Histoire« Dis, sur ta tête... c'est une larme lunaire, c'est ça ? »
- un élève en septième année, chez les Ursirre.
Kainé était certes sexy, en plus d'être blondasse, mais pas plus stupide pour un sou. Les réflexions d'un certain genre, elle refusait de les laisser passer dans n'importe lequel de ces couloirs comme si elle n'avait rien entendu. De façon générale, c'est sa grosse voix forcée par l'exaspération, ou la cruauté de son dialecte, qui fait fuir la gente masculine trop beauf pour la personne dissimulée dans ce corps. Les menaces étaient toujours les mêmes, mais étrangement efficaces malgré leur redondance. Couper les boules comme les faire frire titillait si bien l'imagination qu'apparemment, on s'en contentait.
De toutes façons, aurait-elle fait une bonne amante, pour ces bons à rien ? Elle-même a cessé d'y croire, et quand bien même de la déception se soulèverait sous cette conclusion, elle n'était pas qu'une voix forte dans un corps beau à regarder. Elle était à la fois tellement plus, et parallèlement tout aussi bien fermée. Son entourage avait une tendance générale à être plus fier d'elle qu'elle ne voulait bien l'être. Le vécu de ces dernières années n'abritait non pas déjà un passé plein d'exploits matériels et emplis de suspense, mais plutôt bourré de patience et d'efforts qui auront fait de la sorcière l'élève qu'elle est aujourd'hui. Et quand bien même elle ne trouve pas ces détails extraordinaires...
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À l'aube du XXIème siècle, il existait peut-être encore quelques régions où les sorciers étaient encore arriérés, en retard sur leur temps, ou tout simplement trop conservateurs pour se mettre à la place de ceux qui étaient « différents » par fatalité et non par choix.
Littéralement perchée entre deux flans de montagnes, au-dessus d'un vide qui donnerait à beaucoup de visiteurs inhabitués le vertige, se tenait l'extravagante logistique du village qu'était l'Aire.
L'an 2000, qui apportait son lot de nouveautés dans le monde sorcier, laissait toutefois encore la place à des coins reculés pour des individus toujours autant à l'aise dans les vieilles traditions. Les grandes villes, les technologies empruntées aux moldus, tout ça, ça ne plaisait pas encore forcément au reste de l'univers magique. Blotti dans les vastes montagnes de l'Irlande sorcière, l'Aire n'y faisait pas particulièrement exception.
Il n'y avait qu'à regarder sa disposition et la façon dont les maisons étaient perchées. Des ponts en guise de routes, des cabanes pour habitations comme commerces, et même une immense place toute aussi faite de bois pour les enfants comme les adultes qui flânaient. Le coin, pour les étrangers, fascinait d'une part comme il effrayait d'une autre. Quand bien même le tout était suspendu au-dessus d'un vide dont on ne voyait pas le fond, la sécurité était là, et rien ni personne ne pouvait tomber bêtement comme accidentellement.
À côté de cette liberté d'espace, les habitants avaient une tendance à la xénophobie. Non pas qu'ils insultaient tout ceux qui ne venaient pas de l'Aire, mais la nouveauté, l'étrangeté du XXIème siècle... c'était encore trop tôt, pour eux. De plus, ceux qui vivaient là-bas pouvaient jubiler ainsi d'intérêts qui, eux-mêmes, ne permettaient pas non plus de voir plus grand qu'un village en suspension dans le vide.
La toute petite famille des Doherty dût alors se serrer la ceinture à la venue d'un bébé qui vit les montagnes et sentit le vent un 14 juin humide et plutôt frais, pour la saison. Le couple, qui vivait avec la grand-mère paternelle veuve depuis une poignée d'années, ne flanchait toutefois pas face à ce manque éventuel de moyens. Tous étaient, au contraire, ravis d'accueillir dans leur maisonnée une petite fille... ou un petit garçon, la question se soulevait curieusement.
Aussi bizarre que pouvait être le monde des sorciers, la génétique touchait de manière scientifique comme universelle tout les êtres humains... et ainsi, Kainé fut mis(e) au monde avec un prénom originellement masculin, mais à la sonorité féminine (quand on y pense). Il n'y avait qu'un médecin, dans l'Aire, et il aurait coûté trop cher de faire de nombreuses recherches jusqu'à l'autre bout du pays. Le verdict était cependant aussi simple que complexe : Kainé était, et non souffrait, hermaphrodite.
Quand bien même les parents n'attendaient pas spécialement un fils ou une fille, il fallait se décider sur une question importante : de quel côté allait pencher leur enfant ? Iel avait les traits fins, mais aussi un attribut d'homme comme la moitié des bébés qui venaient au monde. Garçon, alors ?
Pourtant, le visage rappelant la mère et les chromosomes X presque plus présents que Y offraient la tendance opposée à choisir l'autre sexe. Dans ce cas, plutôt une fille ? La décision était particulière à prendre, et si la possibilité de voir la poitrine pousser était évidente, alors une réponse qui lui éviterait le maximum de malheurs ne pouvait leur échapper.
Kainé était donc une fille. Une troisième femme Doherty.
Et il était du devoir de cette famille d'aider la petite à vivre en harmonie avec son corps ; malgré peut-être le village trop éloigné de la grande civilisation plus avancée et ouverte de ce nouveau monde qu'offrait le XXIème siècle...
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Plus Kainé grandissait, plus elle ressemblait à sa mère ; ce qui était, en soi, une bonne nouvelle. Élevée comme une demoiselle, il aurait été plus embarrassant de constater qu'elle allait gagner l'allure d'un garçon plus tard. Cependant, l'enfance parfois difficile pour certains, la petite devait encore vivre avec une apparence androgyne qui signait parfaitement sa particularité. Et dans un village suffisamment petit pour que tout le monde se connaisse, cela pouvait représenter un vrai calvaire.
Son entrée à l'école du village se passa relativement bien, mais les mères amies des autres mères harponnaient les chérubins des unes et des autres pour qu'ils s'entendent entre eux, et rarement avec elle. La famille de Kainé vivait certes au village, mais la timidité enfantine de la fillette, et l'absence des parents qui disparaissaient de plus en plus pour trouver du travail, s'accordaient tristement pour qu'elle ne trouve pas le courage de se faire des amis. Et les enfants sont observateurs : le physique incertain de Kainé divisait l'avis de ses camarades de classe. Déjà à l'époque, elle parlait d'une voix de petit garçon.
C'était sans doute ce détail-là qui piqua la curiosité et la cruauté des marmots.
Autour de ses sept ou huit ans, l'enfant connaissait déjà le malheur d'être brimée. Elle faisait pourtant de son mieux pour correspondre au genre attribué. Elle portait de mignonnes petites robes. Laissait ses cheveux pousser pour se permettre de jolies coiffures. Habituée depuis la naissance, sa langue n'avait même jamais fourché et elle parlait depuis toujours au féminin ! Mais non, pour les autres, ça n'était pas assez. C'était ou bien « pas une fille », ou bien « une sorte de garçon ». Quand bien même c'était techniquement vrai, elle n'avait pas à se plier à la logique stupide d'être les deux à la fois. En 2008, ça n'était pas encore... une « tendance » supportée par la généralité des Hommes.
- Tu vas où ? T'as peur ?
Elle baissait toujours les yeux. Elle n'avait pas le courage de les affronter. Si certains enfants de sa petite école ne disaient juste rien, les plus méchants (méchants comme des gosses) venaient de familles plus conservatrices ; des Sang-purs tout à fait clichés dans le milieu. Des sales mioches qui se permettaient de dire que la nature avait mal constitué ce qu'ils prenaient pour Kainé une chose au même titre que les loup-garous.
Force était peut-être de constater qu'ils avaient tous raison, et qu'il valait mieux capituler, plutôt que de jouer aux petites poupées...
- Regarde-moi quand j'te parle ! T'es conne ou quoi ?
Le gamin turbulent refusait de la laisser rentrer chez elle. Il lui donna un coup de pied dans le tibia, faisant plier le genou de la petite.
- Je comprends pas, pourquoi tu fais comme si t'étais une fille ? Tout l'monde sait ce que t'es ! Dis-nous c'que t'es !
À dire vrai, aucun des garnements ici ne cherchait à le savoir avec des mots scientifiques. Ils étaient trop jeunes à en être bêtes. Encouragé par l'entourage de deux ou trois de ses amis, le garçon lâcha avec la condescendance d'une brute :
- T'es une chose. T'as toujours été une chose. Dis-nous c'que t'es !
Un garçon, pensa brièvement Kainé. C'était peut-être l'une des réponses que le gamin attendait. Ainsi, peut-être la laissera-t-il rentrer chez elle. Son cœur se fissura cependant à la simple pensée d'avouer une chose pareille.
Tout à coup, l'enfant fut propulsé à deux ou trois mètres d'elle, comme poussé par une force invisible, mais loin d'être aussi violente. Quand bien même il la mériterait. Mais Kali, la vieille femme qui tenait sa baguette et qui approchait avec l'humeur d'un buffle, se retenait d'en faire plus afin de ne pas attirer plus de soucis à sa chère petite-fille.
- Foutez-moi l'camp, p'tits cons ! Que j'vous reprenne pas à toucher à Kainé, ou j'vous plombe de limaces dans la cervelle ! T'y gagnerais en matière, toi surtout, p'tit salaud !
Elle était peut-être vieille, mais Kali restait une sorcière expérimentée grâce à son âge – qui plus est, de Sang-pur. Elle menaça l'enfant de sa baguette et, suite à une nouvelle lancée de jurons presque mêlée à une formule, la bande de mioches prit la fuite.
Le regard de la grand-mère changea, plus tendre et chaleureux, pour la fillette qui sentait les larmes monter.
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- J't'ai pourtant déjà dis de pas t'laisser faire, ma p'tite. Ils méritent qu'on leur coupe les boules, j'te promets.
Kali était une vieille femme en bonne santé, mais qui tenait au quotidien un vrai langage de charretier. Malgré tout, elle conservait douceur et amour pour l'unique petit-enfant que son fils avait bien voulu lui donner. Suite à la mort de son époux, elle fut acceptée chaleureusement au sein du couple Doherty, et jurait toujours sur sa propre tête de prendre bien soin de Kainé. Cette dernière aimait sa grand-mère quasiment plus que tout, la sorcière étant la personne qu'elle voyait de plus en plus à la maison.
- Papa et maman rentrent quand ?
- Pas tout d'suite, ma p'tite. Ils sont à Waterford, là.
Son visage se peigna d'une petite tristesse, ainsi que d'une déception qui lui semblait familière. Depuis la naissance de Kainé, ses parents faisaient tout pour subvenir aux besoins d'eux-quatre. Mais l'Aire étant assez petit et fonctionnant sur un système assez communautaire, il était de plus en plus compliqué de trouver un travail stable et qui demanderait du service tout les jours. Ainsi, père comme mère quittaient régulièrement le village pour aller travailler dans des villes un peu plus proches de la civilisation, parfois jusqu'à se rendre à l'autre bout du pays.
Kainé ne leur en tenait pas rigueur, à l'exception que la maison semblait de plus en plus vide avec le temps. Fort heureusement, sa grand-mère était là pour la soutenir. D'un autre côté, peut-être qu'en se retrouvant seule, ils auraient alors été obligés de l'emmener, et d'ainsi quitter l'Aire qui ne lui offrait pas grand-chose au quotidien.
Mais à côté de ça, Kali la soutenait, lui donnait des petites tapes dans le dos, et même des leçons de vie qui allaient accompagner sa brave petite-fille dans de plus dures épreuves. Lorsque Kainé ne parvenait pas à se concentrer à l'école, sa grand-mère se chargea de lui faire rattraper les exercices, le tout saupoudré d'un peu de son vécu et de ses connaissances personnelles.
La vieille sorcière se permettait même de lui partager des secrets, de la faire rire ou sourire avec des tours qui montèrent en premier sur la liste des choses à apprendre de la petite. Quand il n'y avait qu'elles à la maison, ça allait de la Botanique à l'Histoire de la Magie, en passant par quelques sortilèges pour lesquels l'enfant allait devoir prendre son mal en patience...
Et comme ses parents envoyaient plus de lettres que leur propre personne, elles avaient énormément de temps devant elles.
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Quitter l'Aire était certainement une des choses qu'elle désirait le plus. Pourtant, lorsque l'occasion se présenta, Kainé se retrouva stressée à l'idée de délaisser sa grand-mère. Quelques jours avant son onzième anniversaire, la vieille femme amena le sujet de l'école magique sur la table, provoquant leur première dispute. Même face à une jeune enfant qui posait à peine le pied dans l'adolescence, Kali ne se laissa pas démontée, et engueula presque comme jamais sa petite-fille pour que celle-ci quitte le nid.
Elle ne le faisait même pas parce qu'une éducation magique et rondement menée était obligatoire, mais plutôt parce que l'adolescence dans l'Aire, avec les mêmes petits cons (comme elle les appelle toujours) qui se changeraient en couillons prépubères, serait encore plus difficile à vivre. Déchirée entre son envie de fuir et celle de rester auprès de sa grand-mère adorée, Kainé fit un caprice et claqua les portes sans les toucher, renversa ses propres affaires, cria comme une enfant mal élevée...
Si autour de ses huit ans elle a pu constater que ses pouvoirs s'étaient éveillés mais qu'elle n'avait jamais eu le courage de s'en servir pour se défendre contre les brutes, elle libéra sa frustration et exprima son mécontentement. Mais Kali restait impassible, bien blottie dans sa décision, et alla même jusqu'à tirer le bras de sa petite-fille pour la punir dans un coin de la maison.
Kainé pleura en silence, exaspérée et désolée d'avance de devoir laisser sa grand-mère seule, ici, dans ce village de nazes et sans que les parents ne puissent être là régulièrement.
Le dialecte de Kali avait tellement bien déteint sur elle que l'enfant laissa s'échapper plusieurs injures, qui confirmaient à la vieille sorcière que même loin d'ici, elle saura se montrer forte. Elle en était certaine.
Une petite heure peut-être s'était écoulée, le temps que la gamine se calme. En silence, elle vint dans les bras de sa grand-mère pour s'y blottir. Non sans lâcher une flopée d'excuses pour son départ futur, et non pour son comportement. Kali caressa les cheveux blonds de l'enfant, soupirant presque de lassitude ; elle refusait que la petite-fille que son fils avait engendré pleure aussi facilement.
- Arrête de chialer, va, t'es plus robuste que ça.
Lorsque Kainé eut ses onze ans, les effleurages de prospectus commencèrent. Comme cadeau, Kali laissa à la petite le choix de son école. Bien que le plus logique soit de choisir Poudlard, la gamine craignait que les codes traditionnels d'une si belle école ne la poussent un peu plus dans ses retranchements. Elle était encore jeune. Plus grande, peut-être se serait-elle sentit prête d'affronter les remarques encore possibles. Mais il était trop tôt.
Une paperasse se démarquait des autres. Un bleu électrique, qui tapait dans l'oeil. Un bleu qu'elle jugeait comme « moderne ». En extirpant le flyer de la pile, Kainé eut l'impression de tomber sur le Graal. Kali n'avait jamais entendu parler d'Ilukaan. Toute la famille était passé à Poudlard, mais peut-être que l'enfant-là serait l'exception.
Kainé n'avait encore jamais connu la liberté de se promener dans de grands centres commerciaux, ou même le petit plaisir de boire un verre en terrasse. C'était la pleine nature, ici, au village comme autour.
Ce papier s'était comme perdu parmi les autres prospectus d'écoles. Et c'était sûrement cette impression qui avait convaincu l'enfant de choisir. L'établissement était certes situé loin, mais lorsque la vieille sorcière détecta une once d'hésitation, elle poussa la gamine à ne pas changer d'avis, persuadée elle aussi que la modernité et les nouveautés apportées par le XXIème siècle lui feraient le plus grand bien.
Kainé n'avait même pas peur à l'idée de se couper les cheveux pour la rentrée.
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L'Irlandaise n'avait jamais vu autant d'enfants et d'adolescents depuis sa petite école. Une école vraiment petite, comparée au campus d'Ilukaan. Ici, tout semblait très grand, voire même trop grand. Les plus âgés en uniforme l'intimidaient à côté de ceux qui, libres dans leur esprit, portaient des pantalons ou des jupes, peu importe leur genre. Comme si le vieux Merlin tenait à rassurer la petite qui espérait de tout cœur que son complexe soit complètement effacé avec tout ce monde et le mélange immense des cultures.
Elle n'eut d'ailleurs jamais autant le trac qu'en entendant son nom résonner dans le Dôme, au milieu de dizaines de personnes dont elle ignorait l'existence jusqu'à ce jour. Habituée à la petite foule de l'Aire, elle avait l'impression que cette école-ci réunissait une partie du pays, quand bien même le Canada était bien plus large que sa terre natale.
En approchant de la fontaine, Kainé y cramponna ses mains tremblantes. Tout ce qu'elle voyait à la surface de l'eau, c'était le reflet d'une enfant ressemblant à s'y méprendre à un petit garçon. Elle avait la tignasse courte, pour la première fois de sa vie, mais réalisait avec une pointe d'horreur qu'elle ressemblait effectivement à un garnement sous cette figure. Son corps allait certainement changer radicalement à partir de cet âge-là, ainsi elle ne craignait pas trop de se montrer avec une coupe comme celle-ci.
Le cri d'une chouette répondit à ses pensées lorsque le reflet se transforma en cet animal. La maison des Strixyst accueillit alors Kainé, qui ne pensait pas qu'on la ferait entrer dans un si large groupe un jour. Même son cœur n'en revenait pas, tant il tambourinait dans sa poitrine, alors que le Directeur approchait pour lui accrocher l'améthyste.
C'était le premier jour d'une vie nouvelle qu'elle imaginait avec peine. La magie omniprésente n'allait pas être une gêne en soi. Mais la foule, les camarades de chambre, les classes multiples et tout ces professeurs, ces matières... Rien que cette école surpassait l'Aire entier, en personnes comme en superficie. C'était assurément ces comparaisons-là qui l'impressionnaient le plus. L'école, aussi ouverte pouvait-elle être, représentait alors à la fois une étape et un obstacle de taille. Sans doute parce qu'elle était beaucoup plus reconnue que sa minable classe au village, le stress des études et même de sa classification dans la maison comme la chambre l'emportait sur elle.
La maîtrise de la magie s'avéra parallèlement plus difficile que ça ne l'était en observant sa grand-mère. Les professeurs remarquaient un blocage, une latence dans l'apprentissage de Kainé. Un manque de confiance en soi qu'on lui reprochait autant qu'on tentait d'atténuer avec des conseils. Que dirait Kali, en voyant sa chère petite-fille baisser si souvent les yeux ? Elle lui soufflerait de ne pas se laisser faire, de montrer à « tout ces péquenauds » ce qu'elle vaut. Il serait dommage de gâcher la bourse versée exprès pour l'école – un détail qui avait rassuré Kainé qui pensait que ses parents allaient devoir serrer encore plus la ceinture pour les frais.
L'intégration de l'Irlandaise était lente et pénible, aussi bien en classe qu'au milieu des autres élèves pour supposément un peu de sociabilité. Le temps que ses cheveux repoussent et que sa poitrine gonfle, certains la prenaient pour un garçon à jupe.
« Crie, gueule un bon coup ! Ça t'fera du bien, ça va t'libérer ! » lui répétait une Kali imaginaire. Elle dirait sûrement ça. Elle bousculerait tout le monde à sa place, si elle était à ses côtés. Kainé n'avait même pas besoin de préciser ses inquiétudes dans les lettres pour que la vieille femme l'arrose de réflexions encourageantes du genre dans ses réponses. Elle serait là, elle ferait encore une gueule de six pieds de long, elle en était persuadée.
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Même au-delà des débuts de l'adolescence, Kainé ne s'avouait pas « belle ». Elle l'était assurément, c'était même un joli bout de femme. Elle avait de sacrées courbes, impossible que tout le monde fasse l'impasse dessus. Bien sûr, des jeunes hommes s'intéressaient toujours à
un point central malgré le fort caractère que la timide Irlandaise avait acquis au fil des années. Un langage cru, vulgaire, pas généreusement gentil pour un sou ; Kainé était devenu la froide demoiselle forgée par l'éducation de sa grand-mère (qui était toujours en pleine forme).
Ce qui la dotait d'un charme tout particulier, peu importe si certains ne le supportaient pas. À cette époque, elle se terrait peu à peu. Restait volontairement seule, ou simplement, se convainquait que, de toutes façons, ceux de son âge s'étaient déjà formé des groupes d'amis, et qu'elle ne voyait aucune utilité à entrer dans l'un d'eux (ni même la moindre chance).
Pourtant, l'été qui suivit ses dix-sept ans, Kainé s'était laissé séduire par l'idée d'avoir un petit-ami. Pourquoi pas, après tout ? Sa venue à Ilukaan lui était bénéfique sur beaucoup de points, en particulier (et surtout !) la sociabilité. Entre les enfants et les bons amis, il pouvait bien y avoir un copain dans le lot. En tout cas, genrée au féminin et élevée comme telle depuis sa naissance, Kainé s'était blotti dans l'idée qu'elle tenterait la chose plutôt avec un garçon.
Ça n'avait cependant pas duré longtemps avant que ça ne dérape.
L'été, c'était un peu la saison de la liberté. Pas d'école, plutôt un voyage organisé. Pas de cours, aucune pression sur les devoirs ; en plus, Kainé venait de passer ses ASPICs, qu'elle avait réussi avec une mention correcte.
Il avait insisté. Par bonté de cœur, au moins pour une fois dans sa vie, Kainé avait accepté. Finalement, le type avait fuit avec une grimace. Ou bien parce que Kainé avait très mal réagit à la réflexion qu'elle s'était prise, ou bien parce qu'il supportait encore plus mal la vérité qui se cachait sous ces vêtements de femme.
- Mais t-t'es un gars, en fait ?!
Leur rupture fut si rapide (sans doute la colère explosive de l'Irlandaise y était pour quelque chose) qu'on pouvait à peine dire si elle avait eu lieu. De toutes manières, elle n'avait pas envie de le faire. Ce corps ne lui plaisait pas à elle non plus.
Passer à l'étape supérieure, avec un garçon ou une fille, lui sembla alors impossible. En fait, elle le savait déjà, mais se l'avouer en parallèle d'une tentative de relation amoureuse était encore plus dur. Maintenant que la pire chose était arrivée, elle pouvait bien se l'admettre. Peut-être n'était-elle pas faite pour la vie à deux. Ou simplement le sexe.
Kainé se comportait comme la femme qui en a toujours été décidé pour elle. Cela lui convenait très bien, mais il suffisait qu'une douche le soir lui rappelle qu'il y aura certainement des choses qu'elle ne pourra pas faire. Elle ne voulait même pas connaître l'éventuel calvaire que ça lui ferait d'enfanter. Pas de sexe, alors. Pas de trucs qui iraient à ce niveau-là. Peut-être pas de copain non plus, merde. On s'en fiche.
De toutes façons, c'était pas pour ses beaux yeux qu'il l'avait abordé.
S'accepter physiquement, sous cette lingerie, était compliqué. Kainé aimait ce qu'elle voyait dans le reflet de son miroir, pas ce qui était dissimulé en-dessous.
Peut-être était-elle aussi bien un garçon qu'une fille avec ce corps, mais ce n'était pas un pervers apeuré par l'apparition d'une
bite qui allait avoir raison de ce qui était bien pour elle ou non.
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Un jour, Kainé réalisa que l'avenir lui semblait flou. Incertain. Timide, même, peut-être. Ce n'était pas tant un souci d'inquiétude quant à ses capacités, ni même forcément de motivation. Les pouvoirs étaient là, les opportunités aussi ; le seul bémol, c'est qu'elle ignorait quoi prendre et que faire avec.
Elle se demanda d'abord tout simplement s'il n'était pas possible de quitter l'école en milieu de scolarité. Mais à l'obtention de ses ASPICs, elle comprit avec conviction la fierté dans les mots de ses parents et surtout de sa grand-mère. Des encouragements, de la persévérance à tir larigot, des mots doux et d'autres arguments à la fois étrangers et convaincants qui poussaient Kainé dans ses retranchées d'élève un minimum studieuse – de son point de vue, elle ne l'était pourtant pas tant que ça.
Sa petite famille lui souhaitait le bonheur non pas par devoir, mais par intérêt, même si c'était bousculer la jeune fille dans un égoïsme encore fuyard. Cesser les études sans aucun projet derrière signifiait revenir à l'Aire, et tout les trois savaient pertinemment qu'elle le vivrait mal. Si des parents avaient tendance à accueillir de nouveau leurs enfants à la maison, les siens faisaient au mieux (sans forcer) pour qu'elle se tienne éloignée des potentiels pires chemins. De toutes façons, mauvais souvenirs à part, il n'y avait rien dans l'Aire. D'ailleurs, les parents travaillaient toujours ailleurs, pour dire.
Les discussions furent très longues lorsque Kainé ignorait quel cursus prendre. Par fascination, elle pensait éventuellement rejoindre l'étrange coin des Sciences occultes, mais lorsqu'elle ne sut quoi répondre à la simple question « qu'est ce que tu comptes faire après ? », elle comprit que la fascination était parfois aussi tentante que dangereuse. Pour une sorcière qui avait déjà du mal à s'accepter en tant que telle, il fallait quelque chose qui donnait une perspective d'intérêt pour Kainé.
Rester avec sa famille en était une – mais une fois encore, son village natal la mettait toujours aussi mal à l'aise. « Cherche encore », lui avait conseillé Kali. Qu'est ce qui pourrait lui permettre de joindre les deux bouts ?
- Maman. Tu vivais comment, au fait, avec papi et mamie ?
Quand bien même elle en connaissait un pan, Kainé ignorait encore beaucoup du monde moldu. Non pas de sa culture, mais plutôt de leur vie de tout les jours. Ainsi, depuis longtemps déjà, sa mère Née-moldu avait si bien prit l'habitude de vivre dans le monde magique que jamais elle n'avait tenté de retrouver un peu de sa vie d'avant à l'époque où elle était dans l'Irlande dépourvue de magie.
Ce monde où non seulement les moldus ignoraient tout des sorciers, mais pouvaient en plus en être victimes (par incident ou accident, évidemment, selon une raison quelconque).
Des gens qui n'ont pas de pouvoirs et qui, même en ayant des enfants sorciers, ne peuvent pas non plus partager les secrets de ces derniers. C'était un sentiment étrange, pour Kainé... que de savoir qu'une copie de son monde existait en parallèle, simplement sans magie, sans dragons, sans rien de plus que ce qu'ils avaient. Juste la technologie avec laquelle elle n'avait pas spécialement grandit au départ. Mais de laquelle le monde sorcier s'est inspiré.
Kainé sentait comme une place lui appartenant dans ce monde-là.
Après tout, une partie de ses gènes en provenait. Et quand bien même ils étaient minimes, la simple idée de faire un jour partie de cet univers lui effleura un esprit plus léger et plus serein. Sans doute que son imagination et son éventuelle possibilité de se mêler un peu plus à la vie des moldus lui donnaient une motivation réelle. Se donner une utilité avec une magie qu'elle n'aimait pas spécialement, afin d'aider un peuple pour lequel elle éprouvait de l'attachement... était une raison suffisante pour choisir le cursus du Monde moldu, selon elle.
C'était peut-être un raisonnement à la noix, mais elle y trouva une motivation qui était alors dissimulée jusque-là. C'était un peu fou de l'envisager sous cet angle, mais peut-être qu'au fond, c'était un peu tout ce qu'elle espérait.
Quitter un monde magique pour un autre plus simple, avec une place plus explicite.
Encore une bête preuve que, dans le fond, seul son petit bonheur égoïste comptait.
« Ouais, c'est ça. Une larme lunaire. J'suis même sacrément surprise que tu connaisses. Ça pousse pas dans le coin, t'as remarqué ? On en trouve que dans mes montagnes. Enfin ces montagnes. Mais j'aime bien dire qu'ce sont les miennes, elles sont belles. Elles cachent sans doute le coin le plus con de cette planète mais elles sont magnifiques. »
- Kainé Doherty, 19 ans.