant tout simplement de froncer les sourcils et opiner de la tête, prêt à écouter les directives. Heureusement dans l’histoire on lui apprendrait donc à cuisiner sans aucun alcool, juste des produits sains et que ses parents ne prendraient pas pour se souler avec. Regardant de nouveau les recettes, Kenny se demandait s’il arriverait vraiment à reproduire ne serait-ce qu’au moins les muffins de retour chez lui, mais peut-être qu’avec un peu d’exercice il y parviendrait. Et puis finalement, même des gâteaux à moitié cramés seraient meilleurs que des biscuits rances qu’on leur donnait comme « bonne action ». Il allait devoir travailler et bien économiser pour pouvoir s’offrir les ingrédients et peut-être même un bon moment à cuisiner avec sa petite-sœur qui serait sans doute heureuse de passer un après-midi à faire des gâteaux.

Monsieur Gallagher semblant craindre qu’il se fasse mal fit sourire brièvement le blondinet ; il avait l’habitude de s’évanouir, de faire des crises d’épilepsie -surtout lors des cours de sortilèges- ou même de se retrouver assommé pour une quelconque raison. Son corps était parsemé de bleus, de cicatrices, d’écorchures… Les gens qui ne connaissaient pas trop sa malchance avaient souvent tendance à penser qu’il était victime de maltraitance mais hormis Naib qui lui mettait parfois la tête dans les toilettes après qu’il lui ait fait une mauvaise blague -et encore cela était-il un jeu entre eux- il n’était pas une victime d’autres camarades. Certes on le provoquait et il organisait des paris étranges qui le mettaient souvent en danger, mais sinon jamais il ne se retrouvait à se faire frapper par autrui et il espérait que cela ne commence jamais.

« Je n’ai pas peur de me couper. »

Puis il n’était pas non-plus un bébé : à seize ans, tout le monde avait déjà touché à un couteau plusieurs fois, surtout de cuisine. Bon, peut-être pour des raisons différentes -les psychopathes et meurtriers existaient malheureusement- mais lui s’en était déjà servi plusieurs fois. Néanmoins le garçon obéit et alla récupérer la balance et tout ce dont il avait besoin quant à la préparation de la pâte ; il relu deux trois fois la recette pour la mémoriser avant de commencer à prendre les mesures de chaque ingrédient et tout y préparer pour qu’ils n’aient pas à s’arrêter toutes les trente seconde à peser le sucre et la farine. Entendant le professeur chantonner, le garçon reconnu assez rapidement la chanson ; ses parents étant irlandais, ils lui avaient chantés quelques berceuses de leur pays et bien que Kenny leur reprochait leur alcoolisme et leur manque de maturité, il ne pouvait pas les critiquer d’avoir donné un peu d’amour à leurs enfants et partagé de leur culture. Alors qu’il mélangeait les ingrédients comme dans la recette, l’américain se tâtait à rejoindre son professeur dans sa chorale. Il ne craignait guère d’avoir une terrible voix, au contraire il chantait bien, juste qu’il préférait se faire discret. Toutefois, il se disait que chanter aux côtés de Grenfell pourrait éventuellement en être ravi ; lui-même serait content si quelqu’un venait chanter une comptine américaine ou une musique qu’il aimait bien. Ainsi commença-t-il doucement à rejoindre l’ancien Auror dans sa chanson tout en remuant les ingrédients et comme demandé, il mit toute son énergie pour bien remuer la mixture. Lorsque ce fut terminé, il posa tout sur la table de travail, attendant les prochaines instructions et s’arrêtant de chanter.