Tous les matins, la première chose que je devais faire, avant même de prendre mon petit-déjeuner, c'était de devoir prendre mes cachets. Tous les jours, et ce jusqu'à la fin de ma vie. Mais mon psy avait tenté de me rassurer en me disant qu'en fonction de l'évolution de ma maladie, je pourrais avoir la chance de prendre moins de médicaments. Mais là n'était pas la question, le fait de devoir prendre des cachetons jusqu'à ma mort, de manière quotidienne, et à heure fixe me désespérait au plus haut point, je ne supportais pas de voir ma vie contrôlée par des médicaments. Avais-je seulement le choix? Non, donc je devais ravaler ma fierté, et avaler tout ceci avec un grand verre d'eau, au moins deux fois par jour. Ceci fait, je pouvais enfin aller manger, et passer une journée de cours somme toute normale, en espérant ne pas faire une crise en plein milieu d'un cours. Même si mes profs étaient au courant de ma pathologie, je me sentais toujours honteuse quand cela arrivait en public, car cela me faisait pleurer, et je ne supportais tout simplement pas le fait de pleurer en public, ceci étant principalement dû à mon éducation.

Chaque jour, après la fin des cours, je retournais dans la salle commune pour aller chercher Duchesse. Sa compagnie me calmait l'esprit, et mes parents avaient l'espoir que le fait que je m'occupe d'elle quotidiennement m'aiderait à avancer, ce qui au fond était une pensée assez cohérente, que je partageais également. Toutefois, elle n'était pas avec moi uniquement par but thérapeutique, mais comme j'adorais les chats, j'avais tanné mes parents depuis mon enfance pour enfin en avoir un. J'aurais préféré en avoir un sans être malade, mais je ne pouvais pas faire machine arrière. Quand elle me vit arriver, Duchesse sauta d'un des fauteuils sur lesquels elle dormait, et trottina vers moi en miaulant gaiement. Je tenais à cette chatte comme à la prunelle de mes yeux, et s'il lui arrivait quoi que ce soit, je paniquais et n'étais plus capable de raisonner correctement. Je la prenais contre moi, et elle se mit directement sur mon épaule, comme elle le faisait d'habitude. J'avais l'habitude de sortir dehors avec elle de la sorte, donc cela ne me posait aucun problème. Heureusement pour moi, elle n'était pas bien lourde, et la majeure partie de son poids était due à son pelage.

Alors que je me baladais tranquillement avec ma chatte sur l'épaule, elle se mit à l'affût ayant sans doute repéré quelque chose. J'avais entrepris de la dresser pour qu'elle reste calme dans toutes circonstances, mais on ne pouvait jamais à l'encontre de l'instinct d'un chat. Elle sauta de mon épaule et se mit à courir rapidement dans une direction précise. Il me fallut quelques secondes pour que je réagisse et réalise ce qui était en train de se passer. Il y avait un rongeur dans l'herbe, à proximité immédiate d'un autre sorcier, ce qui ne pouvait signifier qu'une seule chose, c'était tout simplement son animal de compagnie. Je me mis donc à courir derrière elle, en prenant un ton de voix assez autoritaire, et suffisamment fort pour qu'elle puisse l'entendre, ce qui était toujours suffisant pour qu'elle s'arrête.

- Duchesse, viens ici, de suite. Elle s'arrêta net, et dut revenir vers moi, baissant la tête, et miaulant comme pour essayer de justifier ce qu'elle était en train de faire. - Je ne veux pas le savoir, je t'ai déjà dit de ne pas faire ça en dehors de la maison. Nous ne sommes pas chez nous, je te l'ai déjà dit 100 fois. Tâches de conserver une bonne image, je te prie. Je lui faisais les gros yeux, avant de la remettre sur mon épaule. Heureusement pour moi, elle m'écoutait suffisamment pour que je n'aie pas besoin de faire quoi que ce soit d'autre.

- Duchesse, suffit. Alors qu'elle commençait à pester sur le rongeur, notamment à cause de sa frustration de ne pas pouvoir le boulotter tranquillement, ce qui allait à l'encontre de son instinct, je lui mis une pichenette sur le museau, ce qui eut pour effet de la calmer instantanément. Même si son instinct prenait le dessus sur beaucoup de choses, elle m'obéissait toujours. - Tenir un chat en laisse? Comprenez-vous seulement la notion d'instinct? Un chat ne se tient pas en laisse comme un chien, c'est un non-sens total, n'importe qui le saurait. Je levais les yeux au ciel, complètement dépitée, mais bien évidemment, je ne pouvais pas en vouloir à cette personne, non seulement car ma chatte avait décidé qu'il serait de bon ton de prendre son animal de compagnie pour cible, mais aussi car il ne devait pas vraiment comprendre le fonctionnement mental d'un chat, et rien que pour ça, je ne pouvais pas le blâmer. Je ne savais pas comment fonctionnait la psyché et le comportement d'un rongeur, c'était la raison pour laquelle je n'en parlais pas, car mes parents m'avaient appris à ne jamais parler de quelque chose que je ne connaissais pas suffisamment. Je me documentais toujours suffisamment avant de parler de quelque chose, sinon, cela ne servait clairement à rien.

- Ceci dit, maintenant, vous pouvez lâcher votre rongeur, elle a comprit. Elle n'osera pas aller à l'encontre de ce que je lui dis, sinon elle s'en mordra les doigts, et elle le sait. Elle reste une chatte, mais elle a suffisamment de présence d'esprit pour ne pas me désobéir. J'agitais ma main à proximité de mon oreille pour chasser un moustique. Je savais que ce moustique était là, mais je savais aussi que Duchesse me regardait bizarrement, comme à chaque fois que j'essayais de chasser quelque chose qu'elle ne voyait pas. Elle ne pouvait pas me comprendre, personne ne le pouvait, il fallait être dans ma situation pour comprendre ce que j'endurais au quotidien. - J'en viendrais même à oublier la politesse la plus élémentaire. Je suis Lilly, Lilly De Latour. Mon nom vous dirait sans doute quelque chose, mais si ce n'est pas le cas, vous faites partie des bienheureux à ne pas encore avoir rencontré l'hégémonie de ma famille.

Je ne faisais jamais étalage de ma richesse à qui que ce soit, non seulement car je détestais ça, mais en plus, c'était d'une impolitesse rare. Mon nom de famille suffisait généralement aux gens pour savoir qui j'étais, c'est-à-dire l'unique héritière d'un empire financier considérable. Mais je ne m'en vantais jamais, se vanter de sa propre richesse était un comportement petit et méprisable. Je savais pertinemment que je n'aurais jamais besoin de travailler de ma vie étant donné mon patrimoine financier, mais je gardais toujours ça pour moi. Quand on me posait des questions à ce sujet, j'y répondais avec toute la transparence possible, mais je n'évoquais jamais directement le sujet moi-même, par simple humilité et respect envers mon interlocuteur. Ces nouveaux-riches qui passaient leur temps à se vanter de leur richesse étaient visibles à des kilomètres. Et je faisais toujours tout ce qui était en mon pouvoir pour les éviter.  

- Ma famille détient l'une des sociétés pétrolières les plus puissantes de la planète, ainsi que d'une des plus grandes firmes technologiques au monde, si cela répond à votre question. Cependant, je n'en parle que si l'on me pose directement la question, se vanter de la réussite de sa famille est non seulement puéril, mais cela n'attire que des problèmes, je suis suffisamment bien placée pour le savoir.

Si l'on ne me posait aucune question à ce sujet, je ne le mettais jamais sur le tapis de moi-même. Mon père ne voyait aucun inconvénient à ce que je parle de sa réussite, mais je préférais garder tout cela pour moi. Car s'il y avait bien une chose que je détestais particulièrement, c'étaient les relations intéressées. Il n'y avait rien de pire que quelqu'un qui prétendait vous considérer en haute estime, alors que tout ce qui l'intéressait dans cette relation, c'était purement et simplement le contenu du compte en banque. Je l'avais déjà connu dans le passé, et comme je détestais être prise pour une idiote de la sorte, je faisais toujours en sorte de ne jamais évoquer la nature de mon ascendance. Bien évidemment, cela finissait toujours par ressortir, d'une manière ou d'une autre, mais je ne l'évoquais que si on me le demandait, et au final, je faisais toujours en sorte d'envoyer paître quelqu'un qui voulait s'attacher à moi uniquement parce que j'étais riche.

- Merci pour la proposition, mais je n'ai pas faim, ça ira, merci. Et à moins que vous ne trouviez des gâteaux contenant du céleri, je devrais pouvoir m'en sortir. Mais j'apprécie la proposition, en tout cas. Je marquais une pause avant de poursuivre. - C'est vrai, moi aussi je vous ai déjà vu. Mais j'ai peu de contact avec les autres. Je ne sais pas pourquoi, je fais pourtant des efforts pour m'intégrer. C'est sans doute mon extraction sociale qui joue là-dedans, apparemment, certaines personnes considèrent que je suis hautaine, alors qu'il n'en est rien. Mais je ne peux pas leur en vouloir, les préjugés ont la peau dure, et il faut faire un sacré travail sur soi-même pour les éliminer.

J'avais eu des préjugés durant ma jeunesse, notamment sur les plus pauvres et les nécessiteux. Mais avec le temps, j'avais fait en sorte de revoir mon jugement à leur égard, et surtout, étant donné que mes actions dans mon propre groupe me rapportaient des bénéfices annuels hallucinants, je faisais en sorte d'en consacrer une bonne partie pour des œuvres caritatives, pour qu'ils puissent avoir une vie bien plus décente. Je ne faisais clairement pas cela pour m'acheter une image, je n'en avais d'ailleurs pas besoin. Mais j'agissais de la sorte simplement car cette initiative me tenait vraiment à cœur, et lorsque je devrais prendre les rênes du groupe à mon tour, je savais déjà comment j'agirais pour faire en sorte que tous les salariés soient augmentés et vivent décemment, une vision que partageait également ma mère.

- Ceci dit, maintenant que nous sommes là, et que j'ai un peu de compagnie, j'ai une question à vous poser. Qu'est-ce que les autres pensent réellement de moi? Du moins, si vous êtes au courant. Je n'ai pas besoin de m'acheter une image, mais j'aime savoir ce que les gens pensent de moi, pour savoir s'ils sont dans le vrai, ou si quelqu'un leur a raconté n'importe quoi.

Cela se voyait à des kilomètres à la ronde qu'il se fichait éperdument de ce que je pouvais bien lui dire, et cela ne m'étonnait absolument pas. Je ne pouvais pas lui en vouloir, la plupart des gens agissaient ainsi, car ils s'arrêtaient généralement à mon extraction sociale, ma façon de m'habiller ou bien encore ma façon de parler ou de réagir, car mes parents m'avaient éduqués d'une telle manière qu'il fallait que je montre mon niveau d'éducation dans mes actions et dans mes paroles. Pour eux, je devais être fière de ce que j'étais, mais je devais également ne jamais en faire trop. Il fallait toujours que je trouve le juste milieu, ce qui n'était pas chose aisée, car je savais pertinemment que des gens comme moi pouvaient énerver pas mal de monde, et je n'avais pas encore la faculté de savoir lire dans les pensées d'autrui, donc, dans ce domaine, j'avançais toujours à l'aveuglette, car je n'avais pas vraiment d'autre moyen, en fin de compte. Je n'étais pas préparée mentalement pour savoir comment réagir avec chaque personne en face de moi, je n'étais qu'une simple adolescente, pas une medium extra-lucide.

- Je pourrais me dire que ce n'est pas grave, mais il y a des choses dans ma vie, comme mon état mental, qui m'empêchent de faire abstraction de ce genre de choses. A cause de ces choses-là, je ne peux pas m'enlever de la tête que je ne veux pas être vue comme une mauvaise personne par les autres. Mais j'imagine que cela vous passerait au-dessus de la tête, et je n'ai pas envie de perdre mon temps à m'expliquer pour quelque chose dont tout le monde se fiche éperdument.

Je n'utilisais jamais cet argument pour me faire voir comme une victime, j'avais d'ailleurs horreur de ça.  Je n'arrivais pas vraiment à me voir comme une malade mentale, mon psychiatre m'expliquait que cela faisait partie du déni. Je savais que je n'étais pas stable mentalement, je le reconnais, mais je me refusais à me voir comme une malade mentale. Et quand les autres prenaient des pincettes avec moi, en me plaçant comme une victime, et en agissant avec moi comme si j'étais une poupée de porcelaine, cela me mettait en dehors de moi. Les gens, de manière générale, ne savaient pas comment agir dans ce genre de cas. Et personnellement, je préférerais qu'ils ne fassent rien plutôt qu'ils tentent des choses qui de toute manière finiront toujours par blesser quelqu'un.

- Vous venez d'où, si ce n'est pas indiscret? J'aime bien savoir d'où viennent les personnes avec qui je parle, ça permet toujours d'avoir certains sujets de conversation, ce qui m'arrangerait, je dois bien l'avouer, je suis assez mauvaise pour pousser les conversations, en fin de compte.