ILUKAAN est un forum MULTIFANDOM dans l'univers d'Harry Potter. Ilukaan est une école de magie internationale se situant en Nouvelle-Écosse au Canada. L'histoire se déroule en 2024, mélangeant magie et technologie. Vous pouvez jouer des personnages de manga/anime, jeux vidéos, films d'animation, dessins animés, romans jeunesse ou encore un OC. L'intrigue se fait à la fois en RPCB et RP-POST.
3211 pts
575 pts
2683 pts
1396 pts
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
[Terminé][Septembre 2013] While young, the tree can be easily bent.
Invité
Invité
Sujet: [Terminé][Septembre 2013] While young, the tree can be easily bent. Dim 6 Nov 2022 - 1:42
shinobu kochô 2013
'while young, the tree can be easily bent.' ;
Cher Père,
J’espère que vous vous portez bien. Me concernant, j’ai repris un rythme soutenu depuis que la rentrée s’est effectuée. Soyez sans crainte, celle-ci s’est faite sans accrocs, je travaille dur pour suivre le rythme qui est plus soutenu que l’année dernière et je veille à poursuivre mes entraînements de kendo au cours de mon temps libre, comme vous m’avez appris à le faire.
Je suis navré que nous nous soyions quittés en mauvais termes, j’espère que vous saurez me pardonner et que tout se déroule pour le mieux en notre demeure. Vous nourrissez-vous correctement ? Avant de partir, j’ai pris soin de m’accorder avec les Masaoka pour que ceux-ci vous apportent à vous et Senjurô de quoi vous sustenter convenablement, madame Masaoka est prête à vous fournir en légumes, voire à les cuisiner si vous ne vous sentez pas d’humeur à le faire. De même, grand-père m’a assuré qu’ils passeraient vous rendre visite aussi souvent que possible, même si la route entre Moerukawa et Hanamura n’est pas des plus aisées. Il pourrait aussi accueillir Senjurô pendant plusieurs jours si vous désirez vous retrouver seul quelques temps, auquel cas, je vous prie de ne pas hésiter à le prévenir de sorte à ce que lui et grand-mère prennent les dispositions nécessaires.
Prenez soin de vous.
Kyojurô
Le garçon posa sa plume à côté du parchemin qui servait de lettre à son père. Ses yeux ambrés parcouraient les lignes, délicatement calligraphiées, qu’il venait d’écrire. L’encre était encore humide. Les traits juvéniles de son visage étaient bien maussades.
Les rapports étaient complexes avec son père depuis la disparition de sa mère. Si Shinjurô avait été un homme passionné, jovial, il n’était devenu aujourd’hui que l’ombre de ce qu’il était, comme si son feu intérieur s’était éteint.
Cela ne faisait que renforcer la tristesse qui régnait dans le cœur de son fils aîné, déjà chagriné par la perte précoce de sa bien aimée mère, disparue des suites de la maladie qui l’avait affaiblie jusqu’à en être emportée.
Oh, Kyojurô s’inquiétait pour son père et son frère cadet. Le fait de n’avoir que peu de nouvelles n’arrangeait rien. Senjurô lui envoyait des missives, certes, mais celles-ci étaient à la hauteur de ce que pouvait écrire un bambin de son âge. Si ces lettres étaient précieuses pour l’aîné, il n’y avait pas beaucoup d’informations précises sur l’état de leur père ou la tenue de la maisonnée. Toutefois, l’essentiel des informations était donné. Les Masaoka veillaient sur les Rengoku restés à Moerukawa (et lui assuraient par des appels téléphoniques mensuels que tout allait bien) et Kyojurô recevait parfois des courriers de ses grands-parents maternels qui, bien qu’inaptes à faire un compte-rendu régulier de ce qui se passait dans son foyer, le rassuraient du mieux qu’il pouvait.
Cela n’avait pas empêché Shinjurô de s’emporter face à son fils aîné avant le départ de ce dernier pour les Amériques, déclarant que ses ambitions étaient futiles, que cela ne servait à rien.
Et Kyojurô, loin de lui tenir grief, ne pouvait qu’espérer qu’il se ménage et prenne au mieux soin de lui, il ne se pardonnerait pas qu’il arrive quelque incident à Moerukawa, à son insu.
L’adolescent secoua la tête soudainement et se donna une petite tape sur sa tempe pour se ressaisir. Non, il ne devait pas entretenir de si sinistres pensées. Son père ne devait pas penser que ses efforts étaient inutiles, après tout, à l’époque, il n’avait fait que l’encourager à s’engager dans la voie vers laquelle il se dirigeait. Qui savait ce qu’il pouvait penser actuellement ? Shinjurô seul était au courant.
L’aspirant Auror devait rester optimiste, garder la tête haute et avancer. Sa mère, aux cieux, comptait sur lui, de même que le reste de ses proches.
Kyojurô rangea soigneusement la lettre dans une enveloppe avant d’écrire l’adresse de son foyer à Moerukawa, quartier hors du temps du Tokyo sorcier, qui n’avait absolument pas changé depuis l’ère Taisho.
Ses rares contacts avec le monde moldu ne manquaient pas de marquer un décalage certain avec ses pairs. L’Ursirre s’exprimait de manière archaïque, contrairement à ses camarades de classe, sans doute comme le feraient les grands-parents ou arrières-grands-parents de ces derniers, et il était surtout extrêmement mauvais avec la technologie, malgré une fascination indéniable. Malgré lui, il était hermétique à celle-ci, pourtant il était capable de maîtriser des sujets divers en un rien de temps par sa nature autodidacte.
Ses limites étaient sans doute dans le progrès technique, comme si on avait transposé un jeune homme du début du XXe siècle cent ans plus tard, ce qui ne manquait pas d’amuser la galerie.
Quoi qu’il en était, Kyojurô se leva pour prendre la direction de la Volière pour confier cette lettre à quelque hibou qui l’acheminerait aux services postaux sorciers canadiens afin que celle-ci puisse parvenir à ses destinataires, au Pays du Soleil Levant.
Dans les jardins, les feuilles des arbres rougissaient, signe que septembre était déjà bien entamé. Beaucoup d’étudiants profitaient encore des rayons de Soleil qui étaient encore un peu chauds avant que ne viennent les jours frais. Une brise timide agitait avec douceur les branches, ainsi que les capes et les chevelures des étudiants.
Dans les couloirs résonnait le brouhaha joyeux des discussions des habitants du campus, qu’importe leur année ou leur maison. Pour autant, Kyojurô ne s’y attarda pas. Rien ne le détournerait de son but. Il marchait d’un pas sûr et solennel, le visage fermé en une expression bien trop sérieuse pour un garçon de 13 ans.
Bien trop tôt, il avait dû endosser des responsabilités bien trop grandes pour un garçonnet de son âge. Ses camarades se souciaient bien de sujets triviaux, qui avaient leur importance pour des adolescents, pas lui, hélas.
Mais Kyojurô ne s’en plaignait pas. Il n’était pas du genre à le faire et avait accepté sans broncher ce que la vie lui avait imposé. Jamais il n’avait geint ou pleuré depuis la mort de sa mère. Il ne pouvait pas se le permettre.
La vie continuait, et elle n’attendait pas.
Devant lui, marchait une petite silhouette, appartenant très certainement à une élève de première année (elle semblait même plus jeune que cela, tant elle était menue), mais l’adolescent aux cheveux embrassés par le Soleil ne s’y attarda pas. Il n’y faisait même pas attention.
Toutefois, il ralentit quand un papier s’échappa des bras de celle qui marchait devant lui et s’arrêta même pour le ramasser et il ne le lut même pas, après tout, cela ne le concernait pas et il n’était pas du genre à mettre son nez dans les affaires d’autrui, sauf si le règlement était en jeu.
« Hé ! »
Appela-t-il la petite silhouette.
Sans succès.
Le garçon accéléra dans les couloirs en continuant de héler la silhouette menue pour capter son attention.
« Hé ! Tu as fait tomber ceci !! »
L’adolescent pressa le pas pour se retrouver à la même hauteur qu’elle et lui tendre le petit papier qu’il tenait.
Ses grands yeux en amande, aux iris flambants, dévisagèrent la petite qu’il avait pris en filature pour lui rendre son bien.
Elle semblait familière…
Oh elle était sans doute passée dans le Dôme pour la cérémonie de répartition mais… Le sentiment de déjà-vu semblait bien antérieur à la dernière rentrée, à la précédente et même à son entrée à Ilukaan.
Sujet: Re: [Terminé][Septembre 2013] While young, the tree can be easily bent. Dim 6 Nov 2022 - 15:36
While young, the tree can be easily bent.
Kyojurô Rengoku & Shinobu Kochô
Deep into autumn and this caterpillar still not a butterfly.
Sujette à ses plus profondes réflexions, le chahut environnant qui parsemait les moindres recoins du corridor ne parvint à soutirer son attention que tardivement. Ses doigts tristement frêles se mirent à serrer, non sans toute la maigre force qu'ils étaient en mesure de déployer, les entre-nerfs des livres qui séjournaient contre son buste minuscule.
Le rite de début d'année s'était pourtant déroulé sous les meilleurs auspices pour cette petite tête brune qui, livrée à elle-même, découvrait une contrée inconnue et des visages inédits.
Dès lors que son nom fut déclaré devant l'assemblée de petits sorciers foulant depuis à peine quelques heures le sol nouveau de la prestigieuse académie de magie d'Ilukaan, la petite Shinobu avait joué des épaules et des coudes pour entreprendre son chemin en direction de l'imposante fontaine qui trônait dans la pièce afin d'inaugurer sa toute première cérémonie de rentrée.
Engoncée dans cet amas de tout jeunes néophytes, elle se souvint encore de la vélocité avec laquelle son petit cœur s'était mis à battre à tout rompre, bien camouflé dans sa poitrine. Cette enfant vive, qui à cette époque rencontrait quelques obstacles lorsqu'il s'agissait de faire montre de l'étendue de sa débrouillardise lorsqu'elle se retrouvait éloignée de son inséparable sœur aînée, ne montrait en ces temps pas le moindre signe de cette apaisante quiétude qu'elle manifesterait quelques années plus tard dans sa quête de mimétisme.
Elle se mit à mirer le visage aux joues rebondies qu'elle entrevoyait désormais dans les ondulations captivantes dansant à la surface du bassin. Les eaux miroitantes et limpides comme les plus ravissants cristaux n'auraient habituellement pas manqué de la rendre mutique, le souffle coupé par l'admiration venue lui enchanter l'esprit ... mais l'anxiété la gouvernait plus que de raison. Profondément nerveuse, dépossédée de ses repères mais désireuse de se montrer à la hauteur devant l'inconnu, la puînée Kochô n'avait pas le cœur à se laisser séduire par une telle féerie. De cette vasque épatante naquit un son perçant, à l'image de la sonorité qu'émettrait un chasseur dans la nuit et fondant sur une proie insouciante du danger : la chouette se mit à hôler, après que l'étendue aqueuse ait offert à ses mirettes juvéniles le spectacle du simulacre d'un strigidé, fier emblème de la maison qui l'accueillait sous l'ombre discrète de son aile emplumée.
Une ovation lui fut offerte, et l'on adorna ses atours d'une belle améthyste. Or, en rejoignant ses pairs souriants, lesquels entamaient d'ores et déjà des conversations à la timidité touchante pour les plus réservés, Shinobu ne put s'empêcher de se sentir maussade. La fillette au gabarit modique, sans perdre l'entièreté de son intérêt sur les événements, courba sa fine nuque et observa pensivement le sol. Les éclats de voix qui résonnaient jadis autour d'elle se tamisèrent, s'apparentant désormais à des babils étouffés, et il ne lui sembla discerner plus qu'un faible vacarme lointain.
Loin de son foyer, de ses parents aimants et du modèle ineffable qu'elle voyait dans le doux portrait de son adelphe, plus âgée et dont la scolarité à la brillante école de Mahoutokoro laissait présager une carrière éclatante, l'enfant se sentait désabusée. Le confort de la maisonnée familiale, les coutumes et les mœurs qui lui étaient chères ne tardèrent pas à provoquer une plaie béante dans son petit palpitant tant celles-ci lui manquaient.
En rejoignant les bancs de cette école à l'autre bout du monde, elle ne s'attendait certainement pas à ce que tout élément susceptible de lui évoquer la douceur de sa maison provoque en elle un torrent d'émotions qu'elle ne parvenait pas à repousser.
Soumise à la vivacité de ses sentiments, il lui suffisait d'apposer une œillade songeuse sur l'incroyable flore de cet élégant Jardin des Quatre Saisons pour penser à la palette de couleurs apaisante dévoilée par les buissons fleuris du Domaine des Papillons où elle avait vu le jour. La simple mention de cours de botanique ne mettait que quelques infimes secondes à lui faire remémorer l'amour inconditionnel que nourrissait Kanae pour le plus fragile bourgeon, bien décidée à lui offrir tous les soins dont il avait besoin pour s'épanouir sous son toucher.
Enorgueillie par les prouesses indicibles réalisées par son parangon et pilier de vertus, Shinobu n'avait pu s'empêcher de froncer prestement ses sourcils en entendant un garçonnet clamer avec vigueur qu'il lui tardait d'entamer l'étude des végétaux du monde magique tant ce domaine avait son affection. Il n'y connaissait probablement rien, pensait-elle; Kanae l'aurait fait rosir d'embarras rien qu'en lui démontrant ne serait-ce qu'une partie de son talent pour l'art floral. Sa bonté d'âme, presque céleste tant elle paraissait rare de nos jours, était introuvable dans cette école de sorcellerie, aussi renommée était-elle.
Encore prisonnière de sa chrysalide, rattachée au cocon de l'enfance qu'elle se sentait forcée de quitter pour entamer sa scolarité, la pauvre se sentait égarée. Pour la première fois, aucun proche n'était à proximité pour l'épauler dans cette quête ô combien abstruse. Cette simple pensée l'encouragea malgré elle à presser le pas, dans ce couloir qu'elle arpentait depuis elle ne savait combien de temps; la traversée lui semblait interminable, et un pessimisme momentané l'incita à penser, malgré elle, qu'elle n'en verrait jamais la fin.
On la dépassa, quitte à parfois la frôler sans crier gare à une potentielle bousculade que l'on pourrait lui infliger. Un insouciant, en la voyant vaciller à la réception d'un coup involontaire d'épaule de sa part, pivota les talons pour lui adresser un signe navré et ce sans même prendre quelques secondes de son temps pour lui vocaliser une simple excuse. Maigrelette et manquant cruellement de robustesse, la poigne qu'elle exerçait sur ses manuels scolaires se fit moindre et les ouvrages lui échappèrent.
"..."
Sa paume d'enfançonne se mit à serrer l'étoffe qui lui faisait lieu de jupon violet. Ni la pierre translucide qui en enchâssait le sommet, ni les astres charmants qui en constellaient les extrémités ne parvinrent à la fasciner ...
Elle ne devait pas pleurer.
Courbant l'échine pour réorganiser son attirail scolaire gisant au sol, sa gestuelle se fit précipitée. Dans sa gorge juvénile, les lacis se serraient, annonciateurs d'un larmoiement pour lequel elle bataillait afin qu'il ne se dévoile jamais. Ses phalanges affinées effleurent un recoin de papier plié selon la pratique de l'origami, qui avait surmonté ses livres jusqu'à ce qu'ils tombent au sol. Une grue stylisée et réalisée avec soin par Kanae pour lui donner du courage avant qu'elle n'intègre Ilukaan n'attendait qu'à être saisie par sa propriétaire ...
... Avant que le mocassin imposant d'un étudiant d'une année supérieure ne l'écrase sans pitié au sol. Inattentif quant à son délit et prompt à la hâte lui aussi, il poursuivit son chemin sans prendre note de l'allure effarée qui s'osa à nimber les traits de la jeune première année, dont les contours de la paume se firent tremblants. Son cœur tintait comme une montre à ses oreilles et, sentant ses lèvres frémissantes, elle s'activa à reprendre sa possession réduite en miettes. Ni une ni deux, la petite sorcière accula ses effets personnels contre sa poitrine et reprit son chemin.
L'envie de courir pour échapper à cette marée humaine la traversa. Elle se mit à dépasser un acolyte d'une autre maison, puis un second. Un bruissement de feuillet naquit aux environs du creux de son coude; elle ne s'attarda pas outre mesure sur le parchemin vierge qui venait d'échapper de son étreinte.
"Hé ! Tu as fait tomber ceci !!"
L'on interrompit sa course. Une silhouette un brin plus imposante que la sienne rejoint sa proximité. Elle ne pivota pas un seul instant sa figure à son égard, et pour cause : elle se sentait déjà défaillir sous le poids d'une détresse qui ne faisait que prendre de l'ampleur à mesure que les secondes filaient.
Que lui voulait-on, encore ?
"Quoi ?! Tu peux le garder !", répliqua-t-elle, l'intonation plus amère qu'elle ne l'aurait voulu. Dans sa vocifération hâtive, elle eut l'audace d'enfin le regarder.
Les prunelles animées d'un brasero encore naissant se posèrent sur elle et, aussi confuse que fébrile d'être à ce point dévisagée, ses yeux rondelets parcourus d'entrelacs de stries s'écarquillèrent. Entrevoir un tel portrait dans un couloir aussi infernal que celui-ci lui parut comme une aubaine : l'apparence des Rengoku était si singulière et leurs traits si inédits qu'elle n'éprouva aucune difficulté à se rappeler de lui. Ce brave garçonnet qui avait autrefois accompagné son père afin de se procurer quelques médicaments de l'apothicairerie Kochô, destinés à sa mère souffrante, se révéla être la seule et unique vue un tant soit peu réconfortante dans cet environnement hostile et trop étranger pour elle.
Son poitrail malingre fut en proie à quelques élans spasmodiques. Elle se mit à panteler, comme le font les jeunes gens qui sentent le chagrin les rendre captifs de sa cruelle étreinte. Un sanglot accidentel lui échappa, en dépit de tous les efforts qu'elle avait réalisés pour les étouffer.
Elle ne devait pas pleurer. Pas devant lui !
"Je n'ai pas de temps à perdre avec toi ... !!"
Une gouttelette cristalline, puis deux, dévalèrent le long des rondeurs touchantes de ses pommettes, rosies par cette mélancolie inopinée.
Figée et incapable de se mouvoir, à l'image d'un frêle insecte pris dans l'ambre, elle ne pouvait se résoudre à s'éloigner ne serait-ce qu'un moment du jeune homme. Sans doute le rattachait-elle, malgré elle, à tous ces éléments qui lui manquaient par leur absence.
Bientôt, un torrent de larmes lui borda les prunelles. Le coup d'œil émerillonné et observateur de son comparse ne pouvait que constater avec aisance la façon qu'avait cette grue maladroitement écrasée de se laisser serrer avec fragilité contre sa chemisette d'uniforme.
Sujet: Re: [Terminé][Septembre 2013] While young, the tree can be easily bent. Lun 7 Nov 2022 - 23:00
shinobu kochô 2013
'while young, the tree can be easily bent.' ;
Une douce brise remuait les branches du cerisier trônant au milieu du jardin, éparpillant les pétales qui flottaient paresseusement dans l’air avant de tomber sur le sol. Les furin tintinnabulaient délicatement au gré du vent.
Kyojurô attendait dans la cour, le soleil réchauffant ses contours et faisant briller ses mèches blondes et courtes. Senjurô se trouvait à côté de lui, comme un petit poussin suivant son exemple.
Les grands yeux ambrés de l’aîné, paraissant rougeoyants à la lumière du jour, fixèrent l’intérieur de la maisonnée.
De là où il était, il pouvait voir que ses parents discutaient, les shoji étaient ouverts pour laisser entrer un peu de lumière. Ce jour-là, Shinjurô était vêtu d’atours pour aller à la ville et avait sommé son premier fils de l’accompagner, ce que ce dernier avait accepté de bonne grâce. Finalement, le patriarche sortit de la maison, d’un pas lourd et mesuré, comme à l’accoutumée.
« Kyojurô, allons-y. »
L’interpellé pressa le pas pour rejoindre son père, non sans avoir porté son petit-frère jusqu’à l’engawa et salué sa mère. Ruka lui adressa un sourire fébrile, mais non sans amour. Observateur, son fils aîné ne pouvait s’empêcher de remarquer à quel point elle avait maigri depuis quelques jours. Elle se déplaçait avec plus de peine et s’alimentait avec difficulté. Son père semblait bien affecté. Même s’il continuait à sourire devant ses fils, son regard se faisait plus attristé, plus grave.
Le minois de Kyojurô était bien sévère pour un garçonnet qui n’avait pas encore sept ans, ce qui ne manquait pas d’amuser ses parents, ses grands-parents quand ils passaient les voir, ou tous ceux qu’il était amené à croiser. Il se mouvait de manière martiale, droit et digne… Du moins autant que pouvait l’être un enfant de son âge. Ses petits pieds redoublaient d’efforts pour suivre la cadence des pas de son père, qui marchait de la même manière, mais dont la grande taille
Et il accompagnait son père de ce même pas, sans savoir quelle était leur destination. Sans doute avaient-ils des courses à faire, pour préparer un bon repas pour les jours suivants et ainsi que Ruka puisse se rétablir. Néanmoins, le chemin qu’ils empruntèrent n’était pas le même que d’habitude. Preuve en était, ils prirent le train, ce qui montrait qu’ils s’éloignaient de Moerukawa. Père et fils s’installèrent sur une des banquettes de bois. Shinjurô poussa un soupir bruyant, retirant son couvre-chef afin de le poser sur ses genoux, fixant devant lui, à travers la fenêtre de la rame, tout comme son fils le faisait avant qu’il ne tourne le menton vers lui, d’un air inquisiteur.
« Tu te demandes sûrement quelle est notre destination. Tu as l’esprit vif. »
Shinjurô laissa échapper un petit rire amusé.
« Ta mère ne se sent pas très bien en ce moment. Nous allons lui chercher des médicaments. Il est temps que tu saches où nous nous fournissons pour soigner nos maux. »
Les petites paumes de Kyojurô serrèrent son hakama et il hocha la tête avec gravité, pour montrer qu’il assimilait les paroles de son père, qu’il les comprenait et qu’il les retiendrait.
« Plusieurs sorciers adoptent des voies différentes. Tu n’es pas sans savoir que notre famille est connue pour être dans la défense magique. De même, celle de ta mère compte bon nombre de lettrés, versés dans la littérature et la calligraphie… »
« Oui, père ! »
Nouveau pouffement de Shinjurô. Kyojurô avait toujours été un enfant intelligent, éveillé. Il n’avait aucun doute sur ses capacités intellectuelles, c’est pour cela qu’il lui faisait la leçon, comme à ce moment, parce qu’il savait que c’était du niveau de son fils. Oh il ferait un Auror exceptionnel, à n'en pas douter.
« Ceux chez qui nous allons sont des experts en pharmacologie. Leur nom est connu dans la sphère magique de Tokyo, si ce n’est du Japon. Quel que soit le mal qui ronge un être, on peut être sûr qu’ils ont le remède ou au moins de quoi soulager… »
Le train marqua plusieurs arrêts avant que Shinjurô ne se lève, suivi par son fils, agissant par mimétisme.
Le quartier dans lequel ils étaient à présent était plus vert que celui dans lequel était établie leur demeure. Shinjurô avait remis son chapeau et progressa dans les ruelles avant qu’ils ne s’arrêtent à la porte d’une maison qui était bien plus grande que la leur. Oh ils devaient sans doute se perdre dans leur demeure, songea le garçonnet.
« Il y a beaucoup de papillons ici », nota Kyojurô qui gardait le visage grave en suivant son paternel dans les jardins fleuris dans lesquels volaient paresseusement des lépidoptères bariolés, ce qui poussa la réflexion de l’enfant.
De nombreuses odeurs, aussi variées les unes que les autres, assaillirent l’aîné des fils de Shinjurô. Ce devait sans doute être des plantes médicinales au milieu desquelles ils marchaient. Néanmoins, il ne se laissa pas distraire. Docilement, il suivait les pas de son père, marchait dans les siens, ses sandales crissant sur les graviers qui créaient des chemins nombreux dans les immenses jardins de la demeure.
Ils finirent par arriver à l’une des bâtisses, la plus impressionnante. Shinjurô retira son chapeau et s’adressa au comptoir, non sans effectuer une courbette polie, qui fut rapidement imitée par son fils.
Les grands yeux en amande de Kyojurô dévisagèrent l’homme menu derrière le comptoir. Celui-ci avait une expression affable sur le visage et échangeait poliment avec Shinjurô qui était si impressionnant à côté de lui. Il avait bien une tête et demi de plus, minimum, et était deux à trois fois plus large que l’homme. Souvent, Kyojurô avait remarqué que son père était quelque peu au-dessus de la moyenne, mais face à l’apothicaire, c’était réellement flagrant.
Le patriarche Rengoku présenta son fils, qui s’inclina machinalement face à l’homme qui ne se départit pas de son sourire. Ce dernier releva la ressemblance physique qu’il avait avec Ruka, après tout, ses traits étaient bien plus doux que ceux de son père, ce que ce dernier ne nia pas et confirma avec un petit rire.
L’ordonnance nécessita une préparation spécifique, ce qui requit un temps d’attente plus long que prévu. En cela, Shinjurô envoya son fils attendre dehors, ordre auquel Kyojurô obéit. Il ne s’éloignerait pas mais ses grands yeux ambrés se déplacèrent progressivement, notant chaque détail.
Soudain, du mouvement qui changea de celui des papillons qui volaient. Deux silhouettes menues, féminines se détachèrent dans son champ de vision. Elles portaient toutes deux des barrettes imitant les insectes qui régnaient sur ce jardin par leur nombre. La plus grande était vraiment très jolie avec ses longs cheveux noirs, lumineuse avec son sourire éclatant et son rire qui sonnait comme une douce clochette. Elle tenait par la main une autre fille, beaucoup plus petite, qui semblait plus renfrognée puisqu’elle objecta aux mouvements de la plus grande, sans doute pour la forme, parce qu’elle la suivait tout de même de bonne grâce.
Kyojurô trouva que la deuxième ressemblait vraiment à un insecte. Petite avec quelque chose de perturbant dans son physique… Sans doute ses yeux qui n’étaient pas aussi pétillants que la plus grande.
Néanmoins, Kyojurô était poli et il se redressa et bomba un peu le torse pour prendre une grande inspiration.
« Bonjour !! »
Sa voix, forte, perturba un instant le silence paisible du Domaine des Papillons, comme une flamme qui émanerait du craquement d’une allumette.
Oui, Kyojurô reconnut la demoiselle qui se tenait face à lui. C’était la petite qui ressemblait à un insecte, qu’il avait croisée à plusieurs reprises au Domaine des Papillons.
« Bonjour Akitsu !! »
Il était très sûr de lui dans son salut. Il se souvenait que cette famille de pharmaciens avait pour patronyme le nom d’une bestiole et cela s’arrêtait là. Il s’était même trompé, sans le savoir.
Ce n’était pas la prise de conscience de son erreur qui le fit se figer soudainement face à la petite. Il demeura un instant interdit face à l’opiniâtreté de la fillette, toutefois, ce n’était pas son répondant qui le rendit mutique si soudainement. S’il était peu empathique, il ne pouvait s’empêcher de ressentir certaines choses. Le sentiment d’hostilité animant la fille des pharmaciens ne sembla pas durer parce que ses yeux à facettes, si particuliers, se mirent à miroiter, comme pris d’assaut par des larmes, ce qui ne manqua pas de déstabiliser le jeune homme à l’apparence d’un tigreau.
Les iris rougeoyants, grands ouverts sur le monde, ne purent s’empêcher de remarquer le papier écrasé que sa cadette serrait contre son poitrail alors qu’elle pleurait.
Une demoiselle en détresse, il ne pouvait décemment pas rester les bras ballants à l’observer.
Les sourcils épais du garçon se froncèrent un peu et il tendit sa main pour qu’elle se saisisse de celle-ci, pour ne pas se laisser entraîner par les mouvements de foule, qui comme des vagues, pouvaient noyer n’importe qui ne ferait pas attention. Il irait la mettre à l’abri, loin de l’agitation du couloir.
Il se dirigea avec un sérieux qui n’était pas de son âge vers un banc du jardin, comme un îlot paisible au milieu d’une tempête, au calme. Kyojurô la laissa s’asseoir et lâcha sa petite menotte pour tendre sa paume vers le papier écrasé auquel elle se raccrochait, comme pour lui indiquer de le lui passer.
Elle semblait tant tenir à celui-ci, il pourrait essayer de lui rendre une forme plus acceptable, cela pouvait sans doute aider.
Il ferait de son mieux pour qu’elle cesse de pleurer.
Sujet: Re: [Terminé][Septembre 2013] While young, the tree can be easily bent. Mer 9 Nov 2022 - 0:57
While young, the tree can be easily bent.
Kyojurô Rengoku & Shinobu Kochô
Deep into autumn and this caterpillar still not a butterfly.
Assuré et éhonté dans sa manoeuvre, le courage s'embrasa dans son coeur de jeune lion et, plus que jamais persuadé de ne pas faire fausse route dans sa fière épellation, il crut bon de la nommer d'une façon qu'elle sembla juger malhabile. S'il n'avait pas crié, l'éclat de voix qui anima sa fine gorge provoqua chez sa jeune voisine un petit soubresaut.
"E-Eh ... ?"
Cette onomatopée échappée tel un murmure d'entre ses lèvres s'accompagna d'un redressement de tête latent. La salutation haute et claire que venait de lui adresser le garçon venu à sa rescousse eut pour effet presque salvateur d'interrompre un tant soit peu la vague de tristesse qui s'était abbatue tel un raz-de-marée sur sa si petite tête.
Des larmes nacrées coulaient de ses grands yeux de cristal violet, au point de les faire passer pour rutilants : l'humidité lui gouvernait tant les iris que le blondinet qui séjournait à proximité pouvait entrevoir son portrait juvénile dans les prunelles de la porteuse d'épingle. La décoration capillaire, prompte à dévoiler les vifs sentiments qui tenaillaient le buste d'enfant de la fillette, ne rata pas une occasion pour intimer à ses ailettes translucide de s'animer. La broche qui parachevait sa chevelure sombre se mit à se mouvoir.
Une diaprure singulière qu'il avait déjà eu l'occasion de découvrir, des années auparavant.
Une impulsion d'embarras à laquelle aurait pu se mêler une hardiesse encore candide aurait pu la galvaniser, et la rendre plus acerbe qu'elle n'avait pu l'être à son approche. L'idée séduisante lui vint de corriger ce jeune audacieux, non sans une étonnante véhémence pour une fille de son âge et pourvue d'un gabarit aussi ténu que pouvait l'être le sien. Manifester quelques élans d'outrecuidance afin de camoufler au mieux les débuts des complexes qui s'osaient à venir l'ennuyer, de temps à autres, pour mieux prouver à autrui qu'elle ne se laisserait pas faire ... c'était là ce qu'elle s'était jurée pour ne pas succomber aux rudoiements de tout goguenard qui croiserait son chemin.
Pourtant, rien ne vint. Shinobu réprima la moindre reprise quant à son nom si maladroitement déclaré, et ne sembla pas tentée par l'éventualité grotesque d'ignorer cette paume bien-aimable qu'il se mit à lui tendre. L'œillade concernée qu'il jeta en direction de sa grue malmenée passa hélas à la trappe pour la petite pleureuse et, sans doute à la grande surprise du très jeune homme, elle saisit sa senestre avec une réserve qui sautait aux yeux tant son geste paraissait hésitant. Un sanglot comprimé gonfla son enveloppe malingre de chair et de sang, et ses épaules graciles s’affaissèrent comme si le soulagement la guettait.
Enfin, de la bienveillance.
Telle une lanterne amènerait avec elle une toute jeune phalène, il la guida ailleurs, et elle le suivit sans objecter. Dans cette cohue si vaste qu'elle se sentait roidir sous un tel amas d'inconnus, dont certains avaient eu la balourdise de porter atteinte à ses effets ou de la bousculer, le jeune Rengoku avait pour elle les allures d'un flambeau consolateur dont on suit la lueur rassurante dans la pénombre.
Il traça leur chemin jusqu'à une installation au-dehors, et l'invita à s'y asseoir : il n'en fallut pas plus à son accompagnatrice pour s'abandonner à ce qui lui faisait désormais lieu d'assise. À peine prit-elle place qu'une évidence parviendrait à sauter à la vue de l'Ourson : un simple coup d'œil rivé en direction du sol frais lui aurait fait remarquer l'écart flagrant entre l'extrémité des souliers de Shinobu et la terre ferme. Pour elle, inutile d'espérer que ses pieds aient ne serait-ce que la décence d'effleurer l'étendue herbeuse aux alentours.
Elle était si petite que cela en était presque navrant.
Nul besoin d'être devineresse pour comprendre l'intention de son compatriote lorsqu'il lui tendait à nouveau sa main. Par ce mouvement subtil et privé du moindre commentaire, il lui intimait silencieusement de lui céder le pliage en papier.
Les pleurs qui brillaient dans les yeux de Shinobu à l’idée seule de la destruction de la création de sa sœur bien-aimée parlaient pour elle. La jeune Strixyst en observa les plis sous tous les angles : or, en l'avisant avec tant d'attention, l'image de son aînée lui revenait, plus douloureuse encore pour elle. Sans plus de cérémonie, elle déposa avec une minutie troublante l'imitation ailée dans la main de ce petit gentilhomme.
Le silence qui régnait jusqu'alors entre le duo depuis qu'il avait eu la gentillesse de la mener à l'extérieur afin qu'elle puisse bénéficier d'une bouffée d'air frais fut finalement brisé.
Une voix fine comme un grelot qui tinte le blâma avec un retard tel qu'il était évident qu'elle n'avait pas le moindre ressentiment à son encontre.
"Mon nom est Kochô Shinobu."
_________
Les oiseaux nichés dans les feuillages aux alentours s'envolèrent dès lors que le visiteur entonna son salut. Celui-ci se révéla si soudain que, lorsque le son parvinrent jusqu'aux flâneuses des jardins, ces dernières ne purent empêcher leurs yeux de cligner sous la confusion d'un tel volume.
Un silence penaud lui répondit tout d'abord. Toujours est-il que la politesse de la jeune fille qui dépassait la seconde d'une tête prit le pas sur cette fracassante rencontre : courtoise et profondément empathique envers son prochain en dépit de son si jeune âge, elle inclina délicatement la tête en direction du nouveau venu. Les fragrances florales qui émanaient des environs ne faisait qu'adonner d'autant plus de douceur à ces premiers mots échangés. La plus âgée avisa ce jeune inconnu qui avait concentré toute sa bravoure pour leur partager un unique mot qui n'en demeurait pas moins révélateur d'une bonne éducation. Elle ne tarda pas à le gratifier d'un sourire accueillant, comme si l'étonnement qui avait résulté de sa salutation n'était déjà plus.
"Bonjour."
Le ton de sa voix se fit doux et délicieux. Elle avait ployé son buste avec une élégance si remarquable que la fillette aurait pu s'apparenter à ces dames de la cour dépeintes dans les estampes les plus précieuses. Une agitation légère se fit remarquer tout près d'elle. L'enfant aux allures de petit insecte suivant sa fleur favorite envers et contre tout quitta l'arrière du dos de son aînée derrière laquelle elle s'était momentanément réfugiée, et avança d'un infime pas pour entamer le même mouvement diligent.
La vocalise, si délicate aux oreilles de ceux qui l'écoutaient, reprit sur le même ton. Le cristal qui le composait eut tôt fait de lui conférer cette allure de fleur poussant au milieu d'un manteau nivéen.
"Tu dois être le fils aîné de Monsieur Rengoku, n'est-ce pas ? Nous sommes ravies de faire ta connaissance. Je m'appelle Kanae Kochô, et voici ma petite soeur Shinobu."
L'intéressée opina une unique fois du chef afin d'acquiescer, davantage en réponse à l'évocation de son nom que pour souligner le fait que la sororie était heureuse de compter le garçonnet parmi eux, ce jour-là. La mine un rien bougonne, cette toute petite fille fixait leur convive avec cet air qu'ont les innombrables créatures disséminées dans les branchages, dans les airs et parmi les feuilles lorsqu'une paire d'yeux enfantins ne peut se détacher d'eux durant une escapade, les privant du moindre mouvement par peur d'être saisi dans le creux d'une main un peu trop brusque à leur goût. Comme une coccinelle cesserait ses activités en se sentant épiée, Shinobu avisa leur nouvelle connaissance dans un silence qui relevait plus d'un caractère farouche que d'une réelle volonté de respecter la conversation entre lui et Kanae.
"Notre père nous a dit ... à propos de ta mère", ajouta celle dont les longs cheveux aussi brillants que l'onyx dévalaient jusqu'en contrebas de ses reins, le souci dans la voix.
Ses tendres prunelles, rosés comme les plus ravissants héliotropes, ne purent que se laisser gagner par une émotion sincère. Kanae venait à peine de rencontrer Kyojurô, et la voilà d'ores et déjà encline à s'enquérir de l'état de sa douce génitrice qu'elle savait souffrante. Incapable de résister au petit émoi qui lui venait à la mention de la Dame Rengoku tant elle avait le cœur bon et débordant d'une compassion remarquable pour son âge, Kanae saisit la petite main de Shinobu et elles se rapprochèrent de lui pour faciliter l'échange.
À la façon qu'elle avait de maintenir la fine dextre de sa cadette dans la sienne, tout aurait pu donner l'étrange mais touchante impression qu'elle cherchait à garder son adelphe au plus près d'elle comme l'on maintiendrait la cordelette fragile d'un cerf-volant menaçant de s'envoler vers les nues à la moindre bourrasque.
"Est-ce qu'il y a des choses que tu apprécies faire en particulier ?", eut-elle l'aménité de questionner, sans jamais se déposséder de sa légère risette porteuse d'espoir. "Nous pourrions te faire visiter les environs, ainsi que notre beau cerisier."
L'éveil d'un brise bénigne se joua des longues mèches d'ébène de Kanae, laquelle porta une main à sa tempe pour éviter l'embarras de converser avec des cheveux sur le devant de sa petite figure.
Un silence.
Les caresses du vent cessèrent à l'instant où les sourcils de la fille aînée de ce couple d'apothicaires s'abaissèrent. Elle était si peinée pour lui.
"Je suis sûre que nos parents feront ce qui est en leur pouvoir pour vous aider. Et puis, ma soeur est très habile de ses mains", dit-elle en souriant. "Récemment, elle a réussi à concocter un médicament après avoir réuni quelques plantes."
L'étoffe ample et rosée du manchon de la fillette se laissa agripper promptement par le petit poing de son égale.
"Par contre, pour tout le reste, c'est surtout toi qui es douée, Kanae."
Son intonation quelque peu rude, plus par gêne que lui inspirait de si gentils compliments élaborés devant un inconnu que par réelle colère, l'enfant aux allures de jeune libellule s'osa à river un regard en biais en direction de Kyojurô. Kanae se sentit rosir devant une telle répartie, et courba la nuque pour rencontrer les mirettes violacées de la benjamine de la famille Kochô.
Un regard sur elles, et une évidence s'éveillait.
Une excellence entente les liait toutes les deux. Elles s'aimaient du plus profond de leur cœur, besognaient l'une pour l'autre sans jamais s'en plaindre, croyaient l'une en l'autre et prenaient toujours plus soin de l'autre que d'elles-mêmes.
Sujet: Re: [Terminé][Septembre 2013] While young, the tree can be easily bent. Jeu 10 Nov 2022 - 17:57
shinobu kochô 2013
'while young, the tree can be easily bent.' ;
Depuis toujours, Kyojurô se faisait remarquer au Japon. Ce n’était pas forcément le cas en Occident. Néanmoins, l’aîné Rengoku provoquait bien des regards intrigués au pays. Déjà par sa tignasse blonde, aux mèches rousses, qu’il arborait et qui semblait avoir été bénie par les flammes, de même pour ses yeux qui semblaient rougeoyer à la faveur de la lumière et dans lesquels brillait la lueur brasillante de la détermination, ce qui en soit était le cas.
Le garçonnet ignorait la réelle raison de ces attributs physiques bien hors du commun et qui le faisaient détonner au milieu d’une foule, apanages de sa famille, en témoignaient les portraits au fil des époques. D’abord des estampes et autres peintures, capturant toute la noblesse de leurs traits, dans des postures héroïques, en armure et tenant un sabre comme les plus vaillants guerriers, puis plus récemment des photographies mouvantes.
Ses parents avaient prétendu qu’il s’agissait du fait d’un ancêtre, bien trop gourmand, qui s’était fait laisser tenter par une quantité gargantuesque de tempura.
Et il n’avait rien trouvé à redire parce que l’appétit de cette famille était aussi légendaire que leurs faits d’armes à défendre la veuve et l’orphelin, et lui-même aurait fait pareil (qui pourrait résister à de la friture dorée, sortant de l’huile chaude et croustillante à souhait après tout ?). Puis il fallait dire que Kyojurô n’était pas un garçon qui cherchait à contester l’autorité. Si quelqu’un de plus âgé évoquait quelque chose, alors ceci devait être vrai et il n’y avait pas à la vérifier. D’autant qu’il avait pleine confiance en ses parents Donc il répétait à qui posait la question ou qui voulait entendre, l’histoire de cet aïeul Rengoku dont il avait hérité ces cheveux enflammés, ces yeux embrasés, sa vaillance et cet appétit vorace.
Ensuite, parce qu’il était plus grand que la moyenne. Oh il n’était pas non plus immense, mais il dépassait généralement bien d’une demi-tête ou d’une tête ses camarades du même âge que lui. C’était sans doute dû à une excellente alimentation, comme il avait eu la chance de naître dans une famille de nantis, Kyojurô n’avait jamais manqué de rien, et même, il ne manquait pas l’occasion de se remplir la panse quand il était l’heure du repas. Son appétit semblait infini et son estomac un trou noir dans lequel disparaissait la matière. Tout plat trouvait grâce à ses yeux et était complimenté avec soin, preuves en étaient les adjectifs qu’il déclarait d’une voix forte à chaque bouchée. Sa stature était sans doute due à ses gènes, aussi. Son père était plutôt grand, quand il daignait se lever, et dans ses souvenirs, son grand-père l’était également.
Cérémoniel, poli et calme, bien que pouvant avoir un volume de voix très élevé quand il s’exprimait, Kyojurô détonnait aussi à ce niveau. Il faut dire que depuis qu’il est en mesure d’assimiler les leçons qu’on lui dispensait, il écoutait avec une très grande attention. Point le temps pour les jeux, il lui fallait rester concentré pour appréhender ce qu’on lui disait. Il avait un côté un peu vieux-jeu, qui détonnait avec son jeune âge, s’exprimant comme les vieilles personnes de haut-rang qu’il lui arrivait de croiser de temps en temps. Jamais il ne proférait le moindre juron ou insulte, au contraire. Il gardait contenance et se gardait bien de vilipender son interlocuteur, cette idée ne lui traverserait même pas la tête de toutes manières.
Donc oui. Kyojurô était de ces personnes qu’il était difficile d’oublier pour toutes ces raisons et sans doute la cadette Kochô l’avait reconnu sans le moindre mal parce que le garçonnet avait malgré lui un comportement quelque peu excentrique, qui ne manquait pas d’amuser.
La petite demoiselle finit par rectifier le lapsus qui avait été fait sur son nom de famille tantôt, le timbre à l’image de son apparence : délicate et frêle.
Pourtant Kyojurô ne s’en formalisa pas. Il ne s’offusqua pas non plus de se faire reprendre, contrairement à quelque gamin dont l’ego aurait été touché de se faire faire remarquer une erreur. Ses doigts, plus délicats que ce que l’on pourrait penser comme ils appartenaient à un jeune adolescent tel que lui, d’autant qu’ils étaient connus pour être plus habitués à tenir la garde d’une épée pour le kendo, s’attelaient à lisser le papier de la grue écrasée afin de lui redonner forme.
« Hm, hm. »
Écoutait-il réellement ? C’était une question que l’on était en droit de se poser. Le jeune garçon avait l’air absent par moments, que ce fut quand il était concentré à une tâche qui demandait son attention ou alors qu’il se tenait droit sans rien faire, son regard, fixe, grand ouvert sur le monde, avait de quoi déstabiliser et interroger quant à son intérêt pour la personne qui lui parlait ou qui le sollicitait.
Et pourtant.
Pourtant il était bien tout ouïe, malgré des défauts d’audition qui dataient de l’année précédente. Rares étaient les occasions où l’on voyait Kyojurô se confronter directement à quelqu’un. Pour tout dire, il abhorrait l’usage de la violence et avait davantage l’habitude de s’interposer entre deux personnes antagonistes pour leur intimer de cesser avant que la situation ne dégénère. En cela, nombre d’élèves ou professeurs avaient parié sur ses prédispositions à devenir préfet, dans les futures années de sa scolarité au sein d’Ilukaan.
Et ce jour-là, c’était en voulant protéger une élève plus jeune que l’on s’en est pris à lui. Un étudiant plus âgé, sûrement en sixième ou en septième année embêtait les étudiants avec une flûte. Jouer d’un instrument de musique était une capacité admirable pour Kyojurô. En revanche, causer du tort à autrui en utilisant un tel outil pour que des bruits stridents et insensés en sortent, et plus spécifiquement en s’en prenant à des étudiants incapables de se défendre correctement parce qu’ils venaient de commencer l’apprentissage de la magie était de la pure lâcheté. Peu de choses mettaient l’aîné Rengoku en colère, mais la bassesse de s’en prendre à des innocents sans raison et en sachant qu’en face cela ne susciterait pas de défense l’indignait au plus haut point, à tel point de provoquer sa fureur et son ressentiment.
Ainsi, le joueur de flûte s’en était pris à lui, alors qu’il tentait de le neutraliser à mains nues en attendant la venue d’un préfet ou d’un professeur pour régler la situation (parce que l’usage de la magie est prohibée en dehors d’un duel contre un autre élève, et Kyojurô respecte le règlement), et avait soufflé si fort dans son instrument que cela causa des dommages irréparables à l’ouïe de l’aspirant Auror.
Ce dernier regrettait-il son geste toutefois ? Aucunement. Il n’avait fait que son devoir et ce que lui dictait son cœur. S’il était resté les bras ballants ou s’il avait continué sa route en feignant ne pas avoir remarqué cette situation, mériterait-il tous les espoirs que l’on place en lui depuis sa naissance ? Aurait-il réussi à se regarder dans un miroir par la suite ? En aucune façon.
Droit sur l’assise, Kyojurô faisait de son mieux pour rendre au gruidé de papier une apparence plus digne.
« J’ignore qui a fait ça, mais ça ne l’a pas ratée ! »
Loin d’être moqueuses, ses paroles brisaient le silence et avaient pour vocation de redonner un peu de baume au cœur de sa cadette. L’adolescent finirait par réussir, il fallait juste du temps et de la consistance. Du premier, il en avait, l’envoi de la missive pour son père n’était pas à une heure près.
La seconde, c’était plus compliqué.
C’était un travail de tous les instants pour la personnalité enflammée de Kyojurô. Pourtant, quand il s’adonne à l’art du kendo ou à celui de la calligraphie, il est appliqué et patient, alors que pour ses leçons, il accélère (sans que cela soit négatif, il apprenait vite, mais ce n’était pas une qualité dont il disposait pour le moment et ça pouvait lui causer du tort) et était sujet aux sauts sur des conclusions hâtives. Toutefois, pour quelqu’un qui en avait besoin, il pouvait bien se faire violence, n’est-ce pas ?
Les minutes passent sans que Kyojurô ne transpire ou que ses mains tremblent malgré la complexité de la tâche. Il ne se plaint ni ne grogne. Il conserve un calme olympien, même si cela s’avère ardu parfois.
Les yeux insectoïdes de la petite Kochô, par-dessus son épaule, et sûrement rivés sur la grue ne le dérangent pas outre mesure non plus. Le regard d’autrui, alors qu’il est occupé, ne devrait pas le déranger ou altérer ses capacités à effectuer une action. Cette dernière ne se faisait pas forcément à l’abri de toute oeillade, il devait s’attendre à ce qu’on vérifie ce à quoi il était occupé. Alors il ne devrait pas trembler.
Il avait été accoutumé bien tôt au jugement sévère de sa mère quand il devait tracer des lignes d’encre sur les parchemins pour former les caractères demandés, aussi précisément qu’elle le voulait. Tout comme aux regards des spectateurs des compétitions de kendo et au jury qui vérifiait son habilité à combattre dans les règles de l’art et à effectuer des kata.
Il ne devait pas se formaliser d’être observé par ses pairs. Et à l’inverse, il ne se formalisait pas de scruter autrui d’une manière que certains jugeraient dérangeante. À dire vrai, Kyojurô ne le faisait pas exprès et ne se doutait pas que cela pouvait être mal perçu ou anxiogène.
Paradoxalement, s’il était mature à bien des niveaux, il gardait une certaine candeur qui le rendait attendrissant. Une naïveté enfantine alors qu’il avait dû endosser des responsabilités bien trop grandes, bien trop tôt.
Enfin, il réussit à rendre à l’oiseau de papier une forme plus convenable, presque comme s’il venait d’être fait et le tendit à la petite Strixyst, un grand sourire lumineux ourlant ses commissures, alors qu’habituellement, il était si refermé.
Il attendit qu’elle s’en empare, ses grands yeux ambrés suivant le moindre de ses gestes, pour poser ses mains sur ses genoux, poliment. Elle n’avait pas beaucoup grandi depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus.
« Je me souviens de toi ! De ta grande sœur également ! J’ignorais que tu étais venue ici pour étudier ! »
Ses déclarations étaient fortes, se faisaient avec fracas, comme un feu de paille… Mais étaient aussi chaleureuse que s’il s’agissait de flammes crépitant dans un âtre et auxquelles l’on aurait donné des herbes sèches pour mieux le nourrir.
Si Kyojurô s’était trompé dans le nom de la jeune fille, ce qui était chose courante pour lui, il se rappelait bien de l’échange qu’il avait eu avec les filles Kochô, dans ces jardins où régnaient les papillons.
Ce qui lui avait surtout sauté aux yeux, c’était l’attachement de la cadette pour son aînée, qu’il avait perçu. Un lien extrêmement fort, admirable. Comparable à celui que Senjurô avait certainement pour lui, même s’il était bien plus jeune que la puînée de cette famille de pharmaciens si renommés dans le monde magique.
La réalité était difficile pour cette dernière, il s’en doutait. Kanae Kochô était un peu plus âgée que lui, mais aurait sans doute été dans la même année d’étude que le jeune Ursirre si elle avait été envoyée à Ilukaan.
Or, ce n’était pas le cas. Jamais il n’avait croisé la demoiselle aux longs cheveux noirs, au sourire doux et aux yeux pétillants dans les couloirs de l’école canadienne. Si elle était étudiante en ces lieux, cela ferait longtemps qu’il l’aurait remarqué. Il n’eut aucun doute sur le fait qu’elle avait été envoyée à Mahoutoukoro, l’école de sorcellerie japonaise…
Et logiquement, Shinobu était seule dans ces lieux, sans le moindre repère, ce qui était particulièrement dramatique.
Sans doute était-ce pour cela qu’elle pleurait. Cela faisait peine à voir.
« Ravi de te retrouver ici ! »
Kyojurô était sincère dans ses déclarations. Shinobu avait beaucoup de qualités, à n'en pas douter, Ilukaan avait beaucoup de chance de la compter parmi ses élèves. Surtout si elle se dirigeait dans la voie de la pharmacologie.
Sujet: Re: [Terminé][Septembre 2013] While young, the tree can be easily bent. Sam 12 Nov 2022 - 22:37
While young, the tree can be easily bent.
Kyojurô Rengoku & Shinobu Kochô
Deep into autumn and this caterpillar still not a butterfly.
Il y eut dans l'air comme une sorte d'accalmie, sans même qu'elle ne sache véritablement comment. La brise apaisante qui soufflait au-dehors emporta avec elle les dernières perles scintillantes qui s'étaient posées sur les recoins des yeux de la jeune fille et, avant même qu'elle ne s'en rende réellement compte, le regard plein d'attention qu'elle jeta par-dessus le modelé de l'épaule encore fine de Kyojurô ne put se défaire de son œuvre.
Incapable de dévier son sens de la vue de l'extrême minutie qu'il adonnait à ses faits et gestes dans l'espoir de rétablir et de donner au pliage gruiforme sa fière allure d'autrefois, "Akitsu", comme il s'était empressé de la nommer sous la surprise d'une rencontre fortuite dans le corridor, se plongea dans le silence.
"Hm, hm", lui répondit-on sans véritablement chercher à rebondir outre mesure sur la déplaisance qui l'avait gagnée lorsqu'il n'avait gardé de son nom qu'un souvenir imprécis au point de n'en retenir que l'ultime son. Son vague à l'âme n'avait connu qu'un bref rayon de Soleil lorsqu'il lui avait tendu une main magnanime afin de la mener loin de leurs pairs; hélas, cette petite pointe de déception avait eu tôt fait d'obombrer une fois de plus son état d'esprit.
"Tu ne m'écoutes pas du tout ...", ne manqua-t-elle pas de souffler, peu réticente lorsqu'il s'agissait de laisser s'éveiller le sacré caractère dont elle était pourvue.
L'insatisfaction qui découlait de cet échange quelque peu lunaire l'encouragea à se concentrer sur autre chose plutôt que d'aviser sous toutes les coutures l'art de ce garçon dont la venue lui avait été si bénéfique, comme une apoïde qui n'aurait de cesse de tourner autour d'une fleur pour en vérifier le cœur.
Les filaments violacés qui prenaient naissance à la fin des mèches encadrant son visage poupin lui chatouillèrent les tempes. Malgré l'étendue des efforts de ce garçonnet, si enclin à lui porter secours au point de prendre de son temps pour arranger cet origami réduit en charpie par le passage distrait d'un élève qu'elle jugea un peu trop rapidement comme étant trop ignare à son goût, Shinobu sentit que converser était pour l'heure une cause perdue. Quiconque se serait confondu en excuse devant une étourderie telle qu'un prénom faussé — l'embarras qui résultait d'une bêtise comme celle-ci gênait davantage celui qui en était le destinataire malgré lui, plutôt que l'auteur.
Kyojurô, lui, n'avait pas cillé à la correction de la petite sorcière. Si retenir le prénom de ce jeune adolescent ne lui avait pas été véritablement complexe, cette même aisance n'était pas sans lui causer un certain trouble qu'elle se retrouvait incapable de chasser.
Si Shinobu avait retenu le moindre caractère qui composait le nom de ce petit héros, c'est parce qu'elle n'avait jamais véritablement été entourée par des connaissances de son âge avant son arrivée à cette école de renom. Dans la bourgade sorcière au sein de laquelle elle était née à Takinogawa, les seules âmes aussi jeunes que la sienne n'était que peu nombreuses, et appartenaient surtout à de jeunes moldus desquels elle préférait se tenir éloignée.
Dès lors que Kanae quittait la grande maisonnée de la famille Kochô à l'approche de l'âge où il devenait nécessaire pour elle d'entreprendre sa scolarité dans le monde magique, Shinobu ne trouvait du réconfort que dans les élégantes poupées que sa grande sœur lui avait léguées et ne se distrayait que platement en s'improvisant doctoresse auprès d'elles. Parfois s'amusait-elle à humer les fleurs aux palettes pâles de leurs arbrisseaux, suivre innocemment les papillons ou accueillir leur venue si fréquente sur le sommet de son crâne ou les reliefs de ses fines mains.
Combien de fois avait-elle entendu les rires d'enfants derrière les palissades de bambou des jardins de sa résidence, et vu les temari brodés de fils bariolés voler au vent sans jamais oser se joindre aux jeux candides du voisinage ? Elle l'ignorait, tant ce genre de scènes s'étaient réitéré au gré du temps. Bien souvent, elle n'arborait qu'une petite moue ainsi qu'une mine pour le moins fermée, se contentant de pousser vers ses petites confidentes inanimées les pièces en porcelaine de son précieux service à thé au sein desquelles elle avait mélangé eau, essences florales, et brins herbeux.
Les ramées ocres qui s'étendaient non-loin du lieu de leur escale l'extirpèrent de ses pensées. L'arbre décidu adjacent, lequel écoutait autant qu'il contemplait cet échange enfantin qui avait tout d'un début de véritable rencontre, se vit gratifié des ondulations venteuses : un courant d'air se pressa sur la fine écorce de ses ramilles, et astreint l'une de ses feuilles à rompre une fois pour toute les attaches fragiles qui la liaient à l'érable qui l'avait vue grandir. L'ère automnale avait ses charmes.
La décorée d'améthyste, ô combien maigrelette, éleva un bras pour saisir le limbe vermillon au cours de son envolée. Elle en observa attentivement les nervures, et ne peut s'empêcher d'esquisser une minuscule risette sans prendre la peine d'en expliquer la raison — le Tigreau, accaparé par sa besogne ne lui accordait sans doute pas le moindre regard, de toute évidence. L'un de ses kimonos favoris arborait ce genre de motifs de feuilles automnales sur sa soierie flavescente, et cette simple ressouvenance lui donna un peu de baume au coeur.
L'envie lui vint d'éloigner un tant soit peu sa trouvaille de son minois rebondi, afin de lui faire gagner un angle de vue presque équivalent à celui la silhouette proche d'elle, laquelle ne s'était pas agitée depuis tout ce temps. L'œil clos et la figure momentanément concentrée durant sa drôle de comparaison, Shinobu se mit à penser que cette feuille d'automne n'était pas si différente des brins cramoisis venus parfaite la crinière dorée du manieur de sabre.
Le destin se fit farceur. Le hasard, taquin, voulut qu'il achève son arrangement plus tôt qu'elle ne l'aurait douté, et il pivota vers la brunette pour lui tendre le pliage sur lequel il avait passé tant de temps. Trop expressive pour son propre bien, la pauvre fut sujette à un soubresaut qui lui arracha un hoquet de surprise, la sueur lui perlant au front et une érubescence gênée nimbant ses joues d'ores et déjà teintées en raison de ses récents pleurs.
Farouche et peu accoutumée à de tels éclats de voix, aussi enthousiastes et sympathiques étaient-ils, elle en fronça les sourcils. Si elle ne l'explicita pas, elle pria hâtivement les nymphes célestes de ne pas avoir été vue dans sa loufoque entreprise.
Dissimulant prestement son butin dans le pochon de son jupon mauve, elle l'observa un instant, pantoise, et réceptionna enfin ce qui lui appartenait. À peine le pliage passa-t-il d'une paire de mains à une autre que le porteur de missive prit gentiment place à ses côtés, allant même jusqu'à réajuster sa position sur cette bancelle d'extérieur.
Et voilà qu'il se mit à lui déclarer, avec toute l'assurance du monde, qu'il se souvenait bel et bien d'elle ainsi que de sa sœur aînée.
Éperdue de confusion et non sans éprouver une certaine difficulté quant à l'idée de lui répondre sur l'instant tant elle le trouvait déroutant, ses petites lèvres à la pulpe naturellement rosie s'entrouvrirent pour mieux se sceller quelques brèves secondes plus tard.
Quel garçon bizarre était-il ...
Ses mirettes observatrices et déstabilisantes pour qui se risquait à y plonger un coup d'œil s'attardèrent sur la réalisation en papier qu'il venait de confier à sa propriétaire d'origine. Sous la luminosité diurne, dont les faisceaux venaient en percer le voile mince, quelques infimes pliures et sinuosités irrémédiables et très probablement causées par cet imprudent qui avait croisé sa route dans les couloirs furent notifiées par la demoiselle.
Pourtant, plutôt que de se montrer ingrate, Shinobu acquiesça doucement. Incertaine quant au ton de son discours et des mots à employer pour lui renvoyer son ravissement, elle détourna le regard face à un sourire aussi lumineux que le sien. Sur son visage pourtant si marmoréen et si délicat, un air hargneux se crayonnait d'ores et déjà.
"... Merci."
La grue se vit offrir, en guise de nid temporaire, le giron de l'apprentie sorcière.
"Hmpf."
Elle se mit à fixer droit devant eux, avisant une paroi rocheuse qui faisait lieu de mur. Pourtant, en contrebas de ses yeux, une sorte de transparence rosée fleurissait comme de celle qu'une jeune personne arbore après avoir versé des larmes. Celles du chagrin sont toujours si froides.
"Elle est allée à Mahoutokoro. Je voulais en intégrer les rangs, mais ma soeur m'a conseillé de réfléchir à mes choix de carrière plutôt que de la suivre aveuglément", avoua-t-elle, un infime reniflement émanant de ses petites narines. "... Elle m'a dit que les matières enseignées ici m'offriraient plus de possibilités et que je devais tracer mon propre chemin sans me sentir obligée de suivre ses pas."
Dire qu'elle regrettait amèrement son choix n'était qu'un doux euphémisme. L'air égaré et la perte de son calme dans les bâtiments avant même l'arrivée du fils aîné de la fratrie Rengoku avait été une preuve suffisante de son accablement profond.
"... Tu es venu ici pour devenir Auror ?"
Aussi franche et intrépide était-elle, elle n'en demeurait pas moins bavarde lorsqu'une agréable compagnie lui faisait l'honneur de la faire penser à autre chose qu'à ce désarroi dont elle ne pouvait que difficilement parler à qui que ce soit. La seulette, pivotant le chef vers son jeune voisin, le darda d'une œillade fixe sans même prendre le temps de relever les sourcils pour paraître moins rude.
"Tu allais où, comme ça ? Inutile d'essayer de me mentir, j'ai vu que tu portais une enveloppe. Tu t'en vas livrer ton courrier ?"
Si sa franchise avait de quoi bousculer quelque peu les esprits, aucune malhonnêteté ne transparaissait dans le timbre clair de sa voix. Sans paraître le moins du monde mal à l'aise d'une verve aussi vive que la sienne, elle tourna son buste en sa direction.
Il aurait été bien délicat de le questionner directement sur sa famille tant elle avait souvenir d'un sujet sensible. L'écho du timbre chuchotant de son père partageant subrepticement la funeste nouvelle à sa mère, derrière le comptoir de leur échoppe de pharmacologie magique, lui était encore frais.
L'annonce de la disparition de la Dame Rengoku avait provoqué une affliction profonde chez les honnêtes fournisseurs des remèdes que son époux était venu quérir, dans l'espoir fragile d'apaiser les maux et souffrances de sa femme dont le regard s'était un jour éteint.
"Pauvre homme ...", avait prononcé le patriarche avec regret dès lors que les travers de Shinjurô lui étaient parvenus, après qu'il se soit essayé à prendre de ses nouvelles par le biais d'un début de conversation qu'il espérait épistolaire. Ses courriers n'avaient jamais reçu de réponses, toutefois.
La douleur inévitable qui avait traversé l'être entier de son aînée, ce jour-là, l'avait marquée. Shinobu l'entendait encore dire qu'elle envisageait de réaliser un arrangement floral tout particulier destiné à leurs visiteurs d'antan afin d'apporter, dans le cœur de ce veuf jadis animé par le brasier de la passion et de ses fils esseulés, un soupçon de méditation. Ils n'avaient pas beaucoup échangé, mais la perte éprouvée par la famille Rengoku l'avait touchée plus que de raison. Il n'avait que neuf ans, et son petit frère était encore bien trop jeune ...
Si quelqu'un peine à soulever une charge lourde, soulage-le. Si quelqu'un est inquiet, réfléchissez ensemble à son problème pour le résoudre. Si la tristesse afflige quelqu'un, partage son chagrin avec lui.
Ainsi leur père avait-il parlé.
"... Et toi, tu te sens comment, depuis que tu es là ?"
Sans doute était-ce là une manière indirecte de lui demander comment il allait, après ces années qui lui paraissaient pour des éons.
Sujet: Re: [Terminé][Septembre 2013] While young, the tree can be easily bent. Mar 15 Nov 2022 - 23:53
shinobu kochô 2013
'while young, the tree can be easily bent.' ;
Etait-il quelqu’un de prompt à écouter ?
Pas réellement.
C’était un peu malgré lui toutefois, mais Kyojurô ne pouvait pas être qualifié “d’oreille attentive”, même s’il était doté d’une infinie gentillesse, louée par tous ceux qui le croisaient. Il était prêt à rendre service. Ah ça, il se dépêchait souvent d’assister toute personne qui semblait en avoir besoin. Une vieille personne dans une rue qui a du mal à transporter ses courses ? L’aîné des fils de Shinjurô et Ruka Rengoku accourerait pour l’assister avec un grand sourire. Un temari coincé entre les branches d’un arbre parce que, emporté par le jeu, des enfants l’auraient lancé trop fort et trop haut ? Kyojurô grimperait avec aisance jusqu’à la cîme pour le récupérer.
Le blondinet avait des capacités physiques qui lui permettaient d’effectuer bien des prouesses sans beaucoup de difficulté, il n’était que dans l’ordre des choses qu’il le mette à profit pour venir en aide à autrui, quand il y en avait besoin. Cela lui arrivait toutefois de se blesser, mais il ne s’agissait là que d’égratignures et d’éraflures, des blessures très superficielles en soi et qui pouvaient être soignées en un rien de temps, même sans passer par la magie ou quelconque décoction pour en accélérer la cicatrisation.
Mais il lui était bien ardu de se poser et d’écouter patiemment un interlocuteur, surtout quand toute son attention était focalisée sur une action qu’il effectuait. Shinobu pouvait s’en rendre compte à ce moment. C’était bien comme si un mur invisible mais hermétique séparait les deux jeunes étudiants. Il était bien compliqué pour le natif de Moerukawa d’effectuer deux actions simultanément, surtout quand il s’agissait pour l’une de prêter oreille à une conversation.
Non pas qu’il soit refermé. Oh, on était loin de ce cas de figure avec lui. Kyojurô pouvait être extrêmement loquace et s’exprimait sans la moindre difficulté, faisant preuve d’une grande éloquence qui le retenait de buter sur ses mots.
Kyojurô avait une personnalité solaire qui lui permettait de s’approcher de n’importe qui et d’engager la conversation, comme cela a pu être le cas juste un peu plus tôt avec la benjamine des Kochô, ainsi qu’une ouverture à autrui telle que beaucoup de personnes s’entichaient de sa personnalité, aussi difficiles leurs caractères pouvaient être en face. C’était le cas d’Iguro Obanai, l’enfant adopté par Shinjurô après qu’il l’ait sauvé au cours d’une mission et avec qui il était entré à Ilukaan, deux ans auparavant, l’empêchant ainsi de se retrouver complètement seul, à l’autre bout du monde…
Les gouttes de pluie tombaient en abondance ce jour-là sur la demeure de Moerukawa qui était plongée dans un silence sinistre depuis la disparition prématurée de Ruka, survenue à cause d’une longue maladie.
Les Rengoku peinaient à réaliser la mort de la figure maternelle de la maison, qui savait diriger celle-ci avec douceur mais non sans une fermeté certaine, amplifiée par son regard d’ordinaire sévère.
L’on ne pouvait désormais plus croiser celui-ci, la matriarche ayant traversé la rivière qui séparait le pays des vivants de celui des morts
Kyojurô veillait, posté dans l’encadrement de l’entrée de la demeure de sa famille. Il portait dans ses mains fines d’enfant une lanterne de laquelle émanait une lueur blanchâtre, illuminant son visage et lui conférant des allures de feu-follet, plus que d’habitude toutefois.
Il attendait le retour de son père après avoir emmené Senjurô au lit, qui s’était endormi sur ses genoux. Son cadet était si petit et ne faisait que chercher sa compagnie, se raccrochant à son frère aîné parce qu’il ne trouvait plus sa mère et ne comprenait pas, et que son père le rejetait soudainement alors que cela n’avait jamais été le cas jusque-là.
Difficile d’expliquer la mort à un enfant si jeune, Kyojurô ne s’était pas résolu à le faire, d’autant que lui-même avait bien du mal à réaliser ce qui se passait et peinait à faire son deuil. C’était le cas pour chacun d’entre eux. Shinjurô avait sombré dans la dépression. Parfois, quand Kyojurô le retrouvait, sa gorge était prise en étau lorsqu’il humait les effluves fortes et désagréables de l’alcool. Son père avait sombré dans la boisson alors qu’autrefois, il ne s’autorisait qu’une coupelle, et encore. Il faisait preuve de retenue, comme le faisait tout guerrier digne de ce nom et se tenait bien droit. Aujourd’hui, il semblait se tenir plus courbé, sa voix était grondante, rauque, traînante à cause de l’éthanol, ses mouvements semblaient parfois moins maîtrisés. Parfois il l’effrayait et ses paroles n’avaient rien à voir avec son discours d’autrefois. Lui qui était avant si encourageant envers ses fils, souriant et bienveillant, cela avait bien changé. Il ne prenait même plus la peine de veiller sur la bonne tenue de leurs entraînements de kendo. Il laissait ses fils se débrouiller seuls, en pestant sur la futilité de leurs actions parce qu’ils étaient bien loin d’être talentueux.
Senjurô ne comprenait pas. À raison, il était bien trop jeune. Pourquoi leur mère n’était plus là, pourquoi leur père avait-il changé de la sorte… Il n’avait pas osé poser la question à son aîné, mais ce dernier n’avait pu s’empêcher de remarquer ses grands yeux interrogatifs, brillants et larmoyants qui ne manquaient pas de le prendre de court. En remarquant ce regard, l’aîné ne pouvait s’empêcher de se figer et d’être réduit au silence.
Quant à lui… Kyojurô était bien entendu la proie d’une infinie tristesse. Les jours heureux semblaient si lointains et dater du temps où les tigres fumaient. Il n’avait su quoi faire les premiers jours après les funérailles de sa mère, ne pouvait qu’être tiraillé entre son père et son jeune frère. Ce n’était pas une situation enviable pour un garçonnet de neuf printemps. À cet âge, il aurait pu penser aux jeux, au repas suivant qu’il l’attendrait quand il rentrerait chez lui après une journée de péripéties en compagnie de camarades et d’amis, avec qui il découvrirait ce que le monde avait à offrir. Peut-être aurait-il joué au temari, aux osselets, simulé des combats épiques avec des compagnons de jeux ou observé les scarabées avant de s’en emparer pour organiser des duels d’anthologie… Mais il n’y avait jamais rien eu de tout ça.
Kyojurô avait peu joué dans sa jeunesse, il avait commencé à suivre très tôt les pas de son père, l’imitait dans le moindre de ses gestes du quotidien, aussi banals pouvaient-ils paraître pour un jeune enfant. Il avait assisté sa mère dans sa maladie jusqu’aux derniers jours, coiffant ses longs cheveux noirs qui avant étaient si beaux, épais et brillants et qui étaient devenus secs et cassants.
Et aujourd’hui, c’était à lui de se charger de l’entretien de la maisonnée, avec l’aide occasionnelle des voisins, qu’il n’osait pas solliciter par politesse et prétextant qu’il avait la situation en main. Il ne s’agissait là que de mensonges grossiers. Kyojurô ne pouvait qu’en être conscient quand il se retrouvait face à la nourriture carbonisée qu’il avait tenté de cuisiner, ou lorsqu’il se blessait en voulant nettoyer la grande demeure.
Néanmoins, il ne se plaignait pas, ne grognait ou ne lâchait le moindre sanglot. Il poursuivait ses efforts assidûment, et pour cause ! Sa mère comptait sur lui, il devait être un pilier inébranlable pour son père et son jeune frère, envers lesquels il ne tenait aucunement grief et qu’il continuait d’assister avec la meilleure volonté du monde. La situation, aussi compliquée pouvait-elle être, demandait solidité et résilience de sa part.
Un jour, son père irait mieux et retrouverait son tempérament d’autrefois et Senjurô finirait par grandir à son tour et comprendrait.
En attendant, Kyojurô devait accomplir son devoir de fils aîné et rester le phare de son foyer, aussi lumineux que possible pour éviter que son père et son cadet ne se perdent davantage. Si tous chaviraient, que resterait-il ? Il fallait bien que quelqu'un se lève, porte la charge incombée, aussi lourde pouvait-elle être, et poursuive la route, inlassablement, aussi escarpée, sinueuse et pentue était-elle.
C’était complexe, déprimant, mais Kyojurô avait bon espoir que tout finisse par s’arranger. En cela, il faisait tous les efforts du monde pour faciliter la vie de ses proches et s’occuper de la maisonnée. Il n’y avait personne d’autre pour le faire de toutes manières.
Ses paupières s’alourdissaient à mesure que les minutes passaient. Il était bien tard et le silence nocturne était troublé par l’averse qui se déversait au dehors. Néanmoins, Kyojurô se devait de rester debout, pour accueillir son père qui rentrait de mission, comme sa mère le faisait autrefois. Cela donnerait sans doute du baume au cœur meurtri du chef de maison de voir que son premier enfant l’attendait et l’accueillerait. Enfin… Le garçonnet l’espérait. Seul son père savait quelles pensées il avait en tête.
À nouveau, ses paupières se baissèrent instinctivement. Kyojurô avait grand-peine à les maintenir ouvertes. Il lui sembla toutefois distinguer une silhouette grande et musclée dans la nuit et la pluie, ce qui le fit se redresser et rouvrir grands les yeux avec un peu de latence et se redresser en bombant le torse, d’une manière quasiment militaire, comme si la fatigue qui le tentait jusque-là avait été inexistante.
« Bienvenue, père ! Je suis ravi de vous voir rentrer !»
Sa voix forte sembla faire trembler la nuit silencieuse, mais il n’en avait que faire. Shinjurô était rentré, indemne, de sa mission, ce qui n’était pas gagné au vu de ce qu’il avait bu avant de partir. Cela n’avait pas d’importance toutefois.
Kyojurô ne bougea pas face à son père, le fixant avant de s’incliner légèrement et de se figer.
Le patriarche n’était pas seul.
Il était accompagné d’une enfant maigre aux longs cheveux noirs, aux yeux étranges, vêtue de haillons. Elle avait les traits si fins et était si efflanquée que c’en était navrant. Il semblait qu’elle pouvait se casser au moindre de ses gestes, c’était un miracle qu’elle sache se tenir debout. Autour de son cou maigrelet reluisant les écailles d’une petite couleuvre blanche, et la moitié basse de son visage était recouverte de bandages sales.
« Moins fort, Kyojurô. »
Le sermon de Shinjurô ne se fit pas attendre, mais l’intéressé ne broncha pas, fixant la nouvelle-venue qui le toisait en retour de ses yeux en amande hétérochromes. Un iris sombre et un iris clair, ça dissociait pas mal et ça lui donnait une drôle d’apparence.
Shinjurô poursuivit immédiatement.
« Ce jeune garçon est Obanai Iguro. Il vivra avec nous à présent. Ne le brusque pas. »
Mahoutokoro… Kyojurô aurait pu y aller et il se serait sans doute bien débrouillé, comme ses parents avant lui. Lui aussi aurait arboré l’uniforme rosé qui aurait tiré sur le doré à la fin de ses études, sans doute comme preuve de l’excellence de son parcours, comme ses parents, ses grands-parents et le reste de sa famille avant lui.
Mais il avait vu les choses en grand. Pour le jeune garçon, il s’était imposé comme une évidence qu’il devait aider, protéger et servir le maximum de personnes possible. Or, cela ne pouvait se faire qu’en étendant le champ à l’échelle internationale, plutôt qu’au niveau du Japon seul. Ilukaan lui permettait ceci, d’étendre ses ambitions. Sans doute était-ce ce que sa mère voulait pour lui, en tout cas, elle n’y aurait sûrement vu aucun inconvénient.
« Je vois !»
Cette déclaration pourrait difficilement passer chez son interlocutrice si elle s’était offusquée de ses précédentes réactions. Cela restait du même ordre. Néanmoins, pour changer, l’aspirant Auror poursuivit, imperturbable :
« Ta grande-soeur est une personne d’une grande sagesse, elle a sûrement eu raison !»
C’était ce qu’il avait perçu en apercevant Kanae Kochô ce jour-là. Une personnalité réfléchie, débonnaire mais qui savait certainement ce qu’elle voulait, malgré une immense douceur que des mauvaises langues auraient attribuée à une certaine mollesse. Oh il ne devait ne rien en être. Nombreuses étaient les louanges faites concernant l’aînée Kochô. On la disait pourvue de toutes les qualités possibles, comme une déesse bénévolente assistant Bouddha ou une fée d’un quelconque arbre fleuri.
« En effet, je pense que je pourrai devenir Auror grâce à la qualité de l’enseignement dispensé ici ! »
Le blond sourit à son interlocutrice, solaire, sans ciller quand il sentit le regard inquisiteur de sa compatriote, y compris vers la poche d’où sortait sa missive, encore bien lisse malgré ses aventures.
Son expression s’adoucit sensiblement et dans ses yeux brilla une légère lueur mélancolique. Il lui était bien difficile de cacher certaines émotions. Malgré les apparences, Kyojurô était encore si jeune, si fragile…
Comme si son cœur était fait de verre. Une coquille de céramique qui renfermait certes des flammes ardents et passionnées, mais si facilement brisable en milles morceaux et difficile à recoller.
« Tu es observatrice. J’allais envoyer une lettre en effet. »
Non. Il ne devait pas laisser son coeur succomber de la sorte au désespoir. Il se redressa sensiblement et reprit contenance, immédiatement.
« Je vais parfaitement bien ! Je suis dans la même année que mon frère ! Je ne sais pas si tu as entendu parler de lui, Iguro Obanai ! »
Les nouvelles allaient si vite dans le cercle magique de Tokyo… Surtout quand il était question d’une des plus anciennes familles de sang-pur, versée dans la défense magique et qui se décide à prendre comme pupille un enfant issu d’une famille de mages noirs et dont les agissements étaient fort peu recommandables.
Oh cela avait dû jaser… Mais ça, Kyojurô l’ignorait complètement. Ce qui comptait, c’était que ce jour-là, malgré le désespoir qui l’animait, son père avait sauvé une vie.
Au fond… Il devait rester le même homme, malgré les apparences.
Sujet: Re: [Terminé][Septembre 2013] While young, the tree can be easily bent. Sam 19 Nov 2022 - 4:39
While young, the tree can be easily bent.
Kyojurô Rengoku & Shinobu Kochô
Deep into autumn and this caterpillar still not a butterfly.
Le lionceau qui lui tenait cette si charmante compagnie depuis qu'il l'avait extirpée des méandres des corridors ne manquait jamais son occasion pour soutirer un étonnement à sa compagnonne. Dès lors qu'elle le pensait enfin enclin à lui prêter une oreille un tant soit peu attentive quitte à rebondir sur ses palabres pour en faire une conversation somme toute logique — comme les discussions se profilent habituellement entre les jeunes personnes, Kyojurô la surprenait encore par son attitude si ... originale.
Il ne lui soumettait pas la moindre interrogation, ne manifestait pas l'éclat subtil d'une étincelle de curiosité à son égard et n'avait, jusqu'alors, jamais énoncé une question potentiellement destinée à percer le mystère de cette grue en origami qu'il avait eu la bonté d'arranger pour rendre le sourire à sa petite propriétaire. Tout portait volontiers à penser qu'aucune interrogation, aussi subtile soit-elle, n'était en mesure de traverser l'esprit éclairé de son jeune complice de deux ans son aîné. Avait-il pour ambition secrète et chevaleresque de porter secours à son prochain sans rien demander en retour, à l'image de ces âmes nobles et valeureuses qui combattent sous les vents et les ondées comme on les dépeignait sous les traits sinueux des estampes ?
Possiblement.
À dire vrai, rien ne le différenciait de ces guerriers juvéniles qui sautaient à la vue des esthètes lorsqu'un parchemin vétuste se déroulait sous leurs paumes. Pour une raison qu'elle ne parvenait pas encore à discerner, Shinobu voyait en lui l'allure imposante et fière des porteurs de plates de l'ère féodale, sabre au poing, qui délaisserait les faisceaux prompts à faire rutiler leur armure pour mieux fondre dans les ténèbres afin d'éradiquer le mal s'y terrant.
Protéger les indigents et porter au plus haut ses valeurs, tels semblaient être ses objectifs, à la manière d'un samouraï.
Cependant sa prestance et les galbes singuliers qui lui auréolaient les traits n'étaient pas sans titiller son esprit créatif. Confinée dans un silence qui lui offrait toutes les occasions possibles d'analyser avec un tant soit peu de précision le portrait encore jeune de l'Ursirre, ses pensées s'envolèrent ailleurs en un claquement de doigts. Son front haut, ce regard émerillonné comme celui d'un oiseau de nuit qui veillerait inlassablement à répondre à son devoir et ses responsabilités, et les sourcils aux tracés épais qui surplombaient ses mirettes incandescentes achevèrent de faire fleurir en elle une toute nouvelle comparaison qu'il n'aurait pas déméritée.
La cadette des Kochô eut, l'espace d'un instant, l'étrange impression de se tenir aux côtés d'un de ces hommes vaillants qui montent sur les planches afin d'émerveiller les regards, la figure peinturlurée d'un profond vermeil. Une couleur éloquente évocatrice de puissance et de nobles vertus que Kyojurô semblait porter avec lui où qu'il aille. Leurs premiers mots étaient à peine échangés qu'elle sentit qu'avec lui le Soleil ne se couchait jamais.
Celle qui ressemblait à un petit insecte — car c'était de la sorte qu'il l'avait considérée la première fois — se mit à jeter une œillade vers son interlocuteur qui savait si bien redonner aux pliages artistiques leurs formes d'antan.
De telles représentations théâtrales comme le kabuki avaient-elles l'affection du jeune seigneur qui s'exclamait à côté d'elle ? Il lui semblait l'entendre rugir avec la candeur de l'enfance dès lors qu'il cherchait à lui adresser quelques mots. Pourtant, dès lors qu'il réceptionna la notification dudit courrier, Shinobu sentit ses épaules fragiles s'abaisser sensiblement. L'éclat morne qui se plut à traverser la prunelle dorée du blondinet fut, pour elle, impossible à ignorer : l'aura brûlante et chaleureuse qui s'osait à parsemer la surface de sa petite figure s'amenuisa et se rapprocha plus d'une flammèche timide que le froid ferait frémir que d'un véritable jeune brasier.
Il arrivait, même au plus brillant Soleil, de connaître des instants de déclin.
Sacrilège. L'avait-elle vexé ?
"Non ... Je ne crois pas connaître cette personne."
Et si elle en avait entendu la mention dans les étroites ruelles en contrebas des monts à Takinogawa, elle n'en piperait mot. La manière spontanée qu'il eut de glisser le sujet sur le tapis parut l'étonner. Petit frère, avait-il dit ? Elle se souvenait pourtant avec plus ou moins de facilité des syllabes prononcées par Kanae lorsqu'il était question du minuscule adelphe de Kyojurô, et si elle ne parvenait pas à s'en remémorer le son exact, Obanai ne lui évoquait que peu de choses.
Si son franc-parler et la clarté de sa vocalise avaient été moindres, sans doute les choses se seraient-elles passées autrement.
___________
Les volutes vaporeuses échappées de la bouilloire l'incitèrent, bien malgré elle, à froncer les sourcils sous un énième regain de concentration.
L'idée de quitter des yeux la surface ondoyante ne lui fut pas tentante ne serait-ce qu'une seule fois, et pour cause. L'eau qui séjournait dans l'instrument boisé maintenu dans l'une de ses paumes encore hésitantes n'était pas sans lui provoquer quelques secousses au coeur tant elle la croyait susceptible d'être renversée par-dessus bord au moindre geste indélicat de sa part. La louche hishaku, rendue captive de la prise encore maladroite de la jeune fille qui se mit à trembler sous les craintes d'une étourderie, voyait le liquide parcouru d'infimes vibrations qui n'auraient pas manqué de la faire pâlir si une douce mélodie ne se jouait pas, proche de l'installation qui donnait lieu à cet entraînement à la cérémonie du thé.
Notes et airs délicats s'élevaient dans l'atmosphère de cette pièce annexe où Shinobu se tenait inlassablement, soumise à la génuflexion depuis de longues minutes qui passaient sans mal aucun pour une éternité entière. Les sonorités pincées d'une harpe longiligne, déposée à même le sol finement natté, gagnaient l'environnement restreint de cette pièce où l'on se dépossédait de ses tourments pour mieux se couper du monde. S'éloigner des maux, réfléchir sur soi et prendre le temps de se connaître soi-même, quitte à s'adonner à la plus sibylline des introspections : tels étaient les objectifs de la pratique minutieuse et ancestrale du chanoyu, si chère au cœur de sa tendre mère à qui elle avait voulu faire plaisir.
Non-loin de la cadette, l'aînée se tenait.
Disposée près du shōji, ses mains aux doigts élégants n'avaient de cesse d'effleurer la surface des cordages du koto en sa possession, comme une poétesse entame une mélopée pour apaiser les mœurs. Kanae, artiste à ses heures lorsqu'elle ne se démenait pas pour son prochain, courbait pensivement la nuque sur son instrument, ses songes la réduisant au silence.
"Ne te presse pas."
Un timbre doux et patient avait suffit pour inciter Shinobu à ajuster la posture de ses épaules, comme dans une volonté quelque peu naïve de stabiliser sa position à même le tatami pour éviter à l'eau de s'éparpiller en ruisseau sur le sol durant le transvasement auquel elle s'essayait depuis de bonnes minutes. Si elle ne lui jeta pas l'une de ses œillades pour éviter de renverser l'eau échauffée tandis que l'outil qui la transportait se dirigeait lentement mais sûrement de la céramique ornementée lui faisant lieu de bol, la porteuse d'épingle savait, dans l'intonation raffinée de sa chère mère, laquelle se tenait tout près d'elle, qu'elle s'était mise à sourire.
Le regard aimant de sa génitrice et l'air clément qui modulait sensiblement son visage lui fit comprendre, en un instant, qu'elle ne lui en voudrait aucunement si par malheur la moindre gouttelette d'eau brûlante devait s'échapper de la louche. C'est en commettant des erreurs et des imprudences qu'une âme s'améliore et cherche à ne plus les recommencer. Sans doute était-ce en raison de la chaleur de l'eau posée sur les braises, mais la plus jeune de la famille Kochô se sentit rosir de confusion.
Une main gracile et maternelle, comme faite de porcelaine, en vint à s'apposer sur la dextre de l'enfançonne afin de l'aider à corriger son erreur et empêcher l'eau de trémuler sous la gestuelle encore novice d'une fillette de son âge. L'échine de la jeune dame se pencha un brin pour aider son enfant, offrant à Shinobu toutes les chances d'humer distraitement les fragrances florales s'échappant de ses gracieux mouvements, et de regarder les ornements de la soierie rosée de son kimono. En contemplant cette si belle parure et d'aussi jolis motifs de fleurs de lys aux pétales éburnéens, une risette gaie rehaussa les contrebas de son visage rondelet.
Le pincement d'une corde de la harpe traditionnelle, plus ferme que les précédents et suivi d'un silence soudain, soutira l'attention de la guérisseuse en herbe ainsi que celle de la mère de la famille Kochô.
"Tu aurais pu être moins hostile avec lui ..."
Le pigment lilas des prunelles pétillantes de sa grande sœur se tourna vers elle à cette remarque dont l'écho mélancolique et marqué par le regret saisit les contours de la piètre silhouette de la puînée. À la vue simple de l'expression confuse et incertaine qu'elle arborait désormais sans pouvoir s'en défaire, il n'était pas difficile de comprendre qu'elle ne savait pas de qui il était désormais question.
Dans le froissement presque imperceptible de son habit paré de décorations végétales, la jeune demoiselle aux longs cheveux d'ébène ne put que se laisser à une nouvelle inclination du chef, si chagrinée au souvenir qu'elle se faisait du visage de ce garçon qui leur avait rendu une nouvelle visite en compagnie de son père quelques semaines auparavant. Sa seule faute avait été de reprocher, un peu trop amèrement au goût de la Muse, les éclats de voix tonitruants du fils Rengoku qui n'avaient de cesse de la faire sursauter et de perturber le flot de ses pensées.
"Il essayait de faire connaissance avec nous, Shinobu. Je trouve que tu y es allée un peu trop fort ..."
Le reproche latent, toujours déclaré avec un extrême tact et une délicatesse sans égale, offrit à Kanae l'occasion de redresser la tête pour contempler la jeune coupable dont elle dénonçait la faute après des jours de laconisme frappant. Son affection et son amour pour la benjamine étaient si grands qu'elle cherchait d'ores et déjà, même dans un instant aussi crucial qu'une accusation réalisée pourtant avec calme et bienveillance, à lui témoigner toute l'étendue de cette mansuétude si rare qui semblait lui avoir été offerte par les cieux eux-mêmes.
Leur mère abaissa un instant les yeux à mesure que sa plus jeune fille comprenait l'identité de la pauvre âme qui avait été sujette à son caractère ô combien impétueux, pour un si jeune âge. Face à ces quelques remontrances, Shinobu se redressa vivement sur ses deux jambes et manqua de percuter le boîtier laqué qui contenait la poudre de thé vert.
"— Il parlait si fort qu'il faisait s'éloigner les papillons ! On ne s'entend pas penser, avec lui ! — Sa pauvre mère est malade ... il ne le pensait pas à mal, et tu le sais bien. Il voulait peut-être juste se distraire en oubliant tout ça pendant l'une de ses visites chez nous ..."
La vive douleur que lui infligeait pareille remarque rendit son souffle court. En étant elle-même, fidèle à son propre caractère et aux rugosités auxquelles s'apparentaient l'ensemble de ses défauts, Shinobu avait blessé ce garçon, et cela avait causé une couleur indicible dans le cœur de cette sœur qu'elle prenait pour véritable modèle et dont elle suivait les traces sans jamais parvenir à égaler son niveau.
Pour chaque pas effectué par Kanae, Shinobu en réalisait le double, or cela n'était jamais suffisant.
L'une patiente, bienveillante et dotée d'un altruisme qui ne s'étiolait jamais. L'autre farouche, colérique et encline à vexer quiconque au nom de l'honnêteté.
Un mal lancinant en vint lui tenailler le cœur sans ambages, à cette prompte réalisation. Cette cérémonie du thé, refuge secret où l'on s'adonnait aux réflexions et où l'on rêvait pour mieux se recueillir et pour laquelle elle avait pourtant failli en faisant preuve d'une hâte et d'une impatience spontanées, était en soi le reflet parfait d'un de ses énièmes échecs.
La faïence de la coupelle qui résidait entre les jointures de ses doigts frêles subit tout à coup une pression jusqu'alors contenue ... mais la frustration qui envahissait un si petit corps fut loin d'être suffisante pour parvenir à infliger ne serait-ce qu'une éraillure à la céramique. Ses phalanges en lâchèrent tout à coup les reliefs, et le minuscule contenant chuta sur le coussin qu'occupaient ses genoux repliés avant ce malentendu inopiné.
Les désaccords étaient pourtant rarissimes entre elles.
Shinobu pressa le pas au point de courir jusqu'à la cloison pour l'ouvrir dans un fracas avec plus de poigne qu'on aurait pu en supposer à des bras aussi minces que les siens, et quitta la pièce sans que personne ne bénéficie de la moindre seconde pour au moins tenter d'esquisser un geste pour la retenir.
Les sons dérisoires provoqués par le concert navrant de ses petons au-dehors causa à l'aînée une grande peine et, incapable de demeurer là sans au moins essayer de la talonner pour la rattraper, s'élança à sa poursuite en hélant son nom, et quémandant son pardon.
___________
Elle contempla le sol un court instant durant lequel elle astreint ses paupières à s'abaisser. Pourquoi une telle scène lui faisait-elle donc l'effet d'un écho d'une telle envergure ? Les mots que sa soeur lui avait adressés n'avaient pas manqué de la blesser tant elle craignait d'endosser le mauvais rôle à ses yeux.
L'on ne sait jamais ce que traversent les gens. Ceux qui sourient le plus sont parfois ceux que la vie ne daigne pas épargner. Ceux qui semblent les plus insouciants sont parfois ceux qui portent sur leurs épaules le poids d'un fardeau qu'ils jugent préférable de taire pour ne pas troubler leurs pairs. Ceux qui réchauffent les cœurs de leurs amis sont parfois les plus prompts à connaître la froideur glaciale de la tristesse.
Sans doute était-il l'un de ces humbles qui font le voeu de ne pas évoquer leur mal à qui que ce soit, et qui choisissent d'avancer vers la lumière malgré les ombres funestes de leur passé. La luisance discrète qui avait eu la timidité de prendre naissance dans les iris fervents de Kyojurô n'était pas sans lui rappeler la tristesse silencieuse que détenait parfois le regard parme de Kanae, sans qu'elle ne comprenne véritablement pourquoi.
Une idée, laquelle aurait pu passer pour saugrenue tant elle effleura la jeune fille avec un retard de quelques années, l'incita à mouvoir son regard en sa direction sans toutefois l'accompagner d'un mouvement de tête. Si elle lui présentait ses excuses, leur prêterait-il vraiment la moindre once d'attention ? Peut-être avait-il autre chose à penser, et qu'une telle résurgence ne ferait que l'accabler d'un autre souvenir malheureux.
"Hé bien, tant mieux", se contenta-t-elle de commenter, tandis que les extrémités violacées de ses mèches obscures entreprenaient déjà d'être traversées de faibles lueurs qui trahissaient l'embarras de sa récente pensée.
"Si tu le dis. Je n'ai pas croisé de personne portant un nom comme celui-ci. Il est comment ? Je ne savais pas que tu avais deux frères, dont un de la même année que toi."
La Strixyst ne put résister à l'envie distraite de joindre ses genoux l'un à l'autre pour mieux y poser ses poignets, et y enfouir son visage dont les pommettes ne purent empêcher le réflexe gagner en érubescence. C'est qu'elle bouillonnait d'envie de lui dire pardon sans jamais trouver le moment propice pour le faire ...
"Mh."
L'onomatopée fut évoquée par le biais d'un souffle contenu, émanant de derrière le tissu de sa chemisette. Elle y laissa choir sa tempe et, pour la première fois depuis quelques instants, eut enfin la décence de lui adresser un regard plus inquisiteur que détenteur d'une curiosité que l'on aurait pu qualifier de mal placée.
Si quelqu'un peine à soulever une charge lourde, soulage-le.
"... Je voulais te poser une question."
Le vent se mit à souffler aux alentours. Une bourrasque s'amouracha des feuillées ocrées, et les fit tournoyer en un ballet aérien des plus délicieux — pour qui avait l'attrait des valses de la flore automnale.
"C'est à propos de ton papa."
Il ne serait pas impossible qu'un mot aussi simple que celui-ci puisse étonner quelque peu le jeune élève à qui il était adressé. Évoquer cet homme par le biais de ce terme prouvait, en un rien de temps, la proximité qui la liait à son propre paternel qu'elle avait, pour sa part, toujours nommé ainsi contrairement à l'Ursirre qui s'adressait au sien avec une politesse extrême qui relevait sans nul doute d'une coutume immémoriale. Le clan Rengoku n'était pas sans avoir gagné ces allures de lignée rigoureuse et dont l'estimation de ses patriarches s'était perpétrée au fil du temps.
"C'est à lui que tu comptes envoyer ta lettre ? J'ai entendu des choses à son sujet ..."
Elle espérait désormais qu'il ne se braque pas, ou n'achève pas une conversation qu'il juge dérangeante ou inappropriée.
"... Mais je préfère me renseigner auprès de toi. Comment va-t-il ?"
D'aucuns diraient que son ton avait perdu en rudesse, et s'était sensiblement révélé plus doux. Shinobu se hâta de reprendre, peu désireuse à l'idée que la conversation se termine sur une note aussi négative s'il en venait à écourter leur échange.
"... Ma sœur avait pour idée de réaliser un arrangement floral pour que vous puissiez le disposer dans votre maison, mais elle n'a pas osé aller au bout de son projet par crainte de vous déranger. Elle est très talentueuse pour les domaines traditionnels et artistiques, je t'assure. Assurément la meilleure de sa classe."
Comme une fée se pavanerait et ferait reluire la poudre tombée de ses ailes, Shinobu se soumit tout naturellement à cet habituel élan d'enthousiasme qui ne manquait pas de la gagner dès lors qu'il était question de la sorcière aux fleurs, et dont le simple nom la rendait si fière.
Sujet: Re: [Terminé][Septembre 2013] While young, the tree can be easily bent. Mer 30 Nov 2022 - 22:52
shinobu kochô 2013
'while young, the tree can be easily bent.' ;
Bien que Kyojurô se fut un peu assombri à la mention de la lettre qu’il portait, il ne tenait pas grief à Shinobu pour cette action. Après tout, la petite fille ne pouvait pas savoir tout ce qu’impliquait cette simple correspondance.
Pour l’aîné des fils Rengoku, il s’agissait de maintenir du mieux qu’il pouvait un lien avec Moerukawa et de faire en sorte que celui-ci solidifie encore les fondations, bien ébranlées et friables, du foyer depuis la disparition de Ruka.
Il avait fait le serment à sa mère de s’occuper du mieux qu’il pouvait de son père et de son petit-frère. Il s’en était fait la promesse. Une promesse bien trop importante pour un garçon de son âge… Mais là était son devoir.
Un silence mortuaire s’était installé dans la demeure de Moerukawa. L’odeur de l’encens qui avait été mis à brûler embaumait les lieux, si forte qu’elle prenait à la gorge. Les fleurs dans un pot auraient pu égayer l’atmosphère si la raison de leur présence n’était pas si funeste.
Agenouillé dans un coin de la pièce, Kyojurô n’arrivait pas à détourner les yeux du corps de sa mère, tourné vers l’Ouest afin que lui soient ouvertes les portes du royaume de Bouddha. Entre les mains pâles de la matriarche avait été placé un juzu, comme le voulait la tradition. Son visage était recouvert d’un linge blanc et elle portait un kimono immaculé, contrastant avec le jais de ses cheveux qu’il avait brossé et attaché pas plus tard que l’avant-veille, sans savoir que c’était pour la dernière fois.
Plus jamais il ne verrait le sourire lumineux de sa génitrice… Du moins, hors O-Bon et les fantômes avaient une présence froide qui était en tout point différente de celle des vivants.
Les entrailles du garçon se nouaient. Ce n’était pas une scène à laquelle un enfant de son âge devait assister, et pourtant, il restait droit, malgré le malaise qu’il ressentait face à cet événement, tentait de rester aussi impassible qu’il le pouvait alors qu’il aurait sans doute été normal de pleurer, de montrer son désespoir, son chagrin, comme tout gamin à qui cela arriverait…
Mais loin de tout ça.
Il était l’aîné. C’était à lui qu’incombaient de grandes responsabilités, qu’importe le nombre de printemps qu’il avait vu défiler depuis sa naissance. Il devait montrer l’exemple à Senjurô et soutenir Shinjurô dans cette épreuve. Et cette dernière le fit grandir immédiatement quand il prit conscience de ce que tout cela impliquait et allait entraîner.
L’enfant avait vu graduellement le visage de son père s’assombrir à mesure que sa mère s’affaiblissait. Lui qui était si passionné dans son quotidien, si amoureux de son épouse… Le destin inéluctable de cette dernière avait eu raison de la flamme qu’il y avait dans le cœur du patriarche, qui semblait s’étioler à mesure, perdre en force et en puissance…
Et Kyojurô s’était fait la promesse que la flammèche qu’il avait, encore jeune et hésitante, réchaufferait le foyer si celle de Shinjurô venait à baisser en vigueur. Ce qui arriva.
Mais c’était vouloir réchauffer avec une chandelle dans un blizzard. La tâche semblait impossible, mais cela n’arrêtait pas le garçon qui était déterminé. Il ne se laisserait pas faire, ni ne se laisserait abattre. Sa mère qui était désormais aux cieux l’observait, il en était certain. Il devait lui faire honneur…
Ses petits poings se serrèrent sur son hakama noir, pendant qu’il retint un hoquet de tristesse. Kyojurô sentit les larmes qui montaient à ses yeux mais non… Il devait être fort.
Il le fallait.
S’il ne l’était pas… Qui s’en chargerait ?
Quatre ans avaient passé depuis ce funeste tournant et l’aîné des enfants de Ruka n’avait pas baissé les bras. Bien entendu, la tâche était herculéenne et il vacillait souvent… Toutefois, il était déterminé. Il travaillerait dur, deviendrait Auror, ferait la fierté de son père et reprendrait l’héritage familial… Il oeuvrerait pour la cause des indigents et des démunis sans ciller. Un jour, Kyojurô deviendrait un Auror aussi honorable que son père avant lui, et l’ensemble de ses ancêtres. Il serait ainsi digne de porter le nom “Rengoku”, à la hauteur de ce que ce patronyme et ce statut impliquaient. Il dépasserait ses limites pour y arriver, même si c’était compliqué et que le désespoir menaçaient souvent de le déstabiliser.
Aux yeux des autres, il paraissait déjà inébranlable, imperturbable. Il était aussi bien trop sérieux et solennel pour un adolescent de treize ans alors que la puberté en perturbait plus d’un avec tous les changements qu’elle entraînait. Kyojurô semblait être un adulte dans un corps d’enfant, c’était une remarque que faisaient ses professeurs.
Mais il avait grandi bien trop vite…
Il reprit bien vite une expression débonnaire à l’attention de sa cadette.
« Nous ne sommes pas frères de sang, toutefois !»
Ce qui ne l’empêchait pas de le considérer comme tel ou de l’avoir accueilli à bras ouverts. N’importe qui n’aurait pu se douter d’un tel lien entre les deux garçons, au-delà de leurs dissemblances physiques qui montraient bien qu’ils n’étaient pas issus de la même lignée : l’un brun et l’autre blond, le premier fermé et taciturne, le deuxième bruyant et lumineux. Un pessimiste et l’autre voyant le verre à moitié plein… C’était le jour et la nuit.
Obanai portait encore les stigmates de ses mauvais traitements. Des bandages sur la moitié basse de son visage, des membres maigres, noueux, le fait d’être plus petit que les autres garçons de son âge, alors que Kyojurô était bien portant du fait de son bon appétit. Plus grand que la moyenne, un physique un peu hâbleur, donnant une impression de confiance, bien que la réalité soit autre.
Oh il était difficile de se douter que les deux venaient du même toit et y retournaient quand venait le temps des vacances.
« Je te le présenterai ! »
Sans être empathique, il se dit que Shinobu et Obanai s’entendraient. Ils donnaient cette impression d’être perdus au milieu de la foule à cause d’un caractère un peu farouche. Sans doute trouveraient-ils des atomes crochus pour cela.
Et Kyojurô pensait qu’ils devaient tous deux rencontrer du monde à Ilukaan, cela pouvait être une bonne idée.
Une deuxième fois au cours de l’échange qu’il avait avec Shinobu, Kyojurô se figea quand la question de son père fut mentionnée. C’était un sujet complexe. Rares étaient les mots qu’ils échangeaient tous deux depuis la mort de sa mère alors qu’ils étaient si complices autrefois…
Shinjurô s’était réfugié dans l’alcool, au grand désarroi de son fils qui n’en supportait pas l’odeur mais qui se retenait de faire la moindre remarque ou grimace de dégoût, il respectait bien trop son père pour cela. L’adolescent poussa un “Hm” qui, bien que sobre, permit de montrer qu’il était tout ouïe aux paroles de sa cadette.
Les yeux brasillants du garçon suivirent ces tornades de feuilles mortes qui se laissaient gracieusement emporter dans la brise automnale.
« En effet. »
Sa réponse était laconique, au sujet du destinataire de sa missive. Ce qui n’empêcha pas Kyojurô de sourire à la petite potionniste, il avait une expression qui se voulait sans doute lumineuse, comme à l’accoutumée, mais qui était timide, retenue et froide malgré elle, comme un soleil d’hiver.
Il ne portait pas la moindre attention aux cancans. C’était une perte de temps. Néanmoins, il était certain que ceux se souciant du seigneur Rengoku étaient prompts à les entendre. Pas tout le monde avait le temps et le loisir de passer à la demeure ancestrale de ce clan à Moerukawa.
« Il fait de son mieux, mais les temps sont difficiles, hélas. Il n’est toutefois pas seul ! »
Des voisins allaient s’enquérir régulièrement de son état, ses grands-parents maternels allégeaient la charge qu’il pouvait ressentir en prenant Senjurô avec eux et en l’emmenant à Hanamura, où les fleurs, nombreuses, semblaient éternelles comme la mémoire de leur fille et dont il se rappelait les étendues infinies de némophiles au milieu desquelles l’emmenait sa mère quand elle était encore de ce monde et bien portante…
Quant aux pensées du patriarche…
Seul Shinjurô lui-même savait ce qu’il en était. Kyojurô ne se permettait pas de faire des suppositions trop poussées. Il espérait juste qu’il gardait en son cœur une flamme, même timide.
Les yeux félins du jeune Rengoku s’écarquillèrent à la mention de ce que prévoyait de faire l’aînée des Kochô pour son père et son palpitant se serra sensiblement… L’aspirant Auror était touché, infiniment et c’était bien la preuve que son père était quelqu’un de reconnu et d’apprécié. Authentique comme il était dans ses sentiments, cela devait se voir.
« Je suis certain que cela lui fera extrêmement plaisir, je ferai en sorte de remercier ta soeur en bonnes et dues formes pour son attention ! »
Il était hors de question de briser les espoirs de sa cadette qui semblait bien vouloir lui remonter le moral.
« Je ne doute pas de ses aptitudes, après tout, la maison Kochô est renommée pour ses représentants aux multiples talents ! »
Kyojurô pensait sincèrement ses paroles.
Et c’était Shinjurô lui-même qui avait présenté le clan de médecins aux papillons de la sorte.
Sujet: Re: [Terminé][Septembre 2013] While young, the tree can be easily bent. Ven 2 Déc 2022 - 0:53
While young, the tree can be easily bent.
Kyojurô Rengoku & Shinobu Kochô
Deep into autumn and this caterpillar still not a butterfly.
La figure solennelle qui se présentait aux yeux de quiconque avait l’occasion de rencontrer ce général prisonnier de ce corps d’enfant n’était pas si inflexible que l’on aurait pu le supposer. Shinobu, en tout cas, ne voyait guère les choses d’une telle façon : aussi lumineux les quelques sourires qu’il avait eu les largesses de lui adresser pour lui donner du baume au cœur à la suite de ses mésaventures au gré des corridors étaient-ils, l’affaissement qui enténébrait son faciès juvénile lorsqu’il était question du veuf ne trompait aucunement. Par deux fois il lui fit montre d’une expression heurtée par une douleur qu’il s’efforçait de réprimer et, par deux fois, la petite Kochô eut le sentiment ô combien déplaisant d’avoir fait preuve de rudesse envers la sensibilité pourtant bien camouflée de son interlocuteur.
Quant à cette suggestion chevaleresque et révélatrice de l’altruisme susceptible de galvaniser cette flammèche encore réservée du fait de sa jeunesse, la Strixyst s’en étonna sans toutefois chercher à contester sa bien-aimable recommandation. Non sans river un regard que le poids de ses pensées fit fermer à demi, elle jeta une œillade en contrebas pour mieux aviser ses minuscules mocassins. « Je te le présenterai ! », affirma-t-il avec une assurance qui aurait volontiers laissé à penser qu’il considérait déjà leur prochaine rencontre comme inéluctable. Kyojurô nourrirait-il réellement l’espoir de la revoir dès lors qu’ils se seraient tournés le dos à la suite de leur échange sous les arbres d’automne ?
Honnête mais pas moins sensible, la Violette parut doucement s’en étonner. Son ton s’était paré de mélodies amères qui n’évoquaient que dureté et rigueur ; farouche comme un insecte qui s’essayerait à battre énergiquement des ailes pour se dérober aux effleurements curieux d’un enfant qui sillonnerait les allées d’un jardin, ses réponses et commentaires s’étaient révélés quelque peu amers. Lucide en dépit des maladresses, elle s’en voulut sans jamais chercher à le lui prouver.
Aussi extravagant pouvait-il paraître à ses yeux aux prémices de leur première véritable conversation, il n’en restait pas moins pourvu de vertus véritables et d’une patience sans égale. Ce garçonnet si apprécié pour ses bons sentiments envers autrui et son désintérêt pour l’oisiveté de ses pairs ne l’avait pas corrigée une seule fois. Pas même lorsqu’elle avait, dans toute son insolence, mis de son plein gré le sujet de ce père qui trouvait son réconfort dans la liqueur et les spiritueux sur le tapis. Un thème fort délicat, à tel point que sa seule mention trouvait la force de se répercuter sur les traits du petit héros à la chevelure d’automne.
Si quelqu'un est inquiet, réfléchissez ensemble à son problème pour le résoudre.
« ... Je ferai en sorte d’écrire une lettre pour qu’il lui soit envoyé rapidement. »
Un silence. Celui-ci ne fut que bref ; car à peine considéra-t-elle l’aspect équivoque de sa déclaration qu’elle sentit poindre en elle la crainte de s’entrechoquer avec un nouveau quiproquo. Depuis qu’il l’avait nommée Akitsu, le besoin d’expliciter le moindre de ses mots lui parut comme impératif afin de chasser tout malentendu.
« L’arrangement floral », ajouta-t-elle avec vivacité. « Pour ton papa. Et, mh … tes frères. Kanae est vraiment très élégante et ses œuvres sont toujours très raffinées quand elle pratique l’ikebana. Tu sembles aimer l’art, toi aussi. Pas vrai ? »
L’interrogation, libérée dans l’une de ses impulsions spontanées, quitta ses lèvres fines, lesquelles laissèrent à un sourire l’occasion de se crayonner enfin à leur surface, pour la première fois depuis son sauvetage. Comme dans une volonté de joindre l’acte à la parole, elle ouvrit sa paume afin qu’il puisse poser son regard échauffé sur le butin précieux qu’elle renfermait jusqu’alors.
Ôtant son coup d’œil attentif de la grue qui s’y trouvait, remise en état par les doigts adroits de son sauveur du jour à qui elle désirait montrer son haut fait, ses prunelles qui semblaient faites de racèmes de glycine firent chemin jusqu’aux cercles de feu qu’étaient les siennes.
« Tu as réussi à rendre à mon origami sa forme d’origine. Ce n’est pas mal, je dois dire. »
L’air se fit coquet aux alentours. Le pliage ainsi présenté à son réparateur qui lui avait fait don de ses talents miraculeux se mit à frétiller sensiblement au creux de la main de la jeune fille, laquelle se dépêcha d’y porter sa senestre afin de le retenir. Quel malheur cela aurait été de voir le porte-bonheur de son aînée s’envoler au vent, comme une de ces feuilles carminées qui n’avaient de cesse de tournoyer autour d’eux depuis qu’il avait eu la bonté de la guider jusque dans ces jardins ...
Il n’en fallut pas plus pour qu’elle se mette à mirer vers lui. Le jeune homme à la chevelure nimbée des grâces du Soleil reçut sur lui une œillade que l’on aurait pu qualifier de suspicieuse ; Shinobu plissa les paupières, comme désireuse à l’idée d’atténuer toute ambiguïté dans les mots qu’elle s’apprêtait déjà à lui livrer. Sans même lui laisser la moindre seconde qui aurait pu lui servir à surenchérir, elle reprit.
« Je t’en confectionnerai un, si tu veux. »
La jouvencelle courba la nuque.
Une façon comme une autre de laisser à ses mèches violines l’initiative de camoufler les vapeurs montées à ses joues rebondies. C’est qu’il ne lui était pas commun de suggérer ce genre d’idées à qui que ce soit — et encore moins de les soumettre à l’oreille d’un garçon. Sans qu’elle ne sache véritablement pourquoi, son esprit se fit bien créatif. Elle s’illustra un instant la silhouette de son père à proximité de la sienne, prompt à apposer une paume paternelle et un brin surprotectrice sur l’épaule de Shinobu afin de l’éloigner doucement mais sûrement de ce guerrier au grand cœur, non sans un sourire placide aux lèvres, la tempe adornée des nervures d’une veine annonciatrice d’un courroux passé sous silence.
Couverte d’amour et de tendresse par ses parents qui l’aimaient tant, et parfois trop surveillée en raison de l’étonnante fragilité de ce petit corps, nul doute que le père des sœurs Kochô aurait volontiers pris son enfant par la main pour la mettre hors de portée d’un quelconque soupirant qu’il jugeait de toute évidence encore trop jeune. Kanae, à plusieurs reprises, en avait fait les frais tant sa beauté radieuse émouvait les cœurs et faisait tomber les plus émotifs en totale pâmoison devant ses charmes.
Mais l’aîné de la fratrie Rengoku semblait sujet à tout sauf à de telles trivialités. À cette pensée, elle eut l’audace de le toiser un instant, de ses yeux si singuliers au point de la faire ressembler à ces créatures si minuscules qu’on avait tendance à les oublier dans un monde si vaste.
Peut-être pouvait-elle s’en faire un ami, après tout. Aussi unique en son genre pouvait-il être, sa miséricorde lui avait été salvatrice, et quand bien même il se contentait parfois de lui rétorquer par le biais d’onomatopées passives et allait même jusqu’à erroner son prénom, elle pouvait toujours le sermonner afin de le rappeler à l’ordre. Shinobu, rappelons-le, faisait écho à la résilience et à la persévérance.
Enfin, la fillette quitta le banc qu’ils avaient tous deux occupés en arrivant dans les environs. Dès lors que ses petits souliers foulèrent le sol dans une sonorité perceptible de froissements résultant de son contact avec les frondaisons d’or et de cuivre, le cran la quitta tout à coup. Incapable de lui présenter autre chose que son frêle petit dos, la Première Année ne le regardait plus.
Le ciel seul savait quel air se mit à moduler les traits fins de la demoiselle. Pourtant, plus aucun doute n’était permis : ses sourcils, jadis froncés sous le joug du chagrin qui l’avait tant tiraillée, étaient maintenant seulement abaissés et ses lèvres frémissantes sous les larmes qui dévalaient sur ses joues désormais rosies de par ses récents larmoiements se scellaient, comme promptes à lui faire arborer une petite moue. Un air revêche, qu’aucuns auraient trouvé adorable sur un minois tel que le sien, fit son apparition alors qu’elle détournait à tout prix sa figure de la sienne.
« Mh … », entama-t-elle, ignorant comme elle le pouvait la timidité soudaine qui faisait peser sa charge sur ses membres.
Il pouvait voir la senestre de son interlocutrice se détacher de son matériel scolaire, lequel était acculé à nouveau contre sa poitrine, afin de venir serrer en son sein le pan du jupon astral de ses habits académiques. Un réflexe nerveux, sans nul doute ; car c’était là l’une des premières fois, depuis la rentrée scolaire, qu’elle énonçait pareils propos.
« ... On pourrait ... mh. »
Soumettre au fils de Shinjurô l’éventualité d’une nouvelle discussion en sa compagnie n’était pourtant pas sorcier. Or, pour une raison qu’elle ignorait tout à coup, la tâche lui était finalement plus complexe qu’escomptée. Sans doute se remémorait-elle son intonation acerbe et son attitude à son encontre, autrefois critiquée par sa grande sœur adorée au point de la faire fuir tant elle n’avait l’habitude des mésententes avec son modèle de toujours.
Si la tristesse afflige quelqu'un, partage son chagrin avec lui.
Il avait fait tant d’efforts pour la réconforter alors que son cœur encore plein de candeur saignait de la perte soudaine de sa tendre mère. Mais qui, jusqu’à maintenant, s’en était réellement préoccupé et voyait autre chose en lui qu’un simple petit écolier respectueux du protocole, serviable et volubile ?
Nul doute que la fillette se souviendrait encore longtemps de cette main qui lui avait été tendue alors que la douleur et les sensations d’étouffement lui tenaillaient les sens. Là où d’autres auraient libéré les éclats de rire les plus tonitruants devant un tel spectacle, ce petit Soleil lui avait partagé ses doux rayons et avait même eu la patience de tenter d’arranger du mieux qu’il le pouvait son petit trésor de papier.
« Nous pourrons en faire ensemble. »
Sans doute cherchait-elle à évoquer une activité en duo de réalisation d’origami. Son cou fin et diaphane pivota sur son axe afin de lui permettre de jeter un œil par-dessus son épaule. Elle l’avisa ; lui, et ses mèches éparses aux allures d’aigrettes, aux grands yeux en amande et pareils à ceux des oiseaux de proie dans la nuit, et ses sourcils épais qui lui faisaient tant penser aux nobles héros des pièces de kabuki.
« Je te ferai un hibou. »
C’était désormais à son tour de déclarer quelques bizarreries dont elle avait le secret. Il l'ignorait sans nul doute, mais il avait tout d’un jeune strigidé à ses yeux.
Elle l’observa encore un instant.
Son père lui avait confié qu’il ressemblait fortement à sa défunte mère.
Elle inclina la tête, respectueuse et n’estimant toutefois pas nécessaire de s’expliquer davantage.
« Et des tigres. »
Si elle jugea favorable de passer cette précision sous silence, l’ambition de Shinobu était claire. L’envie lui vint déjà de réaliser une famille de quatre petits félins pour lui donner à son tour du baume au cœur ; car la tristesse l’affligeait, et elle souhaitait partager son chagrin avec lui, aussi discrètement que possible.
Un croassement naquit d’entre les feuillages, interrompant la guérisseuse en devenir. Levant son nez fin vers les branchages, ses traits se rehaussèrent à la vue d’En. Le corbeau contempla sa jeune maîtresse de son regard luisant comme la surface d’une pierre d’onyx polie, avant qu’elle ne lui présente son menu poignet. L’oiselle ôta ses serres de l’écorce pour trouver une nouvelle assise sur le manchon de la petite sur qui elle appréciait tant veiller, dans un concert de bruissements de plumes et de battement d’ailes.
« Voici En. C’est mon corbeau. »
L’être ailé, courtois, donna la subtile impression de pencher le chef pour saluer cette nouvelle connaissance.
Shinobu laissa ses petits pas la guider dans la direction de l’emplacement de la volière, là où Kyojurô souhaitait se rendre avant qu’il ne croise sa route dans le couloir dont la traversée lui avait été si pénible.
« … Ben alors, tu viens ? »
Elle se retourna vers lui, peu réticente à l’idée de l’abandonner à son sort alors qu’il semblait si enjoué à l’idée de faire une toute nouvelle rencontre.
« On t’accompagne à la volière. »
Dans ce manteau de feuilles défraîchies qui jonchaient le sol, un tendre bourgeon d’amitié avait fleuri.