Histoire30.01.2004.
13.04.
02.
Pour Sigmund, on parlait en chiffres. Si ce ne sont pas des probabilités, c'est des calculs. Si ce ne sont pas des calculs, c'est des probabilités. La
date. L'
heure. La
température extérieure. En ce jour banal et extraordinaire, de la neige coriace subsistait encore dans les parcs et même un peu sur les voitures. Pourtant le soleil brillait d'une lumière aveuglante, et la poudreuse trop dure sur le béton scintilla comme si elle n'était que particules tombées du ciel.
Les rangs moldus s'agrandirent par la venue d'un petit garçon qui n'aura ni frères ni sœurs, ce qui attirera toute l'attention des parents vers son profil jusqu'à l'événement fatidique de la séparation. Car s'ils n'ont qu'un enfant unique, Monsieur et Madame Neumann n'auront aucune raison de se désintéresser de lui ne serait-ce qu'un instant. Ils auront les yeux fixés sur lui. En prendront soin comme la chair qu'ils auront conçu ensemble. Sigmund, tout petit était-il encore alors, n'avait aucune conscience de la surprotection dont ses parents étaient capables jusqu'à assez loin dans le futur.
Allemand de toutes parts dans sa famille, il ne connut aucune autre ville que Munich qui témoigna de sa naissance et ses années d'enfance. La famille étonnamment grande entoura plus qu'il n'en avait besoin le nourrisson, un si petit bébé qui recevait plus d'attention qu'il ne pouvait en comprendre ; pas un silence il n'y avait le jour durant la semaine qui suivit son arrivée à la maison.
Quand on faisait la comparaison, on ne devinait jamais de qui il tenait le plus : il avait les mêmes yeux que son père, mais aussi la chevelure délavée de sa mère. Les traits de Papa. Mais les mains de Maman. C'était un garçon, mais il était plutôt frêle comme une femme.
Tout les trois très attachés à leur vie de famille modeste en tout points, peu de choses se produisaient à la maison. On peut résumer les débuts du quotidien de Sigmund en quelques lignes tirées de jours lambdas, quelques peu répétitifs voire monotones ; une série télévisée le soir, un restaurant par mois, et une école absolument ordinaire avec deux ou trois copains et copines à la clé. Un jeune garçon aussi simple que lui n'a plus rien à raconter si ce n'est la vie que quasiment tout le monde a eu.
Le seul détail qui le différenciait foncièrement des enfants de son âge, c'était cet endoctrinement de la philosophie dont ses parents étaient particulièrement fiers. Il y fut réceptif, mais pas au même point que le mari ou la femme. Il avait certes apprit que son propre prénom n'était en rien unique et le reliait trop brusquement à Monsieur Freud, mais sa curiosité n'alla pas au-delà des écrits de cet homme-ci.
Alors oui, il y avait Platon, Nietzsche, mais les études sur l'ego et le surmoi attiraient plus que quelconque autre leçon l'esprit de Sigmund. Le fonctionnement moral de l'humain ainsi que ses réactions animales et similaires entre les individus de sa propre espèce recelait cette intrigue, et il trouvait même encore plus fascinant qu'on n'y ait toujours pas répondu avec suffisamment de réponses.
C'était là le plus grand argument qui poussait l'Allemand à s'y intéresser encore des années plus tard : jamais le thème-là n'allait s'essouffler et trouver mot qui le fermera définitivement.
De toutes évidences, la curiosité de Sigmund maintenait son envie à toujours savoir plus de choses, et
surtout les comprendre. C'est pourquoi lorsqu'il se retrouva bloqué quasiment après son onzième anniversaire, la collision au mur fut quelque peu brutale. Et son incompréhension, douloureuse.
Février venait de s'ouvrir, et la neige dehors était encore très tenace. À la regarder, Monsieur et Madame Neumann pourraient se rappeler facilement de la naissance de leur fils. Cette neige-là luisait aussi au même soleil brillant, étincelant, rapporteur de belles images et créateur de nouvelles qui sont toutes aussi splendides à regarder.
Pourtant, ce matin, Sigmund refusait de sortir de sa chambre ; l'heure tournait et il était incertain qu'on puisse dire s'il était réveillé ou non.
Il ne voulait pas répondre lorsqu'on frappait à sa porte, mais celle-ci n'était pas verrouillée. Ce ne fut que lorsque sa mère entra que le garçon sortit la tête de sous la couverture, avec laquelle il se cachait de quelque chose qui l'effrayait autant que ça ne le rendait confus. En effet, des choses étranges semblaient s'être passé durant la nuit et aux aurores ; privant ainsi l'Allemand d'une partie de son sommeil.
Ses parents étaient persuadés, en entendant parlé d'objets volants et d'étincelles, que leur fils avait seulement rêvé avec trop de réalisme et que celui-ci peinait à distinguer l'illusion de la réalité.
Or, après être parvenu à le rassurer et l'amener au moins manger autour de midi, le journal qu'avait rapporté son père et posé sur la table prit feu, et rien qu'avec la force de son regard stressé et fatigué.
Cette fois tous témoins du surnaturel, la confusion emplit la maison durant les jours suivants. Une peur ahurissante grandissait petit à petit dans le cœur de Sigmund, terrant ce dernier chez lui sans qu'il ne trouve le courage de retourner à l'école. Surprotecteurs qu'ils étaient avec le seul enfant qu'ils avaient, ses parents le soutenaient avec une affection parfois étouffante. Certes ils étaient bons et ne pensaient qu'à son épanouissement, mais être tant cajolé pour des événements qu'ils ne pouvaient même pas expliquer pouvait être comparé à des auscultations quotidiennes, toutes curieuses comme si Sigmund n'était plus qu'une bête de foire.
Personne de la famille n'en entendit parlé, et à côté de ça, père comme mère creusaient les pistes pour savoir qui appeler et comment l'expliquer. Mais en passant de la police au chaman plouc sans crédibilité sur Internet, ils ne trouvèrent aucune solution (et ne tentèrent pas plus le Diable que ça, afin de ne pas livrer leur progéniture comme une nouvelle espèce).
Le secret resta enfermé dans cette maison, de laquelle Sigmund accepta doucement de sortir en mi-mars, afin de renouer avec la petite vie qu'il avait laissé derrière. Malheureusement, le stress quotidien et la nervosité de se retrouver face à une classe qui n'a jamais comprit sa disparition le poussa à abandonner au dernier moment, et il dévia régulièrement de la porte de l'école pour se réfugier dans la bibliothèque municipale située quelques rues plus loin.
Ses parents le découvrirent à la suite des nombreuses absences qu'ils n'avaient pas prévu. Le lendemain de cette trouvaille, le jeune garçon cessa de nouveau de sortir et n'osa même plus essayer. Les événements étranges avaient pourtant cessé il y a quelques temps, mais l'inquiétude de Sigmund ne s'en était jamais allé ensuite. Il avait perdu confiance en un lui qui ne l'impressionnait déjà pas beaucoup.
L'amour du couple marié pour leur fruit sut maintenir les fissures de ce manque d'estime, et peut-être avec beaucoup de discrétion mais une immense lenteur, Sigmund trouva un équilibre pour se regarder à nouveau dans la glace sans la briser.
Il pouvait encore arriver des petits détails intrigants lorsqu'il n'était pas au mieux de sa forme, mais tous les trois prenaient l'habitude au même rythme.
Et au début du mois d'avril, alors que la maison se stabilisait à peine, deux visiteurs venus d'ailleurs toquèrent à leur porte.
La petite famille comprit de manière assez brouillonne que cet étrange duo d'hommes d'âge mûr en savait beaucoup plus sur Sigmund qu'eux-même. Une nouvelle qui n'était en soi pas négligeable à recevoir, car au-delà de la peur, il fallait bien que le concerné comprenne un jour ce qui était en train de lui arriver.
Difficile toutefois de concevoir en une petite discussion autour d'un café que le monde actuel est le voisin d'un autre, magique et habité par des personnes exceptionnelles comme Sigmund, qui a actuellement autant sa place dans l'un que dans l'autre ; mais dont le passage sera obligatoire. Difficile, certes, mais après le mois de février qu'ils avaient passé, les Neumann étaient disposés à croire en presque tout ; surtout en une manière de débarrasser le fils de tant de préoccupations.
Ces messieurs étaient repartis en laissant derrière eux une flopée de documents suffisant à les renseigner sur les écoles de magie dans le monde ; avec la condition évidente qu'il n'ont pas vraiment le choix. Laisser un
sorcier en liberté dans le monde moldu, aussi connu soit-il pour lui, sans passer par une éducation adaptée, rapporterait plus de problèmes qu'il n'en a sûrement ramené en séchant aussi promptement les cours jusque-là. Un espoir se profila alors à l'horizon, rassurant les parents d'un fils encore tout retourné par tant de révélations.
Ils s'avéraient même en vérité bien plus optimistes que lui : Sigmund ne dénicha aucune motivation dissimulée entre la nervosité et l'abasourdissement. La terreur d'être un une personne dont il ignore encore tout sans être certain de pouvoir le contrôler l'empêcha d'avancer plus loin malgré ces éclaircissements. Ainsi, il pouvait tout les soirs entendre ses parents discuter dans le salon, écumant un à un et à répétition tout les flyers dont ils disposaient pour se mettre d'accord sur le meilleur avenir pour lui. Il aurait pu sortir de sa chambre et trouver le courage de les rejoindre, reprendre lui-même sa vie en mains au lieu de se laissé bercé par des soins qui le couvrent trop...
Une lâcheté certaine le fit toujours reculer jusqu'au mois de juin. Sigmund faisait le deuil de ce lui sans pouvoirs auquel il a toujours été habitué jusqu'à la fin de son enfance. Ils se réunirent enfin tout les trois pour décider quelle école choisir.
Beauxbâtons était l'établissement le plus proche, mais sa non-maîtrise absolue du français le terrorisait ; il ne savait quoi choisir entre la proximité et la praticité. Poudlard semblait être un choix un peu plus idéal, mais la crainte d'une école encore trop traditionnelle (dans un château) le fit déglutir d'incertitude.
Restait la solution facile, mais un peu directe, de quitter carrément le continent pour un autre. Encore effrayé par ces nouveautés, Sigmund ne put encore choisir jusqu'à ce que le printemps s'évanouisse dans des températures plus chaleureuses ; ainsi la solide neige luisante fondit et s'effacèrent les paysages de la douce enfance.
Un matin, Sigmund demanda avec des larmes de honte dans les yeux si ses parents ne lui en voudraient pas de choisir Ilukaan.
L'ouverture de cette école et l'internationalité de celle-ci atténuaient ses craintes qui se firent seulement plus minimes et correspondaient de toutes façons mieux que les autres à ses difficiles attentes. Peut-être l'école était grande, mais il n'allait pas s'y sentir enfermé, coincé dans un étau où l'on connaîtrait plus facilement son nom pour l'humilier.
La peur du jeune Allemand se mit à rétrécir durant son dernier été avant le grand jour. Et lorsque la rentrée sonna ses cloches, le même duo d'hommes revint le chercher. Ses parents auraient pu les accompagner dans ce qui semblait être une ville sorcière, cachée des yeux des Canadiens moldus qui n'y voyaient absolument rien, mais lui-même savait qu'il demeurait encore un détachement à subir afin de reprendre totalement contenance avec ses nouveaux pouvoirs.
Sur le trajet vers l'Amérique, les hommes le rassurèrent sur le point important qu'il existait beaucoup de « Né-moldus » à travers le monde et qu'il n'était ni un cas rare, ni une exception. Les conversations entre eux furent également occasions diverses à lui parler un peu plus du monde magique et de ce qu'il y avait de bon à savoir pour les douze prochaines années. S'il s'attendait à un malaise difficile à avaler, les nombreux achats passés à Bloombury lui permit de s'acclimater à la présence de ces messieurs et des autres sorciers.
Au-delà de la magie quasi-permanente dans la ville, il était surpris d'y découvrir à plusieurs coins de rue un mélange harmonieux entre surnaturel et technologie. Là où ces deux mots feraient bon ménage dans des films un peu trop fournis en effets spéciaux, la véracité de ce fait l'impressionnait et l'inspirait à en savoir plus sur ce monde auquel il appartenait partiellement.
Et l'école, comme il l'imaginait, était bien grande.
Cervirald.
Superposée à son reflet, l'image d'un caribou apparut dans la fontaine.
La classification des élèves datait de la création de l'école, mais il avait entendu que le directeur Leroy avait brisé les premières règles pour que les maisons ne soient plus aussi homogènes qu'à l'époque. Malgré cette intention, Sigmund ne ressentait pas les vibrations du relationnel ou de l'esprit d'équipe. Encore trop perdu dans ce monde trop nouveau pour lui, son nouvel habitant, il fit à peu près la même chose qu'à la maison : il s'enferma dans sa chambre lorsqu'il n'avait pas cours.
Au moins, il en sortait justement pour étudier, mais la motivation n'avait pas retrouvé son chemin comme le reste ; et même si l'Allemand n'était en rien mit de côté ou martyrisé autrement que par sa nervosité, il s'écartait volontairement des autres et ferma à double-tour sa petite bulle qui ne se résumait plus qu'à un troisième monde.
Lui-même divisé en deux : Internet, et le Witchnet comme voisin ensorcelé.
Son ordinateur neuf et acheté justement pour garder un contact encore plus facile avec ses parents, il devint l'outil d'un nouveau développement de personnalité. Assez seul pour se consacrer jour et nuit à cette plateforme numérique, Sigmund fouillait la toile comme si elle représentait un univers encore plus vaste et merveilleux que celui de la magie. La peur, parfois encore l'incompréhension, et même tout simplement son quotidien transformé, réunis ensemble faisaient de sa vie de tout les jours une aventure dans laquelle il ne se sentait pas encore bien. Ainsi, le garçon âgé de seulement onze ans apprit à construire encore un peu de lui-même à travers divers sites et forums.
Il n'était plus le même
URL, renommé sous le pseudo de « 9S » et avec aucun indice évident pour le rattacher à lui. C'était un peu son petit secret. Une barrière indestructible qui lui permettait d'être un lui qu'il appréciait mieux encore que celui de la réalité. Un gars un peu cynique, complètement indifférent des débats, et qui dit un jour « conquérir le monde » avec ses connaissances.
Il s'aimait ainsi.
Il finit toutefois par aimer autre chose à un nouveau point où il changea encore.
Elle s'appelait Natalya, et elle était un peu plus âgée que lui. Il était encore bien trop jeune pour tomber réellement amoureux, mais le pont entre l'enfance et l'adolescence était tout à fait propice à des petites amourettes que même un cœur aussi innocent pouvait enterrer plus tard avec honte.
Grâce à cette fille pourtant plus fermée que lui, Sigmund parvint à sortir de son cocon de timidité et même à s'accrocher à elle au point de pouvoir exercer cette empathie envers d'autres. Ainsi, le jeune Cervirald se fit quelques amis, brava l'extérieur magique pour oublier les parcs de Munich pleins de neige... et s'offrit même le plaisir de partager un peu de cette connaissance technologique qu'il possédait fièrement.
Sigmund était un jeune garçon content de son présent.
Un jour, peut-être, pourra-t-il conquérir le monde.