La demande de rencontre envoyé par Owen Knight n’avait pas surpris tant que cela Satan, qui, depuis sa discussion avec Carmilla, s’y était attendu, elle lui avait parlé de cet homme qui faisait battre son cœur, la traitait convenablement, comme il le fallait et ne se servait pas d’elle comme il avait eu sembler faire auparavant. De plus, si le Lupy n’avait pas émis cette demande, elle serait très certainement venue du Hellborn, pour avoir le cœur net de ce qui lui avait été raconté par la jeune femme ; non pas qu’il doutait de sa parole, il désirait simplement s’assurer de ses propres yeux que tout était conforme à ce qu’il avait entendu de sa part — car les rumeurs avaient les dents dures.

Le Stardust n’était pas le choix premier comme lieu de première rencontre pour le Mauve, mais il ferait une exception, car les efforts se devaient de venir de chaque côté, et celui-ci était déjà conséquent pour Satan.

Pourtant il en passa les portes en donnant cette impression qu’il y était parfaitement à l’aise, comme s’il passait tous les jours, bien que ce ne soit pas le cas ; c’est un air que le blond se donnait, une confiance assez factice dont personne n’avait conscience — et que jamais qui que ce soit n’apprendrait par ailleurs. Ses iris bleues-vertes repérèrent très rapidement celui qui l’avait invité en cet endroit bondé, sûrement pour des raisons qui le regardaient et dont il ne poserait aucune question.

Si les aprioris étaient difficiles à faire disparaître, le littéraire se promit d’essayer de passer au-dessus pour avoir une conversation normale, autour d’une boisson, peut-être une sucrerie s’il se laissait aller, sur le sujet unique qu’ils avaient en commun : Carmilla.

D’un pas confiant, comme à son habitude il s’avança vers l’autre blond — encore un, décidément —, et le salua poliment de la tête.

« Bonjour. J’espère ne pas trop t’avoir fait attendre, Knight. »

De toute manière, il était parfaitement à l’heure, car Satan n’arrivait jamais en retard, ni en avance d’ailleurs, il arrivait précisément à l’heure prévu.

Satan ne se formalisa aucune lorsque celui qui l’avait invité utilisa son prénom sans même qu’ils soient proches, Hellborn était porté par sept personnes dans cette école, il comprenait la démarche et ne profèrerait aucun commentaire acerbe sur le sujet. Ce n’est qu’une fois invité qu’il prit place face au Lupy, posément et conservant un air parfaitement neutre, car dans l’instant il n’avait aucune raison de ressentir une quelconque autre émotion qu’un total détachement, puisque bien qu’il connaisse la réputation de son vis-à-vis, il avait parfaitement conscience qu’il ne fallait jamais juger un livre à sa couverture ou à ce qu’on entendait dans les couloirs, les rumeurs allaient vite et ne se trouvaient pas toujours être d’une entière vérité, exagérée par celleux qui les proféraient, pour leur amusement ou celui des personnes les écoutant — comme Sir Galloway par exemple, qui ne pouvait s’empêcher d’en propager lui-même.

« Merci, pour l’instant je ne désire rien. »

Bien qu’il s’agisse d’un endroit que Satan ne fréquentait pas souvent, il avait connaissance de ce qui s’y servait, et saurait exactement ce qu’il désirait en temps voulu, mais dans le moment présent il préférait ne pas tourner autour du pot et discuter de ce qui l’amenait ici ; bien qu’il fût devancé par le fameux petit-ami de sa camarade de lecture. Le lecteur resta silencieux durant toute la tirade de l’autre blond, conservant son regard perçant fixé sur lui, analysant chacun de ses mouvements corporels, tics de langage ou physique, rien ne lui échapperait. Connaître son interlocuteur donnait un grand avantage dans une discussion, et c’est quelque chose qui collait à la peau de Satan depuis toujours, pour éviter de donner plaisir aux personnes qui désiraient le voir s’enrager pour leur plus grand amusement. Owen n’avait pas l’air de vouloir ceci, et plutôt de devenir un ami ou quelque chose qui s’approchait plutôt de l’entente cordiale pour le bien de Carmilla, une action tout ce qu’il y avait de plus louable envers la personne qu’il aimait.

« Pour le moment, je ne vois aucune raison qui ferait que notre rencontre se passe mal. »

Un léger mensonge, car bien des choses pouvaient déraper et faire qu’ils se prennent mutuellement en grippe, Satan pouvait les lister par ordre alphabétique si l’envie lui prenait — il le garderait pour lui dans tous les cas, tout comme la remarque sur les défauts, les ignorer ne serait pas chose facile mais il fournirait un effort.

« Je suppose que désires que je te parle de la Carmilla que je connais, n’est-ce pas ? »

Puisque des deux, le Strixyst était celui qui la connaissait depuis le plus longtemps, qui la côtoyait régulièrement depuis de nombreuses années déjà, ils faisaient même partis du même club de lecture — bien que ce soit un club créé par la force des choses qui avaient échappé à Satan, pour un déplaisir assez conséquent au début, il devait l’avouer.

La demande d’Owen n’était, en soit, pas quelque chose d’étranger, demander à l’entourage de la personne aimée de parler de cette dernière, seulement quelque chose dérangea Satan, et il ne mit pas le doigt immédiatement dessus, ce ne fut qu’à la fin qu’il se rendit compte de ce qui le chiffonnait ainsi : la demande ne concernait pas la Carmilla que lui connaissait, mais celle qu’Owen devait connaître. Les fins sourcils couleur blé se froncèrent, et le regard glaz devint légèrement froid, sans atteindre le stade glacial qu’il pouvait démontrer dans bien des situations.

« Ces questions, c’est à elle que tu devrais les poser, ce n’est pas ainsi qu’une relation fonctionne, en discutant ? »

Satan n’était pas adepte des relations amoureuses, il avait eu sa petite part évidemment, rien de bien notable en soit, ou qui pouvait intéresser qui que ce soit, le littéraire garder ces informations pour lui, pas besoin que l’école entière en apprenne un tant soit peu sur sa vie privée. Un souffle s’extirpa de son nez tandis que le futur enquêteur secouait la tête de droite à gauche et croisait les bras sur son torse.

« Je peux te parler de la Carmilla que je connais, celle qu’elle s’ose à dévoiler devant moi, mais il ne s’agirait jamais de celle qu’elle est en ta présence. Nous entretenons une relation tout à fait différente, basée sur notre passion pour la lecture, et qui a dérivé sur une amitié, tout simplement. »

Sans décrocher sa main droite de son bras gauche, il apposa la gauche sur son visage, autour de sa bouche pour se gratter légèrement la joue, une signe de réflexion tandis qu’il fixait intensément le vide, cette situation ne lui plaisait pas mais il devait fournir encore un peu d’effort, il se l’était promis après tout, pour Carmilla.

« Pour ce qui est de ses goûts littéraire, je peux bien te les donner même si je sais qu’elle se serait fait une joie de t’en parler d’elle-même, tu manques une occasion de converser avec elle sur un sujet qui la passionne. »

Et lui n’en perdait pas une pour tacler sans se cacher le plus jeune, un petit coup dans la cheville pour qu’il comprenne que sa façon de faire ne lui plaisait pas — peut-être que Satan avait tort, en tout cas il ne se remettrait pas en question.

« Carmilla apprécie fortement la littérature gothique, il s’agit de sa principale source de lecture, bien qu’elle tente de s’intéresser à bien d’autres genres. La preuve en est avec son livre préféré qui est Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde, un livre mêlant fantastique et philosophie, car elle affectionne également les livres philosophiques, et bien sûr elle s’intéresse également à l’art, mais ça tu devais déjà le savoir. »

Si ce n’était pas le cas, Owen subirait de nouveau le jugement de la part du quatrième Hellborn, car il s’agissait quand même d’une des caractéristiques les plus visibles chez Carmilla, sa passion pour l’art. Satan ne comprenait pas la démarche actuelle, de lui demander à lui ce qu’il pouvait dévoiler de Carmilla, sans même savoir si la concernée serait d’accord avec cela, de se savoir mise, métaphoriquement, à nue sur ses goûts sans en avoir conscience, tout cela pour le petit plaisir de celui qui osait se faire appeler son petit-ami. La dernière question arrache un très léger ricanement à Satan.

« S’entendre, je ne peux pas le prévoir, mais je te laisse commencer à te présenter à moi. »

D’un geste de la main gauche, qui venait de quitter son visage, il l’invita à commencer, sans prendre la peine de poser ne serait-ce qu’une seule question, le cycliste chevronné devrait se débrouiller face à son silence et son regard qui criait au jugement.

Tout dans la conversation déplaisait fortement à Satan, et il ne le cachait pas, son faciès s’exprimait parfaitement bien pour lui, le jugement dans ses pupilles, les lèvres pincés et la mâchoire serrée. Cette façon de faire ne trouvait aucune grâce à ses yeux, par ailleurs il poussa même un soupir nasal audible pour bien se faire comprendre, le Lupy était nouveau dans la vie de Carmilla, et encore plus dans la sienne, il apprendrait, à la dure, qui et comment était Satan Hellborn. Par ailleurs, il se permis une remarque légèrement acerbe.

« Tu peux faire des surprises même en ayant discuté au préalable avec elle. »

Désolant, voilà comment le blond qualifierait ce comportement, encore une fois : hors de question de se remettre en question, et il avait de très bonnes raisons, qu’il ne tarderait pas à donner, surtout en vue de ce qui lui était dit, le cycliste semblait persuadé que Carmilla apprécierait le geste alors que cela pourrait se retourner contre lui, contre Satan même, et c’est quelque chose qu’il préférait expressément éviter. Sa main quitta son bras pour masser lentement son sourcil, les yeux fermés, pour éviter de lancer des éclairs en direction de son vis-à-vis.

« Est-ce que tu t’es posé la question, une seule seconde, de comment elle le prendrait que je dévoile les secrets qu’elle partage avec moi ? » Cette fois il planta ses iris dans ceux d’Owen, pour lui faire comprendre tout le sérieux de la conversation qui allait suivre — un petit remontage de bretelle ne faisait jamais de mal. « Ce qu’elle me partage, c’est entre elle et moi, et je ne suis personne, tu entends ? Personne pour les répéter. Elle est mon amie, je souhaite son bonheur, que ce soit avec toi ou un autre, mais je ne peux pas tolérer cette façon de faire. D’autant plus que tu me demandes des choses dont je n’ai pas forcément connaissance, car nous ne discutons pas de cela, comme je te l’ai dit : notre relation est principalement basée sur l’amour de la lecture. Depuis le temps, nous avons évolué et nous sommes devenus amis, elle partage avec moi certaines choses que je ne te raconterai pas car je n’ai pas à décider pour elle ce que tu peux savoir. »

La tirade terminée, Satan pris une légère inspiration, le dos droit et l’allure dédaigneuse, il n’allait pas laisser le Rouge s’en tirer à bon compte, par ailleurs il ne lui laissa aucune chance de répondre car il en enchaîna une nouvelle immédiatement.

« Si je t’ai parlé de son livre favori ou de ses goûts littéraires, c’est bien car elle ne s’en cache pas et qu’elle n’a jamais exprimé une volonté de garder cela entre nous deux, la preuve tu connaissais une partie. Son dessert ou film favori, je les connais également mais en quoi cela aiderait votre relation ? Lui faire une surprise en lui commandant le gâteau devant le film ? Tu peux tout aussi bien lui demander, cela lui fera encore plus plaisir à elle, car cela montre que tu t’intéresses à elle. Demander à quelqu’un d’autre, que ce soit moi ou une autre personne proche d’elle, pourrait lui donner la sensation que tu cherches à la connaître par des moyens détournés pour éviter la conversation avec elle, et pour quoi ? Une surprise ? Ne t’es-tu pas demandé comment Carmilla pourrait se sentir par rapport à cela ? »

Satan n’offrait aucune sympathie au Lupy, en quelque sorte il agissait comme un examinateur qui démontrait tous les points faibles d’une dissertation, bien qu’il n’ait pas la prétention d’être le petit-ami parfait, il ne pouvait pas accepter la façon de faire d’Owen, pas alors qu’il était conscient de la volonté de Carmilla de garder bien des choses secrètes, même avec lui ; ce que le Strixyst respectait, ne pas rentrer dans le jardin personnel des autres se devait d’être la base d’une relation, familiale, amicale ou romantique.

Lorsque l’autre anglais se présenta enfin, chose qu’il aurait dû faire dès le début au lieu de parler de Carmilla, Satan reprit une posture moins rigide, le venin craché, il pouvait alors se détendre plus facilement, ses attaques étaient rapides, violentes et touchaient toujours leur cible — il ne restait plus qu’au cycliste de faire la part des choses.

« Tu ne m’apprends pas grand-chose. »

Le bras long et les connexions de Satan s’étendaient bien plus loin que beaucoup pouvaient l’imaginer, même lui, par moment, se retrouvait perdu sans savoir comment il arrivait à ce type de prouesse.

« Pourquoi tu l’aimes ? »

La question directe attendait une réponse convenable, et le Hellborn ne lâcherait pas l’affaire, après tout, bien que plus âgée qu’eux deux, Carmilla restait une jeune femme naïve qui sortait à peine d’un monde conservateur et bien particulier, qui ne l’aidait pas à vivre et comprendre celui dans lequel elle évoluait à présent.