La demande avait été tonitruante, comme à l'accoutumée. La voix rugit et sembla faire trembler les murs de la salle commune des Ursirre.
Le regard brillant de Kyojurô, les iris semblant flamber comme deux braises à l'unisson, était resté fixé sur les flammes timides de ceux de son frère cadet, attendant une réponse, fût-elle positive ou négative.
Senjurô ne baissa pas le regard, habitué aux excès de son aîné et refusa poliment.



Le doux visage du plus jeune s'illumina d'un sourire léger quoique quelque peu contrit.
Pourtant, malgré le rejet de sa demande, l'aspirant Auror ne se démonta pas et se redressa, conservant son sourire.



Sa paume marquée par l'entraînement vint à la rencontre de la chevelure flammoyante du plus jeune de la fratrie et frotta les mèches avec affection et douceur, ce qui renforça le sourire de Senjurô qui opina avec assurance, comme galvanisé par les encouragements et l'aura solaire de Kyojurô.

Ce dernier finit par s'éloigner d'un pas tranquille. Bokken et shinai soigneusement rangés dans un étui glissé sur une épaule et déjà paré des atours d'un kendoka, il quitta le dortoir Ursirre pour prendre la direction du gymnase.

Les beaux jours étaient de retour, à commencer par le printemps, à en juger par les fleurs ornant les différents arbres du campus et dont les pétales s'éparpillaient quand la brise se levait.

Loin de se reposer, malgré les divers événements récents et sa capacité à travailler avec acharnement, Kyojurô n'avait cessé de se surmener. Il demeurait incapable de rester sans rien faire, au grand dam de ses proches.
Enfin c'était l'impression qu'il donnait puisqu'il lui arrivait de se poser un moment, une fois isolé et de se refermer dans ses pensées.
Tergiversations mentales qu'il tentait de chasser du mieux qu'il pouvait parce qu'il fallait après tout qu'il garde une allure droite, impassible et imperturbable.

Le kendo lui permettait de chasser toutes les réflexions diverses qu'il pouvait être amené à avoir.
La garde de son arme fermement tenue dans ses mains, il adoptait un mode de pensée adapté à la situation. Le sourire lumineux qu'il arborait habituellement s'évaporait pour laisser place à une expression concentrée qui ne le quittait que lorsqu'il se débarraissait de sa posture de combat.
Avec puissance, précision et vivacité, il frappait sa cible comme s'il s'agissait des démons qui le hantaient, sans toutefois jamais s'emporter ou se laisser submerger par ses émotions. L'aspirant Auror restait calme, composé, maître de lui-même à un point tel qu'il lui arrivait que l'on se posât des questions sur sa nature humaine.

Néanmoins, Kyojurô intériorisait, énormément, et ce, depuis l'enfance. En cela, il était important pour lui de poursuivre sa pratique du kendo aussi souvent que possible.

Arrivé à la porte du gymnase, l'homme aux cheveux de feu posa une main sur la poignée et entra sans s'annoncer, après tout, ces lieux appartenaient à tout le monde et les occupants de ceux-ci les partageaient le temps de leur entraînement sans se préoccuper de ce que faisait le voisin.

Ce qui n'était pas vraiment le cas de l'aîné des fils Rengoku qui ne pouvait s'empêcher parfois de jeter un oeil curieux sur ce à quoi étaient affairés les autres hères éventuels du gymnase lors d'une pause entre deux enchaînements ; après tout, il était si concentré qu'il n'allait pas regarder ce qui se faisait pendant.


Le palestre était quasiment désert. En effet, à l'exception d'un jeune homme, il n'y avait personne, ce qui garantissait à chacun de disposer d'assez d'espace pour son entraînement.
Fidèle à lui-même, Kyojurô pénétra avec assurance dans le lieu et gratifia l'autre élève d'un « Bonjour ! » bruyant, qui eut tôt fait de résonner et de laisser un écho retentir entre les murs. D'autant qu'une salle aussi vide et vaste que le gymnase garantissait un écho de la plus haute qualité.

Son acuité visuelle étant fine, il n'échappa pas à l'aspirant Auror que l'autre occupant des lieux était affairé à une activité qu'il ne connaissait que trop bien, même si pour l'heure, il semblait occupé sur son téléphone portable, sans doute était-il au milieu d'une pause, jugea Kyojurô.
Sans la moindre gêne, il faut dire que le blond ne pense même pas à tout cela, l'Ursirre s'approche et scrute son pair ; avec insistance, comme il a pour coutume de faire (ce qui ne manque pas de déstabiliser et de le faire passer pour un original, mais il se fiche éperdument de ce que les cancans pourrait bien dire de lui).



Déclara-t-il, sur le même volume et une fois encore ses paroles furent accompagnées d'un écho clair et grave.

Un pouffement au timbre grave, discret et bienveillant fut émis au jeune Strixyst quand ce dernier répondit à la déclaration exhubérante du plus âgé.

D'un pas assuré, Kyojurô s'approche de son cadet et son regard vif et perçant détaille l'arme que celui-ci porte.



Il fallait après tout que tout combattant adapte son style de combat à son allule. Quelqu'un de fluet n'allait pas se battre de la même manière qu'un mastodonte.
L'aspirant Auror avait longuement cherché sa technique au fil des années de pratique en solitaire. Si son père l'avait assisté au cours de ses premières années, il dut se résoudre à apprendre seul, comme bien des choses, grâce notamment à des ouvrages que ses aïeuls avaient laissé à leurs descendants et qui étaient disponibles dans le fief Rengoku à Moerukawa.

Au fil du temps, il avait testé plusieurs choses, en témoignaient ses paumes, marquées par l'entraînement mais demeurant tout de même paradoxalement délicates, ainsi que sa stature, relativement massives.
Certaines voies se sont avérées fructueuses, d'autres être des échecs. Au final, il avait peaufiné sa technique en combinant vitesse, stratégie, précision et puissance au détriment de l'agilité. C'était là son défaut principal et ce que l'on pouvait déplorer.

Sinon, il n'y avait pas la moindre faille.


La requête de Yuta extirpa Kyojurô de ses réflexions et ce dernier avisa le brun, sans montrer la légère surprise que la question avait provoqué chez lui.

Semblant imperturbable, comme à l'accoutummée, l'aîné Rengoku esquissa un large sourire, fier.

Il faut dire que son interlocuteur était un garçon réservé, timide, l'entendre prendre l'initiative pour lui proposer un duel le ravissait au plus haut point. Yuta n'était pas sans lui rappeler son propre frère cadet, en plus talentueux pour le combat, bien entendu. Cela ne faisait qu'augmenter la tendresse et la sympathie que Kyojurô avait pour l'adolescent.



Ses paroles furent assorties d'un rire franc, solaire, comme d'habitude. Celui-ci avait de quoi réchauffer les coeurs les plus froids et d'attendrir les âmes de pierre.

Ils feraient donc un duel au bokken. Ce qui tombait à point nommé.
Délicatement et avec des gestes maîtrisés à l'extrême, Kyojurô dénoua les attaches de l'étui qui refermait son arme en bois de cerisier verni.



Il s'étirerait et enchaînement quelques mouvements, histoire de se mettre en jambes... Et en bras.

Afin de ne pas être dérangé par les étoffes de ses atours, il les resserra fermement, le visage concentré et en fit de même pour ses cheveux afin de ne pas être gêné par des mèches folles. Ses traits fins et ses rides d'expression furent accentués par l'absence de brins capillaires qui encadraient habituellement son faciès.

Il avait cessé de sourire un moment, pour mieux s'appliquer et son physique n'avait rien à envier à ceux des héros des estampes ou d'une pièce Kabuki.

Yuta avait beaucoup de potentiel et avait tout pour devenir un individu exceptionnel.

Kyojurô en avait la certitude et celle-ci ne faisait que s'intensifier lorsqu'il vit son jeune disciple prendre place devant lui.
Depuis qu'ils s'étaient rencontrés, le Strixyst avait bien grandi et mûri au sein de l'école. Il était plus sûr de lui et ouvert aux autres. Bien entendu, il y avait encore du chemin à parcourir mais le garçon était sur la bonne voie et il fallait l'encourager à persévérer.

L'aîné Rengoku ne pouvait qu'être extrêmement fier de lui, et c'est ce qu'il était.

Qu'importent les aspirations de ses protégés, si celles-ci ne s'engageaient pas dans des zones troubles et répréhensibles, il ne pouvait qu'être fier d'eux et les encourageait de vive voix, parce qu'ils en avaient besoin et qu'il n'y avait rien de mieux que de se sentir soutenu et épaulé, qu'importent les circonstances, qu'elles soient favorables ou non.
L'aîné Rengoku ne cesserait jamais de leur tendre la main, de les épauler, de les enhardir avec force compliments et approbations.
Il ne les suivrait pas jusqu'à la fin, chacun ayant sa route et les obstacles qu'il devait surmonter, tout comme il ne pouvait pas tout faire pour eux, mais le blond les accompagnerait une partie du chemin s'il le fallait avant de les regarder s'éloigner de lui, sur la bonne voie.


Par respect pour son adversaire, comme d'habitude dans de telles circonstances, Kyojurô cessa de sourire en se mettant en place, tel un samourai avant d'engager le combat. Et comme les guerriers dont il se réclamait, il arbora un masque de concentration sur son faciès d'ordinaire si affable et lumineux.

Toujours par respect, et cérémonieux, le feu-follet s'inclina face à son cadet avant d'adopter sa posture de combat.



Que Yuta ne retienne pas ses coups, qu'il mette toutes ses qualités à profit pendant ce combat, c'était tout ce que Kyojurô demandait. Il serait ainsi aisé de voir à quel point le plus jeune avait progressé.


Comme un départ de flammes dans une prairie en proie à la sècheresse, l'aspirant Auror bondit vers son adversaire, vif, puissant, les paumes serrées sur sa garde...

Prêt à asséner le premier coup.

Point le temps de se réjouir du succès de sa première attaque, Kyojurô ne fanfaronne pas.

C'est là en plus un comportement déplorable pour un guerrier que de se réjouir de la réussite de chacun de ses assauts. L'esprit ainsi ennivré par la fierté, il est plus difficile de se concentrer et de continuer avec autant de concentration.

Non.

L'aîné Rengoku était un accoutummé de ces combats et depuis l'enfance, il avait rejeté l'ivresse de la victoire, même si celle-ci était proche. La situation pouvait se retourner à tout moment et il était nécessaire de rester alerte, sur le qui-vive, capable de prévoir le prochain assaut de l'adversaire par une observation consciencieuse.

Le blond ne put que remarquer les progrès faits par son protégé et il esquissa un bref sourire en entendant le compliment de son cadet. Rictus qui mourut aussi rapidement qu'il était apparu.
Le visage félin de Kyojurô redoublait en férocité et en noblesse dans ces moments. Il semblait être un héros de Kabuki, sans peurs et sans reproches, vaillant et courageux, tel qu'il les admirait depuis sa plus tendre enfance.





Loin d'être avare en compliments, Kyojurô s'était permis de répondre. Après tout, il fallait bien encourager les progrès effectués quand ils étaient à ce point remarquables.

Sans doute manquait-il d'échauffement à la différence de son adversaire, l'Ursirre subit un assaut de Yuta sans broncher, mettant la faute à personne d'autre que lui-même.

Oh il ne fallait pas prendre le jeune Strixyst à la légère et ce n'était pas le genre de l'aspirant Auror.

Toutefois, il ne se laissa pas démonter par la réussite de son ennemi temporaire, profitant de la proximité qui restait entre eux suite à l'assaut de ce dernier pour contre-attaquer, vif et efficace comme un départ de flamme dans l'herbe sèche.

C'était le bon moment pour le faire et ainsi faire mouche dans son coup.

Toutefois, Kyojurô ne se montrait pas inutilement violent.

Cela restait un combat amical après tout.

Il était important de trouver le bon équilibre entre activités extrascolaires et les études. Trouver un juste milieu entre s'adonner aux cours pour se donner les clés pour parvenir à ses ambitions et relâcher la pression à travers ses loisirs.

Autant que cela se pouvait, Kyojurô soufflait à travers ses diverses passions hors des cours. Courir le matin ou le soir dans le parc, voir les saisons se succéder chaque jour dans les jardins de l'école, chaque rayon de lumière n'avait rien à voir avec celui de la veille, chaque plante était différente ou enchaîner les kata à l'ombre des arbres, sans doute sous le cerisier du Jardin aux Quatre Saisons, aussi concentré et mesuré qu'un samouraï auquel l'on le comparait souvent.

Et pour ses études, Kyojurô était appliqué, assidu, suivant chaque leçon avec un grand zèle. Même trop, puisqu'il avait la facheuse tendance à anticiper le programme d'une leçon ou deux depuis le début de sa scolarité. L'aîné Rengoku était un autodidacte, c'était certain, appréciant apprendre de nouvelles informations de lui-même.
Bien que les professeurs ne voyaient aucun inconvénient à ça et pouvaient même être flattés d'une telle passion pour chacune des leçons et pour les cours qu'ils dispensaient, ils pouvaient reprocher une certaine impatience de l'héritier Rengoku qui avait tendance à occulter malgré lui ses camarades, qui n'avançaient pas à la même allure pour certains, il convenait de le préciser.


Le kendo et la calligraphie étaient bien les seuls arts qui permettaient au jeune homme de travailler sa patience. Ses parents avaient fait en sorte qu'il agisse de manière correcte lors de ces activités mais chassez le naturel, il revient au galop. L'impatience de Kyojurô revenait à la charge et avec fracas en dehors de ces deux loisirs au cours desquels il était possible de méditer.


Le blond opine à la question de son adversaire et empoigne fermement la garde de son arme pour porter la première attaque de l'assaut final.


Néanmoins... Celle-ci n'était pas aussi précise qu'il l'aurait voulu.


L'erreur était humaine.