Le soleil s’était levé il y a peu de temps, en ce matin de printemps.
La nature se réveillait doucement dans les espaces verts du campus, comme encore engourdie du long et rigoureux hiver canadien. Beaucoup d’étudiants semblaient aussi émerger d’une longue torpeur… Comme s’ils avaient hiberné.

Ce n’était pas le cas pour certains, dont Kyojurô qui était d’un naturel fougueux et énergique, son feu intérieur ne semblait jamais faiblir, enfin on le voyait ainsi et ça lui convenait bien.
Souriant, lumineux, il réchauffait ses pairs de sa présence, sans le moindre mal alors que son lui profond brûlait sous la pression qu’il s’infligeait lui-même au quotidien.

Jamais il ne se plaignait, il restait positif en permanence, serviable, comme si sa vie n’avait pas été ponctuée de drames, comme si les doutes n’assaillaient pas son être, comme si sa lumière si vive ne rendait pas les ombres qui l’entouraient plus sombres.


L’Ursirre s’était levé avec les premières lueurs de l’aurore, en même temps que le soleil et s’était préparé sans tarder, revêtant un kendo-gi rouge et un hakama noir et rassemblant ses boucles flammoyantes en un chignon haut avant de sortir, son arme soigneusement rangée dans son étui glissé sur son épaule musculeuse…

Et quelle arme ! Son adversaire et compagnon d’entraînement du jour était un bretteur aussi confirmé que lui, il allait sans dire qu’ils n’allaient pas se contenter de s’échauffer. Ce serait indigne de leur niveau, pour qui passerait-il si ses duels restaient triviaux ? Kyojurô avait une réputation à tenir, tant par son statut de vice-président du club d’escrime, d’instructeur de kendo, de futur Auror et en tant que Rengoku.

D’un pas preste mais assuré, le blond se dirigea vers le lieu de rendez-vous fixé avec son frère d’armes. Sans la moindre hésitation, ses doigts empoignèrent la porte pour la faire coulisser et il remarqua bien vite que son ami était déjà présent en ces lieux et déclara, d’un timbre joyeux et tonitruant :



Ses paroles furent accompagnées d’un rire jovial, qui résonna sans mal entre les murs du bâtiment.

Lui et Giyu étaient le jour et la nuit, deux parfaits opposés. L’un assuré et loquace, l’autre taciturne et difficile à cerner… Et à entendre, l’ouïe altérée de Kyojurô avait bien souvent du mal à saisir ses paroles.
Et pourtant, il appréciait la compagnie du brun, discutant sans la moindre malveillance avec lui, parlant de tout et de rien, de trivialités comme de sujets plus profonds.

Qu’ils soient l’antithèse l’un de l’autre ne semblait pas inquiéter l’aspirant Auror outre mesure. Il trouvait en son camarade quelqu’un d’honorable, de travailleur, bien que sombre.

Si Kyojurô semblait tout feu tout flammes, Giyu tenait davantage de l’eau, froid et tranquille d’apparence, mais dont le caractère imprévisible pouvait faire craindre les tempêtes et les tsunami.  

Tomioka n'était absolument pas quelqu'un à sous-estimer, ça, l'aspirant Auror en était persuadé.

Un autre éclat de rire franc et jovial résonna entre les murs du gymnase.



Ce qui ne devrait pas être une tâche complexe, les deux jeunes hommes se valaient tant pour leur force physique que pour leurs aptitudes en magie. Leurs duels étaient particulièrement impressionnants à voir, des démonstrations pleines de rebondissements, à tel point qu’il était impossible de deviner à l’avance le vainqueur de leurs confrontations.


Kyojurô tourna le dos à son adversaire pour sortir une lame similaire à celle que le guerrier fluviatile avait dégainée.

La sienne aussi avait été forgée pour annihiler le mal et les créatures malveillantes rôdant dans la nuit. Ceci selon une technique ancestrale de forgerons reclus dans un village caché au milieu des sources chaudes, ayant voué leur existence à la création de telles armes. Sans doute les mêmes qui avaient forgé l'épée du Strixyst.


Toutefois, à la différence de celui de Giyu,  le sabre de Kyojurô était d’un rouge orangé, imitant la couleur des braises ardentes et se dessinait en langues de feu le long du métal. Sa garde était d’un blanc éclatant, bien entretenu et portait un tsuba imitant une flamme dont la forme rappelait presque un cœur..

C’était un objet remarquable, dont l’apparence correspondait parfaitement à son propriétaire qui avait tout d’un noble guerrier dont les exploits seraient contés au cours d’une pièce Kabuki.


Il se posta face à son adversaire aux cheveux d’ébène, les sourcils froncés, les commissures relevées en un sourire confiant et peut-être un peu impatient… Rien de hâbleur ou de méprisant, toutefois.

Kyojurô respectait toujours ses adversaires. Preuve en est, il s’inclina comme le veut la coutume face à celui du jour.



Se relevant, sa prise sur sa garde s’intensifia et il s’approcha d’un pas vif, autant que peut l’être un départ de flamme, pour porter le premier assaut.

Les deux antagonistes avaient une force équivalente, ils l'avaient déjà mise à l'épreuve lors d'un duel de bras de fer... Mais leurs techniques au sabre étaient bien différentes, et c'était cela qui rendait leur petit duel encore plus beau et impressionnant pour quiconque aurait été spectateurs.

Deux jeunes hommes maîtrisant l'art millénaire de l'épée, comme des guerriers ancestraux.

Sans se laisser déstabiliser par la fluidité des mouvements de Giyu, Kyojurô enchaîne les siens, inlassablement, avec vitesse et puissance, comme un feu de forêt prendrait un été de sécheresse. Ses épais sourcils sont froncés sous la concentration, comme un guerrier héroïque figurant sur des estampes.

À aucun moment, sa garde ne faiblit, de même que la prise sur son arme. Ses gestes restent maîtrisés alors que la lame orange dessine des traits dans l'air comme des flammes...

Flammes illusoires qui ne tardent pas à jaillir quand les mouvements du Rengoku s'enchaînent, reliquats d'un sort aposé sur le katana, servant selon la tradition à impressionner l'ennemi... Et qui caractérisait les arts magiques de l'épée japonais, les différenciant quelque peu de leurs pendants moldus.


D'aussi longtemps qu'allaient ses souvenirs, Kyojurô avait toujours observé avec une grande admiration les kata de son père, dessinant tant de flammes dans l'air qu'il faisait de mouvements.
Souvent, Shinjurô, quand il n'était pas en mission, se posait dans le jardin de la demeure familiale avec sa propre épée et se dégourdissait les membres, vidait son esprit, en combattant un ennemi imaginaire, sous les grands yeux fascinés de son rejeton.


De telles images ne pouvaient que rendre admiratif le bambin dans les bras de sa mère qu'était Kyojurô... Et le motiver à suivre la même voie.

C'était pour cela qu'il était né, comme son père, son grand-père et ses ancêtres avant lui...

Mettre sa force et sa puissance au service des plus faibles, contre le mal qui se tapissait dans l'ombre, quelle que fût sa force.
Être un guerrier honorable,  maître de son corps et de son âme, qui saurait oeuvrer pour le bien contre toute malveillance.


La prise de Kyojurô sur la garde blanche de son katana se raffermit et dans un grondement, semblable à celui d'un tigre, il enchaîna sur un mouvement d'une grande portée, ancrant solidement ses pieds sur le sol.


Tomioka était un adversaire à sa hauteur qu'il était honoré d'affronter.

Kyojurô comptait beaucoup sur sa puissance, ses appuis... Mais également son endurance.

Il encaissait beaucoup, avait une ténacité à toute épreuve, le fatiguer prendrait sûrement du temps.
Dans sa jeunesse, son père l'avait encouragé à pousser et repousser ses limites toujours plus loin, jusqu'au moment où il fallait franchir la frontière et en poser de nouvelles qu'il serait voué à dépasser à nouveau, à force d'entraînement.

Exigeant envers les autres quand il s'agissait de l'exercice du kendo dans le cadre du club d'escrime et encore plus envers lui-même pour sa discipline personnelle, Kyojurô était rompu aux arts du combat à l'épée... Au point de disputer les finales des compétitions de cette pratique auxquelles il participait pour mettre à l'épreuve sa technique.

Son feu semblait infatigable, inépuisable... Ses yeux perçants virent clair dans le jeu et la nouvelle tactique de son adversaire alors il ajusta ses coups, leur donnant bien moins de puissance qu'auparavant pour ne pas s'essouffler.

Dire qu'il s'agissait de gagner était passer à côté de ce que le kenjutsu et le kendo représentaient. L'épée pour ses ancêtres symbolisait leur valeur, leur engagement au service des plus faibles, elle permettait également à leur esprit d'entrer en symbiose avec leur corps.

Droiture, courage... C'étaient là les valeurs qui l'animaient, qui coulaient dans ses veines, qui l'encourageaient à porter ses mouvements.


Sa prise se raffermit sur sa garde.

Ses mouvements ralentirent mais devinrent plus amples, de sorte à atteindre Giyu qui, tel une anguille, réussissait avec célérité et adresse à éviter ses assauts.


Combien de temps tiendra Tomioka toutefois ?


Les sourcils épais de l'Ursirre se froncèrent un peu plus.

Il devait rester concentré sur leurs échanges.

Une seconde d'inattention, et sa défense pourrait s'ouvrir... offrant la victoire à son adversaire.