Des cris avaient déchiré la nuit au sein de la demeure des Levine, secouant Humains comme Elfes dans le même branle-bas affolé. Le Réveillon devant être écourté, les assiettes furent abandonnées, désordonnées sur les tables, et les invités guidés vers la porte avec les excuses du Maître de maison. Le divin enfant naquit au cours de cette froide soirée d'Hiver. On l'appela Noelle, honorant de par ce nom le présent tant attendu qui venait d'être fait à la famille. Ses yeux étaient bleus comme ceux de sa mère, qui chérit cet enfant avec tendresse et patience dès ses premières années de vie. S'étant soustraite à sa carrière musicale pour ériger une vie de famille avec un homme qu'elle n'aimait déjà plus, Patricia Millers avait regardé son fils grandir avec une inquiétude constante, l'esprit agité par la crainte qu'il ne démontre une quelconque inclination magique. Tout comme celui de son conjoint, son sang liait le monde moldu au monde magique ; et pourtant, elle espérait, chaque fois que ses yeux se posaient sur les journaux et s'humidifiaient à la lecture des articles, que Noel ait la chance vivre comme n'importe quel moldu.

Ignorant, mais en sécurité. La magie ne valait pas de tels risques. Pas quand Il était là. Pas quand Il vouait une telle haine à ceux qui, comme lui, étaient sorciers...

A l'époque où elle avait offert sa main à Nicholas Levine, elle aurait pourtant pu jurer qu'il ne s'agissait pas du même homme. Il s'était montré charmant, présent. Presque fragile, quand il se confiait sur ses complexes, sur cette incapacité à maîtriser correctement sa magie. Les humiliations subies à Poudlard avaient laissé une telle marque dans l'essence-même de cet homme qu'elle s'était mis en tête de lui accorder cet amour dont il semblait avoir été injustement privé. Et c'est ce qu'elle fit, avec un dévouement qui aurait pu être celui d'une sainte. Mais, sans même crier gare, quelque chose cassa en lui. Au fil du temps, la douceur de ses traits s'était durcie derrière les rides et la rage de l'homme à l'ego meurtri apparut dans toute sa laideur sous ses pupilles horrifiées.

Peut-être avait-il toujours été ainsi, peut-être n'avait-elle tout simplement pas senti la haine dissimulée derrière cette tristesse jalouse. Pas senti le danger approcher, après avoir caressé ce loup pendant tant d'années sans se douter que celui-ci n'attendait que le bon moment pour mordre sa main. Il avait finalement trouvé sa place auprès des moldus. En politique, là où il pouvait aspirer de ses crocs ce pouvoir qui lui faisait défaut. Et pourtant, Nicholas Levine n'était toujours pas heureux.

Ils étaient encore là, à fouler le même sol que le sien. Ces sorciers, purs ou croisés comme lui  -peu importait vraiment - qui venaient le provoquer sans honte dans son propre village, respirant l’air lui appartenant et usant de leur magie en s'imaginant que personne ne se doutait de quoi que ce soit. Lui, oh! lui se doutait ; il ne les voyait jamais faire ; les fourbes savaient comment se cacher, tels des rats se glissant dans les égouts à la vue de l'Homme. Mais il savait ce qui se tramait dans son dos. Cette pensée seule le rendait malade.

Si Patricia avait promis de ne plus jamais user de magie, au début par pitié puis par crainte de son mari, ce n'était pas le cas de tous. Ainsi, dès qu'il eut le moindre pouvoir, Nicholas en usa pour détruire leur vie tout comme ils avaient détruit la sienne. Il y dédia par ailleurs une grande partie, se désintéressant entièrement de sa famille pour se consacrer à sa "chasse aux sorcières" comme il se plaisait à l'appeler. Cela commença par des menaces sans signature, enroulées autour d'une roche et jetées au travers des vitres avec pour demande immédiate de quitter le village. Un harcèlement constant, parfois une fois par semaine. Parfois deux, pour peu de trouver une autre fenêtre. Puis les choses escaladèrent, quand il vit que cela ne suffisait pas.

Des animaux mutilés se mirent à faire la une des journaux. Du chat noir percuté en voiture aux chiens retrouvés estropiés, jusqu'à la chouette effraie vulgairement clouée à l'entrée telle une couronne de porte.

Personne ne comprit ce qui se passait - si ce n'étaient les propriétaires de ces bêtes, qui déménageaient par peur de devenir les nouvelles victimes de ces persécutions. Répugnée par la violence de ces actes, Patricia trouva finalement la force de s’enfuir et demanda le divorce, l'exigeant le poing fermé sur la table avec une assurance tremblante. Cet inconnu dont parlaient ces articles atroces, elle ne le connaissait pas plus qu'eux. Ce n'était pas là l'homme qu'elle avait épousé. Ce n'était pas là l'homme avec qui elle souhaitait élever son enfant, dont elle réclama la garde accompagnée d'une partie de ses biens. L'ancienne cantatrice ne vit cependant qu'une seule de ses demandes exaucée.

L'argent perdu pouvait être regagné. Un tapis pouvait être acheté, en double ou triple si l'envie le prenait. Mais un enfant... ? Il n’y en avait pas deux pareils, et ce n'était tout bonnement pas possible de le remplacer dans le cœur d'une mère au coeur aussi grand que celui de sa femme. Dépeinte comme hystérique alors qu’elle criait sa colère, le politicien prit aisément le dessus sur son ex-femme obtint sans joie la garde exclusive de Noel, qui n'était âgé que de huit ans.

Loin de vraiment s'intéresser à son fils, Nicholas voyait plutôt en cela une manière de punir cette femme qui avait osé le quitter. Garçonnet à la santé fragile, Noel passait le plus clair de son temps à se reposer et à lire, sans vraiment réaliser l'ampleur qu'aurait ce changement dans sa vie. Mis à part sa mère qui appelait de moins en moins souvent - et encore, c'était sans doute son nouveau travail qui lui prenait tout son temps, la demeure restait la même. Mais très vite, l’absence de Patricia sembla grignoter les derniers restes de la stabilité de son père. Elle ne répondait jamais au téléphone. Ses lettres ne trouvaient jamais leur destinataire, lui revenant constamment comme si elles n’avaient jamais été envoyées. Elle n'était plus là pour l'écouter, ni pour lui offrir son soutien quand il se prétendait au bord du précipice. Affligé par sa solitude, son attention se rabattit fatalement sur sa dernière source d'affection, qui lui ressemblait à s'en méprendre.

Une version miniature de sa femme, qui accueillit cet intérêt nouveau avec émerveillement, ravie et heureuse d'enfin passer un temps privilégié avec son père. Jusqu'à finalement comprendre que derrière ces approches doucereuses se dissimulait gauchement une obsession dérangeante. Lorsque les doigts de sa main se frayaient un chemin dans sa chevelure blonde, c'était le nom de Patricia que l'enfant entendait, et non le sien. Lorsqu'on lui offrait des présents, c'était le parfum, les perles et les broches de sa mère, qu'il concédait à porter avec un profond malaise. Personne ne réussissait à le faire revenir à la raison. Pour lui, Patricia ne l'avait jamais vraiment quitté.

L'attitude de Noel se mit dès lors à changer. Frappé par la folie de son père en dépit de son jeune âge, une aversion violente pour cet homme entama son éclosion dans le cœur du garçon, qui savait déjà qu'il ne voulait plus le savoir près de lui.

Sa santé brandie en excuse, il enchaîna les mensonges, à tousser quand bien même ses bronches n'étaient pas prises, mimant la fièvre et les malaises au point d’en inquiéter les docteurs qui préconisaient du repos. Mais chaque fois que l’enfant se trouvait seul, il se dirigeait désormais vers la fenêtre pour quitter cette maison qu'il avait fini par prendre en horreur. Ses premières fugues le menèrent dans les jardins, puis un peu plus loin en dehors du terrain appartenant aux Levine. Lors d’une d’entre elles, il croisa le chemin d'une petite fille, dont la rencontre chamboula son entière existence. Claire Elford, son amie d'enfance. Son Héroïne. Son amour pour elle fut instantané, le foudroyant sans jamais dégriser de cette sensation.

N’aspirant plus qu’à la revoir comme si sa vie ne dépendait plus que de cela, Noel disparaissait de plus en plus souvent pour aller la rejoindre, et découvrit son inclination magique à ses côtés, au cours d'un jeu, sans qu'aucun des deux ne comprenne vraiment ce qui venait de se passer. Un ballon flottant jusqu'à s'installer en douceur dans la paume de la main, provoquant des éclats de voix dans le jardin. On lui fit promettre de se taire à son retour chez lui, la grand-mère de son amie s'inquiétant que son père ne réagisse mal à cette nouvelle. Mais heureuse est l'ignorante qui ne sait pas que l'autre le sait déjà.

Cependant, des habitants du village l’avaient aperçu, vagabondant dans les rues, à la recherche de sa nouvelle amie, et l’information remonta un jour jusqu’aux esgourdes de Nicholas Levine. La crainte que sa réputation ne se voit entachée par la faute d'un enfant trop bavard le poussa alors à commettre l'impensable. Les menaces ne fonctionnaient pas, autrement, Patricia aurait toujours été présente à ses côtés. Ce qu'il fallait, c'était un serment qu'il ne pourrait violer, quand bien même il en mourrait d'envie. Un Serment Inviolable, pour le contraindre indéfiniment au silence.

La bouche du garçon se retrouvant scellée et inapte à quémander de l'aide à sa deuxième "famille", Noel dut endurer sa présence jusqu’à ce que les choses aillent de nouveau trop loin - mais cette fois-ci, bien trop pour pouvoir espérer revenir en arrière. Nicholas avait su chez qui son enfant allait, quand il se faufilait hors de la maison. La colère le submergea aussitôt, engloutissant le reste de sa sanité telle une vague au cours d'une tempête : La sorcière Dorothy... cette femme, qui n'avait jamais plié à ses demandes, et qu'il haïssait plus que tout. Après avoir ruiné sa vie, voilà qu'on menaçait de prendre le peu qu'il lui restait. Sa baguette à la main, l’homme blond s'était précipité hors de sa demeure en dépit des supplications de Noel, et se rendit de lui de lui-même à leur porte, criant qu’on lui ouvre et crachant des menaces à quiconque se trouvait de l’autre côté. Mais rien. Personne ne lui ouvrit.

Puis, il l’aperçut, jouant dans le jardin sans se douter de sa présence. Cette petite fille, qui lui avait fait tant de tort et à cause de qui son fils se comportait ainsi... Sa réaction fut quasi-immédiate : dans un seul geste et dans un seul cri, il pointa l'instrument de bois dans sa direction et effaça de sa mémoire tout souvenir de lui. Leur temps passé ensemble, leurs jeux jusqu’à son nom, tout pour s’assurer qu’il ne revienne plus jamais ici. Surprenant l'homme en plein acte, Dorothy sortit de la maison et s’élança pour lui venir en aide. La lutte des deux sorciers attira rapidement l'attention des moldus du voisinage. Un homme visiblement fou avait brandi une baguette dans la direction d'une vieille femme et avait fait apparaître un serpent, provoquant la panique générale et l'attention du Ministère.

Quand il fut maîtrisé puis appréhendé, Nicholas fut condamné à séjourner Azkhaban et Noel rendu à sa mère ; toutefois, le jeune garçon demeurait meurtri au fond de lui, autant par ces choses qui étaient arrivées - par sa faute ! que par le fait d'avoir été oublié par son amie. Il ne s'en approcha plus, comme par peur que quelque chose d'autre ne vienne lui causer du tort. Comme par peur qu'il ne soit pas entièrement parti, et soit tapis, quelque part, à attendre. Cependant, leurs routes se croisèrent à nouveau, quand il fut en âge de rejoindre une école de magie. Poudlard étant rayée des options du fait des connexions de Nicholas avec ce lieu, on privilégia plutôt une académie canadienne dans laquelle le jeune adolescent pourrait pleinement se reconstruire, loin de tout ce qu'il avait pu connaître. Et c'est ce qu'il entreprit, à son entrée à Ilukaan.

Une reconstruction de sa personne qui s'avéra quelquefois éprouvante, autant sur le plan physique qu'émotionnel. Il fit de nouvelles rencontres, et plus particulièrement la sienne quand bien même il connaissait déjà tout d'elle. Mais le magicien n'a jamais su lui comment lui dire. Souvent, il y a des choses qui ne peuvent être dites sans même que la magie n'ait de rôle à jouer... A l'aube de ses douze ans, des questions qu'il n'avait cru devoir se poser commencèrent à poindre dans son esprit. Pas de celles que l'on taisait par peur d'intéresser des étudiants en première année de philosophie - non, il s'agissait d'interrogations bien plus personnelles et complexes, quand l'information est de son côté si pauvre. Sans que la qualité du tissu ne soit en faute, la jupe de son uniforme le gênait, l'irritait comme des orties frottées tout contre la peau de ses cuisses, mais en changer n'altéra en rien ce sentiment de mal-être qui s'était épris de lui. Il essaya alors l'uniforme masculin, puis tenta tant bien que mal de contrer sa puberté en cachant son corps sous des vêtements amples. Par pudeur, qu'il disait, mais Noel avait fini par comprendre que le problème était sûrement ailleurs.

La réponse le frappa, un jour, alors qu'il avait demandé à son amie de couper ces boucles qui lui remémoraient son père. Bien sûr, Claire ne sut que le déplumer telle une volaille prête à cuire, et coupa bien plus que ce qu'elle devait. Mais quand bien même la jeune fille s'excusait encore et encore face à la catastrophe, le reflet que le Lupy voyait dans le miroir ne lui déplaisait pas tant. Ce n'était pas parfait, bien sûr ; Pour cela, il dût attendre patiemment la repousse pour se rendre chez un coiffeur compétent. Là-bas, le jeune homme avait désigné une photo dans un des magazines destinés à la clientèle, la voix chevrotante sous la crainte qu'on essaie de le dissuader. Ce n'était pas une coiffure de jeune fille, mais lui voulait ressembler à ça. Lorsque les ciseaux commencèrent enfin à claquer tout près de ses oreilles, Noel affichait déjà un sourire heureux, le regard bas posé sur ces mèches qui jonchaient le sol sous ses pieds. Il ne leur ressemblait plus - ni à lui, ni à elle.

Impatient de connaître son opinion sur sa nouvelle coupe, le magicien étoilé s'était empressé d'aller lui montrer le résultat ; il espérait que ce dernier lui plaise autant qu'à lui. Et si pour elle, son ami ressemblait à un garçon, cette remarque ne fit que le ravir davantage. Dans son élan de joie, Noel en trouva même le courage de lui partager ses doutes, conscient qu'elle ne le trahirait pas. Raccourcir son nom en Noel fut son idée, en dépit de l'incertitude du blond qui finit toutefois par l'adopter en constatant qu'il était impossible de se tromper à l'oral. Soutenu par sa mère et encouragé par ses amis quand il hésitait à se lancer, on lui prescrivit un traitement hormonal au bout de plusieurs années passées à convaincre sa psychiatre de sa nécessité. Le jeune homme s'était heureusement armé de patience en lisant les autres témoignages, autant pour admirer les effets de la testostérone que pour voir son prénom changé sur ses papiers administratifs. A ses vingt ans résolus, son nom fut officiellement changé pour Noel Levine, permettant au bel angelet de tourner une page de sa vie pour aller de l'avant, dans un corps et un rôle qui reflétaient enfin son véritable Lui.

(c) Ilukaan