Le mois de décembre annonçait un hiver assez rude. Ce dernier s'approchant à grand pas, le solstice étant dans moins d'une dizaine de jours, la septième année semblait inquiète. Qui disait hiver rude, disait aussi que les plantations récentes - dans le cas de Maryam, ses bacs - allaient souffrir si ces dernières n'étaient pas protégées de manière efficace. Elle réalisait parfaitement que certains des végétaux, qui se trouvaient dans sa chambre, dont la rusticité était limitée, ne pourraient pas survivre à l'hiver. C'est pour cette raison que cette dernière s'était rendue dans les serres de manière à trouver de quoi former un paillis pour ses plantes, afin de protéger le sol de ses plantes en pots, avec l'accord d'un des professeurs de botanique.

Kanaya fut cependant confrontée à un problème en se présentant aux serres de l'école. En plus du froid qui, malgré le fait qu'elle portait l'uniforme d'hiver, lui bouffait les doigts, les portes étaient fermées. En effet, la jeune fille avait beau avoir tapé maintes et maintes fois aux portes de cette dernière, aucun signe ne semblait présager la présence de messieurs Black ou van Mastroëm dans les environs. Elle fit le tour des serres à la recherche d'un des jardiniers de l'école qui pourrait peut-être l'aider avec son problème, mais ses investigations furent rapidement vaines.

De retour à l'entrée, elle prit la décision de se diriger vers la salle des professeurs, tout en ajustant son écharpe aux teintes parme. Elle décida de se permettre une escale en direction du dôme, au cas où. Elle savait très bien que les professeurs, quand ils n'étaient pas dans la salle des professeurs, traînaient assez souvent dans la grande salle qu'était le dôme. Sans parler du fait que c'était peut-être l'occasion de pouvoir passer le bonjour à, qui sait, peut-être Karkat ou bien Kenneth, s'ils se trouvaient dans les parages.

Elle prit donc la route, saluant sur son passage quelques élèves en chemin. Après quelques minutes passées dans les couloirs froids que formaient les sentiers menant aux autres bâtiments, elle arriva finalement devant les portes du bâtiment de forme cyclique. Passant ses dernières, la brune restait à l'entrée le temps de trouver une des personnes qu'elle cherchait. Aucun professeur à l'horizon, ni même de visage familier. Enfin, si. Son regard fut intrigué par quelqu'un qu'elle ne connaissait que de nom. L'amie d'un ami. Norasingh. C'était l'occasion parfaite de pouvoir faire sa connaissance. Kanaya attendit de voir si cette dernière n'était pas trop occupée, de loin – et surtout, si elle pouvait démarrer naturellement une discussion avec qui sait, peut-être un bouquin, ou quelque chose.

C'est avec une certaine curiosité que Kanaya, qui venait de remarquer l'activité de la demoiselle qui se tenait en face d'elle, fixait les aiguilles à tricoter de cette dernière. De nombreuses questions lui vinrent en tête assez rapidement tout en observant de manière plus globale tout le matériel de couture qui se tenait à ses côtés. Depuis quand faisait-t-elle ce genre d'activité ? Quels tissus préférait-elle utiliser ? Préférait-elle les aiguilles à double pointes, les aiguilles auxiliaires, les aiguilles reliées… Tant de questions auxquelles la jeune fille de la maison habillée d'améthyste devait mettre de côté, malgré sa forte envie de l'importuner avec. Du moins, pour le moment.

La grande brune passa ses deux mains l'une sur l'autre, prenant un air moins sévère. Elle se voulait amicale dans son approche, mais pas trop non plus. Norasingh faisait donc face à cette femme assez grande, dont le visage renvoyait une expression assez neutre. Elle semblait avoir un peu de mal à trouver ses mots – ou peut-être attendait-elle quelque chose, puisque qu'elle prit la parole après un certain temps.

— Plus ou moins.

C'était vague comme réponse. Peut-être trop vague, même. Elle pouvait cependant remarquer que la manière dont Kanaya s'exprimait était assez douce, dû au fait qu'elle prenait un soin certain à articuler la totalité de ses mots. Ce qui pouvait donner à ses phrases un air emphatique constant, assez proche d’une grandiloquence qu’on aurait pu lui reprocher. L'Italienne reprit cependant la parole après de longues secondes qui semblaient des heures, de manière toujours aussi formelle.

— Enfin, ce que je cherche à dire par là c'est que je suis une amie d'Alfred. Tu dois être Chandara, c'est cela ? J'admets que j'ai quelques doutes mais j’espère ne pas m'être trompée de personne. Sinon, cet échange serait fort étrange de ton point de vue et j'en suis désolée, si c'est en effet le cas.

La jeune femme prit une pose moins droite, moins tendue. Elle semblait plus à l'aise avec la discussion maintenant qu'elle était lancée. Elle analysait un peu le comportement de Norasingh, la regardant de haut en bas de manière à se faire une idée de qui elle avait en face d'elle.

- Ne t'excuses pas. Il n'y a aucune raison de le faire dans cette situation. Je ne pense pas que je suis un des sujets de discussion principaux d'Alfred. Je m'appelle Kanaya. Kanaya Maryam. Une année de moins.

Elle sourit légèrement d'une manière un peu plus amicale. L'expression restait légère cependant. Il ne fallait pas abuser non plus. Kanaya avait une réputation, celle d'une personne qui venait d'un milieu élevé, comme pouvait en témoigner la qualité du tissu de ses vêtements, mais aussi celle d'une personne assez sévère avec elle-même et qui montrait le moins d'émotions possible.

- Pas spécialement. Je cherchais un professeur, mais il ne me semble pas être le coin. Ce n'était pas urgent, de toute façon. Je me questionnais cependant sur la nature de ton tricot. Que fais-tu ?

Elle ne semble pas trop avoir de problème pour s'incruster. C'est un peu sa spécialité après tout. Puis, il n'y avait rien de mal au fait de discuter un petit peu. Peut-être le moyen de rencontrer la copine d'un de ses amis sans avoir besoin de ce dernier en tant qu'auxiliaire des deux. Elle en profita pour desserrer légèrement sa cape. A présent dans le dôme, elle n'avait plus besoin de la protection que cette dernière offrait.

— Bien que je préférerais m'entretenir avec le professeur Black, d’entre tous les professeurs, je suis à la simple recherche d'un professeur de botanique. Donc, si le professeur van Mastroëm est passé dans le coin, ou simplement un jardinier, même... Mais, ce n'est vraiment pas urgent.

Il ne fallait pas lui dire deux fois. L'italienne s'installa à ses côtés tout en admirant la structure de l'écharpe d'une manière assez analytique. Elle voulait comprendre la manière dont elle crochetait. Elle finit donc par jeter de nouveau un oeil à sa création avant de reprendre.

— Il est normal d'avoir des activités dans lesquelles nous nous débrouillons mieux que d'autres personnes. Nous avons tous des points forts. Je dois admettre que ce que je vois de cette écharpe me plaît beaucoup, d'ailleurs.

Elle passa ses deux mains sur ses genoux, se tenant bien droite sur le fauteuil auquel elle s'était installée, tout en déposant son sac à ses pieds de la manière la plus délicate possible. Elle souffla du nez tout en l'écoutant. Elle n'avait pas spécialement l'occasion de trop s'éloigner de son cercle d'amis – alors un moment avec quelqu'un qu'elle ne connaissait pas, bien que toujours d'une certaine proximité avec ses proches, était appréciable.

— En effet, je pratique la couture, en plus du tricot de manière ponctuelle. Je me considère comme plutôt douée dans le milieu. Au point où il m'arrive parfois de considérer l'idée de transformer ce simple passe-temps en vocation, à partir de l'année prochaine. J'en fais depuis maintenant un moment. Mais je te retourne la question, depuis quand fais-tu du tricot ?

—  Je ne pense pas réellement qu'on peut considérer la situation comme un problème, mais je préfère ne pas tarder avant de m'y mettre. Il me faut du paillage pour protéger quelques plantes en pot avant l'arrivée de l'hiver.

Elle marqua une pause dans sa phrase avant de reprendre. Elle semblait légèrement ennuyée. Ce n'était pas la première fois qu'elle rencontrait quelqu'un qui s'excusait plus qu'il le fallait mais ça avait toujours cette tendance à l'agacer.

—  C'est la deuxième fois que tu me présentes des excuses alors que vraiment, je t'assure que ce n'est rien. Ne t'inquiètes pas.

Elle prit le temps de l'écouter. Elle pouvait s'identifier au récit de la jeune femme. Elle était, elle-même, dans une situation assez similaire puisque c'était sa mère qui lui avait appris à se servir d'aiguilles. Puis, elle s'était améliorée en autodidacte avec ce qu'elle avait à disposition ; des bouquins, le witchnet...

— Pareillement. Nous avons déjà des points communs, c'est une bonne chose. J'ai appris avec ma mère assez rapidement. C'est vraiment une femme qui s'y connaît sur beaucoup de choses. Je l'admire énormément. Et.... Pour être honnête, je ne sais pas. Disons que... si j'écoutais mon cœur, j'irais directement en artisanat, mais j'admets que mes parents préféreraient que je me tourne vers un chemin moins incertain en suivant le cursus de botanique.

Elle souffla du nez avant de reprendre, tout en sortant son téléphone de son sac. Elle lui montra ses créations, ça se voyait qu'elle avait l'argent derrière, au niveau des tissus. Les coupes de ses robes étaient assez similaires. Il y avait parfois des pièces un peu plus expérimentales, mais ça se voyait qu'elle aimait rester dans sa zone de confort.

—  Il m'arrive en effet de concevoir quelques robes pour les bals de l'école. Je le fais pour des amis proches, en général. Je dois admettre que parfois la tâche est ingrate mais c'est une bonne chose de faire modeler différentes personnes pour mon port-folio. Et toi, en dehors de cette écharpe, que fais-tu de beau ?

Elle ne put s'empêcher de sourire, amusée, quand la laotienne s'excusa de nouveau, avant de rire de manière discrète. C'était mignon à voir. Alfred avait vraiment trouvé la copine idéale, elle espérait que ce dernier soit heureux avec cette dernière et que le couple allait durer. Elle était heureuse qu'on s'intéresse à son travail – après tout, c'était sa passion depuis maintenant des années, en plus de tout le temps qu'elle passait sur chaque robe.

—  Je suis ravie que mes travaux te plaisent. Je dois admettre que là où j'excelle dans le travail du tissu, je suis moins expérimentée dans la réalisation des accessoires qui vont avec. Et de ce que je vois de ton écharpe, tu as l'air d'être vraiment talentueuse. Pour ce qui est des patrons, cela dépend de mon humeur, de ce que je dois faire aussi. Si c'est une pièce pour un bal, je préfère avoir des patrons tout fait, mais si ce n'est que pour expérimenter, je fais mes propres patrons.

Elle marqua une pause dans sa phrase pour souffler du nez, le temps de réfléchir à sa réponse. Pour être honnête, il y avait plus d'une raison qui la faisait encore hésiter entre les deux. En plus d'une simple question de stabilité et de réussite, elle savait aussi que ses parents la poussaient légèrement à se tourner vers la botanique.

— Ce n'est rien. Et pour te répondre, eh bien... J'aime les deux et je ne sais pas si mes pièces sont aussi bonnes que ce que tout le monde pense. Je suis pas mal aidée par le fait que mes parents ne sont pas démunis et que j'ai du matériel de qualité, mais je n'ai pas l'impression de faire réellement dans l'original. Mais j'aimerais beaucoup, au moins, postuler dans le cursus pour voir.

Elle regarda ailleurs avant que cette dernière ne lui montre son pentagram. Elle observa ses créations dans le détail avant de se tourner vers elle de nouveau.

— C'est magnifique, Chandara. Je dirais même sublime. Je dois admettre que je me régale de ce genre d'esthétique. Et je ne peux que comprendre pour la médicomagie.

—  Ce n'est rien. Bien que je serais ravie de recevoir une de tes créations, je n'ai point envie d'abuser de ton temps ou de tes matériaux. Et pour ce qui est de la pâquerette, non, je n'étais point au courant du fait que c'est l’un des emblèmes floraux de l'Italie. Je dois admettre que bien que j'apprécie la composition florale, je ne suis pas forcément la personne la plus renseignée au sujet du langage des fleurs et des emblèmes floraux.

Kanaya n'était pas une personne qui appréciait recevoir des cadeaux, surtout dans le cadre d'une première rencontre. Principalement car elle se sentait redevable après coup et que c’était l’un des sentiments qu'elle aimait le moins ressentir. Elle continuait de l'écouter, tout en prenant son temps pour réfléchir à l'autre proposition de cette dernière. Une collaboration ? C'était loin d'être une mauvaise idée, mais elle avait, dans un premier temps, besoin de connaître un peu plus en détail la laotienne pour pouvoir lui faire plus confiance sur ce genre de projets.

— Je dois dire que la nature ici est sûrement une grande source d'inspiration pour de nombreux créateurs dans le coin. C'est un cadre idyllique, un petit coin de paradis en somme. A l'occasion, nous pourrions nous balader dans le coin, un de ces jours, si tu le souhaites ? Et bien que je trouve cela quelque peu rapide, je ne suis pas contre l'idée de collaborer si une situation le permet.

Elle se mit à sourire légèrement, ce qui changeait de son expression monotone et très neutre qu'elle arborait de manière générale. Pendant ce temps, un des jardiniers qu'elle cherchait il y a encore peu, était en train de passer les portes du dôme. C'était un signe qu'elle allait devoir laisser la laotienne, non pas à contre-coeur mais avec au moins le regret de ne pas pouvoir en découvrir plus sur elle. Elle venait pour ses plantes, après tout, et contrairement à la laotienne, elles ne pouvaient pas spécialement attendre.

— Je ne sais pas si on peut dire que j'ai réellement une saison préférée mais de manière général, je dirais que j'apprécie l'été bien plus que le reste des saisons. C'est la période la plus agréable à mon goût. En terme de température, comme de paysage. Bien que je dois dire, le printemps est sûrement bon second.

Elle commence à ranger ses affaires tout en regardant longuement le jardinier qui était désormais non loin des deux. Elle écoute cependant Chandara, mais elle semble légérement moins concentrée sur leur discussion.

— Évidemment, oui. Mais je dois admettre que cela m’enchanterait. J'ai hâte d'y être mais... Je vais devoir y aller. C'était un plaisir. Je suis désolée de devoir te laisser aussi rapidement mais il semblerait qu'une des personnes que je cherchais est désormais présente.

Elle sourit avant de désigner le fameux jardinier d'un signe de la tête avant de se lever pour saluer Chandara, poliement d'un simple signe de la main. Elle récupère son sac avant de le passer par dessus son épaule avant de se diriger vers le jardinier qui était en train de s'installer dans un fauteuil. Elle se tourne une dernière fois vers la laotienne avant de reprendre.

— Passe une bonne fin de journée. Nous nous reverrons sûrement bien vite.

Puis elle finit par y aller, laissant la Cervirald revenir à ses occupations. Elle n’espérait pas l'avoir trop dérangée en s’incrustant en plein dans son travail même si... il ne semblait pas qu'elle l'était. C'était un moment appréciable, en tout cas.