Quand tu avais éteint ton téléphone dans la semaine, Neil, pour faire plaisir à Cassiopea, tu t’étais douté qu’il y aurait à un moment ou un autre des représailles. On ne désobéissait pas à Andrew Minyard impunément. Mais même en sachant que tes actes auraient des conséquences, ça ne t’empêchait pas de défier son autorité de temps en temps. On t’avait toujours appris à t’écraser, Neil, à courber l’échine devant plus fort que toi. Mais tu savais qu’avec le blond, tu ne risquais rien. Vu le nombre de fois où il avait menacé de te tuer, si tu étais toujours vivant aujourd'hui, c’était qu’il ne comptait pas vraiment passer à l’acte. Tu savais très bien qu’il en serait capable, mais Andrew Minyard ne trahissait jamais ses promesses. Et sans que tu n’en saches vraiment la raison, il avait promis de te protéger tant qu’il te trouvait intéressant. Mais rien n’était intéressant chez toi de prime abord. Une apparence basique, une seule et unique passion poussée à l’extrême… À ton avis, tu étais quelqu’un devant qui on passe et qu’on oublie. C’était même le but que tu recherchais, tu ne devais être qu’un figurant dans la vie des autres.

Mais Andrew avait l’air de voir à travers tes mensonges comme à travers tes lentilles. Tu ne te souvenais plus du nombre de fois où vous aviez eu des discussions houleuses sur pourquoi tu en portais. Tes mensonges pré-faits ne fonctionnaient pas sur lui. L’excuse de la mauvaise vue ne lui convenait pas, car il avait réussi à déceler qu’elles étaient colorées. Comment il l’avait su, tu n’en avais aucune idée. T’étais-tu trompé de teinte un jour en les commandant ? Avais-tu relâché ta vigilance et ton attention un jour où tu avais substitué un sort de coloration d’iris à tes lentilles pour reposer tes yeux ? Tu n’en avais aucune idée, mais il n’avait pas l’air de connaître la vraie couleur de ton regard et cette idée te soulageait un peu. Il savait que tu cachais des secrets, mais pas lesquels. Tu ne savais pas si cela devait t'inquiéter ou non et si continuer à traîner avec lui était une bonne idée, mais Andrew ne te laisserait jamais t’enfuir sans avoir le fin mot de cette histoire, tu en étais sûr. Alors autant continuer de jouer avec lui, en gardant la situation sous contrôle au maximum. Enfin, autant que tu le pouvais avec Andrew Minyard dans l’équation.

Toujours est-il que c’était avec tes vêtements délavés et ternes que tu retrouvas le lupy après votre entraînement de la soirée. Il t’avait demandé de venir avec lui, pas de porter les fringues qu’il t’avait achetées. Il avait tenté de te lancer sept souafles dans la tronche, même s’il n’avait réussi que cinq fois, alors tu n’allais pas être coopératif ce soir. Il n’avait qu’à faire des efforts s’il voulait que tu en fasses aussi. Et tu savais que ces souafles n’étaient pas la punition pour avoir éteint ton téléphone, vu que vous en aviez parlé l’après-midi même. C’était ce soir qu’il allait te faire payer. Peut-être qu’il allait finalement vraiment te noyer dans la mer pendant votre balade sur la plage, cette fois-ci.

- Tu ne m’as pas demandé de les mettre aujourd'hui, Andrew. Si tu ne me dis pas clairement les choses, je ne peux pas savoir ce que tu veux.

Est-ce que tu jouais avec le feu, Neil ? Bien sûr. C’était dangereux de contrarier Andrew, surtout quand il t’attrapait par le menton pour essayer de sonder ton âme avec son regard ambré, mais tu ne voulais pas le laisser gagner. Il finit par froncer les sourcils et abandonner, avant de se mettre en route vers Bloombury. Tu le suivis donc sans un mot, attendant de voir à quelle sauce tu allais être mangé. Tu laissais d’ailleurs Andrew faire toute la conversation, alors que vous marchiez jusqu’au Poutine King. Il te parlait d’une exposition qui ne t’intéressait absolument pas, mais au moins il n’y eut pas de blanc gênant pendant le trajet. Enfin, ce n’est pas comme si tu trouvais le silence gênant, quand tu étais avec Andrew. Mais lui, il avait besoin de parler, alors tu le laissais faire sans trop chercher à comprendre pourquoi. Rapidement tu te retrouvas assis face à lui dans le fast-food, à votre table habituelle, votre commande tout aussi habituelle sur un plateau entre vous. Tu croquas dans ton burger sans te préoccuper de tes frites qui disparaissaient pour aller rejoindre la glace d’Andrew. En cinq ans, tu avais eu le temps de t’habituer à le voir avaler cet étrange mélange, même si tu n’étais pas prêt à sauter le pas et à tester toi aussi les frites trempées dans la glace.

- Ils en ont de la chance, moi j’ai reçu plus qu'un souafle sur deux aujourd'hui.

Tu n’essayais même pas de convaincre Andrew de ne pas viser ses coéquipiers en pleine tête avec le souafle. Ce n’était pas tes affaires, tu n’étais pas dans l’équipe des Lupy toi. Tu arrivais déjà à le faire régulièrement s’entrainer avec toi et c’était déjà pas mal. Alors que tu espérais pouvoir finir ton repas dans le calme, les médicaments d’Andrew se mirent à faire effet. Tu le voyais à son sourire. Il ne disparaissait de son visage que quand son traitement commençait à ne plus faire effet. Tu trouvais même que c’était les moments les plus agréables à passer avec lui. Juste avant les repas, quand il n’avait pas encore avalé ses pilules. Il ressemblait presque à un adolescent normal… Enfin, aussi normal que pouvait être Andrew Minyard. Tu l’écoutais donc t’exposer sa fameuse idée alors que tu savourais tes dernières frites, sentant déjà que c’était une mauvaise idée.

- On va avoir des problèmes Andrew, si on fait ça. Tu le sais, non ?

Tu plongeas ton regard dans celui du blond mais… Il avait l’air bien trop déterminé. Tu n’avais aucune chance de le raisonner, Neil, alors autant essayer de limiter au maximum la casse.

- Quoi que je te réponde, tu y iras de toute façon, hein ? Comment comptes-tu procéder pour entrer sans te faire attraper ? Et pour ne pas qu’on te reconnaisse ? Est-ce que tu sais au moins s’il y a des caméras de surveillance ou des vigiles ?

Puis tu ne pouvais pas utiliser ta magie hors de l’école, Neil. Tu étais mineur et encore porteur de la trace. Ça risquait vraiment de vous compliquer la tâche en cas de pépin. Dans quoi allais-tu encore t’embarquer… Tu n’y étais pas encore et tu regrettais presque déjà.