En Silence

Après l'épisode du dôme et ce pauvre élève complètement drogué, Haurchefant avait décidé de ne plus trop se montrer là bas pour le moment. Il avait juste pris le temps d'envoyer un sms à Reijiin pour lui dire que tout allait bien et il s'était reposé sous conseil de l'infirmière. Le jeune trentenaire venait de reprendre du service en ce jeudi. Le professeur avait  donné ses cours, préparé les repas pour l'école et finalement, il s'était décidé à faire une nouvelle pâtisserie. Un bon tiramisu à la fraise. Oh ce n'était pas pour lui. Non, c'était pour sa meilleure amie, forcément. Il avait envie de passer un peu de temps avec la jeune femme.

Après tout, ils avaient été interrompus dans une discussion franchement intéressante lorsqu'ils s'étaient retrouvés dans le dôme en ce dimanche après midi. Même si Haurchefant savait que la douce demoiselle n'admettrait en rien que ce fameux professeur de défense ne la laissait pas du tout indifférent, il ne pouvait s'empêcher de vouloir savoir ce que ressentait réellement celle qui était devenue sa protégée depuis le premier jour de leur rencontre bien des années auparavant. Assis face à son miroir, l'ancien auror observait son reflet. Il avait les traits tirés à cause du manque de sommeil flagrant. Le professeur avait pris le temps de rentrer pour se laver, histoire de se débarrasser des odeurs de cuisine. Mais, c'était autre chose qu'il voyait dans son reflet.

Cet homme désespéré qui avait encore été incapable de réellement protéger les gens. Si les deux autres professeurs n'étaient pas intervenus, il aurait été bien incapable de combiner son protego avec des sorts d'attaque pour tenter d'assommer le dissident. Il était vraiment devenu un incapable. Sa puissance était intacte mais son âme morcelée ne le laissait plus utiliser son plein potentiel désormais. Haurchefant finit par poser son regard rouge sur sa main tremblante et un coup de vent en sortit pour briser le miroir en miles morceaux. Sept ans de malheur ? Il était déjà dedans depuis un moment. Le professeur se releva pour enfiler un t-shirt ainsi qu'un jean. Il était temps de sortir de son antre pour ne plus réfléchir à ses propres problèmes.

Il attrapa les plats préparés pour leur soirée ainsi que le dessert. Bien entendu, le cuisinier n'avait pas prévenu Reijiin et il espérait que la demoiselle ne serait pas occupée par une quelconque personne en cette soirée. Il avait besoin d'une parenthèse légère pour ne plus réfléchir à son propre état. La main sur la poignée de la porte, Haurchefant hésita. Finalement, il lança un reparo sur le miroir avant de sortir pour aller frapper aux appartements de sa meilleure amie. Son sourire habituel sur les lèvres, le jeune homme attendait patiemment qu'on lui ouvre. Ou pas. Sinon, il irait manger seul dans sa chambre devant une série qui ne lui donnait pas nécessité à réfléchir. « Bonjour ma douce, je me suis permis de ramener le repas et de t'inviter à dîner dans ta propre chambre. »

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En silence

Se changer les esprits. Penser à autre chose. Oublier. Oublier qu’elle n’avait pas été capable de faire quoi que ce soit pour empêcher un élève d’être blessé. Oublier qu’Haurchefant s’était mis en danger dans le processus. Oublier qu’elle avait été, une nouvelle fois, bonne à rien. Si elle n’avait pas été là, les choses n’auraient absolument pas été différentes. A quoi avait-elle servi, dans cette histoire ? Elle qui voulait toujours protéger tout le monde, elle n’était même pas capable de faire face à un élève, peu importe son état. Et malgré les quelques jours qui s’étaient écoulés depuis l’incident du Dôme, elle continuait de se rejouer les événements dans sa tête. Comment elle aurait pu, et dû, intervenir plus tôt, pour empêcher ce pauvre Cheng Hua d’être blessé. Comment elle aurait pu, et dû, lancer le protego quelques secondes plus tôt. Comment elle aurait pu, et dû, s’occuper d’évacuer les élèves au moindre signe de danger. Comment elle aurait pu, et dû, lancer n’importe quel sortilège sur Ying Wei pour le neutraliser avant que tout ne prenne l’ampleur que cela avait pris. Et ses pensées ne cessaient de tourner en rond dans sa tête comme elle tournait en rond dans sa chambre.

La soirée de la veille lui avait permis de les chasser pendant un temps, de se reposer un peu. L’alcool avait éteint ses doutes pendant au moins quelques heures. Elle avait pu s’assurer qu’Haurchefant n’avait pas minimiser ses blessures, et garder un œil sur lui. Ses collègues avaient été suffisamment bruyants et amusants pour lui donner un instant de répit. Même si ce n’était que des connaissances, cela lui avait permis de se vider un peu l’esprit. Et toute la journée, elle s’était focalisée sur ses cours, ses élèves, ses classes, focalisant son attention sur son travail. Mais à l’instant, elle était toute seule avec ses pensées. Comme les choses auraient été simples s’il avait existé un bouton pour éteindre son cerveau.

Installée en tailleur sur son canapé, elle jouait distraitement avec son pendule, sans vraiment le réaliser, le regard perdu dans le vide. Son esprit vagabondait, pendant que l’objet oscillait sans jamais se poser nulle part, puisqu’elle continuait de lui donner des petits à-coup inconscients, se perdant dans son mouvement circulaire et hypnotique. Alors lorsque l’on toqua à sa porte, elle sursauta, laissant tomber son balancier, surprise d’être dérangée à cette heure-ci. Elle mit un certain temps à réaliser où elle était, puis se leva machinalement, pour aller ouvrir la porte.

Le visage familier qui se dévoila derrière celle-ci l’apaisa instantanément. Les yeux rouges de son meilleur ami, ses cheveux blancs, son sourire. Un sourire doux et sincère se forma sur son visage, alors qu’elle s’écartait pour le laisser entrer dans sa chambre. Elle n’était pas spécialement apprêtée pour recevoir quiconque, avec sa salopette noir trop large et son pull à col roulé blanc dans lequel elle était emmitoufflé. Mais, à vrai dire, elle s’en fichait un petit peu, Haurchefant l’avait vu dans ses pires moments, après tout.

- Bonsoir, dit-elle d’une voix douce. Qu’est-ce que tu apportes de bon ?

Une nouvelle fois, elle n’avait rien prévu de spécial pour son repas, quitte à ne pas manger du tout, d’ailleurs. Alors elle accueillait cette petite attention avec plaisir, d’autant que ça lui permettait de passer une soirée de plus avec le canadien. Elle referma la porte derrière lui, l’invitant à s’installer, puis sortant deux verres de l’un de ses placards pour les poser sur la table.

- Je te sers quelque chose ?

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En silence

Oh bien-sûr, le jeune canadien aurait pu continuer à se morfondre dans son impression de ne pas avoir fait assez mais... Il y avait plus important à gérer à ses yeux. Le pauvre élève s'en voulait sans doute bien assez pour que lui, le professeur de cuisine ne s'en inquiète pas. L'homme savait trier ses pensées, se donner des priorités pour ne pas sombrer. C'était la rééducation qui lui avait appris à fonctionner par étape. Sinon, il aurait sans doute essayer de tout résoudre en même temps et ça aurait été bien pire que mieux. Et il en savait quelque chose, Haurchefant. L'ancien auror connaissait ses faiblesses et surtout, l'abysse qui se tenait juste devant ses pieds. Il suffisait d'un seul moment d'inattention pour plonger les pieds joints dedans. Et... Il ne voulait plus redevenir cette coquille vide qui restait assis sur son fauteuil, incapable de faire autre chose que ça.

Alors, il avait cuisiné, dirigé le personnel mis à disposition pour l'aider et il avait préparé ces deux bentos pour sa chère amie et lui-même. Lorsqu'il vit le visage doux et les cheveux violets de la jeune femme, son visage s'éclaira d'un sourire plus franc, plus tendre également. Le cuisinier entra dans le petit appartement de fonction qui, à part la déco, était exactement le même que le sien. Il montra fièrement les paniers repas bien rangés dans un sac en tissu dont il se servait très souvent. Ça se voyait, le truc était rapiécé de partout mais il y tenait beaucoup. Valeur sentimentale à n'en pas douter. « Filet de dinde aux champignons, purée de pomme de terre et haricots revenus au beurre. J'espère que tu as faim, ma douce. »

Haurchefant posa le sac sur la table de l'appartement et il s'étira un peu avant de se tourner vers la demoiselle. Ah tiens, pas con. Ça lui ferait du bien même si, objectivement, il avait bien assez bu la veille. « Pourquoi pas. Après tout, j'ai prévu un dîner en tête à tête puisque je suis certain que tu n'as rien mangé. » C'était un reproche sous couvert de douceur et de sourire. Après tout, il voulait que sa meilleure amie prenne un peu plus soin d'elle. Enfin, au moins, il pouvait se ramener avec un repas sans lui laisser le choix ou sans la voir faire l'anguille pour éviter de manger. Parfois, il savait qu'il abusait. Reijiin était bien assez grande pour vivre sa vie comme elle l'entendait. Mais l'ancien auror ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter pour elle.

Il s'installa sur une chaise et croisa ses jambes tout en jouant avec sa chevalière bien vissée à son petit doigt. Ses yeux ne quittaient pas la petite professeur, comme pour remarquer le moindre changement visible sur la demoiselle. Il soupira très légèrement avant de reprendre la parole. « Tu as l'air de ne pas trop avoir la gueule de bois par rapport à hier soir. C'était une soirée plutôt sympathique, tu n'as pas trouvé ? »

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En silence

La distraction qu’elle avait tant souhaité avait sonné à sa porte d’elle-même, et la jeune femme en était plus que ravie. Et, pendant qu’il lui détailla le menu de leur soirée, elle commençait à réaliser qu’elle avait en effet, un peu faim. Non pas qu’elle refusait de manger ou qu’elle se restreignait volontairement. Mais elle avait plutôt tendance à oublier. Ça ne faisait pas vraiment partie des choses qui occupaient son esprit. Lorsqu’elle n’était pas préoccupée par ses sombres pensées, à se morfondre seule dans son coin, elle cumulait les activités pour se distraire. Les entraînements d’arts martiaux, la danse, le sport, prendre soins de Poussin, Shadow et Alpha, qui attendaient sagement à Bloombury, préparer ses cours, se renseigner sur des techniques qu’elle ne connaissait pas encore, ou approfondir ses champs d’expertises… Tout ce qui pouvait éteindre ses pensées. Le résultat n’en était pas glorieux, puisqu’elle sautait au moins un repas sur deux. Dans tous les cas, Haurchefant savait comment s’y prendre pour qu’elle prenne un petit peu plus soin d’elle, et ça consistait généralement à lui apporter le repas.

- Suffisamment pour faire honneur à tes talents. Tu sais très bien que j’adore quand tu me prépares à manger.

Elle sortit une bouteille de vin, fit sauter le bouchon d’un petit sort sans baguette, évitant de chercher partout un tire-bouchon, et servit les deux verres, en tendant un à Haurchefant. Elle lui adressa un petit sourire contrit, comme une enfant prise sur le fait alors qu’elle était en pleine bêtise. Il la connaissait suffisamment bien pour savoir qu’il avait raison sans le lui demander. Et elle, savait parfaitement qu’il lui faisait la leçon, derrière son sourire, ses paroles et sa gentillesse. Même s’il ne le lui reprochait pas réellement.

Elle trempa les lèvres dans son verre avant de sortir des couverts et des serviettes d’un tiroir, et de s’installer sur la chaise face à lui. Une discussion classique, qui, l’air de rien, servait à sonder un petit peu son état, savoir comme elle allait. Et au fond, elle lui était reconnaissante de prendre soin d’elle comme il le faisait, même si elle avait tendance à ne pas le lui montrer, et à faire sa fière et sa forte. Et puis, elle était plutôt du genre à vouloir prendre soin de lui que l’inverse.

- Bien sûr que non, que je n’ai pas la gueule de bois ! Tu sais pertinemment que je peux tenir l’alcool, et que ce n’est pas ça qui va me tuer !

Même s'il savait tout aussi pertinemment les bêtises qu’elle était capable de faire, avec un verre de trop. Mais ce n’était pas le sujet et elle ne comptait pas l’évoquer d’elle-même.

- Oui, c’était agréable. Je n’ai pas vraiment l’habitude, de sortir avec autant de monde. Mais c’était une bonne idée pour passer la soirée. J’espère que tu apprécies les efforts que je fais !

Elle disait cela sur le ton de la plaisanterie, mais elle ne blaguait qu’à moitié. La moitié de l’année était déjà passé, et elle n’avait pas créé de liens très spéciaux avec ses collègues, et elle ne sortait pas non plus énormément avec eux, se complaisant dans sa solitude.

Sans attendre plus longtemps, et elle savait qu’il ne s’en offusquerait pas, elle attrapa le bento qu’il avait fait spécialement pour eux, et l’ouvrit. Elle huma doucement la délicieuse odeur qui s’en échapper, masquant les petits gargouillis que son ventre avait commencé à faire. Elle piqua dans le filet de dinde pour venir goûter la viande tendre et des petites étoiles se mirent à pétiller dans ses yeux alors qu’elle lâchait un « hmmm » de satisfaction. Elle qui était si habituée à la malbouffe, ou à ne pas manger du tout, il n’était pas très compliqué de l’impressionner. Mais les plats que préparaient Haurchefant avait une saveur d’autant plus particulière.

- C’est délicieux, comme toujours !

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En silence

Il n'avait pas forcément beaucoup d'amis, Haurchefant. Malgré son apparente sociabilité et sa douceur, le professeur ne laissait pas grand monde entrer dans son cercle restreint. Les années lui avaient appris à trier, à ne plus donner sa confiance facilement. Comment pouvait-on réellement offrir quelque chose de si précieux quand même sa propre famille ne l'avait pas ? Mais elle, ce bout de femme rencontré bien des années auparavant dans un lieu si austère et froid... Reijiin l'avait eu presque en un claquement de doigts, au détour d'un verre d'alcool fort. La vie était terriblement farceuse et étonnante. Jamais, ils n'avaient pas perdu contact, ce fil rouge dans sa vie de jeune adulte.

Alors, lentement mais sûrement, ses sentiments avaient basculés vers quelque chose qu'il ne voulait pas. Pourquoi ? Parce que ça ne serait jamais réciproque, il le savait, Haurchefant, il savait qu'il ne serait jamais rien d'autre qu'un ami pour elle. Et ça lui convenait autant que ça le blessait. Sentiment ambivalent qui parfois, le parasitait. Le jeune homme attrapa finalement son verre entre ses doigts fins malgré la pratique plutôt intense de la cuisine et il le souleva avant d'en boire une gorgée. Parfois, on aurait pu le penser français tellement il aimait cette cuisine ainsi que le bon vin.

« Oh ne parle pas trop vite, ma douce. La vie est parfois étonnante. » Il releva ses lèvres dans un petit sourire en coin taquin. Haurchefant savait, il savait aussi parfaitement sous-entendre ce genre de chose. Et ça l'amusait de voir les joues de son amie se teinter d'un léger rose de gêne. Même s'il serait capable de donner sa vie pour elle, il n'en restait pas moins quelqu'un de malicieux. Dire que c'était pire lorsqu'il étudiait encore à Ilukaan. Ces années lui semblaient pourtant si loin alors qu'il observait Reijiin goûter le plat que le cuisinier avait préparé. Il s'installa correctement et ouvrit sa propre boite.

« Je pense que nous risquons de refaire une soirée de ce genre rapidement. Je compte sur toi pour prolonger tes efforts. Mais je suis fier de toi, comme toujours. » Et ça ne changerait jamais. Oh non... Ça ne pourrait pas changer. Il était un homme fidèle en amitié comme en amour. Et il savait aussi apprécier lorsque les gens sortaient de leurs zones de confort pour faire autre chose, pour juste avancer au moins un peu. Dire que lui s'était laissé pourrir pendant des mois à retarder volontairement ou non sa rééducation. Et maintenant le voilà, à parler normalement et à marcher plus ou moins correctement. « Je suis ravi que ça te plaise. Tu sais que je participe aussi à la cuisine de la cantine, hein. C'est tout aussi bon. » Hop le petit message subliminale concernant les repas quotidiens. Ça c'est fait, à cocher dans la to do list du jour.

Haurchefant sourit un peu plus en terminant son plat. Il lança un sort sans baguette pour nettoyer le bento avant de le rapetisser et de le ranger dans sa poche. Maintenant, siroter le verre de vin. « Alors, quoi de prévu pour la semaine prochaine ? Les élèves ont organisés une kermesse. Ça te changerait les idées plutôt que de te morfondre dans ta chambre. En plus, tout le monde sera masqué et un sort de confusion sera mis en place. » Autant dire qu'elle passerait inaperçue. Surtout vu sa taille... Oh c'était méchant ça. Heureusement qu'il ne l'avait pas dit à voix haute !

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En silence

Les odeurs qui se dégageaient du panier repas la mettait encore plus en appétit. Et puisqu’elle n’avait encore rien mangé de consistant de la journée -après tout, picorer des fruits secs ne constituait pas un repas en soit-, elle engloutit l’ensemble assez rapidement. Il ne s’agissait pas d’un dîner en grande pompe. De la purée et des haricots au beurre, ce n’était pas vraiment un repas gastronomique. Mais c’était bien assez pour qu’elle se régale et lui en soit reconnaissante. Et puis, la compagnie était un plus non négligeable.

Et même si des sorties entre collègues se faisaient de manière plus régulière, rien n'égalerait les moments en tête à tête ensemble. Ils faisaient partie des souvenirs qu’elle chérissait le plus, et qu’elle continuerait de chérir pour toujours. La jeune femme n’avait jamais vraiment remarqué les sentiments qu’Haurchefant avait développé pour elle. Elle n’avait jamais vraiment remarqué la peine qu’il pouvait ressentir, puisqu’il ne la lui montrait pas. Ce n’était vraiment pas comme si elle profitait de ses derniers. Elle portait pour le canadien un amour sincère, mais un amour qui se rapprochait bien plus de la fraternité qu’autre chose. Il était l’une des rares personnes à l’avoir connu enthousiaste et joyeuse, et à avoir continué d’être présent malgré la dépression qui la guettait. Et elle chérissait cela de manière parfaitement innocente. Aussi, le voir débarquer à sa porte -et elle savait parfaitement que c’était une manière détournée de la forcer à prendre un repas dans la journée- faisait partie des petits bonheurs qu’elle accueillait les bras ouverts.

- Je le sais, que tu y travailles. Ce n’est pas comme si j’évitais volontairement d’y venir tu sais ! Je ne prête juste pas attention au fait qu’il soit midi, tout simplement. Et puis, je préfère quand tu ne cuisines que pour moi !

Elle lui lança un sourire taquin, du genre qu’elle n’offrait qu’à ses proches, tout en terminant son propre bento, et imita l’ancien auror pour qu’il puisse le ranger avec le sien sans s’embêter.

Elle prit une nouvelle gorgée de vin. Ce n’était clairement pas son alcool préféré, mais elle en gardait toujours une bouteille chez elle, sachant pertinemment qu’elle servirait à un moment où à un autre.

- Je n’avais pas spécialement prévu d’y aller. Je verrais si je trouve du temps pour, mais je n’en suis pas certaine.

Elle reposa son verre, son regard se perdant un peu dans le vide. Elle savait pertinemment qu’Haurchefant l’incitait à sortir, à faire quelque chose de nouveau, qui pourrait lui permettre de mettre en pause son mal-être. Mais elle avait toujours un peu de mal, à se dire qu’elle avait le droit de faire une pause, elle aussi. Elle n’avait absolument pas envisagé la possibilité avant maintenant, et l’idée de devoir chercher un costume ne la motivait pas spécialement. Mais c’était peut-être l’occasion de soutenir les élèves dans leur travail, et c’était une chose importante à ses yeux.

- Mais je suis un peu curieuse de ce que nous a préparé le conseil, je ne le cache pas.

Et curieuse, elle l’était également pour d'autres choses.

- Tu comptes y aller, toi ? Et sous quel masque te cacheras-tu ?

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En Silence

Bien sûr que jamais ses sentiments ne se dévoilaient autre que dans son coeur, porté par une impression que c'était mieux ainsi. Qui voudrait vivre avec un boiteux perclus de cicatrices dont une bien nette et profonde ? Pas lui. Alors, autant s'effacer et veiller sur la jeune femme à la peau mate pour être sûr qu'elle puisse toucher du doigt le bonheur qu'Haurchefant estimait mérité. Alors, ça passait par des attentions, des courriers réguliers, des petites questions, des arrivées imprévues dans la vie de la belle et finalement, un repas préparé avec amour pour lui changer les idées. Et aussi pour la forcer à manger, ne mentons pas.

Il avait passé moins de temps que prévu dans la préparation de ces bentos mais le professeur était satisfait de ce qu'il avait fait en si peu de temps. Adossé contre le dossier du siège, le trentenaire observait la demoiselle aux cheveux colorés. Se rendait-elle compte du charme fou qu'elle possédait ? Et qu'elle gâchait avec un certain homme qui ne la méritait pas. Le professeur eut un léger sourire en entendant la réponse à la légère pique taquine qu'il venait de formuler. Une main passa dans ses cheveux blancs, ses yeux rouges bien rieurs. « Oh madame veut un cuisinier personnel... Alors qu'elle ne va même pas le payer dignement ! Je suis très cher, tu sais ! Très demandé. » Pas du tout. Personne ne connaissait le chef Haurchefant Greystone. Et c'était très bien ainsi.

Il l'aimait, cet anonymat dans lequel il était bercé depuis sa naissance, vivant dans l'ombre des Fortemps. C'était eux qui brillaient et lui qui se contentait de rester derrière. L'homme attrapa son verre à pied pour boire une gorgée également. Vraiment un très bon vin. Il soupira un peu, content de cette soirée improvisée. C'était sans doute ce qu'il préférait. L'imprévu. Et il en avait beaucoup dans son ancien métier. Maintenant... L'imprévu consistait plutôt à maîtriser un gamin qui avait avalé la plaquette de prozcanon. Le professeur avait bien glowdown. Il n'avait même pas été capable de maîtriser correctement le pauvre élève. La honte, sérieusement. Et en plus de ça, il s'était pété deux côtes. Franchement... Il chassa d'une gorgée de vin ses pensées avant de prendre le temps de répondre à la jolie demoiselle.

« Je pense que ça te changerait les idées. Tu pourras faire la belle élève inconnue cachée derrière ton masque. » Il haussa les épaules avant de sourire en coin. Oh oui, elle serait belle. Il n'en doutait pas mais... Mais pour une fois, il n'avait pas envie de le voir. Les émotions sans dessus dessous, le jeune homme avait besoin de calme et de solitude. La solitude était une vieille amie après tout. Il eut un léger rire en l'entendant parler de sa curiosité. « Tout ce que je sais, c'est ce qu'on nous a demandé de préparer pour le buffet. Et encore, je crois que je ne suis pas au courant de tout. »

L'homme se redressa sur sa chaise, massant d'une main distraite son torse encore douloureux. Cette histoire avait réveillée la douleur de sa vieille blessure. C'était terrible comme le passé le rattrapait toujours, peu importe où il allait. Le garçon soupira doucement avant de poser ses yeux rubis sur le corps d'apparence frêle mais fort de Reijiin. « Non, je ne compte pas y aller. Je pense que je vais me faire un week end quelque part pour me recentrer un peu. » En gros, il allait faire le clochard dans son lit sans ouvrir à personne. Et en vrai, c'était très bien comme ça. Netflix, une série moisie et des chips. Le combo parfait pour lui.

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En silence

Elle rit doucement. Elle savait parfaitement qu’il plaisantait, et qu’il se plaisait dans son rôle de professeur, sans chercher à être reconnu dans ce qui était désormais son domaine de prédilection. C’était peut-être égoïste de sa part, mais elle en était, elle aussi, satisfaite. Le savoir en sécurité -même si le week-end précédent avait démontré que tout pouvait être relatif- et pouvoir garder un œil sur lui, l’avoir près d’elle lorsqu’elle avait besoin de se confier, de relâcher la pression.

- Alors je vais continuer de simplement m’estimer chanceuse de vous voir sonner à ma porte avec des paniers repas, Chef Greystone.

Écoutant les arguments d’Haurchefant pour la convaincre de se sortir un peu, de profiter de sa vie et de s’amuser, elle posa un coude sur la table, et posa son menton dans sa main, pensive. De son autre main, elle faisait tourner le liquide rouge dans son verre. L’idée de sortir sous couvert d’anonymat, de ne pas être reconnue, de passer un après-midi sans vraiment être elle-même, cette personne qu’elle détestait tant, mais quelqu’un d’autre, qu’elle aurait choisi d’être le temps de quelques heures, d’un moment d’amusement, était assez tentant, elle ne pouvait pas le nier. Mais n’était-ce pas se voiler la face et se mentir encore plus à elle-même ? N’était-ce pas malsain de profiter autant du fait d’être quelqu'un d’autre, même pour quelques instants seulement ? Et c’est ce qu’elle laissa paraître. La professeure aux cheveux violets leva légèrement les yeux au ciel, comme si elle n’était pas spécialement convaincu par les propos de son meilleur ami.

- Je verrais si je trouve le temps, et si je trouve un masque et une tenue d’ici là, se contenta-t-elle de dire, lasse, le visage toujours perdu dans son verre.

Il y a bien longtemps, elle y aurait été sans sourciller, ravie de participer à une activité de ce genre. Quand était-elle devenue l’ombre d’elle-même ? Cette coquille vide, renfermant seulement la peur, le désespoir et la solitude. Elle songea quelques secondes à Azim, qui l’aurait probablement entraîné de lui-même là-bas. Et elle chassa rapidement cette pensée. Elle n’avait pas envie de se morfondre à cet instant. Elle le faisait bien trop souvent, un peu plus chaque jour. Si elle voyait encore de la lumière dans sa misérable vie, c’était en grande partie grâce au professeur de cuisine qui se tenait face à elle, alors autant profiter au maximum lorsqu’ils étaient ensemble.

C’était pour les autres qu’elle se battait, jamais pour elle, alors elle envisageait rarement de faire des choses qui n'étaient utiles qu’à elle-même. Les arts martiaux servaient à défendre la vierge et l’orphelin. Ses connaissances de la divination servaient à faire le bien autour d’elle en essayant du mieux qu’elle le pouvait de prédire les choses à venir. Son statut de professeur servait aux élèves, pour qu’ils trouvent leur voie. Seule la danse était pour elle et elle seule.

Elle releva la tête aux derniers propos du canadien. Elle le connaissait très bien, et il était plutôt difficile de la tromper, elle qui était plutôt du genre perspicace -sauf quand il s’agissait du second degré. Elle connaissait son petit jeu, mais elle n’était pas vraiment du genre à forcer les confidences. Reijiin n’avait jamais été très portée sur la parole et les grands mots, elle préférait largement les actions, alors elle laissa simplement couler. Mais elle savait pertinemment qu’il n’était pas au meilleur de sa forme. Tout comme il pouvait faire de même pour elle. Ah, qu’ils étaient beaux, tous les deux, déprimés, se complaisant dans leur solitude. Heureusement qu’ils s’étaient trouvé l’un l’autre, il y a si longtemps.

Elle termina le fond de vin qui restait dans son verre en une gorgée, avant de se relever avec une grâce féline qui lui était propre. Elle tourna le dos à Haurchefant, pour fouiller à nouveau dans ses placards.

- Il doit me rester quelques chocolats que tu m’avais fait. Ça t'ira comme dessert ? Désolée, tu te doutes bien que je n’avais rien prévu.

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En Silence

« C'est vrai, je vous trouve bien chanceuse, mademoiselle Hari. J'espère que vous en avez bien conscience ! » Le professeur de cuisine eut un léger rire amusé. Ses yeux rouges passaient sur le doux visage de son amie en retenant de justesse un soupir blasé. En vrai, la voir déchirait un peu son coeur. Après tout... Il n'arrivait pas à faire autrement que de vouloir la protéger, la couver. Mais en avait-il le droit ? Pas vraiment. Et cette pensée lui fit un pincement, comme une gêne dans son âme. Il détourna le regard de la jolie professeur de divination pour se concentrer sur son verre de vin.

Le reste de la discussion se portait sur la fête à venir. Lui, il n'irait pas. Il n'en avait aucune envie et préférait rester dans sa haute tour de solitude comme une flagellation mentale nécessaire. Après tout, il n'avait pas pu empêcher un élève de se faire du mal, de prendre cette foutue plaquette de prozcanon et de partir en sucette. Comble de tout ça, Haurchefant s'était même blessé dans cette histoire. Il finit son vin d'une traite, laissant l'alcool lui brûler l'œsophage doucement. La douleur lui donnait la sensation d'être vivant. De pouvoir ressentir autre chose que le désespoir ou le vide. Alors lorsque la jeune femme reprit la parole, il fut un peu surpris, complètement perdu dans ses pensées. Le professeur de cuisine leva les yeux vers elle pour la regarder fouiller dans ses placards.

« Ne t'embête pas, je n'ai plus faim. » Il haussa les épaules en reposant son verre. Puis, l'homme se releva finalement de sa chaise. Haurchefant lissa patiemment son t-shirt avant de venir déposer un baiser sur le front coloré de son amie aux cheveux roses. « Je vais te laisser. J'étais venu te montrer que je me portais comme un charme. » Il lui fit un beau sourire un peu factice avant de lui faire un clin d'oeil. L'homme attrapa les deux bentos qu'il glissa dans sa poche avant de faire un petit salut de la main à Reijiin et il quitta la pièce en silence pour retourner dans sa chambre, dans sa prison glaciale qui l'aidait à se complaire dans ce sentiment d'abandon.

C'était si étrange, Haurchefant aurait dû être heureux d'avoir sa vieille amie avec lui. L'homme passa la porte de sa chambre avant de regarder son miroir réparé. Il poussa un profond soupir avant de s'affaler sur son lit défait pour fixer le plafond pendant des heures. C'était perturbant. Pourquoi son coeur n'arrivait-il pas à juste taire cet amour qui ne serait jamais réciproque pour juste y laisser une amitié fraternelle profonde ? Pourquoi devait-il toujours se dire un et si complètement idiot, triste et qui laissait un goût cuivré en bouche ? Il soupira en fermant les yeux. Dormir. Ne plus réfléchir. Juste dormir.

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