Père,


J'espère que cette fin de septembre ne vous est pas difficile et que vous ne vous ennuyez pas trop.
J'ose imaginer que les feuilles des érables de Moerukawa ainsi que le cerisier du jardin ont commencé à rougir telles des flammes au bout des branches des arbres. Quel spectacle grandiose cela doit être. Je vous avoue que, depuis que j'ai commencé à étudier à Ilukaan, cette vision me manque quelque peu.

Au Canada également, les arbres flamboient, cela me permet de ne pas être trop dépaysé, bien que les paysages soient différents. Il pleut beaucoup en ce moment, mais cela contribue à donner une atmosphère automnale qui n'est pas pour me déplaire.
Concernant la rentrée, celle-ci s'est bien déroulée pour Senjurô. Il avait quelques angoisses à l'approche de celle-ci, je ne vous apprends rien. Néanmoins, il a réussi à passer outre ses appréhensions et il se porte bien actuellement. Il est travailleur, il apportera encore de bons résultats cette année, nous n'avons pas à nous inquiéter.
Pour moi également, la reprise des cours s'est passée sous de bons auspices. Bien entendu, cela devient, comme l'on peut s'y attendre, de plus en plus ardu, mais je ne perds pas la foi, je saurais continuer avec succès, comme ce fut le cas pour les années précédentes. J'ai adopté une bonne routine, entre le travail demandé par mes professeurs et les exercices physiques. Je ne manque bien évidemment pas de m'amuser et de me sociabiliser, mais le plus important est que je devienne Auror, comme vous le savez. Je n'ai pas choisi de partir à l'autre bout du monde dans le cadre de mes études pour être populaire.

J'espère que vous vous nourrissez bien, père. Que vous ne buvez pas trop d'alcool et que vous avez passé un bon Tsukimi. J'imagine sans peine que la Lune à Moerukawa était particulièrement belle et brillante, quelle chance vous avez.
Bien assez tôt, quand Senjurô et moi aurons terminé nos études, nous pourrons être ensemble à cette période. Nous préparerons un succulent repas avant de nous asseoir dans le jardin, sous le cerisier, et de déguster les dango, comme si nous croquions la Lune.

En attendant ce jour, prenez soin de vous père. Couvrez-vous bien, le changement de saison est impitoyable, n'hésitez pas à manger ce que les voisins vous apportent et à marcher une vingtaine de minutes par jour. Je ne saurais que trop vous recommander d'aller aux sources chaudes le matin et le soir, rien de tel pour démarrer et terminer la journée.


Avec toute mon affection,

Kyojurô

Père,


Les premiers flocons commencent à tomber, ici au Canada, annonçant la venue de l'hiver. J'ose imaginer qu'il en est de même à Moerukawa. J'espère que vous vous couvrez correctement, il me serait regrettable d'apprendre que vous avez attrapé un rhume, d'autant que vous avez le froid et l'humidité en horreur.

L'hiver n'est pas ma saison favorite. J'avoue largement lui préférer l'automne et le printemps, plus colorés et vifs, pourtant, je me remémore avec une tendresse certaine nos longues promenades dans les paysages immaculés, avec mère et Senjurô qui était encore tout jeune. Je me souviens du froid qui glaçait mes poumons et mes mains et qui pourtant était si revigorant, des bains brûlants dans les sources chaudes de notre village alors que tout gelait à l'extérieur, ainsi que des patates douces rôties au retour de ces périples dans le froid, dont la chaleur extrême irradiait mes paumes jusqu'à en laisser des marques et à laquelle mes mains sont aujourd'hui accoutumées.
J'ignore si je fais bien de coucher ces souvenirs sur le papier de la lettre que je vous envoie aujourd'hui. Cela serre quelque peu mon coeur et ma gorge de ressasser de telles remembrances et je n'ose imaginer comment vous vous sentez face à tout cela aujourd'hui.

Sachez que je chéris ces scènes du passé, que j'aimerais pouvoir en discuter avec vous pendant de longues heures, autour de tasses de thé encore fumantes.


Hier, j'ai assisté à l'exécution d'un sort de grande beauté par une camarade. Elle avait réussi à métamorphoser des flocons de neige en papillons de glace qui volaient autour de nous, identiques à ceux naturels. Inutile de vous décrire à quel point la scène était féérique.
Cette jeune femme cherchait par ailleurs à figer les dernières fleurs avant l'hiver afin de préserver leur beauté.
Inévitablement, je n'ai pu m'empêcher de penser au némophile que nous avions ramené un jour au chevet de mère et sur lequel elle avait appliqué un sortilège similaire et qui trône aujourd'hui sur son autel, les couleurs aussi vives que le jour où nous l'avions cueilli.
Comme ces fleurs rendues sempiternelles par l'usage de la magie, les souvenirs que j'évoquais plus tôt me restent vivaces et précieux.

Néanmoins, paradoxalement, la beauté des choses est aussi dans la nature éphémère dont ils peuvent être dotés. Mère en parlait souvent, elle savait mieux que quiconque que rien n'était amené à durer, que la vie était belle et précieuse parce qu'elle n'étais pas éternelle.
Le papillon de glace a fini par fondre et disparaître, comme un rêve au matin, mais je garderai en tête la beauté qu'il avait au cours de sa brève existence.

Il est de ces choses que l'on veut voir perdurer, d'autres que l'on souhaite brèves et ces volontés sont respectivement communément associées aux bonnes et aux mauvaises expériences. Toutefois, nous ne possédons aucun contrôle sur tout cela et nous devons laisser faire le temps qui est à la fois un bienfaiteur et un bourreau, mais je m'égare.

À mesure que l'on approche de l'hiver, que les degrés sont au négatif et les jours plus obscurs, prenez soin de vous, père.


Kyojurô

Mère,




Senjurô et moi sommes rentrés hier à Moerukawa pour être aux côtés de père pour la fin de l'année. Des mois de solitude doivent toujours peser sur un individu, aussi fort soit-il. C'est ce que je pense du moins, seul père sait ce que lui a à l'esprit et il ne verbalise jamais ses pensées.
Je lui ai ramené un pot du Canada, permettant de faire pousser la plante que l'on veut sans que jamais elle ne flétrisse ou ne manque de quoi que ce soit. Sans doute y sémera-t-il des graines de némophiles, en sachant à quel point vous aviez de l'affection pour celles-ci. J'ose espérer que cela lui permettra de s'occuper autrement qu'à lire et de se détendre quelque peu. J'avais lu dans une revue que le jardinage était une activité très ressourçante et méditative et cela a influencé mon choix.


Me concernant, je n'ai pas vu les jours passer depuis la rentrée. Il faut dire que je n'ai pas le temps de m'ennuyer, j'ai tant de responsabilités et il faut que je sois à la hauteur de la mission que vous m'avez confiée.
Soyez sans crainte, je suis sur la bonne voie, je ne vous décevrai pas.
J'ai eu l'occasion de mettre à profit mon entraînement au kendo ce mois-ci en vue du sélection du championnat nord-américain de cette discipline. Je suis honoré de vous annoncer que je suis arrivé à la première place dans ma catégorie, mais il ne faut pas que je relâche mes efforts et m'enorgueillisse de ce résultat, dans deux semaines, les choses sérieuses commencent réellement et mes adversaires sont loin d'être à sous-estimer.
Beaucoup de mes camarades comptent sur moi après tout, la confiance qu'ils ont est galvanisante, j'espère leur faire honneur, tout comme à Senjurô.
Ce dernier obtient d'excellents résultats par ailleurs, c'est un jeune homme très intelligent, il ira loin, j'en suis persuadé.
J'ai annoncé la nouvelle du tournoi à père, également, hier en rentrant. Il n'a pas bougé.

Vous lui manquez beaucoup.
Vous nous manquez beaucoup.


Récemment a eu lieu le bal de Yule, organisé par les membres du Conseil des Elèves. Celui-ci a eu lieu dans le Yukon. J'ai été ébahi par la beauté du lieu dans lequel nous avons été accueillis.
L'air était glacial, à en brûler les poumons, mais d'une telle pureté que nous en avons été ressourcés, malgré la brièveté de notre séjour.
J'ai passé un excellent moment en compagnie de mes camarades et ai eu la chance d'assister à un véritable spectacle d'un de mes protégés dont je vous ai parlé, celui qui fait du patin à glace. J'ai également eu à m'essayer à la danse, mouvement qui fut initié par mon meilleur ami, ce fut un spectacle cocasse, je n'en doute pas.

Et s'il n'y avait que cela. Nous avons eu la chance de voir des aurores boréales. Les locaux tendent à dire que l'âme des défunts transparaît dans celles-ci.
Alors, mère, j'ai cru voir votre visage à un moment.

Je ne cesserai jamais de déclarer tout l'honneur que je ressens d'être votre fils, d'avoir été mis au monde et élevé par une personne telle que vous.

Malgré la profonde tristesse qu'a engendré votre disparition précoce, je ne peux qu'avancer. Je sais que vous comptez sur moi pour le faire, pour m'occuper de Senjurô et de père, d'être le pilier de notre foyer à Moerukawa.

Toutefois, ce serait mentir que de nier que le fait de ne plus entendre votre voix résonner entre les murs de notre demeure, de ne plus vous voir occupée à promener le pinceau sur le papier avec expertise pèse sur nous tous au quotidien.

Récemment, j'ai pu sentir les effluves d'un kimono en soie et je me suis rendu compte d'à quel point je regrettais votre présence, encore aujourd'hui, alors que je suis adulte.
Je chéris tant le souvenir de vos mains qui nouaient les rubans que vous m'avez légué dans mes cheveux, de la douceur de vos bras, de votre parfum... Tout cela me rassurait et me réconfortait.
Et continue de le faire aujourd'hui, quand les temps sont difficiles, quand je me sens seul. Cela me pousse à continuer et à donner le meilleur de moi-même pour que vous soyez fière, où que vous soyez.

Avec toute mon affection,




Kyojurô

Mère,



La vie n'a pas été facile pour nous.
Après tout, vous nous avez quitté très tôt, au point que Senjurô garde très peu de souvenirs de votre présence et de l'état de Père avant votre disparition. Souvent, j'espère une existence plus paisible, qui n'aurait pas été marquée par de tels drames, mais nous n'y pouvons rien.
Paradoxalement, si la vie est difficile, je ne peux m'empêcher d'être ravi et honoré d'avoir été si bien entouré depuis ma naissance et encore aujourd'hui. Après tout, j'ai eu une enfance heureuse, grâce à vous et à Père, je ne suis pas à plaindre. Vous m'avez tout appris et chaque jour que l'Univers fait, je ne peux que ressentir de la gratitude vis-à-vis des préceptes que j'ai pu apprendre ou des souvenirs que je chéris.

Et à l'école je ne peux que remarquer que cela n'a pas changé, que je peux compter sur des personnes extrêmement talentueuses, passionnées, douées et évidemment, pleines de qualités, soit ce que la vie fait de mieux, à mon sens.
Un incident fâcheux est arrivé, me faisant régresser à l'âge de huit ans et au cours de ces longues heures de nervosité et d'angoisses diverses, outre Senjurô qui bient entendu s'est montré exemplaire - mais je n'en doutais pas - , j'ai des camarades, des amis qui m'ont tenu compagnie, ont fait attention à moi et ont même cherché à régler ce problème d'eux-mêmes, en prenant divers rôles. Bien que certains comportements les poussaient, malgré eux, à me surprotéger et à me traiter comme un véritable enfant, ils étaient présents, disponibles, prêts à tout pour me porter assistance, retardant même leurs propres impératifs.

En cela, plus j'y réfléchis, plus je me dis que je suis chanceux de les avoir auprès de moi, que je ne pouvais pas espérer meilleure compagnie que la leur. Ils sont encore jeunes, mais il y a fort à parier qu'ils seront des sorciers remarquables dans leur domaine d'expertise, et même au niveau humain. J'aurais tant voulu que vous rencontriez chacun d'entre eux, que vous puissiez voir à quel point ce sont des individus exceptionnels.
Sans doute le voyez-vous toutefois, de là où vous êtes.



Avec toute mon affection et en vous priant de continuer à veiller sur nous (et particulièrement sur Père qui en a bien besoin),




Kyojurô

Mère,


Je suis perdu mère.
Je pensais être meilleur que les autres à ce niveau, pour me contrôler. J'espère que ça passera et que vous saurez me pardonner cet égarement.

Kyojurô