On disait qu'Arthur n'avait « aucun ami » ou même qu'il était aujourd'hui incapable de s'en faire, mais c'était faux !

En revanche, se faire invité à un marathon de films, ça c'est sûr, c'est pas courant pour lui. Quitte à recevoir une invitation, elle aurait pu être de Kiku, Luciano, ou à la limite, Alfred. Mais non, c'était un type comme Gabriel, qu'il connaissait depuis pas si longtemps, qui lui promettait un après-midi avec tout le tralala préparé par ses soins (des gâteaux faits maison, c'est le signe d'un investissement de qualité à prendre au sérieux). Qui d'autre se serait démené à ce point pour qu'Arthur passe une bonne journée si on venait « tout juste » de faire sa rencontre ? Personne !

Enfin, peut-être quelqu'un d'autre, mais dans la théorie, personne.

L'entrée de l'élève d'une maison étant interdite dans une autre, le Lupy se demandait où le Ursirre avait prévu la séance, et il avait haussé un sourcil en lisant sur son message que ça se passerait à l'observatoire. En dehors des cours d'Astronomie, Arthur ne s'y rendait quasiment jamais, mais il est vrai qu'en toute logique, peu d'élèves s'y rendraient en plein jour et le week-end. Tranquillité assurée à au moins 90%, alors – si on comptait l'éventuelle possibilité que quelqu'un d'autre aussi voulait emprunter la pièce pour faire sa sieste.

D'un naturel ponctuel, Arthur ouvrit donc la porte de l'observatoire.

- C'est moi !

Histoire d'annoncer à Gabriel que personne encore n'était venu ruiner leurs plans. Le programme du jour ? « Marvel », ça alors. Arthur n'aimait en général pas tant le concept de super-héros. Le seul contact qu'il a eu avec, c'est la passion d'Alfred. Et vas-y que j'te sors des comics, et que j'rage sur les films, bref, toute sa culture y passait et cette année, colocataire en plus d'être camarade de classe, Arthur en avait vraiment ras le bol. Même avant d'avoir lu son unique bande-dessinée du genre, il était déjà dégoûté. Alors pourquoi se plonger volontairement dans ce marathon ?

Si Arthur n'aimait pas spécialement l'idée de toucher à ces films, il aimait néanmoins la fanfiction que Gabriel lui avait fait lire. La lecture, ça l'atteignait plus que n'importe quel autre support de fiction, et même s'il regardait des séries anglaises moldues, lire un livre le transportait plus loin que devant un épisode de Sherlock. Mais même en ayant « soigneusement évité » la fiction sur Internet, il restait un rat de bibliothèque touche à tout, et l'expérience qu'a été de lire Gabriel était... ben, positivement concluante.

Ainsi, par pur intérêt pour s'investir au mieux dans la fanfiction qui l'avait transporté malgré l'univers, le Britannique avait accepté de regarder quelques films... avec l'esprit plus ouvert qu'il ne l'avait avec Alfred.

- Eh ben... c'est mettre le paquet, commenta-t-il en remarquant l'installation si soignée.

Ça sentait bon le caramel et les gâteaux, et même les petites places semblaient confortables. Tout bien cosy comme il faut. Allez Arthur, fais un vœu, car après tout...

- C'est la première fois que je fais un marathon, en fait.

Et, bah, c'était cool.

« T'en fais pas, hein, ça va être cool. Chill. Pas de prise de tête et surtout personne pour nous faire chier. »

Il aimait bien cette dernière partie. Personne pour emmerder l'un ou l'autre. Arthur comprenait de mieux en mieux ceux qui s'enfermaient pour ça. Bon, lui aussi, il connaît la technique : il s'enferme dans des lieux assez isolés pour réviser, mais passer des heures sur un marathon de films, voire une série, non non... Il regardait Sherlock occasionnellement, et jamais avec l'envie compulsive de regarder un épisode, puis un autre, puis un autre...

L'un des endroits où il était le plus « seul » pour travailler, c'était sa chambre. Mais cette année, pas de bol, il se trouvait avec trois énergumènes (pas un ou deux, mais trois. Sur ses trois colocataires, les trois étaient bruyants et très actifs) qui ne lui rendaient pas vraiment cette notion du « tranquille ».

Alors ici, il n'allait peut-être pas bosser... mais au moins, il allait être peinard.

« Dépêche, les pop-corns vont refroidir. »

Et on ne fait pas attendre de la nourriture, hein. Plutôt impatient pour le contexte que pour les films, Arthur alla poser son anglo-écossais postérieur sur les coussins pour s'installer. Gabriel était l'hôte, il le laissait faire son tra la la.

« ....et la séance va commenceeeer.....~ »

Il répondit avec un haussement de sourcil amusé ainsi qu'un petit sourire en coin. C'était parti pour se taper il ne savait combien d'heures de films sans aucun doute jusqu'au soir. D'un univers qu'il n'arrivait pas à apprécier, en plus. Mais avec des yeux de lecteur qui n'avaient d'intérêt que pour la fanfiction de l'Ursirre, il n'était pas non plus contre cette idée. Sinon, il ne serait pas là. Encore moins avec ce petit enthousiasme.

Le manque de bol, ce serait qu'il se désintéresse totalement de la chose au bout d'une heure ou deux. Et ça, pour un marathon, ça la foutrait mal. Arthur ne voulait pas mettre mal à l'aise un type qu'il ne connaissait depuis pas très longtemps mais avec qui le courant semblait bien passer. Des occasions comme ça, il n'en aura peut-être pas très souvent.

Dans le noir, et l'ordinateur pour seule lumière avec son premier film, Arthur faisait néanmoins l'ouverture de son esprit pour ne pas commencer la séance avec trop de préjugés.

Pas trop de slips par-dessus les collants, s'il vous plaît.

Ou de bonhommes qui ne récoltent pas une seule égratignure, même là où la peau est très fine et souple.

Ou même de... clichés.

Franchement, ça allait, au bout de la première heure. Puis, alors qu'il semblait plongé dans le film et que son œil de spectateur avait entièrement laissé libre court à son imagination plutôt qu'à son jugement, Arthur commença à tiquer.

Ne pas relever les trucs « trop fictifs ». Ne pas relever les trucs « trop fictifs ». Les comics d'Alfred, ça devait rester pire.

Quand on connaît un film par cœur, on a de quoi s'ennuyer au moins un petit peu en le regardant encore. Quand on connaît toute la série... rien d'étonnant à ce qu'on soit en proie à un petit roupillon. Surtout bien installé dans le noir comme ça.

Alors qu'il mangeait le pop-corn (ça occupait bien quand survenait une scène un peu bateau) Arthur sentit le Ursirre glisser doucement. Il doit se mettre à l'aise, pensa-t-il. Proches comme il était, dans ce petit coin aménagé de coussins, il ne lui en tiendrait pas rigueur. Surtout que rester le cul dans la même position, ça finit forcément par lasser. Alors Arthur ne dit rien, et ne le regarde même pas.

Mais lorsque la tête commença doucement à s'aplatir sur ses genoux, là, Arthur avait de quoi se sentir gêné.

D'accord. Celle-là, on la lui avait jamais faite.

Heureusement que le Lupy l'appréciait un minimum, autrement il n'aurait pas hésité à le virer d'un coup de genou dans la tempe. Mais Gabriel est sympathique, il a tout prévu pour leur confort, leur divertissement, leur estomac... Ce serait vraiment vache de ne pas lui permettre de se placer un peu comme il veut. Et puis, Arthur n'est pas non plus si coincé du cul qu'on le prétend. Un peu de relâchement, que diable. Sauf que le temps passait, le film tournait, et pourtant Gabriel ne bougeait plus ; ni pour se réinstaller, ni pour manger. Et là, en voyant la courbe de ses hanches bouger à un rythme lent et soutenu, il comprit.

Il s'était endormi sur lui, carrément.

Arthur oublia le film et regarda un peu autour de lui, comme si quelqu'un pouvait surgir de l'obscurité à tout moment et le juger. Mais il n'y avait personne. La question se posait, maintenant : le réveiller, ou le laisser comme ça ? D'un certain côté, ce serait dommage de lui permettre de terminer sa petite sieste ; c'est ensemble qu'ils sont supposés regarder les films. Arthur se sentirait un peu seul de visionner un truc qui ne lui fait pas complètement envie à la base sans lui.

Alors quoi, le réveiller ?

Et puis, Gabriel n'apprécierait peut-être pas de savoir qu'il a somnolé pendant plus de la moitié de la séance... sur lui, en plus.

Il le réveille, alors... ?

Arthur ne sait pas du tout où poser la main pour le secouer. Ou peut-être devrait-il juste l'appeler ?

- Gabriel... ?

Le manque total de réaction le fit rougir d'embarras.

- Gabriel... !

Puis, là, le stress. Un bruit qui ne provenait pas du film. Les personnages parlaient, mais ce qu'il entendait surtout, c'était l'écho de pas qui se rapprochaient de leur petit coin bien au chaud à l'intérieur. C'était peut-être juste un passant, un élève qui cherche quelque chose. Mais qui viendrait monter jusqu'à l'observatoire juste pour se promener ? Et si ça entre, qui va entrer ?!

La porte s'ouvre, la lumière l'aveugle.

« Woah, le scoop ! »

Un élève de son âge dont il ne reconnaissait ni la voix, ni le visage – une fois l'éblouissement passé – les fixa, le visage déformé de surprise comme s'il avait trouvé du pétrole. Là, Arthur se sentit blêmir, et il oublia le monde entier – et les films – lorsque le type sortit son portable en catastrophe pour les prendre en photo. Il se répétait des choses avec enthousiasme, comme « Quand j'vais montrer ça aux autres ! » ou encore « Prit en flag' ! ». Pendant son méfait, il ne fallut à Arthur pas plus d'une seconde pour secouer précipitamment l'aîné et s'écrier haut et fort avec un soupçon de panique dans la voix :

- GABRIEL !

« Salopard... MAIS ARTHUR ET MOI ON EST PAS EN COUPLE ! »

Ne sachant par lequel des deux il devait commencer, Arthur rosit et sursauta en voyant son ami se lever d'un bond – manquant au passage de lui donner un coup, front contre front – et partir à la poursuite du récolteur de ragots à la vitesse d'un coyote.

Arthur n'eut d'autre choix que de le suivre, en espérant ne semer ni l'un ni l'autre. Mais en n'ayant que Gabriel en visuel, il comprit que l'autre avait déjà prit beaucoup trop d'avance. Même en l'apercevant à un virage, il était improbable de le rattraper. Sauf si on est fou. Et ça tombe bien, car Gabriel semble fou. Arthur ouvrit plus grand les yeux en constatant le Ursirre ne pas prendre la moindre seconde d'hésitation pour sauter par-dessus la rambarde de l'escalier. Là-dessous, sous ses pieds, ne se dérobait plus qu'un vide avant le sol.

- T'es fou ?! ne put-il que s'écrier en imaginant déjà l'aîné se briser quelque chose.

Seul réflexe, c'est d'aller regarder par-dessus la dite rambarde. Eh merde. Il a dû, au minimum, se tordre quelque chose. Ou alors cassé son pied. Ou sa tête. Aïe.

Sauf que la scène surréaliste qui se dévoilait sous ses yeux ressemblait en fait vaguement à l'un des Marvel qu'Arthur était en train de regarder aux côtés – enfin en tant qu'oreiller – de Gabriel. Ce dernier était là, affalé sur l'autre sorcier, qui devait avoir plus de mal que de peur contrairement à l'Ursirre qui avait vraiment prit un risque énorme en faisant un bond pareil. Arthur mit quelques longues secondes à réaliser qu'il y avait du mouvement pour témoigner des deux jeunes hommes encore en vie, et les interpella :

- Tout va bien, en bas ?!

Puis, il descendit les escaliers avec une certaine précipitation, tandis que le plus âgé s'occupait de détruire les preuves – les preuves de quoi ? Il n'y a rien à cacher ! À peine fut-il en bas des marches que le type s'enfuit, et que l'Ursirre fit demi-tour pour rejoindre le Lupy qui réalise à peine ce qu'il vient de se passer.

« Mission accomplie, capitaine. »

- T'es complètement malade, fais plus jamais ça ! Tu te rends compte que tu aurais pu te casser quelque chose ?! Tu aurais eu l'air malin, tiens ! Plein de rumeurs et fendu en deux, ça t'aurait fait les pieds !

C'était une gentille engueulade, car chez Arthur, parfois plus il criait fort, plus il montrait son inquiétude. D'accord, on a évité la catastrophe, mais ça l'aurait fait moins rire si c'était au prix d'une autre. Déjà que là, il ne riait pas du tout... Il fit dos à son camarade et lança en grimpant à nouveau les marches :

- Viens récupérer tes affaires, plutôt. Gros débile.