Physique

Tristan ne passe pas inaperçu et c’est voulu. De par sa haute taille, cet adolescent un peu dégingandé, aux longs membres malingres dépasse d’une bonne tête la plupart de ses camarades de classe. Par rapport à ses frères, il est le moins impressionnant cependant, car, à la différence de la majorité des Fowl, il n’est pas très musclé et ses épaules sont aussi étroites que ses hanches. Il compense son manque de force par une souplesse qu’il démontre à chacun de ses pas et à chaque occasion qu’il a de se retrouver dans l’eau – c’est un excellent nageur malgré son manque de musculature.  

Tout est un peu trop grand chez lui, y compris ses pieds qu’il déteste particulièrement. Ses doigts aussi sont longs et fins, dotés de nombreuses bagues aux styles hétéroclites avec lesquelles il aime se pavaner. Son look étudié, aux frontières du rock élégant et du bohème chic, lui donne l’air parfois d’un mannequin aux mensurations peu communes. C’est d’ailleurs le but : le garçon compense ses (nombreux) complexes par le soin qu’il accorde à son apparence. Il doit être l’adolescent mâle du campus qui prend le mieux soin de ses ongles et de sa peau.

Cette peau pâle d’irlandais qui l’agace beaucoup, cette peau constellée de tâches de rousseur dont les emplacements anarchiques l’exaspèrent : visage, dos, bras, le haut de son corps n’est pas épargné. Son visage aux traits fins, presque féminins, font d’autant plus ressortir les tâches brunes qui constellent son nez en trompette, son menton un peu pointu et ses délicates pommettes. Entre ces nuances de roux, une paire d’yeux en amande rajoute une pointe de noisette, brillante et malicieuse. Son regard et son sourire charmeur, ourlés de lèvres au dessin gourmand, ses armes soigneusement entretenues.

Ce qui le différencie encore plus des autres ? Sa chevelure sans doute. Ses cheveux ondulés, presque frisés, qui lui descendent jusqu’aux épaules dans un fouillis partiuclièrement étudié. Pour les maintenir, il alterne entre l’usage de ses petites oreilles, d’un bandeau, d’élastiques ou d’épingles. Fiers de leur allure brun clair, dans lesquelles se mélangent des reflets roux, ils le mettent cependant parfois dans l’embarras quand ils sont confrontés à un coup de vent trop violent et qu’ils obscurcissent son visage.

Et alors, Tristan pousse un énorme soupir. Il ne sait vraiment pas quoi faire de ce corps en réalité.

Caractère

Tristan n’est pas facile. Même ses plus proches amis le reconnaissent aisément. Issu d’une famille nombreuse où il a toujours eu du mal à se tailler une place, il éprouve un besoin presque maladif de se faire remarquer et pas toujours de la plus saine des manières.

Il a toujours des coiffures impossibles. Il connaît tous les maléfices les plus ch*ants à subir. Il se moque de tout le monde. Il a un humour très douteux et totalement débridé. La liste est interminable. Provocateur, il aime particulièrement jouer avec les règles des professeurs – même si cette tendance s’est calmée avec les années, car le garçon était fatigué de perdre des heures de sommeil sur celles de retenue – et surtout avec les nerfs de ses camarades.

Beaucoup le qualifient d’insupportable et ils n’auraient pas tort. Moqueur, beau parleur, arrogant, en faisant constamment « trop », il est impossible à suivre, changeant d’idée et d’objectif toutes les cinq minutes. Il a un côté très calculateur qui fait froid dans le dos et il s’est montré cruel à plusieurs reprises envers ceux qui ont eu le malheur de lui déplaire. Sournois, il n’hésite pas à masquer ses véritables intentions pour les dévoiler au moment le plus propice.

Cette sournoiserie se comprend aussi par sa place particulière dans la hiérarchie scolaire. Bourreau à ses heures, il est aussi victime de nombreux quolibets et surnoms peu flatteurs : le taré, le creep, le fragile… Il n’est pas assez fort ni assez musclé pour rivaliser avec les véritables bullies de l’école et ses manies un peu étranges lui donnent le statut d’original – peu flatteur à cet âge. Alors, il passe parfois derrière l’autre côté de la barrière, celui des « victimes », et personne ne le prend réellement en pitié – après tout, il est si orgueilleux, il s’en sortira tout seul non ?

Sa subtilité et son apparente froideur lui permettent effectivement de s’en sortir… la plupart du temps. Cela n’empêche pas le garçon d’être secrètement blessé par sa place difficile à tenir les mauvais jours. Il a l’air insensible ? Il est en réalité particulièrement susceptible et a bien du mal à contenir sa rage et sa tristesse. Dans ces moments-là, il se mure dans le silence et le retrait : on rajoute donc sur son front l’étiquette de « lunatique ».

Quant aux professeurs, ils le qualifient de fumiste la plupart du temps. Pourtant ses notes restent bonnes... Particulièrement perfectionniste, doté d’un esprit d’analyse performant, ordonné et précis, ses devoirs, lorsqu’il décide de les faire, sont brillants. Mais quand il a décidé de dormir… c’est une autre histoire. Tristan est éminemment paresseux et il a un besoin hallucinant de sommeil : il est capable de s’endormir qu’importe la situation et il déteste travailler s’il n’en voit pas l’utilité immédiate. Si par malheur on le force à faire quelque chose dont il n’a pas envie, il prendra tout… son… temps… Jusqu’à ce que l’autre craque devant son insupportable lenteur.

Il faut tout de même souligner que lorsqu’il a pris un engagement, il s’y tient. Le phénomène est rare et cela ne suffit donc pas à le qualifier de « loyal ». Mais les quelques promesses qu’il a faites, il les a toujours tenues. Un trait de caractère un peu décalé… tout comme quelques autres qu’il cache soigneusement aux yeux des autres.

Tristan est superstitieux. Tristan mange trop de choses sucrées. Tristan est un vrai gosse. Tristan est romantique. Tristan n’a pas confiance en lui. Tristan est fatigué d’être le dernier. Tristan est complexé. Tristan a peur. Tristan est Fourchelang. Tristan aime discuter avec les serpents. Tristan aimerait parfois en parler. Mais Tristan ne veut pas être rejeté.

Tristan est humain, malgré tout.

Histoire

Raconter sa vie. Expression méprisante, s’il en est.
Il ne raconte pas sa vie. Jamais.
Ou alors il fait semblant.

Car sa vie réelle, n’a en réalité, guère d’intérêt.

D’aucuns diraient le contraire. Mais ce qui distingue son existence, selon le principal concerné, c’est sa médiocrité.

Il est né au sein d’une famille modeste d’Irlande. Les Fowl, dont le sang magique remonte désormais à une dizaine de générations, sont de ces sorciers dont la cohabitation avec les moldus a toujours été relativement facile et qui n’a pas hésité, très tôt, à célébrer des mariages mixtes nombreux et très heureux. La demeure familiale est située sur la côte ouest irlandaise, près de Galway, à quelques centaines de mètres de l’océan.

Les Fowl aiment la mer et rares sont ceux qui s’en sont détournés à l’âge adultes. On y compte bon nombre de pêcheurs, poissonniers, navigateurs, gardes maritimes. L’ouvrage se faisant rare avec les années cependant, les plus jeunes cherchent désormais à trouver des moyens de conserver le patrimoine maritime en se tournant vers des métiers plus qualifiés, tels qu’océanographe, professeur ou chercheurs en biologie marine. Ainsi, le père de Tristan, Patrick, est un activiste reconnu en Irlande, et sa mère, Saoirse, est une ex-laborantine.  Ils se connaissent depuis l’enfance et personne ne fut très surpris de les voir fonder une nouvelle branche de l’immense arbre Fowl lorsqu’ils eurent l’âge de convoler en justes noces.

De cette famille, Tristan est le septième enfant. Septième d’une fratrie exclusivement masculine. Un phénomène relativement fréquent au sein d’une famille où les femmes manquent souvent. Ses six frères aînés portent les noms de grands-pères, d’aïeuls, de parrains, d’oncles et de cousins qui se confondent à force de multitude : Padraig, Seiorse, Melvin, Gaël, Owen et Seamus. Tristan, c’est le prénom d’un cousin au second degré du côté de sa mère – un frenchie, il paraît – ou bien d’un grand-oncle mort un peu trop jeune.

Son enfance n’a rien eu de très exceptionnel, ni de très remarquable. Ils vivaient comme en meute avec ses frères, comme une sorte de seule entité où la survie était toujours l’une des priorités en arrière-plan. La famille n’était pas à la rue, mais les grossesses répétitives de leur mère l’avaient épuisée, elle ne travaillait plus, faisant tourner la maison et veillant sur ses fils. Quant à leur père n’avait jamais réussi à faire fortune en défendant les phoques et les flots marins. La fratrie donnait toujours un coup de main rémunéré dès qu’ils le pouvaient au village, quitte à prendre des risques malgré leur jeune âge. Chacun mettait ses talents à disposition et ils en disposaient d’un bon nombre : courage pour l’un, débrouillardise pour l’autre, un sens de l’orientation exceptionnel pour le troisième…

Tristan était le dernier. Manque de chance, il était aussi le dernier en tout. Il n’avait jamais eu, en tout cas il lui semblait, de talent particulier. Il n’était pas manchot non plus, mais il y avait toujours un aîné pour le surpasser, dans chaque domaine. Il hérita ainsi du surnom peu glorieux du « Dernier ». Il ne s’agissait pas spécialement de cruauté de la part de ses frères, mais le résultat fut qu’il en garda une certaine rancune et se mit à développer des mécanismes de défense et de protection dès son plus jeune âge, afin de masquer ce « vide », cette carence qu’il ressentait chez lui. Le fait que leur mère n’ait que peu de temps personnel à leur accorder et que leur père s’absente régulièrement, n’aida pas non plus à combler ce déséquilibre émotionnel chez le jeune garçon.

Mais on ne parlera tout de même pas d’enfance malheureuse. En tout cas, lui n’en parlerait pas.

Il grandit donc, dans cette famille modeste, bruyante et agitée, certes un peu noyé par les ombres éminentes des frères et des aïeux, mais bercé par le rythme des mers et le cri des mouettes. Comme tous les Fowl, il aimait l’eau et les embruns. Et plus encore, il aimait les plages et les grottes qui bordaient la mer. Il aimait aussi le port de Galway et s’y promenait, perdu dans la foule, dès qu’il avait un moment à lui.

C’est ainsi au cours d’une balade qu’il parla pour la première fois à un serpent.

Il n’y a pas de serpents en Irlande. C’est un fait connu. Ainsi, quand un « magicien » itinérant arriva en ville, les badauds eurent tôt fait de se réunir autour de lui, attirant par la même l’attention du jeune Tristan, alors âgé de neuf ans. Le prestidigitateur jouait avec un lourd boa, dont le sifflement résonnait de manière… étrange, aux oreilles du jeune garçon. Le serpent semblait… parler. Tristan tenta alors d’engager discrètement la discussion avec le spécimen. Il n’en eu pas vraiment le temps, mais en eu cependant assez pour constater que non seulement il comprenait le boa mais que lui aussi le comprenait…

Il voulut en parler à sa famille. Mais lorsqu’il évoqua son aventure, il vit sa mère se mettre à blanchir affreusement, avant de le saisir brutalement par le bras et lui demander si ce qu’il disait était bien la vérité. Par orgueil, il aurait bien affirmé que oui, puisque cela l’était ! Mais voyant dans les yeux de sa mère une lueur de terreur mêlée de dégoût, pressentant que ce n’était pas la réponse que l’on attendait de lui, il se cacha derrière l’une des blagues douteuses qu’il multipliait déjà à l’époque. Il en fut quitte pour être privé de dîner, afin de cesser de « plaisanter autour de sujets aussi graves que les Arts Sombres et toutes ces horreurs ».

Cette réaction violente et ce secret qu’il devait garder malgré lui marquèrent d’autant plus sa personnalité dans les années qui suivirent. Il devint plus sournois, plus subtil, plus arrogant aussi. Son masque ne se fendillait plus qu’en de rares occasions et ses relations avec ses frères et ses parents ne firent que se refroidir. Ainsi, lorsqu’il rejoignit Ilukaan, comme l’avaient fait avant lui ses six aînés, il le fit seul, ne comptant nullement sur leur aide pour se faire des amis.

La maison Cervirald l’accueillit dans ses rangs. Au cours des années, le garçon, malgré son caractère particulier, se fit plusieurs amis proches – et pas mal d’ennemis par la même occasion. Il aimait sa petite bande et celle-ci, malgré ses fâcheuses manies, le lui rendait bien. Il lui arriva également de croiser des serpents sauvages vivant aux abords du parc… certains devinrent presque d’autres amis, qu’il croisait parfois au cours de ses balades…

Niveau scolarité, il n’était pas de ceux qui aiment vraiment travailler, plutôt le contraire en réalité – ses heures de sommeil étaient sacrées, ainsi que les nombreuses « pauses » qu’il s’accordait dans la journée. Mais il était d’une précision et d’un perfectionnisme rare pour un adolescent et on ne pouvait lui reprocher la qualité de ses travaux : car soit il n’avait pas décidé de s’y pencher et il écopait d’un zéro, soit il s’y mettait et ses notes atteignaient facilement les sommets.

Pourtant, quelque chose manquait à la vie du garçon… il n’aurait su dire quoi et encore moins se l’avouer… Peut-être était-ce lié à ces rêves étranges où une main tenait la sienne et où un sentiment apaisant assiégeait son cœur. Ou bien à son agacement inexplicable lorsqu’il voyait deux élèves se rapprocher un peu trop intimement face à lui. Qui sait.

Il atteignit la septième année à son rythme tranquille… glissant entre les écueils de ses angoisses et de ses secrets.