HistoireLuciel offrit son premier cri à la vie, bercé par la chaleur réconfortante d'un été naissant. Doux solstice, annonciateur d'un bonheur insolent.
Il y avait les rires, les pleures, la joie, l'émoi ; en un capharnaüm d’émerveillement que le ciel bleu d'océan reflétait à travers ses quelques nuages blancs.
De ses cinq premières années, le garçon ne se souvenait qu'à travers des flashs ; plus émotionnels qu'imagés.
Il y avait tout d'abord la tendre chaleur d'un baiser sur son front, protecteur des nuits sans astres, et la promesse d'un lendemain rayonnant. Puis, venait la réminiscence d'une voix plus douce encore que la caresse d'une plume, ode maternelle, mélodie oubliée qu'il lui arrivait parfois de fredonner, lorsque son esprit se perdait pour les rêves de sa réalité.
De temps à autre, lorsque Luciel laissait ses pieds le guider à travers les rues animés de sa ville, une odeur fugace et volatile le faisait se figer. Happé par l'amer douceâtre d'une mélancolie qu'il n'arrivait pas à décrire.
A cinq ans, aurait-il dû se souvenir du visage de ses parents ? Il ne voyait pourtant que le néant d'une vie passée, pleine de mystère, incomplète.
Sa véritable vie ne débuta qu'à l'orphelinat, dans cette grande Séoul hyper-active, entouré d'enfant dont il ne parlait même pas la langue. Lui, il comprenait la mélodique anglaise, son accent léger, nostalgique. Au sein d'un foyer inconnu, qu'il n'eut jamais le temps de réellement connaître.
Un mois ; soit le temps exact que passa Luciel dans cet établissement. Silencieux et discret, refusant de quitter plus d'une seconde la petite boule de poile qui se nichait souvent au creux de ses bras.
Orion, allez savoir pourquoi un tel prénom, avait été trouvé blotti contre lui à son arrivée. Gardien d'une simple et unique lettre, rédigée de la plus exquise des écritures, sur un papier dorénavant usé par le temps.
La première pierre d'un mystère que le rouquin chercherait désespérément à élucider.
Traité avec soin par le personnel de l'orphelinat, l'enfant eut la chance inespérée des rencontres que seul le destin peut prédire.
Un couple, deux jeunes mariés dans l'incapacité de procréer, tombant sous le charme de ce bambin si particulier, à la tignasse flamboyante et aux yeux d'ors.
Bien sûr, Luciel ne se souvenait pas des contraintes administratives et des démarches qu'ils avaient dû surmonter, mais il pouvait à la perfection se rappeler du jour de son départ, comme leurs sourires semblaient briller de sincérité et d'émotion.
Ses parents d'adoption n'étaient ni riches ni réputés, mais leur amour suffit au rouquin pour s'épanouir pleinement dans sa vie d'enfant ; tendrement bercé par l'odeur des bougies au miel que fabriquait sa mère, tandis que son père lui, s'occupait de la gestion de leur boutique, avec bon sens et honnêteté. Parfois interrompu par les quelques bêtises de son chat intrépide.
Enfaîte, tout aurait pu se poursuivre ainsi, dans la plus pure des simplicités, si Luciel ne s'était pas révélé capable de miauler, du jour au lendemain, lors d'une de ses nombreuses tentatives de communication avec Orion.
Bien sûr, de prime abord, ses adoptants parfaitement moldus ne purent que croire à un don assez particulier, naissant tout droit de sa trop grande créativité. D'autant que son talent disparu aussi rapidement qu'il était apparu, et les jours passants, ils eurent bien vite fait d'oublier cet incident.
Au moins jusqu'à ce qu'il ne rentre un beau jour de l'école, les cheveux noirs de jais.
Sa mère catastrophée songea d'abord à l'établissement strict dans lequel il était scolarisé. Elle savait bien sûr qu'en Corée du Sud la différence était mal vu, surtout chez les jeunes enfants, mais de là à lui teindre les cheveux ?
Combiné en main, prête à en découdre, l'artisane n'eut toutefois pas l'occasion de prononcer le moindre mot, puisque son fils venait sous ses yeux ébahis, de retrouver la rousseur caractéristique de sa tignasse en bataille.
Ils comprirent ce jour là, que leur enfant n'était pas comme les autres.
D'année en année, Luciel grandissait, et avec lui son don évident pour la métamorphose. Bien que trop jeune pour en comprendre toute la complexité, le rouquin s’entraînait toutefois dans le secret familial, avec le plus grand plaisir.
Il avait rapidement saisi que ses camarades n'étaient pas tout-à-fait comme lui, et que cette différence, à défaut de les émerveiller, pouvait tout aussi bien les effrayer. Alors, chaque soir, il testait son apprentissage. Assez déçu de ne pas pouvoir se transformer en dragon, mais ravi de savoir changer certaines de ses caractéristiques physiques. Bien que cela lui demande un certain effort de concentration, au départ relativement fatiguant.
C'est à l'aube de sa douzième année que le jeune métamorphomage obtint enfin quelques réponses quant à ses véritables origines. Une explication, farfelue, et pourtant irrémédiablement indiscutable, offerte par un duo des plus improbables.
Il se souvenait d'une vieille femme, à l'air jovial, débordante d'énergie, et d'un jeune homme plutôt mou, qui semblait lui, peu ravi de se trouver chez les Choi.
« Madame, monsieur, votre fils est un sorcier, vous comprenez ? Il va devoir suivre l'éducation qui lui correspond. »
Un sorcier.
Voilà ce qu'il avait toujours été.
Cette nouvelle eut l'effet d'un véritable bouleversement au sein de cette petite famille, qui apprenait subitement l'existence d'un monde obscure de mystère, avec lequel elle allait devoir composer des années durant.
Cela en aurait sûrement effrayé plus d'un, mais les Choi ne purent qu'éprouver une profonde fierté à l'égard de cet enfant qu'ils avaient élevé comme le leur.
C'est ainsi que Luciel parti vivre ses premières années de magies, avec le sentiment que ses rêves les plus fous prenaient vie sous ses yeux d'or. Fidèlement accompagné d'Orion, dont il décida bien vite d'en faire son familier.
Enfaîte, ce qui l'étonna le plus, ne fut pas de savoir qu'il pouvait ensorceler du bout de sa baguette magique fraîchement acquise, ni même d'apprendre à se servir d'ingrédients étranges pour fabriquer quelques potions aux effets aussi variés qu'intriguant. Non, ce qui le fit se sentir à sa place, resta l’engouement notable que ses camarades de sorcellerie avaient envers son don de métamorphomage.
Le rouquin ne ressentait plus le besoin de cacher ses talents, et c'est tout naturellement qu'en grandissant il en acquis une plus grande maîtrise.
Son épanouissement fut total. Apprécié des professeurs pour sa rigueur, et de ses camarades pour sa constante jovialité, il fallut attendre le jour de ses seize ans, pour que son existence tangue à nouveau.
Comme chaque année, pour son anniversaire, le jeune sorcier reçu un colis de la part de ses parents, qu'il décida d'ouvrir sur le moelleux de son matelas, bien au chaud dans la chambre de sa maison. Cette fois-ci, il avait droit à un magnifique polaroid moldu, sur lequel il avait lorgné durant les précédentes vacances. Une attention sincère, qui lui vint droit au cœur.
Avant que quelque chose n’interpelle son regard.
Il y avait deux cartes.
Intrigué, Luciel s'en empare avec délicatesse, constatent de l'état de l'une d'entre elle, qui semblait venir d'un autre temps. L'encre rouge s'était légèrement décolorée, et les rebords écornés, témoignaient de son âge.
Il décida d'ouvrir l'autre en premier. Son père.
« Salut bonhomme, alors comme ça on prend encore une année ?
On te souhaite un très joyeux anniversaire, ta mère et moi. Si tu savais comme tu nous manques, on a hâte de te retrouver pour les vacances d'été.
Aussi, nous voulions que tu saches que nous sommes fiers de toi. A nos yeux, tu es le fils dont nous avions toujours rêvé, comme nous avons toujours su que tu étais un petit garçon extraordinaire.
Aujourd'hui, tu as atteint ta seizième années, et ta mère pense qu'il est temps pour nous de t'offrir la possibilité de renouer avec ton passé. Avec ta famille d'origine.
Tu trouveras une autre lettre dans le colis, elle était avec toi lorsque nous t'avons recueilli. Je suis désolé de ne pas pouvoir t'offrir plus de réponse, mais sache que peu importe le choix que tu feras en la lisant, nous serons toujours là pour te soutenir.
On t'aime, fiston. »
L'écriture tremblotante des mots que son père avait gravé, trahissait les émotions que son cœur avait pu ressentir.
Luciel avait toujours su qu'il avait été adopté, mais jusqu'à présent il n'avait jamais réellement songé à son ancienne famille. Il n'en avait que de très vagues souvenirs, comme quelques échos qu'il ne pouvait saisir.
Alors, sans se donner le temps de réfléchir, le rouquin déplia la seconde lettre, et se mit à lire. Fébrile. Le cœur en arrêt. Les mots d'une mère dont il ne pouvait oublier la voix. Tendresse solaire, à en imbiber son âme.
Cette nuit là, seule la lune resta témoin silencieuse de ses larmes. Perles salées, traductrices d'une peine amères comme la découverte de révélations que son muscle battant ne pouvait supporter. Il devait savoir. La vérité prenant le pas sur sa vie, comme une nécessité d’achèvement.
L'année d'après, il s'envola pour le Canada. Fraîchement inscrit à Ilukaan. Prêt à élucider les mystères de son passé.