Dans le couloir où il était coutumier d’entendre avant même de voir les élèves qui bavardaient en attendant que leur professeur ouvre la classe, fermée à clé durant les pauses de midi, ne s’élevaient que des murmures de temps à autre. La plupart de ces jeunes gens avaient le nez plongé dans leur grimoire et leurs parchemins de révision. Ils relisaient frénétiquement chaque phrase, levant les yeux de temps en temps pour répéter leurs notes et schémas dans leur tête, histoire de vérifier qu’ils les avaient bien appris par cœur. Certains se testaient entre eux rapidement, histoire de frimer et se rassurer pour ceux qui possédaient une meilleure mémoire ou qui avaient mieux révisé durant et hors des cours. Les malheureux qui se rendaient compte qu’ils auraient dû y passer plus de temps ou appliquer d’autres stratégies d’études ne faisaient qu’augmenter leur niveau de stress lorsqu’ils se retrouvaient béats face aux questions pièges de leurs amis. Certains élèves faisaient les cents pas, les yeux rivés sur leurs feuilles tremblantes entre leurs doigts, d’autres étaient assis le long du mur qui longeait la salle de classe dans laquelle ils allaient devoir mettre en pratique toutes les connaissances acquises durant cette année scolaire.

Bien que les élèves de sixième année n’aient pas de session d’examen cette année, un bon nombre de professeurs avaient calés des évaluations lors de leur dernière semaine de cours, histoire d’ajouter une dernière note avant de bloquer les moyennes. C’était le cas du professeur de Sortilèges. Ceci expliquait l’étrange pièce de théâtre improvisée qui se déroulait dans le couloir. Alistair y prenait rarement part. Il restait généralement debout, appuyé contre le mur d’en face, et observait ses camarades stresser comme on regarde un documentaire animalier : d’un œil distrait, comme si nous n’étions pas concernés, mais tout de même fascinés. Le jeune homme avait passé bien assez de temps à réviser de manière régulière et à s’assurer qu’il avait bien retenu de manière durable le contenu de ses cours, cela ne servait à rien pour lui de se monter la tête et se mettre la pression en rejoignant cette chorégraphie grotesque. Aussi, Alistair était apaisé, calme, ses entrailles n’étaient pas le moins du monde perturbées, alors cela ne servait à rien non plus de vouloir se rassurer en se rendant compte qu’il était bien capable de répondre à toutes les questions pièges que voudraient bien lui tendre ses camarades.

L’autre grande raison pour laquelle l’Ursirre ne se comportait pas ainsi, c’était qu’il avait bien conscience que le fait qu’il était capable de répondre aux questions du tac au tac, sans la moindre hésitation, pouvait faire paniquer ses camarades. Les adolescents étaient très sensibles aux comparaisons entre eux, et discuter avec quelqu’un de prêt pour un contrôle quand on est pas sûr de l’être soi-même, c’est un coup à se dévaloriser et en oublier toutes ses connaissances à cause du stress. Il ne souhaitait pas infliger cela à ses camarades. Les seules questions auxquelles le jeune homme voulaient bien répondre, ce n’était pas celle pour tester ses capacités mais celles de ses camarades paniqués qui ne parvenaient pas à retrouver un point important dans leurs notes rapidement et qu’ils avaient sur le bout de la langue. Ceux-là, Alistair les mettraient volontiers sur la piste.

C’était dans le meilleur des états d’esprit que le canadien patientait. Il avait bien mangé durant la pause de midi qui précédait cette évaluation, il avait bien dormi cette nuit, et il était certain d’obtenir une très bonne note au vu de ses résultats tout au cours de l’année.

Le regard grisâtre d’Alistair flottait devant lui quand son camarade l’approcha. Il ne porta pas tout de suite son attention sur celui-ci, pensant à un mouvement que le garçon faisait pour se débarrasser de son stress, anticipant peut-être un peu trop la difficulté de ce test à venir.

Il fallut quelques secondes, quelques efforts mentaux, se traduisant par des clignements de paupières répétitifs, à Alistair pour descendre de son nuage, pour dissiper la brume qu’il laissait l’envelopper dans ces moments d’attente. Il tourna lentement la tête vers son camarade avant de réellement poser son regard sur … Zenitsu Agatsuma.

C’était un jeune homme que le Canadien appréciait, en témoignait la vitesse à laquelle son visage se détendit lorsqu’il réalisa qui lui avait adressé la parole. Le jeune Davis reprit appui sur ses pieds, ne s’appuyant plus sur le mur derrière lui, histoire de signifier à son interlocuteur qu’il avait sa pleine et entière attention. Il conserva tout de même ses mains dans ses poches, car il voulait éviter de gesticuler ou se triturer les doigts. Il voulait avoir l'air confiant, car il estimait que c’était ce dont son camarade complètement paniqué avait besoin à l’instant.

L’adolescent ne nécessita pas même une seconde de réflexion pour se souvenir de la réponse à la question du Japonais. Le contre-sort du sort de stupéfixion était le charme de réanimation, Enervatum. L’adolescent laissa ses lèvres s’étirer en un petit sourire qui se voulait rassurant alors qu’il lui offrait sa réponse.

- C’est Enervatum, le contre-sort. Mais attention sa formule est “Revigor”. Il permet aussi de redonner de l’énergie aux personnes affaiblies ou inconscientes de manière générale.

Le blond estima que s’il donnait une explication un peu plus longue, les mots pourraient se mélanger dans la tête de son camarade. Après tout, son but était de l’aider, et non pas de lui faire étalage de ses connaissances pour le stresser d’autant plus.

Zenitsu faisait peine à voir, ce spectacle pinçait le cœur à Alistair. Le jeune homme ne voulait pas relever ses yeux emplis de larmes ou son regard qui hurlait clairement des SOS. Il espérait ne pas paraître trop maladroit tandis qu’il posait une main nonchalamment sur l’épaule de son camarade, tentant de le faire sortir de sa transe en lui demandant à son tour :

- Comment-tu te sens ? Stressé ?

S’il ne faisait pas quelque chose pour tenter de sortir son ami de sa spirale de négativité, il ne s’appelait plus Alistair. Et puis, ce n’était pas avec un esprit qui allait à mille à l’heure et paniqué que le Japonais offrirait ses meilleures performances. Il lui fallait regagner son calme pour pouvoir puiser sereinement dans sa mémoire une fois qu’il se trouverait face à son évaluation. Mais ça, Alistair se gardait bien de le lui dire. Demandez à quelqu’un en stress d’arrêter de stresser et voyez un peu si ça a la moindre efficacité.

Alistair hocha de la tête alors que son camarade acquiesçait. Au fond de lui, il se doutait bien que le Japonais savait déjà la réponse, qu’elle était très certainement stockée quelque part dans les nœuds de son cerveau. Mais il n’était pas difficile d’imaginer à quel point les réponses aux questions les plus simples et insignifiantes pouvaient nous échapper lorsque l’on était exposé à une certaine quantité de stress. Alistair connaissait cette expérience mais autrement. Les mensonges qu’ils devaient parfois servir à sa mère quand à la vie de sa jumelle et lui chez leur père lui glissaient entre les doigts quand elle lui mettait assez la pression.

Dans ce genre de moment, Alistair pouvait sentir son cœur battre jusque dans sa gorge. Il devenait agité, son corps tremblant alors que les battements de son cœur accélèraient pour tourner aussi vite que les rouages de son cerveau. Ses vêtements, aussi légers qu’ils pouvaient l’être, lui donnaient bien trop chaud et il pouvait sentir une goutte de transpiration descendre lentement le long de son échine, dans le creux formé par sa colonne vertébrale.

Mais Alistair était bien loin de se trouver dans l’une de ces situations à présent. Il était à Ilukaan, il n’avait donc ni besoin de passer du temps chez son père, ni besoin de mentir lorsqu’il passerait du temps chez sa mère ensuite, puisqu’il n’avait pas besoin de passer du temps chez sa mère. Mais d’ici quelques jours … une fois que ses tests seraient terminés, que les notes seraient bloquées et que les vacances arriveraient …

Rien de cela ne lui vint en tête pour le perturber tandis qu’il écoutait patiemment son interlocuteur qui se confiait à lui. Un ange passa entre eux avant que son camarade ne lui retourne la question, alors qu’il réfléchissait à quoi dire pour le rassurer. Mince … Il savait que s’il avait l’air trop confiant, cela pouvait mettre encore plus la pression à Zenitsu qui pouvait tenter de comparer son stress grandissant au calme olympien dont il faisait preuve. Mais il ne pouvait pas mentir non plus, car il n’était visiblement pas perturbé le moins du monde par l’évaluation qui se rapprochait un peu plus à chaque seconde. Le jeune homme haussa les épaules avant de dire à son tour :

- Je sais que j’ai révisé du mieux que je pouvais et je me sens prêt, dit-il en hochant la tête d’un air déterminé. Je pense que tu n’as pas trop à t’en faire : il n’y aura pas de partie pratique aujourd’hui, cela prendrait trop de temps à mettre en place. Et puis, le prof est sympa. Il a bien vu tous les progrès et efforts que tu as fait depuis le début de l’année, il le prendra sûrement en compte !

Ce n’est pas du baratinage venant de la part d’Alistair. La personnalité qu’il empruntait face à Zenitsu n’était pas du genre à lui dire ce qu’il voulait entendre et lui servir des belles paroles sur un plateau. Non. Avec Zenitsu il pouvait être franc et lui faire part de ses critiques constructives s’il en avait. Mais l’heure était plutôt à l’apaisement. Il fallait toujours qu’il tente de donner confiance au Japonais, même si cela ne durerait que pour les premières minutes de leur test.

- Allez, Zeni ! s’exclame-t-il en secouant doucement le blondinet par les épaules. Tu peux le faire ! Il te faut prendre de lentes et profondes inspirations pour faire descendre ton rythme cardiaque, conclue-t-il avant de prendre une profonde inspiration pour montrer l’exemple à son camarade.

Le coréen savait pertinemment qu’il n’allait pas être capable d’essuyer tous les doutes et toutes les craintes de son camarade avec quelques belles paroles, aussi honnêtes  pouvaient elles être. Mais il était tout de même satisfait de le voir se détendre, de sentir ses muscles se relâcher sous ses doigts. Le jeune homme venait de calmer les eaux qui s’agitaient en lui, c’était à présent à Zenitsu que revenait la dure tâche de gagner confiance en lui. Si Alistair venait de l’aider à s’échauffer, il lui restait encore une longue marche, le connaissant. “C’est bien.” “Parfait.” Commentait le garçon pour l’encourager alors qu’il adoptait une respiration plus lente. Il voulait le planter dans l’instant présent. Ni les doutes du passé ni les craintes de l’avenir n’avaient leur place dans l’instant présent.

Il avait bien conscience qu’il suffisait de faire preuve de patience. Si le Japonais n’avait pas encore confiance en lui, Alistair était confiant à sa place. Il l’avait bien vu se démener depuis leur première année. Si le Japonais ne s’en rendait pas compte, à cause des œillères que ses propres angoisses lui procuraient, il n’était pas du genre à tirer au flanc. Ou en tout cas, ce n’était pas l’impression qu’il donnait à son camarade Ursirre. Et c’était le genre de chose qui marquait Alistair.

Le coréano-canadien se rendait bien compte que tout le monde ne venait pas au monde avec les mêmes armes pour faire face au stress des études mais aussi, beaucoup plus bêtement, pour se scolariser tout simplement. Il se rendait bien compte de la chance qu’il avait d’avoir des facilités à apprendre en plus d’être né au bon endroit pour pouvoir facilement rejoindre l’une des meilleures écoles de magie du monde. Mais sa mère lui avait fait intérioriser les valeurs du travail et de l’acharnement. Aussi, il abhorrait toute forme de fainéantise. Il savait que les efforts à fournir pour tenter de compenser des handicaps et obstacles à l’apprentissage pouvaient être conséquents. Oui, il en avait bien conscience. Cependant, il ne pouvait s’empêcher de toujours éprouver une certaine forme de mépris lorsqu’il avait l’impression qu’une personne ne se donnait pas activement les moyens de réussir ses entreprises.

Mais comme cité plus tôt, il n’avait pas cette sensation de la part de Zenitsu.

Quand le Japonais lui demanda s’il faisait preuve de sincérité, son camarade, affichant toujours son sourire qu’il voulait rassurant, hocha la tête.

- Je te le jure, Zenitsu : je pense sincèrement que tu vas te débrouiller, commença-t-il. Je sais que c’est dur pour toi, mais il te suffit de rester calme et tu seras capable de fouiller là.

Il pointa un index vers la tête de Zenitsu après lui avoir relâché les épaules. Il pointait ses épaules, sous-entendant qu’il parlait de sa mémoire. Toutes les informations dont il avait besoin y étaient stockées, ils le savaient pertinemment tous les deux.

Il aurait aimé pouvoir être capables de dire des longs discours inspirants qui glonferaient à bloc son camarade et lui donneraient tout le courage et toute la confiance en soi nécessaires à ce qu’il puisse offrir la meilleure des performances lors de ce dernier test de l’année. Mais non seulement il n’était pas doué pour proclamer des discours, surtout à l’improviste comme ça, mais des bruits de talons résonnant dans le couloir lui fit également comprendre qu’il n’en aurait même pas eu l’occasion même s’il en était capable.

Le coréano-canadien reconnut immédiatement le rythme et la puissance des pas de leur professeur de sortilège. Il marchait d’un pas vif, signe de sa détermination – ou peut-être de son retard – et lourd. Il devait avoir mal aux lombaires à force de taper du talon au sol comme ça.

Les jeunes hommes se tournèrent, pour observer la source du bruit dans le couloir, confirmant rapidement l’intuition du jeune homme. Peut-être devina-t-il à l’avance que le stress de son camarade allait grimper à nouveau haut dans le ciel, ou peut-être le vit-il la tension dans ses muscles renaître. Quoi qu’il en soit, il pinça doucement le coude de son ami pour attirer son attention une dernière fois.

- Allez, bon courage Zeni.

Il ne pouvait lui réserver plus de mots, car bien rapidement leur professeur arriva et annonça qu’il pouvait ranger leurs baguettes et leur sac à l’avant de la classe, qu’aucune tricherie ne serait tolérée et que le moindre soupçon de tricherie entraînerait l’exclusion de la classe et la note minimale au test. Bien de quoi mettre les élèves en confiance et les rassurer avant cette dernière épreuve.