Genya a pris sa première inspiration le 7 janvier 2007, vers 6 heures du matin, avant le lever du soleil. Subséquemment, ses premiers cris ont résonné dans les oreilles de sa mère, Shizu, dont le corps fatigué et frêle peinait à tenir ce gros bébé de 3 kilos 7. Son père est venu le voir quelques heures plus tard, avec son grand frère de 5 ans son aîné, Sanemi. Des trois, il n’y en avait vraisemblablement que deux heureux de voir ce nouveau bébé dans la famille.  

Kyogo Shinazugawa, le père, n’a jamais été considéré comme une bonne personne. Ah oui pour faire les enfants il était doué, bien moins pour s’en occuper. Grand et imposant, ancien policier qui avait quitté la profession suite à un désaccord salarial, le père Shinazugawa a probablement essayé de s’occuper de ses deux fils à un moment. Oui, il leur a appris des choses; comment bien attacher ses chaussures, comment bien fermer son sac, comment marche une arme à feu, comment il faut se comporter pour ne pas énerver papa, comment il faut faire un pansement - ah non, ça c’était maman. Genya ne parle jamais de son père, pour une bonne raison.  

Shizu, sa mère, est une petite femme d’une grande force. Courageuse comme personne, elle était toujours la première à se lever, la première à partir au travail, la dernière à rentrer, la dernière à aller au lit. De mémoire, l’adolescent ne l’a jamais - ou presque - vue au lit. C’était aussi la première à se jeter sur les corps de ses enfants lors des crises de colère de Kyogo. Sanemi suivait bien vite, et une fois assez âgé, ce fut aussi Genya.

A la naissance de son frère cadet, Genya et sa famille ont déménagé en banlieue de Tokyo, dans une grande maison avec un grand jardin, parfait pour y faire jouer les sept gamins de la famille. Shizu enchaîne les grossesses (tout en travaillant!) et se retrouve rapidement avec sept enfants - parfait pour elle qui voulait une grande famille - et sans mari, Kyogo disparaissant sans donner de nouvelles à la naissance de leur dernier fils. Genya avait sept ans, presque huit. Bon débarras, a-t-il rapidement pensé.

Les deux parents étant sang mêlés, il était tout à fait logique que les enfants soient aussi doués de magie. Sanemi, petit prodige de la magie, a rapidement montré de belles prouesses, qui auraient pu l’envoyer à Mahoutokoro, mais sa mère a préféré le faire entrer sur bourse dans une école canadienne. Genya… C’était un peu plus compliqué. Oh certes, il a eu des signes assez tôt, vers ses sept ans, mais c’était une véritable catastrophe. Fort heureusement, son grand frère était là pour l’aider, quand il rentrait du Canada avec les valises pleines de bonbons et de curiosités magiques.  

Pendant quelques temps c’était ça leur vie: Shizu partait travailler, Genya (et Sanemi jusqu’à ses onze ans) allait à l’école, rentrait, s’occupait des petits frères et soeurs, jouait, une tante ou un oncle venait veiller sur les enfants, Shizu rentrait, ils mangeaient ensemble s’il n’était pas trop tard, bonne nuit et même programme le lendemain.

Ça ne dure qu’un temps, n’est ce pas? L’innocence, les rires, les histoires sur le perron au chant des cigales, les baisers de sa mère sur les joues des enfants quand elle les met au lit.

Par une chaude nuit de juillet, Sanemi était de retour à la maison pour les vacances. Les furin tintaient à peine, et dans l’humidité de l’air, on s’inquiétait de ne pas voir revenir maman. 21h, 22h… minuit… 2 heures du matin. Genya et Sanemi finissent par coucher les plus jeunes et  essaient à leur tour de trouver le sommeil quand un bruit les interpelle.

Des grattements sur les murs.

Il y a quelqu’un, ou quelque chose qui rôde autour de la maison. Qui gratte, qui grogne. Quelque chose qui a faim, une faim qui prend aux tripes, qui devient la seule raison d’être. Seul le sang sur la langue, la chair sous les dents, fera office de salvation. Genya ne sait plus comment ça s’est passé. C’est beaucoup de trous noirs, de cris, de douleur. Les brûlures des griffures sur sa peau. Le chien enragé dont la bave coule sur sa gorge. Son grand frère qui lui saute dessus et lui assène des sorts pour le faire reculer.  Genya reprend conscience à l’aube, Sanemi couvert de sueur, le visage aussi lacéré que celui de son frère, les yeux rivés sur un corps tremblant au sol, pointé par la baguette du voisin qui était vite venu en renfort de l’enfant. Il reconnaît le tailleur gris, les cheveux noirs, la barrette poussin offerte par sa sœur. C’est leur mère qui gît au sol. C’est elle qui les a attaqué.

Genya ne sait plus trop ce qu’il s’est passé après. Il se rappelle qu’il a traité de tous les noms possibles le voisin et son frère, qui sont devenus dans sa bouche des tueurs, des assassins, des monstres. C’est la fin de son enfance, l’innocence qui vole en éclats, qui dégouline en traînées rouges sur les pavés.

Tous trois sont rapidement pris en charge à la clinique magique la plus proche. Genya et Sanemi s’en sortent avec des blessures, mais pas de véritable souci. Shizu, en revanche, n’est pas en bon état. Devenue loup-garou, la mère de famille entre dans une profonde dépression en apprenant son état, en apprenant qu’elle a blessé ses enfants et que, de fait, il va falloir les lui retirer. Les sept.

Genya et Sanemi restent une dizaine de jours à la clinique, alors que les enfants sont répartis entre les oncles et les tantes, fort heureusement tous plutôt proches les uns des autres. Genya et Sanemi sont confiés au même oncle, qui se décarcasse pour les deux enfants. Puis ce dernier repart au Canada, après une fin d’été glaciale avec sa famille. Il ne reviendra plus jamais après ça. Se reconstruire n’est pas chose facile, mais le lien avec sa famille permet à Genya de rapidement se remettre plus ou moins sur pied, de ne pas s’isoler. Il tient à garder le contact avec chacun des membres de sa fratrie: il passe souvent voir les plus jeunes, fait des pieds et des mains pour voir sa mère et garde un œil, autant que possible, sur Sanemi. Et lorsque ce n’est plus possible, séparés par un océan, il décide de le suivre. Lui aussi il ira étudier là bas.

Son arrivée à Ilukaan est pour le moins chaotique. Malgré ses efforts pour les cours, ses notes et ses sorts sont au ras des pâquerettes et il a beau essayer de bosser, de prendre des cours en plus pour mieux comprendre - ce qui est d’ailleurs salué par les professeurs - il a du mal à s’en sortir.  Socialement parlant, en revanche, aucun effort n’est fait: silencieux au début, Genya devient vite agressif avec tout le monde. Il se sent mal; il est loin de ceux qu’ils aime, Il ne peut possiblement pas parler des trois années de merde qu’il vient de passer, ou de son enfance à ses camarade. Il évite de parler quand c’est possible et attaque quand c’est nécessaire. Une attitude facilement comparée à celle de son frère… qui refuse de lui parler. Genya a beau essayer de le confronter, cela se solde toujours par un échec, une volée d’insultes, et la retraite du plus jeune.

Tout n’est pas non plus violence et isolation, Genya a quelques copains bully qui ont vu en l’enfant une espèce d’homme de main facile. Mauvaises herbes ceux là. Genya est rapidement pris sous l’aile d’un élève de 11 ans son aîné, qui se prend d’affection pour le garçon. Gyomei Himejima, géant aveugle en cursus universitaire, se poste en mentor pour Genya, et l’aide à faire un travail aussi bien psychologique, que méthodique: il lui apprend à gérer ses évidents problèmes de colère naissants, sa nervosité, lui enseigne une méthode pour retenir et répéter ses sorts… Et c’est pas gagné au début! Le jeune garçon est parfois tellement nerveux et frustré de ne pas réussir qu’il ronge tout ce qu’il trouve, y compris l’une de ses premières baguettes!!!

De fil en aiguille, d’année en année, Genya se met à marcher dans les pas du géant - qui passe d’élève à assistant professeur - allant même jusqu’à apprendre les sutras qu’il récite quotidiennement. Il finit par se calmer - en surface, il n’attaque plus en premier (en général) - et par grandir, libéré du poids de la culpabilité sur ses épaules. Il doit encore demander pardon à son frère, se pardonner de l’avoir insulté…et ensuite il pourra repartir sur des bases saines.

Depuis son entrée à Ilukaan, Genya essaie de rentrer le plus possible durant les vacances, et le plus longtemps possible. Lorsque c’est le cas, il s’organise pour pouvoir voir tout le monde, déjeuner avec les uns, diner avec les autres, essayer d’organiser des trucs. Il les appelle quotidiennement, un sourire doux au visage. Sa mère va de mieux en mieux, moins stigmatisée pour sa condition dans le nouvel établissement, où elle est à présent. Ils parlent même de la laisser sortir d’ici quelque temps … Peut-être qu’elle pourrait retrouver la garde de ses enfants?